[Athènes - Le pied de l'Acropole]
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XVIII. [1] Ce qui se présente ensuite, c'est le temple
des Dioscures qui est très ancien ; Castor et Pollux y
sont debout, et leurs enfants à cheval ; leurs aventures
sont peintes par Polygnote, entre autres l'enlèvement et
les noces des filles de Leucippe ; pour le tableau des
Argonautes, il est de Micon qui s'est surtout
étudié à bien peindre Acaste et ses
chevaux.
[2] Au-dessus du temple des Dioscures est une chapelle
dédiée à Aglaure : on raconte à ce
sujet qu'un jour Minerve lui confia à elle et à
ses soeurs Hersé et Pandrose, un coffre où elle
avait caché le petit Ericthonius, et qu'elle leur
recommanda bien de ne le pas ouvrir, que Pandrose avait
obéi, mais que ses soeurs plus curieuses n'avaient pu
s'empêcher d'ouvrir le coffre, et que venant à y
trouver Ericthonius, aussitôt agitées par les
Furies, elles s'étaient précipitées du haut
de la citadelle en bas, du côté qu'elle est le plus
escarpée, et par où les Perses
l'escaladèrent dans la suite et firent main basse sur
ceux qui croyant entendre mieux que Thémistocle le sens
de l'oracle, s'étaient défendus par des machines
de bois et par quelques ouvrages de fortification.
[3] Si vous avancez un peu vous trouverez le prytanée,
où l'on garde les lois de Solon écrites dans un
tableau ce lieu est encore considérable par
quantité de statues, comme celles de la Paix, de Vesta,
et de plusieurs hommes célèbres, au rang desquels
est Autolycus, fameux pancratiaste ; car pour celles de Miltiade
et de Thémistocle, on en a ôté l'inscription
pour mettre en sa place les noms d'un Thrace et d'un
Romain.
[4] En descendant vers la ville basse, le premier monument que
vous rencontrez est le temple de Sérapis dont
Ptolémée apporta le culte à Athènes
; car les Egyptiens ont plusieurs temples dédiés
à ce dieu ; le plus renommé de tous est à
Alexandrie, et le plus ancien à Memphis. Pour celui-ci,
il n'est pas permis aux étrangers d'y entrer, et ses
propres prêtres n'ont ce droit qu'après avoir
inhumé le boeuf Apis. Un peu plus bas on vous montre le
lieu où Pirithoüs et Thésée
s'engagèrent à aller ensemble à
Lacédémone, et de là dans la
Thesprotie.
[5] Près de là est le temple de Lucine : on dit
que cette déesse pour secourir Latone dans ses couches
vint des pays Hyperboréens à Délos,
d'où son nom et son culte se répandirent en
d'autres lieux ; il est certain que les habitants de
Délos sacrifient à Lucine, et qu'encore
aujourd'hui ils chantent en son honneur un hymne que fit
autrefois le poète Olen. Les Crétois qui habitent
la ville de Gnosse disent que cette déesse reçut
le jour à Amnise, et la disent fille de Junon. Les
Athéniens sont les seuls qui voilent ses statues jusqu'au
bout des pieds ; ils en ont trois, dont ils me disaient que deux
leur étaient venues de Crète, et avaient
été consacrées par Phèdre ; pour la
troisième qui est la plus ancienne, des femmes
d'Athènes m'ont assuré qu'elle avait
été apportée de Délos par
Erysicthon.
Carrez, 1886
[6] Avant que nous entrions dans le temple de Jupiter Olympien,
il est bon de vous dire que c'est Hadrien l'empereur des
Romains, qui l'a consacré en y plaçant cette belle
statue qui attire les yeux de tout le monde ; non par sa
grandeur, car à Rhodes et à Rome on voit aussi de
ces statues colossales ; mais par sa richesse, car elle est d'or
et d'ivoire, et par la proportion de toutes ses parties, en quoi
l'on remarque surtout l'habileté de l'ouvrier. Vous voyez
dans ce temple deux statues de l'empereur Hadrien, faites de
marbre de Thaze, et deux autres de marbre d'Egypte. Sur les
colonnes du temple sont représentées en bronze
toutes ces villes que les Athéniens appellent les
colonies d'Hadrien. L'enceinte du temple est pour le moins de
quatre stades, et dans ce long circuit vous ne trouvez pas un
endroit qui soit vide de statues, parce que chaque ville pour
signaler son zèle a voulu donner la sienne ; mais les
Athéniens se sont particulièrement
distingués par le magnifique Colosse qu'ils ont
érigé à ce prince, et qui est placé
derrière le temple.
[7] Cette enceinte renferme aussi plusieurs antiquités ;
un Jupiter en bronze, un vieux temple de Saturne et de
Rhéa, un bois sacré qu'ils appellent le bois
d'Olympie. Là se voit une ouverture large d'environ une
coudée, par où, disent-ils, les eaux
s'écoulèrent après le déluge de
Deucalion ; et tous les ans ils jettent dans ce gouffre une
espèce de pâte faite avec de la farine de froment
et du miel.
[8] Parmi ces antiquités je mets encore une colonne
où est une statue d'Isocrate, homme digne de
mémoire et qui laissa trois grands exemples à la
postérité ; le premier de constance, en ce qu'a
l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans, il n'avait pas encore
cessé d'enseigner, ni d'avoir des disciples ; le second
d'une modestie rare, qui le tint toujours éloigné
des affaires publiques et des soins du gouvernement ; le
troisième d'un grand amour pour la liberté, qu'il
témoigna lui être plus chère que la vie ;
car sur la nouvelle de la défaite des Athéniens
à Chéronée, il finit ses jours
volontairement. Il faut mettre au même rang ces Perses en
marbre de Phrygie, qui soutiennent un trépied de bronze,
et qui sont des chefs-d'oeuvre, tant les Perses que le
trépied. Au reste le temple de Jupiter Olympien est
très ancien ; on prétend que c'était
Deucalion qui l'avait bâti, et pour preuve que Deucalion
demeurait à Athènes on montre son tombeau assez
près du temple.
[9] Mais l'empereur Hadrien a décoré la ville par
bien d'autres monuments, il a fait bâtir le temple de
Junon, celui de Jupiter Panellénien, et un autre qui est
commun à tous les dieux. Dans ce dernier on admire
surtout six-vingt colonnes de marbre de Phrygie, et des
portiques dont les murs sont de même marbre ; on y a
pratiqué des niches qui sont ornées de peintures
et de statues, et dont le plafond brille d'or et
d'albâtre. Il y a près du temple une
bibliothèque, et un lieu d'exercice qui porte le nom
d'Hadrien, où vous voyez cent colonnes de beau marbre
tiré des carrières de Libye.
XIX. [1] Quand vous avez passé le temple de Jupiter
Olympien, vous trouvez sur votre chemin une statue d'Apollon
Pythien, et ensuite un temple du même dieu, mais
surnommé Delphinien. On raconte que ce temple
étant achevé, au comble près à quoi
l'on travaillait encore, parut dans la ville un jeune inconnu
avec une robe traînante et de beaux cheveux bien
frisés, qui flottaient sur ses épaules,
c'était Thésée ; quand il fut proche du
temple, il entendit les ouvriers qui demandaient en riant
où allait donc cette belle grande fille ainsi toute seule
: à cette plaisanterie il ne répondit rien ; mais
ayant dételé deux boeufs qui étaient
près de là à un charriot couvert, il prit
l'impériale du charriot et la jeta plus haut que
n'étaient les ouvriers qui travaillaient à la
couverture du temple.
[2] A l'égard de ce quartier de la ville que l'on
appelle les Jardins, et où l'on voit un temple de
Vénus avec une statue de la déesse, de figure
carrée comme sont les Hermès, on n'a su m'en rien
dire de particulier ; l'inscription porte seulement que c'est
Vénus la Céleste, et la plus ancienne de ces
déesses à qui l'on donne le nom de Parques.
Mais pour la statue de la Vénus aux Jardins, c'est un
ouvrage d'Alcamène et des plus beaux qu'il y ait à
Athènes.
[3] Hercule a aussi là son temple dit le
Cynosarge, à cause d'une chienne blanche, comme le
savent bien ceux qui ont connaissance de l'oracle ; dans ce
temple vous verrez plusieurs autels, l'un dédié
à Hercule, l'autre à Hébé qui
était, à ce que l'on dit, fille de Jupiter et
femme d'Hercule, un autre à Alcmène, un autre
enfin à Jolas qui fut le compagnon d'Hercule dans la
plupart de ses travaux. Le Lycée est un lieu qui a pris
son nom de Lycus fils de Pandion. L'on a toujours cru et l'on
croit encore aujourd'hui qu'autrefois c'était un temple
d'Apollon, qui dès lors fut surnommé
Lycien. On ajoute que les Termiliens changèrent leur
nom en celui de Lyciens, parce que Lycus pour éviter de
tomber entre les mains d'Egée, s'était
retiré chez eux.
[4] Quoi qu'il en soit, derrière le Lycée on voit
le tombeau de Nisus roi de Mégare, qui fut tué par
Minos, et dont les Athéniens firent transporter le corps
à Athènes pour lui donner sépulture en ce
lieu-là. Si l'on en croit la fable, Nisus avait des
cheveux couleur de pourpre et ne devait point mourir tant qu'il
les conserverait ; or il arriva que les Crétois
après avoir ravagé son petit état et pris
d'emblée la plupart de ses villes, l'obligèrent de
se retirer dans Nisée où ils
l'assiégèrent ; durant le siège la fille de
Nisus prit une forte passion pour Minos et coupa les cheveux
à son père, d'où sa perte s'en suivit :
voilà le fait comme on le raconte.
[5] Les Athéniens ont deux rivières, l'une est
l'Ilisse, et l'autre qui tombe dans celle-ci est l'Eridan, de
même nom que ce fleuve qui arrose le pays des Celtes.
C'est, dit-on, sur les bords de l'Ilisse qu'Orithie s'amusant
à jouer fut enlevée par Borée qui
l'épousa, et qui dans la suite en considération de
cette alliance avec les Athéniens leur rendit le bon
office de couler à fond plusieurs galères des
Barbares. Les Athéniens croient l'Ilisse consacrée
à quelques divinités, surtout aux Muses, qui ont
sur ses rives un autel appellé l'autel des Muses
Ilissiades. On vous fera voir aussi sur les bords de cette
rivière le lieu où les
Péloponnésiens tuèrent Codrus fils de
Mélanthus et roi d'Athènes.
[6] Quand vous aurez
passé l'Ilisse, vous trouverez un endroit nommé
Agréa, et un temple de Diane Agrotera, ou la
Chasseresse, ainsi appellé parce que Diane arrivant
de Délos prit là le divertissement de la chasse,
et c'est par cette raison qu'elle est représentée
avec un arc. Je finirai cet article par un monument qui ne fait
pas autant de plaisir à expliquer, qu'il cause de
surprise et d'admiration quand on le voit, je veux dire ce stade
de marbre blanc, dont je ne puis mieux faire comprendre la
grandeur qu'en disant qu'il commence à la colline qui est
au-dessus de l'Ilisse, et qu'il vient aboutir droit à la
rivière en forme de demi-lune par un double mur d'un et
d'autre côté ; c'est Hérode Atticus qui a
fait construire ce magnifique stade, et il y épuisa
presque toute une carrière du mont
Pentélique.
XX. [1] Du prytanée vous descendez par la rue des
trépieds, ainsi dite parce que le long de cette rue on
trouve plusieurs temples considérables dans lesquels il y
a quantité de trépieds de bronze, où l'on
conserve des ouvrages d'un très grand prix, entre autres
le Satyre dont Praxitèle s'applaudissait tant. En effet,
Phryné dont il était amoureux l'ayant prié
de lui donner le plus bel ouvrage qui fût sorti de ses
mains, à la vérité il ne la refusa pas ;
mais comme il ne voulait pas lui dire quel était celui de
ses ouvrages qu'il estimait le plus, elle vint à bout de
le connaître par une ruse dont elle s'avisa. Un jour que
Praxitèle était chez elle, un domestique à
qui elle avait donné le mot, accourant de toute sa force
vint dire à Praxitèle que le feu était
à sa maison, qu'une bonne partie de ses ouvrages
était déjà brûlée, et qu'il
n'en restait que fort peu qui ne fussent pas
endommagés.
[2] Praxitèle sortant aussitôt s'écria, je
suis perdu si mon Satyre et mon Cupidon sont brûlés
; alors Phryné le rassura, lui dit qu'aucun malheur
n'était arrivé ; qu'elle avait seulement voulu
savoir par lui-même quel était celui de ses
ouvrages dont il faisait le plus de cas, et sur le propre
témoignage de Praxitèle elle fit choix de son
Cupidon. Dans le même quartier il y a un temple de Bacchus
où l'on voit un petit Satyre qui présente un
gobelet à ce dieu, un Amour qui est debout, et un Bacchus
; ces deux dernières divinités sont de
Thymilus.
[3] Près du
théâtre est un vieux temple de Bacchus, dans
l'enceinte duquel il y a deux chapelles avec deux statues du
même dieu, celle de Bacchus dit d'Eleuthère est
d'or et d'ivoire, de la façon d'Alcamène ; on
trouve aussi là quelques peintures ; j'ai surtout
l'idée d'une où on a représenté
Bacchus ramenant Vulcain dans le ciel, sur quoi les Grecs
débitent cette fable, que Vulcain étant né,
Junon le jeta du haut du ciel en terre ; que dans la suite
Vulcain qui n'avait pas oublié ce mauvais traitement
envoya à Junon une chaise d'or où il y avait des
liens invisibles, que Junon ayant voulu s'y asseoir se trouva
prise dans ces liens, et que Vulcain n'avait plus voulu se fier
à aucun des dieux si ce n'est à Bacchus, qui
l'ayant enivré le ramena au ciel. Le second tableau vous
présente Lycurgue et Penthée que Bacchus
châtie de leur insolence ; dans le troisième c'est
Ariadne qui dort ; on voit d'un côté
Thésée qui met à la voile pour l'emmener,
et de l'autre Bacchus qui vient pour la lui enlever.
[4] A quelque distance du temple de Bacchus et du
théâtre qui y tient presque, vous verrez un
édifice fait sur le modèle du pavillon de
Xerxès ; cet édifice est moderne, car l'ancien fut
brûlé par Sylla lorsqu'il prit Athènes, et
je vais dire ce qui porta Sylla à assiéger cette
ville. Mithridate tenait l'empire de ces barbares qui habitent
aux environs du Pont-Euxin ; pourquoi il fit la guerre aux
Romains, comment ayant envahi toute l'Asie il étendit sa
domination sur une infinité de villes, prenant les unes
par force et faisant alliance avec les autres, c'est ce qu'il
est aisé d'apprendre plus en détail par l'histoire
de ce prince ; car pour moi je ne toucherai que ce qui a rapport
au malheur d'Athènes.
[5] Mithridate avait auprès de lui un Athénien
nommé Aristion, dont il se servait pour entretenir
correspondance avec les villes grecques ; celui-ci fit tout ce
qu'il put pour engager ses compatriotes à
préférer l'amitié du roi de Pont à
celle des Romains, mais il ne persuada que les plus
séditieux d'entre le peuple ; tous ceux qui tenaient
quelque rang dans la ville se rangèrent du
côté des Romains. Le combat s'étant
donné entre les deux armées, les Romains eurent la
victoire, et profitant de leur avantage ils partagèrent
leurs troupes en deux corps, dont l'un poussa Aristion et ceux
de son parti jusqu'aux portes de la ville, et l'autre poursuivit
Archélaüs et les barbares jusqu'au Pirée. Cet
Archélaüs était un des généraux
de Mithridate, qui quelque temps auparavant avait fait une
irruption sur les terres de ces Magnésiens qui sont
voisins du mont Sipyle ; mais il avait échoué dans
son entreprise, et s'était retiré avec perte des
siens et dangereusement blessé. Voilà donc comme
Athènes se vit assiégée.
[6] Sur ces entrefaites Taxile, autre général de
Mithridate, ayant appris que les Athéniens étaient
réduits à l'extrémité, quitta le
siège d'Elathée dans la Phocide et vint camper
dans l'Attique. Au premier bruit de sa marche le
général des Romains laisse une partie de son
armée dans les lignes, se met à la tête de
l'autre et va au-devant de Taxile qu'il rencontre dans la
Béotie. Au bout de trois jours des couriers
dépêchés réciproquement du camp des
Romains à l'autre rapportèrent, les uns à
Sylla que la ville d'Athènes était prise, et les
autres aux assiégeants que Taxile venait d'être
défait auprès de Chéronée. Sylla
revenu à Athènes renferma dans le Céramique
tous ceux qui s'étaient déclarés contre
lui, et les fit décimer.
[7] Comme sa colère s'aigrissait de plus en plus contre
les Athéniens, quelques-uns s'échappèrent
pour aller consulter l'oracle de Delphes, et pour savoir si le
destin d'Athènes était donc qu'elle
pérît ; à quoi la Pythie répondit par
je ne sais quelles paroles qui avaient du rapport à une
outre que l'on jette dans l'eau. Quelque temps après,
Sylla fut frappé de la même maladie dont j'ai
ouï dire que Phérécide de Scyros était
mort avant lui ; il exerça contre les Athéniens
mille cruautés indignes d'un Romain ; mais il fit une
action qui méritait encore plus la colère de
Jupiter le vengeur, et à laquelle surtout j'attribue son
genre de mort ; car Aristion s'étant
réfugié dans un temple de Minerve, Sylla commanda
qu'on l'en tirât de force et qu'on le fît mourir. La
ville d'Athènes après avoir souffert ces
calamités durant la guerre des Romains contre Mithridate,
a repris enfin un nouveau lustre sous l'empereur Hadrien.
XXI. [1] Nous voilà arrivés au
théâtre ; il est orné d'un grand nombre de
portraits de poètes, soit tragiques, soit comiques, mais
assez obscurs pour la plupart. Car entre les comiques, à
la réserve de Ménandre, je n'en ai pas vu un seul
qui fût célèbre. Parmi les tragiques, ceux
qui tiennent le premier rang avec raison sont Euripide et
Sophocle. A l'occasion du dernier on raconte que lorsqu'il
mourut, les Lacédémoniens firent une excursion
dans l'Attique, et que leur commandant eut un songe où il
crut voir Bacchus qui l'avertissait de rendre à la
nouvelle Sirène tous les honneurs qu'on a coutume de
rendre aux morts, ce que le général
Lacédémonien entendit de Sophocle et de ses
tragédies ; en effet on compare encore aujourd'hui au
chant des Sirènes non seulement les poèmes, mais
tout discours éloquent et persuasif.
[2] A l'égard du portrait d'Eschyle et du tableau qui le
représente faisant des prodiges de valeur à la
journée de Marathon, je les crois faits longtemps
après sa mort ; mais une chose singulière que ce
poète nous a lui-même apprise, c'est
qu'étant fort jeune, il s'endormit dans un champ
où il gardait des raisins, et qu'il vit en songe Bacchus
qui lui ordonnait de faire une tragédie ; que pour
obéir à ce dieu, dès qu'il fut jour, il se
mit à l'oeuvre, et qu'il en vint à bout sans
beaucoup de peine.
[3] Sur cette muraille que l'on nomme australe parce
qu'elle est au midi, et qui joint le théâtre
à la citadelle, vous verrez une tête de la Gorgone
Méduse, qui est dorée et relevée en bosse
sur l'égide. Au faîte du théâtre il y
a dans l'épaisseur du mur une grotte d'où par un
escalier dérobé on descend au pied de la citadelle
; dans cette grotte vous pourrez voir un trépied
où sont représentés Apollon et Diane qui
tuent les enfants de Niobé. Je dirai ici en passant qu'un
tour je montai sur le mont Sipyle, exprès pour voir cette
Niobé dont on parle tant. La roche que l'on appelle de ce
nom est fort près de là : ce qu'il y a de vrai,
c'est qu'à la regarder de près elle n'a aucune
figure de femme, encore moins d'une femme qui pleure ; mais si
vous la voyez de loin, il vous semble en effet voir une femme en
larmes et accablée de douleur.
[4] Dans le chemin qui mène du théâtre
à la citadelle on trouve le tombeau de Calus qui fut
tué par Dédale, quoique son disciple et fils de sa
soeur : aussi après ce meurtre Dédale s'enfuit-il
en Crète, et dans la suite il se retira en Sicile
auprès de Cocalus qui y régnait. Mais un lieu qui
mérite toute votre attention, c'est le temple d'Esculape,
tant à cause de plusieurs statues de lui et de ses
enfants, que pour les belles peintures qui s'y trouvent. Dans ce
temple est une fontaine près de laquelle on dit que Mars
tua Halirrhothius fils de Neptune ; Halirrhothius avait
abusé d'Alcippe fille de Mars, et Mars s'en vengea ainsi,
ce qui donna lieu au premier procès criminel que l'on ait
vu à Athènes pour cause de meurtre.
[5] Je laisse plusieurs autres curiosités pour vous
parler de la cuirasse d'un Sarmate que l'on garde dans ce
temple, et qui vous fera convenir que les barbares ne sont pas
moins adroits que les Grecs, ni moins propres à cultiver
les arts. Les Sarmates n'ont point de fer chez eux et l'on ne
leur en apporte point d'ailleurs ; car de tous les peuples qui
habitent ces contrées septentrionales, ce sont ceux qui
ont le moins de commerce avec les étrangers. La disette
de ce métal leur a fait imaginer d'armer leurs piques
avec de l'os, qu'ils ont l'art de rendre aussi dur que du fer ;
leurs arcs sont de bois de cornouillier, leurs flèches
aussi, mais armées d'os. Outre cela ils ont de grandes
chaînes d'osier qu'ils portent à la guerre, et dont
ils se servent avec une adresse merveilleuse ; car au combat,
dès qu'ils peuvent joindre l'ennemi, ils lui jettent ces
chaînes sur le corps, l'embarrassent dedans et le
renversent de dessus son cheval.
[6] Pour leurs cuirasses, voici comme ils les font. Ils
nourrissent une grande quantité de chevaux, car chez eux
la terre est en commun, et n'est fertile qu'en pâturages
et en forêts ; de sorte qu'à proprement parler ce
sont des Nomades qui vont errants çà et là.
Outre le service qu'ils tirent des chevaux pour la guerre, ils
en immolent à leurs dieux, et en tuent pour leur propre
nourriture ; mais ils en ramassent soigneusement la corne des
pieds, la nettoient bien et la coupent comme par écailles
; vous diriez d'écailles de dragons. Si vous n'avez
jamais vu d'écailles de dragons, imaginez-vous une pomme
de pin qui est encore verte ; l'ouvrage que font ces barbares
avec la corne du pied des chevaux ressemble donc à une
pomme de pin ; car ils percent tous ces morceaux de corne, les
couchent à demi les uns sur les autres, puis les cousent
ensemble avec des nerfs ou de boeuf ou de cheval, et par
viennent enfin à en faire des cuirasses qui sont aussi
propres, aussi bien travaillées que celles des Grecs, et
qui ne résistent pas moins ; de près comme de loin
elles sont à l'épreuve du fer.
[7] Il s'en faut beaucoup que les cuirasses de lin soient aussi
bonnes à la guerre ; un coup de pique ou
d'épée bien asséné les perce ; mais
elles sont excellentes pour la chasse, parce que les dents des
léopards et des lions rebroussent contre. Vous pouvez
voir de ces cuirasses de lin dans plusieurs temples, mais
surtout dans celui d'Apollon Grynéen, qui, pour le dire
en passant, est accompagné d'un beau bois sacré,
planté d'arbres fruitiers et d'autres arbres qui ne sont
que pour l'odorat et pour le plaisir des yeux.
XXII. [1] Après le temple d'Esculape sur le chemin qui
mène à la citadelle, vous avez le temple de
Thémis, et à l'entrée le tombeau du
malheureux Hippolyte dont la mort tragique fut, dit-on, l'effet
des imprécations de son père. Il n'y a point
d'homme, pour peu qu'il soit versé dans les lettres
grecques, qui n'ait connaissance et de l'amour de Phèdre,
et de la criminelle audace de sa nourrice. Mais Hippolyte a
encore un tombeau à Trézène où l'on
raconte ce qui suit :
[2] Que Thésée voulant épouser
Phèdre et craignant que les enfants qui naîtraient
de son mariage ne régnassent sur Hippolyte, on
qu'Hippolyte ne régnât sur eux, avait pris la
résolution d'envoyer ce prince auprès de
Pitthée, tant pour le faire élever à sa
cour, qu'afin qu'il pût un jour lui succéder ;
qu'ensuite Thésée ayant tué Pallas et ses
enfants parce qu'ils avaient tramé une conspiration
contre lui, il était venu à Trézène
pour se faire purifier de ce meurtre ; que là
Phèdre avait vu Hippolyte pour la première fois,
et qu'ayant pris une violente passion pour ce jeune prince,
honteuse d'elle-même, elle résolut de se donner la
mort. On montre encore à Trézène un myrthe
dont les feuilles sont toutes criblées, et l'on assure,
que ce myrthe n'est pas venu ainsi, mais que c'est Phèdre
qui dans sa rêverie en perçoit les feuilles avec
son aiguille de cheveux.
[3] Thésée ayant ensuite persuadé à
tous les peuples de l'Attique de se réunir dans une seule
ville pour ne faire plus désormais qu'un peuple, il
introduisit le culte de la déésse Pitho ou de la
persuasion, et celui de Vénus sous un nom qui marquait
que cette déesse devait être le lien commun de tous
ces peuples. Les statues que j'ai vues de ces deux
déesses ne sont point antiques ; elle sont faites par de
bons statuaires, mais modernes. Enfin il y a encore là un
temple dédié à la Terre surnommée la
nourricière, et un autre consacré à
Cérès verdoyante ; leurs prêtres vous
apprendront la raison de ces surnoms, pour peu que vous en soyez
curieux.
Chapitre suivant
Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.