[Athènes - Le pied de l'Acropole]

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XVIII. [1] Ce qui se présente ensuite, c'est le temple des Dioscures qui est très ancien ; Castor et Pollux y sont debout, et leurs enfants à cheval ; leurs aventures sont peintes par Polygnote, entre autres l'enlèvement et les noces des filles de Leucippe ; pour le tableau des Argonautes, il est de Micon qui s'est surtout étudié à bien peindre Acaste et ses chevaux.

[2] Au-dessus du temple des Dioscures est une chapelle dédiée à Aglaure : on raconte à ce sujet qu'un jour Minerve lui confia à elle et à ses soeurs Hersé et Pandrose, un coffre où elle avait caché le petit Ericthonius, et qu'elle leur recommanda bien de ne le pas ouvrir, que Pandrose avait obéi, mais que ses soeurs plus curieuses n'avaient pu s'empêcher d'ouvrir le coffre, et que venant à y trouver Ericthonius, aussitôt agitées par les Furies, elles s'étaient précipitées du haut de la citadelle en bas, du côté qu'elle est le plus escarpée, et par où les Perses l'escaladèrent dans la suite et firent main basse sur ceux qui croyant entendre mieux que Thémistocle le sens de l'oracle, s'étaient défendus par des machines de bois et par quelques ouvrages de fortification.

[3] Si vous avancez un peu vous trouverez le prytanée, où l'on garde les lois de Solon écrites dans un tableau ce lieu est encore considérable par quantité de statues, comme celles de la Paix, de Vesta, et de plusieurs hommes célèbres, au rang desquels est Autolycus, fameux pancratiaste ; car pour celles de Miltiade et de Thémistocle, on en a ôté l'inscription pour mettre en sa place les noms d'un Thrace et d'un Romain.

[4] En descendant vers la ville basse, le premier monument que vous rencontrez est le temple de Sérapis dont Ptolémée apporta le culte à Athènes ; car les Egyptiens ont plusieurs temples dédiés à ce dieu ; le plus renommé de tous est à Alexandrie, et le plus ancien à Memphis. Pour celui-ci, il n'est pas permis aux étrangers d'y entrer, et ses propres prêtres n'ont ce droit qu'après avoir inhumé le boeuf Apis. Un peu plus bas on vous montre le lieu où Pirithoüs et Thésée s'engagèrent à aller ensemble à Lacédémone, et de là dans la Thesprotie.

[5] Près de là est le temple de Lucine : on dit que cette déesse pour secourir Latone dans ses couches vint des pays Hyperboréens à Délos, d'où son nom et son culte se répandirent en d'autres lieux ; il est certain que les habitants de Délos sacrifient à Lucine, et qu'encore aujourd'hui ils chantent en son honneur un hymne que fit autrefois le poète Olen. Les Crétois qui habitent la ville de Gnosse disent que cette déesse reçut le jour à Amnise, et la disent fille de Junon. Les Athéniens sont les seuls qui voilent ses statues jusqu'au bout des pieds ; ils en ont trois, dont ils me disaient que deux leur étaient venues de Crète, et avaient été consacrées par Phèdre ; pour la troisième qui est la plus ancienne, des femmes d'Athènes m'ont assuré qu'elle avait été apportée de Délos par Erysicthon.

Carrez, 1886

[6] Avant que nous entrions dans le temple de Jupiter Olympien, il est bon de vous dire que c'est Hadrien l'empereur des Romains, qui l'a consacré en y plaçant cette belle statue qui attire les yeux de tout le monde ; non par sa grandeur, car à Rhodes et à Rome on voit aussi de ces statues colossales ; mais par sa richesse, car elle est d'or et d'ivoire, et par la proportion de toutes ses parties, en quoi l'on remarque surtout l'habileté de l'ouvrier. Vous voyez dans ce temple deux statues de l'empereur Hadrien, faites de marbre de Thaze, et deux autres de marbre d'Egypte. Sur les colonnes du temple sont représentées en bronze toutes ces villes que les Athéniens appellent les colonies d'Hadrien. L'enceinte du temple est pour le moins de quatre stades, et dans ce long circuit vous ne trouvez pas un endroit qui soit vide de statues, parce que chaque ville pour signaler son zèle a voulu donner la sienne ; mais les Athéniens se sont particulièrement distingués par le magnifique Colosse qu'ils ont érigé à ce prince, et qui est placé derrière le temple.

[7] Cette enceinte renferme aussi plusieurs antiquités ; un Jupiter en bronze, un vieux temple de Saturne et de Rhéa, un bois sacré qu'ils appellent le bois d'Olympie. Là se voit une ouverture large d'environ une coudée, par où, disent-ils, les eaux s'écoulèrent après le déluge de Deucalion ; et tous les ans ils jettent dans ce gouffre une espèce de pâte faite avec de la farine de froment et du miel.

[8] Parmi ces antiquités je mets encore une colonne où est une statue d'Isocrate, homme digne de mémoire et qui laissa trois grands exemples à la postérité ; le premier de constance, en ce qu'a l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans, il n'avait pas encore cessé d'enseigner, ni d'avoir des disciples ; le second d'une modestie rare, qui le tint toujours éloigné des affaires publiques et des soins du gouvernement ; le troisième d'un grand amour pour la liberté, qu'il témoigna lui être plus chère que la vie ; car sur la nouvelle de la défaite des Athéniens à Chéronée, il finit ses jours volontairement. Il faut mettre au même rang ces Perses en marbre de Phrygie, qui soutiennent un trépied de bronze, et qui sont des chefs-d'oeuvre, tant les Perses que le trépied. Au reste le temple de Jupiter Olympien est très ancien ; on prétend que c'était Deucalion qui l'avait bâti, et pour preuve que Deucalion demeurait à Athènes on montre son tombeau assez près du temple.

[9] Mais l'empereur Hadrien a décoré la ville par bien d'autres monuments, il a fait bâtir le temple de Junon, celui de Jupiter Panellénien, et un autre qui est commun à tous les dieux. Dans ce dernier on admire surtout six-vingt colonnes de marbre de Phrygie, et des portiques dont les murs sont de même marbre ; on y a pratiqué des niches qui sont ornées de peintures et de statues, et dont le plafond brille d'or et d'albâtre. Il y a près du temple une bibliothèque, et un lieu d'exercice qui porte le nom d'Hadrien, où vous voyez cent colonnes de beau marbre tiré des carrières de Libye.

XIX. [1] Quand vous avez passé le temple de Jupiter Olympien, vous trouvez sur votre chemin une statue d'Apollon Pythien, et ensuite un temple du même dieu, mais surnommé Delphinien. On raconte que ce temple étant achevé, au comble près à quoi l'on travaillait encore, parut dans la ville un jeune inconnu avec une robe traînante et de beaux cheveux bien frisés, qui flottaient sur ses épaules, c'était Thésée ; quand il fut proche du temple, il entendit les ouvriers qui demandaient en riant où allait donc cette belle grande fille ainsi toute seule : à cette plaisanterie il ne répondit rien ; mais ayant dételé deux boeufs qui étaient près de là à un charriot couvert, il prit l'impériale du charriot et la jeta plus haut que n'étaient les ouvriers qui travaillaient à la couverture du temple.

[2] A l'égard de ce quartier de la ville que l'on appelle les Jardins, et où l'on voit un temple de Vénus avec une statue de la déesse, de figure carrée comme sont les Hermès, on n'a su m'en rien dire de particulier ; l'inscription porte seulement que c'est Vénus la Céleste, et la plus ancienne de ces déesses à qui l'on donne le nom de Parques. Mais pour la statue de la Vénus aux Jardins, c'est un ouvrage d'Alcamène et des plus beaux qu'il y ait à Athènes.

[3] Hercule a aussi là son temple dit le Cynosarge, à cause d'une chienne blanche, comme le savent bien ceux qui ont connaissance de l'oracle ; dans ce temple vous verrez plusieurs autels, l'un dédié à Hercule, l'autre à Hébé qui était, à ce que l'on dit, fille de Jupiter et femme d'Hercule, un autre à Alcmène, un autre enfin à Jolas qui fut le compagnon d'Hercule dans la plupart de ses travaux. Le Lycée est un lieu qui a pris son nom de Lycus fils de Pandion. L'on a toujours cru et l'on croit encore aujourd'hui qu'autrefois c'était un temple d'Apollon, qui dès lors fut surnommé Lycien. On ajoute que les Termiliens changèrent leur nom en celui de Lyciens, parce que Lycus pour éviter de tomber entre les mains d'Egée, s'était retiré chez eux.

[4] Quoi qu'il en soit, derrière le Lycée on voit le tombeau de Nisus roi de Mégare, qui fut tué par Minos, et dont les Athéniens firent transporter le corps à Athènes pour lui donner sépulture en ce lieu-là. Si l'on en croit la fable, Nisus avait des cheveux couleur de pourpre et ne devait point mourir tant qu'il les conserverait ; or il arriva que les Crétois après avoir ravagé son petit état et pris d'emblée la plupart de ses villes, l'obligèrent de se retirer dans Nisée où ils l'assiégèrent ; durant le siège la fille de Nisus prit une forte passion pour Minos et coupa les cheveux à son père, d'où sa perte s'en suivit : voilà le fait comme on le raconte.

[5] Les Athéniens ont deux rivières, l'une est l'Ilisse, et l'autre qui tombe dans celle-ci est l'Eridan, de même nom que ce fleuve qui arrose le pays des Celtes. C'est, dit-on, sur les bords de l'Ilisse qu'Orithie s'amusant à jouer fut enlevée par Borée qui l'épousa, et qui dans la suite en considération de cette alliance avec les Athéniens leur rendit le bon office de couler à fond plusieurs galères des Barbares. Les Athéniens croient l'Ilisse consacrée à quelques divinités, surtout aux Muses, qui ont sur ses rives un autel appellé l'autel des Muses Ilissiades. On vous fera voir aussi sur les bords de cette rivière le lieu où les Péloponnésiens tuèrent Codrus fils de Mélanthus et roi d'Athènes.

[6] Quand vous aurez passé l'Ilisse, vous trouverez un endroit nommé Agréa, et un temple de Diane Agrotera, ou la Chasseresse, ainsi appellé parce que Diane arrivant de Délos prit là le divertissement de la chasse, et c'est par cette raison qu'elle est représentée avec un arc. Je finirai cet article par un monument qui ne fait pas autant de plaisir à expliquer, qu'il cause de surprise et d'admiration quand on le voit, je veux dire ce stade de marbre blanc, dont je ne puis mieux faire comprendre la grandeur qu'en disant qu'il commence à la colline qui est au-dessus de l'Ilisse, et qu'il vient aboutir droit à la rivière en forme de demi-lune par un double mur d'un et d'autre côté ; c'est Hérode Atticus qui a fait construire ce magnifique stade, et il y épuisa presque toute une carrière du mont Pentélique.

XX. [1] Du prytanée vous descendez par la rue des trépieds, ainsi dite parce que le long de cette rue on trouve plusieurs temples considérables dans lesquels il y a quantité de trépieds de bronze, où l'on conserve des ouvrages d'un très grand prix, entre autres le Satyre dont Praxitèle s'applaudissait tant. En effet, Phryné dont il était amoureux l'ayant prié de lui donner le plus bel ouvrage qui fût sorti de ses mains, à la vérité il ne la refusa pas ; mais comme il ne voulait pas lui dire quel était celui de ses ouvrages qu'il estimait le plus, elle vint à bout de le connaître par une ruse dont elle s'avisa. Un jour que Praxitèle était chez elle, un domestique à qui elle avait donné le mot, accourant de toute sa force vint dire à Praxitèle que le feu était à sa maison, qu'une bonne partie de ses ouvrages était déjà brûlée, et qu'il n'en restait que fort peu qui ne fussent pas endommagés.

[2] Praxitèle sortant aussitôt s'écria, je suis perdu si mon Satyre et mon Cupidon sont brûlés ; alors Phryné le rassura, lui dit qu'aucun malheur n'était arrivé ; qu'elle avait seulement voulu savoir par lui-même quel était celui de ses ouvrages dont il faisait le plus de cas, et sur le propre témoignage de Praxitèle elle fit choix de son Cupidon. Dans le même quartier il y a un temple de Bacchus où l'on voit un petit Satyre qui présente un gobelet à ce dieu, un Amour qui est debout, et un Bacchus ; ces deux dernières divinités sont de Thymilus.

[3] Près du théâtre est un vieux temple de Bacchus, dans l'enceinte duquel il y a deux chapelles avec deux statues du même dieu, celle de Bacchus dit d'Eleuthère est d'or et d'ivoire, de la façon d'Alcamène ; on trouve aussi là quelques peintures ; j'ai surtout l'idée d'une où on a représenté Bacchus ramenant Vulcain dans le ciel, sur quoi les Grecs débitent cette fable, que Vulcain étant né, Junon le jeta du haut du ciel en terre ; que dans la suite Vulcain qui n'avait pas oublié ce mauvais traitement envoya à Junon une chaise d'or où il y avait des liens invisibles, que Junon ayant voulu s'y asseoir se trouva prise dans ces liens, et que Vulcain n'avait plus voulu se fier à aucun des dieux si ce n'est à Bacchus, qui l'ayant enivré le ramena au ciel. Le second tableau vous présente Lycurgue et Penthée que Bacchus châtie de leur insolence ; dans le troisième c'est Ariadne qui dort ; on voit d'un côté Thésée qui met à la voile pour l'emmener, et de l'autre Bacchus qui vient pour la lui enlever.

[4] A quelque distance du temple de Bacchus et du théâtre qui y tient presque, vous verrez un édifice fait sur le modèle du pavillon de Xerxès ; cet édifice est moderne, car l'ancien fut brûlé par Sylla lorsqu'il prit Athènes, et je vais dire ce qui porta Sylla à assiéger cette ville. Mithridate tenait l'empire de ces barbares qui habitent aux environs du Pont-Euxin ; pourquoi il fit la guerre aux Romains, comment ayant envahi toute l'Asie il étendit sa domination sur une infinité de villes, prenant les unes par force et faisant alliance avec les autres, c'est ce qu'il est aisé d'apprendre plus en détail par l'histoire de ce prince ; car pour moi je ne toucherai que ce qui a rapport au malheur d'Athènes.

[5] Mithridate avait auprès de lui un Athénien nommé Aristion, dont il se servait pour entretenir correspondance avec les villes grecques ; celui-ci fit tout ce qu'il put pour engager ses compatriotes à préférer l'amitié du roi de Pont à celle des Romains, mais il ne persuada que les plus séditieux d'entre le peuple ; tous ceux qui tenaient quelque rang dans la ville se rangèrent du côté des Romains. Le combat s'étant donné entre les deux armées, les Romains eurent la victoire, et profitant de leur avantage ils partagèrent leurs troupes en deux corps, dont l'un poussa Aristion et ceux de son parti jusqu'aux portes de la ville, et l'autre poursuivit Archélaüs et les barbares jusqu'au Pirée. Cet Archélaüs était un des généraux de Mithridate, qui quelque temps auparavant avait fait une irruption sur les terres de ces Magnésiens qui sont voisins du mont Sipyle ; mais il avait échoué dans son entreprise, et s'était retiré avec perte des siens et dangereusement blessé. Voilà donc comme Athènes se vit assiégée.

[6] Sur ces entrefaites Taxile, autre général de Mithridate, ayant appris que les Athéniens étaient réduits à l'extrémité, quitta le siège d'Elathée dans la Phocide et vint camper dans l'Attique. Au premier bruit de sa marche le général des Romains laisse une partie de son armée dans les lignes, se met à la tête de l'autre et va au-devant de Taxile qu'il rencontre dans la Béotie. Au bout de trois jours des couriers dépêchés réciproquement du camp des Romains à l'autre rapportèrent, les uns à Sylla que la ville d'Athènes était prise, et les autres aux assiégeants que Taxile venait d'être défait auprès de Chéronée. Sylla revenu à Athènes renferma dans le Céramique tous ceux qui s'étaient déclarés contre lui, et les fit décimer.

[7] Comme sa colère s'aigrissait de plus en plus contre les Athéniens, quelques-uns s'échappèrent pour aller consulter l'oracle de Delphes, et pour savoir si le destin d'Athènes était donc qu'elle pérît ; à quoi la Pythie répondit par je ne sais quelles paroles qui avaient du rapport à une outre que l'on jette dans l'eau. Quelque temps après, Sylla fut frappé de la même maladie dont j'ai ouï dire que Phérécide de Scyros était mort avant lui ; il exerça contre les Athéniens mille cruautés indignes d'un Romain ; mais il fit une action qui méritait encore plus la colère de Jupiter le vengeur, et à laquelle surtout j'attribue son genre de mort ; car Aristion s'étant réfugié dans un temple de Minerve, Sylla commanda qu'on l'en tirât de force et qu'on le fît mourir. La ville d'Athènes après avoir souffert ces calamités durant la guerre des Romains contre Mithridate, a repris enfin un nouveau lustre sous l'empereur Hadrien.

XXI. [1] Nous voilà arrivés au théâtre ; il est orné d'un grand nombre de portraits de poètes, soit tragiques, soit comiques, mais assez obscurs pour la plupart. Car entre les comiques, à la réserve de Ménandre, je n'en ai pas vu un seul qui fût célèbre. Parmi les tragiques, ceux qui tiennent le premier rang avec raison sont Euripide et Sophocle. A l'occasion du dernier on raconte que lorsqu'il mourut, les Lacédémoniens firent une excursion dans l'Attique, et que leur commandant eut un songe où il crut voir Bacchus qui l'avertissait de rendre à la nouvelle Sirène tous les honneurs qu'on a coutume de rendre aux morts, ce que le général Lacédémonien entendit de Sophocle et de ses tragédies ; en effet on compare encore aujourd'hui au chant des Sirènes non seulement les poèmes, mais tout discours éloquent et persuasif.

[2] A l'égard du portrait d'Eschyle et du tableau qui le représente faisant des prodiges de valeur à la journée de Marathon, je les crois faits longtemps après sa mort ; mais une chose singulière que ce poète nous a lui-même apprise, c'est qu'étant fort jeune, il s'endormit dans un champ où il gardait des raisins, et qu'il vit en songe Bacchus qui lui ordonnait de faire une tragédie ; que pour obéir à ce dieu, dès qu'il fut jour, il se mit à l'oeuvre, et qu'il en vint à bout sans beaucoup de peine.

[3] Sur cette muraille que l'on nomme australe parce qu'elle est au midi, et qui joint le théâtre à la citadelle, vous verrez une tête de la Gorgone Méduse, qui est dorée et relevée en bosse sur l'égide. Au faîte du théâtre il y a dans l'épaisseur du mur une grotte d'où par un escalier dérobé on descend au pied de la citadelle ; dans cette grotte vous pourrez voir un trépied où sont représentés Apollon et Diane qui tuent les enfants de Niobé. Je dirai ici en passant qu'un tour je montai sur le mont Sipyle, exprès pour voir cette Niobé dont on parle tant. La roche que l'on appelle de ce nom est fort près de là : ce qu'il y a de vrai, c'est qu'à la regarder de près elle n'a aucune figure de femme, encore moins d'une femme qui pleure ; mais si vous la voyez de loin, il vous semble en effet voir une femme en larmes et accablée de douleur.

[4] Dans le chemin qui mène du théâtre à la citadelle on trouve le tombeau de Calus qui fut tué par Dédale, quoique son disciple et fils de sa soeur : aussi après ce meurtre Dédale s'enfuit-il en Crète, et dans la suite il se retira en Sicile auprès de Cocalus qui y régnait. Mais un lieu qui mérite toute votre attention, c'est le temple d'Esculape, tant à cause de plusieurs statues de lui et de ses enfants, que pour les belles peintures qui s'y trouvent. Dans ce temple est une fontaine près de laquelle on dit que Mars tua Halirrhothius fils de Neptune ; Halirrhothius avait abusé d'Alcippe fille de Mars, et Mars s'en vengea ainsi, ce qui donna lieu au premier procès criminel que l'on ait vu à Athènes pour cause de meurtre.

[5] Je laisse plusieurs autres curiosités pour vous parler de la cuirasse d'un Sarmate que l'on garde dans ce temple, et qui vous fera convenir que les barbares ne sont pas moins adroits que les Grecs, ni moins propres à cultiver les arts. Les Sarmates n'ont point de fer chez eux et l'on ne leur en apporte point d'ailleurs ; car de tous les peuples qui habitent ces contrées septentrionales, ce sont ceux qui ont le moins de commerce avec les étrangers. La disette de ce métal leur a fait imaginer d'armer leurs piques avec de l'os, qu'ils ont l'art de rendre aussi dur que du fer ; leurs arcs sont de bois de cornouillier, leurs flèches aussi, mais armées d'os. Outre cela ils ont de grandes chaînes d'osier qu'ils portent à la guerre, et dont ils se servent avec une adresse merveilleuse ; car au combat, dès qu'ils peuvent joindre l'ennemi, ils lui jettent ces chaînes sur le corps, l'embarrassent dedans et le renversent de dessus son cheval.

[6] Pour leurs cuirasses, voici comme ils les font. Ils nourrissent une grande quantité de chevaux, car chez eux la terre est en commun, et n'est fertile qu'en pâturages et en forêts ; de sorte qu'à proprement parler ce sont des Nomades qui vont errants çà et là. Outre le service qu'ils tirent des chevaux pour la guerre, ils en immolent à leurs dieux, et en tuent pour leur propre nourriture ; mais ils en ramassent soigneusement la corne des pieds, la nettoient bien et la coupent comme par écailles ; vous diriez d'écailles de dragons. Si vous n'avez jamais vu d'écailles de dragons, imaginez-vous une pomme de pin qui est encore verte ; l'ouvrage que font ces barbares avec la corne du pied des chevaux ressemble donc à une pomme de pin ; car ils percent tous ces morceaux de corne, les couchent à demi les uns sur les autres, puis les cousent ensemble avec des nerfs ou de boeuf ou de cheval, et par viennent enfin à en faire des cuirasses qui sont aussi propres, aussi bien travaillées que celles des Grecs, et qui ne résistent pas moins ; de près comme de loin elles sont à l'épreuve du fer.

[7] Il s'en faut beaucoup que les cuirasses de lin soient aussi bonnes à la guerre ; un coup de pique ou d'épée bien asséné les perce ; mais elles sont excellentes pour la chasse, parce que les dents des léopards et des lions rebroussent contre. Vous pouvez voir de ces cuirasses de lin dans plusieurs temples, mais surtout dans celui d'Apollon Grynéen, qui, pour le dire en passant, est accompagné d'un beau bois sacré, planté d'arbres fruitiers et d'autres arbres qui ne sont que pour l'odorat et pour le plaisir des yeux.

XXII. [1] Après le temple d'Esculape sur le chemin qui mène à la citadelle, vous avez le temple de Thémis, et à l'entrée le tombeau du malheureux Hippolyte dont la mort tragique fut, dit-on, l'effet des imprécations de son père. Il n'y a point d'homme, pour peu qu'il soit versé dans les lettres grecques, qui n'ait connaissance et de l'amour de Phèdre, et de la criminelle audace de sa nourrice. Mais Hippolyte a encore un tombeau à Trézène où l'on raconte ce qui suit :

[2] Que Thésée voulant épouser Phèdre et craignant que les enfants qui naîtraient de son mariage ne régnassent sur Hippolyte, on qu'Hippolyte ne régnât sur eux, avait pris la résolution d'envoyer ce prince auprès de Pitthée, tant pour le faire élever à sa cour, qu'afin qu'il pût un jour lui succéder ; qu'ensuite Thésée ayant tué Pallas et ses enfants parce qu'ils avaient tramé une conspiration contre lui, il était venu à Trézène pour se faire purifier de ce meurtre ; que là Phèdre avait vu Hippolyte pour la première fois, et qu'ayant pris une violente passion pour ce jeune prince, honteuse d'elle-même, elle résolut de se donner la mort. On montre encore à Trézène un myrthe dont les feuilles sont toutes criblées, et l'on assure, que ce myrthe n'est pas venu ainsi, mais que c'est Phèdre qui dans sa rêverie en perçoit les feuilles avec son aiguille de cheveux.

[3] Thésée ayant ensuite persuadé à tous les peuples de l'Attique de se réunir dans une seule ville pour ne faire plus désormais qu'un peuple, il introduisit le culte de la déésse Pitho ou de la persuasion, et celui de Vénus sous un nom qui marquait que cette déesse devait être le lien commun de tous ces peuples. Les statues que j'ai vues de ces deux déesses ne sont point antiques ; elle sont faites par de bons statuaires, mais modernes. Enfin il y a encore là un temple dédié à la Terre surnommée la nourricière, et un autre consacré à Cérès verdoyante ; leurs prêtres vous apprendront la raison de ces surnoms, pour peu que vous en soyez curieux.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.