[Sparte]

Tardieu, 1821

X. [6] Quand on est descendu de ce lieu dont j'ai parlé, et que l'on nomme les Hermès, on trouve un bois planté de chênes qu'ils appellent le Scotitas, non à cause de son osbcurité comme on le pourrait croire, mais parce que dans ce petit canton Jupiter est honoré sous le nom de Jupiter Scotitas, et qu'il a son temple sur la gauche à dix stades du grand chemin. En reprenant ce grand chemin et en avançant un peu, on trouve encore sur la gauche une statue d'Hercule et un trophée ; la tradition est qu'Hercule érigea lui-même ce trophée après qu'il eut tué Hippocoon et ses enfants.

[7] Au troisième détour à main droite vous verrez un sentier qui mène à Caryes et à un temple de Diane ; car tout ce lieu-là est consacré à Diane et aux nymphes ; en y voit même une statue de Diane Caryatis qui est exposée à l'air, et autour de laquelle toutes les filles de Sparte viennent danser à certains jours de l'année, car ces danses sont pour elles un acte de religion. De là rentrant dans le grand chemin vous n'aurez pas fait quelques pas, que vous apercevrez les ruines de Sélasie, cette ville, comme j'ai déjà dit, fut détruite par Aratus après la victoire qu'il remporta sur les Lacédémoniens et sur leur roi Cléomène.

[8] Ensuite vous arrivez sur le bord du Thornax ; là il y a une statue d'Apollon Pythaeüs, faite sur le modèle de celle qui est à Amycle, dont je vais bientôt parler ; mais les Lacédémoniens ont eu plus de dévotion pour cette dernière, ayant employé à l'orner les richesses que Crésus roi de Lydie leur avait données pour l'ornement de la première.

XI. [1] En descendant du Thornax vous avez devant vous la ville de Sparte, qui s'est toujours ainsi appelée dès sa fondation, mais qui dans la suite a eu aussi le nom de Lacédémone, parce que c'était le nom du pays. Or comme avant que d'entreprendre la description de l'Attique, j'ai déclaré que je ne m'arrêterais pas à tout ce que je trouverais en mon chemin, mais seulement aux choses qui me paroîtraient les plus dignes de mémoire et les plus curieuses, je crois devoir en user de même à l'égard de Lacédémone ; car si dès le commencement de ma narration, entre plusieurs traditions il m'a fallu faire choix des plus plausibles, parce que chaque peuple a les siennes qu'il met en vogue le plus qu'il peut ; comme il en est encore de même ici, je ne dois rien changer à une conduite qui m'a semblé raisonnable.

Tardieu, 1821

[2] A Sparte donc il y a beaucoup de choses dignes de curiosité ; en premier lieu la place publique où se tient le sénat des vieillards, le sénat de ceux qui sont les conservateurs des lois, le sénat des éphores et le sénat de ces magistrats qu'ils appellent Bidiéens. Le sénat des vieillards est le souverain tribunal des Lacédémoniens et celui qui règle toutes les affaires d'état. Les autres sénateurs sont à proprement parler des archontes ; les éphores sont au nombre de cinq, et les Bidiéens de même ; ceux-ci sont commis pour veiller sur les jeunes gens, et pour présider à leurs exercices, soit dans ce lieu qu'ils nomment le Plataniste, soit partout ailleurs ; ceux-là sont chargés de soins plus importants, et chaque année ils en nomment un d'entre eux qui préside aux autres, et dont le nom sert à marquer l'année, de la même manière qu'à Athènes les neuf, car ainsi les appelle-t-on, élisent un d'eux qui a le nom d'archonte par excellence.

[3] Le plus bel édifice qu'il y ait dans la place, c'est le portique des Perses, ainsi nommé parce qu'il a été bâti des dépouilles remportées sur les Perses ; dans la suite on l'a beaucoup agrandi et orné, pour le faire de la magnificence dont il est aujourd'hui. Tous les chefs de l'armée des barbares et entre autres Mardonius fils de Gobryas ont là chacun leur statue de marbre blanc, et ces statues sont sur autant de colonnes. On y voit aussi la statue d'Artémise fille de Lygdamis et reine d'Halycarnasse ; on dit que cette Reine de son propre mouvement joignit ses forces à celles de Xerxès pour faire la guerre aux Grecs, et que dans le combat naval qui fut donné auprès de Salamine elle fit des prodiges de valeur.

[4] Après le portique des Perses, ce qu'il y a de plus beau à voir dans cette place, ce sont deux temples, dont l'un est consacré à César qui le premier voulut régner sur les Romains, et changea la forme de leur gouvernement, l'autre à Auguste son fils qui affermit la monarchie et acquit encore plus de gloire d'autorité que son père. Ce prince fut nommé Auguste, terme qui répond parfaitement au Sebastos des Grecs.

[5] On vous fera remarquer sur son autel une figure d'Agias gravée sur du cuivre ; c'est cet Agias qui prédit à Lysander qu'il se rendrait maître de toute la flotte d'Athènes à Aegospotamos, à la réserve de dix galères, qui en effet se sauvèrent en Chypre ; toutes les autres furent prises par les Lacédémoniens avec les soldats et les matelots qui étaient dessus. Agias était fils d'Agéloque et petit-fils de Tisamène.

[6] Pour Tisamène, il était d'Elis, de la famille des Jamides ; un oracle prononcé en sa faveur lui promit qu'il sortirait victorieux de cinq combats célèbres ; il crut que ces paroles devaient s'entendre du pentathle ; mais agrès avoir remporté le prix de la course et du saut sur Hyéronyme d'Andros aux jeux olympiques, il succomba à la lutte. Ce fut alors qu'il comprit le sens de l'oracle et qu'il commença à espérer que la victoire se déclarerait pour lui jusqu'à cinq fois à la guerre.

[7] Les Lacédémoniens qui avaient connaissance de cet oracle persuadèrent à Tisamène de quitter Elis, et de venir chez eux pour les assister de ses conseils et de ses prédictions ; Tisamène fit ce qu'ils souhaitaient, et les Lacédémoniens crurent lui avoir obligation de cinq grandes victoires, dont ils remportèrent la première à Platée sur les Perses, la seconde à Tégée lorsqu'ils combattirent contre deux peuples confédérés, les Argiens et les Tégéates ; la troisième à Dipée dans cette guerre où ils eurent sur les bras tous les Arcadiens, excepté ceux de Mantinée ; Dipée est une ville de la Mélanie, et de la dépendance de Tégée.

[8] La quatrième sur ceux des Hilotes qui après le tremblement de terre arrivé à Sparte étaient allés avec les Ethéens se cantonner à Ithome ; car tous les Hilotes ne se révoltèrent pas, mais seulement les Messéniens de nation, qui dès le commencement s'étaient séparés des autres Hilotes ; c'est un point d'histoire que j'expliquerai dans la suite ; quant à présent il suffit de dire que les Lacédémoniens par respect pour un oracle de Delphes, et pour les avis de Tisamène donnèrent la vie à ces fugitifs sous de certaines conditions ; la cinquième enfin lorsque les Lacédémoniens combattirent avec les Argiens et les Athéniens à Tanagre : voilà ce que l'on raconte de Tisamène.

[9] Dans la place de Sparte on voit encore trois statues ; l'une d'Apollon Pythaeüs, l'autre de Diane, et la troisième de Latone. L'endroit où sont ces statues est une enceinte qu'ils appellent du nom de Choeur, parce que dans ces jeux publics auxquels les jeunes gens s'exercent et qui se célèbrent avec beaucoup de solemnité, toute la jeunesse de Sparte va là et forme des choeurs de musique en l'honneur d'Apollon. Près de là sont plusieurs temples, l'un consacré à la Terre, l'autre à Jupiter Agoréus, un autre à Minerve Agoréa, et un quatrième à Neptune surnommé Asphalius. Apollon et Junon ont aussi chacun le leur.

[10] Vous verrez encore une grande statue qui représente le peuple de Sparte, et un peu plus bas le temple des Parques. Tout joignant ce temple est le tombeau d'Oreste ; car ses os en conséquence d'un oracle furent rapportés de Tégée à Sparte, et déposés en ce lieu-là. Auprès de sa sépulture on vous fera remarquer le portrait du roi Polydore fils d'Alcamène. Les Lacédémoniens ont tellement distingué ce Roi entre tous les autres, qu'encore à présent les actes publics sont scellés de son sceau.

[11] Au même lieu il y a un Mercure qui porte un petit Bacchus, et ce Mercure est surnommé Agoréus. Là sont rangées d'anciennes statues qui représentent les éphores de ce temps-là. Parmi ces statues se voit le tombeau d'Epiménide et celui d'Aphareüs fils de Périérès. Quant à Epiménide, je crois que les Lacédémoniens en parlent avec plus de vérité que les Argiens. Du côté où sont les Parques vous verrez les salles où les Lacédémoniens prennent ces repas publics qu'ils appellent Phiditia, et là est aussi Jupiter hospitalier et Minerve hospitalière.

XII. [1] Si en sortant de la place vous prenez par la rue des Barrières, vous trouverez une maison qu'ils appellent encore aujourd'hui le Boonète. Mais avant que de dire ce que c'est, il est bon d'expliquer d'où la rue même a pris son nom. Ils disent donc qu'Icarius père de Pénélope voulant marier sa fille, la proposa pour prix à quiconque surpasserait les autres à la course. Il est certain qu'Ulysse fut victorieux et qu'il eut Pénélope. La lice où l'on courut était cette rue, et parce qu'elle était fermée de deux barrières, le nom lui en est resté.

[2] Après tout Icarius ne fit en cela que ce que Danaüs avait fait avant lui ; car Danaüs ne pouvant marier ses filles à cause de l'horrible crime qu'elles avaient commis, il fit publier qu'il ne demandait aucuns présents de noces et qu'il permettait à ses filles d'épouser les hommes qui leur agréraient le plus. Malgré ces facilités il se trouva peu de prétendants, mais à ce peu il leur proposa de disputer la plus belle de ses filles à la course ; par ce moyen il en maria quelques-unes, et les autres attendirent qu'il se présente des amants qui voulussent d'elles aux mêmes conditions.

[3] A l'égard du Boonète, c'était la maison du roi Polydore. Après sa mort la Reine sa femme vendit cette maison un certain prix qui fut payé en boeufs ; car alors on ne connaissait ni l'or ni l'argent monnayé ; le commerce consistait en un échange réciproque de choses nécessaires à la vie, et ce que l'on avait acheté, on le payait en boeufs, en esclaves, en un morceau d'or ou d'argent tout brut et nullement affiné.

[4] Et encore aujourd'hui ceux qui vont aux Indes y portent des marchandises de Grèce pour en rapporter de celles des Indes ; où l'on ne se sert point d'espèces monnayées, quoique le pays abonde en mines d'or et de cuivre. Au-dessus du sénat des Bidiéens, il y a un temple de Minerve où l'on dit qu'Ulysse consacra une statue à la déesse sous le nom de Minerve Céleuthéa, comme un monument de la victoire qu'il avait remportée sur les amants de Pénélope, et il fit bâtir sous le même nom trois temples en trois endroits différents.

[5] Au bout de la rue des Barrières on trouve une sépulture de héros, entre autres celle d'Iops que je crois avoir vécu environ le temps de Lélex et de Mylès, celle encore d'Amphiaraüs fils d'Oïclès : on dit que ce sont les enfants de Tyndare qui lui ont élevé ce tombeau comme à leur cousin germain ; celle enfin de Lélex même. Assez près de là est le temple de Neptune surnommé Ténarius ; aussi n'appellent-ils point ce temple autrement que le Ténare. Près de là vous verrez une statue de Minerve, qui fut consacrée, disent-ils, par les Lacédémoniens qui allèrent se transplanter en Italie et surtout à Tarente.

[6] Du même côté il y a la place Hellénie, ainsi nommée parce que dans le temps que Xerxès passa en Europe, toutes les villes grecques qui prirent les armes contre lui envoyèrent leurs députés à Sparte, et que ces députés s'abouchèrent là pour aviser aux moyens de résister à une puissance si formidable. D'autres disent que cette dénomination est encore plus ancienne, et qu'elle vient de ce que tous les princes de la Grèce ayant pour l'amour de Ménélas entrepris le siège de Troie, ils s'assemblèrent en ce lieu pour délibérer sur cette expédition et sur les moyens de tirer vengeance de Pâris qui avait enlevé Hélène.

[7] Près de cette place on vous montre le tombeau de Talthybius ; mais ceux d'Egion en Achaïe ont aussi dans le marché de leur ville un tombeau qu'ils assurent être celui de Talthybius. Quoi qu'il en soit, ce Talthybius fit éprouver sa colère aux Lacédémoniens et aux Athéniens, pour avoir violé le droit des gens en la personne de ces hérauts qui étaient venus demander aux Grecs terre et eau de la part du roi Darius : le châtiment des Lacédémoniens fut général, et parmi les Athéniens Miltiade fils de Cimon eut sa maison rasée, parce qu'il avait conseillé à ses citoyens de faire périr ces hérauts, lorsqu'ils vinrent à Athènes.

[8] Dans le même quartier vous verrez un autel dédié à Apollon Acritas, un temple de la Terre, lequel ils nomment Gasepton, et un peu au-dessus un autre temple d'Apollon surnommé Maléates. Quand vous aurez passé la rue des Barrières, tout contre les murs de la ville vous trouverez une chapelle dédiée à Dictynna, et ensuite les tombeaux de ces Rois qui ont été appellés Eurypontides. Auprès de la place Hellénienne il y a le temple d'Arsinoé, qui était fille de Leucippe, et belle-soeur de Castor et de Pollux. Du côté des remparts on voit un temple de Diane, et un peu plus loin la sépulture de ces devins qui vinrent d'Elis et que l'on appellait Jamides.

[9] Maron et Alphée ont aussi là leurs temples ; c'étaient deux grands capitaines qui après Léonidas signalèrent le plus leur courage au combat des Thermopyles. A quelques pas de là vous voyez le temple de Jupiter Tropéüs, qui fut bâti par les Doriens, après qu'ils eurent subjugué les Achéens qui étaient alors en possession de la Laconie, et nommément les Amycléens. Mais de tous les temples qui sont à Sparte le plus révéré est celui de la mère des dieux. Derrière ce temple on vous fera voir le monument héroïque d'Hippolyte fils de Thésée, et celui d'Aulon Arcadien fils de Tlésimène. Quelques-uns font Tlésimène frère de Parthénopée qui était fils de Mélanion, et d'autres le font son propre fils.

[10] La grande place de Sparte a encore une autre issue, et de ce côté-là on trouve un édifice où les habitants viennent prendre le frais ; aussi l'appellent-ils du nom de Sxias ; et c'est le lieu où l'on assemble le peuple encore aujourd'hui. Ils disent que ce bâtiment est un ouvrage de Théodore de Samos, qui le premier trouva l'art de fondre le fer, et d'en faire des statues. C'est à la voûte de cet édifice que les Lacédémoniens suspendirent la lyre de Timothée de Milet, après l'avoir puni de ce qu'aux sept cordes de l'ancienne lyre il en avait ajouté quatre autres.

[11] Près de là est une rotonde où il y a deux statues, d'une de Jupiter Olympien, l'autre de Vénus Olympienne ; selon eux c'est Epiménide qui l'a fait bâtir; du reste ils ne conviennent point de ce que les Argiens racontent de lui, et nient même que les Argiens aient jamais frit la guerre aux Gnossiens.

XII. [1] Vous trouvez ensuite le tombeau de Cynortas fils d'Amyclas, et un peu plus loin celui de Castor avec son temple qui est tout auprès. Car ils prétendent que Castor et Pollux, tous deux fils de Tyndare, ne furent mis au nombre des dieux que quarante ans après le combat où ils se signalèrent contre Lyncée et Ida ; on montre aussi le tombeau de ces deux fils d'Aphareüs auprès de l'édifice dont j'ai parlé, et que l'on nomme Sxias ; cependant il y a plus d'apparence que leur sépulture est chez les Messéniens.

[2] Mais les désordres de la guerre et le long temps que ces peuples ont passé hors du Péloponnèse, sont cause qu'après leur retour ils n'ont presque pas reconnu leur propre pays, ni retrouvé plusieurs monuments de l'antiquité qu'ils y avaient laissés ; comme donc ils ne peuvent plus nous en instruire, on a toute liberté de les tenir pour suspects. Auprès de la chapelle de Vénus Olympienne on voit un temple de Proserpine conservatrice, bâti, à ce qu'ils disent, par Orphée de Thrace, et selon d'autres par cet Abaris qui était venu des pays Hyperboréens.

[3] Quant à Carnéus surnommé le Domestique, il était honoré à Sparte avant même le retour des Héraclides dans le Péloponnèse, et il eut d'abord un oratoire dans la maison du devin Crius, qui était fils de Théoclè ; ce Crius était si bien antérieur au retour des Doriens, que leurs coureurs ayant rencontré sa fille qui portait de l'eau, ils lièrent conversation avec elle et la suivirent jusqu'au logis de son père, où ils apprirent de lui comment ils devaient faire pour se rendre maîtres de Sparte.

[4] A l'égard du culte d'Apollon Carnéus, qui a été embrassé de tous les Doriens, il tire son origine d'un certain Carnus qui était d'Acarnanie, et qui avait reçu d'Apollon même l'art de deviner ; ce Carnus ayant été tué par Hippotès fils de Phylas, Apollon frappa de la peste tout le camp des Doriens ; Hippotès fut banni pour ce meurtre ; et les Doriens appairèrent les mânes du devin d'Acarnanie par des expiations instituées à ce dessein. Mais le Carnéus que les Lacédémoniens ont surnommé le Domestique est différent, puisqu'il avait déjà son culte à Sparte dans la maison de Crius, lorsque les Achéens étaient encore maîtres de la ville.

[5] Praxilla dit dans ses poésies que Carnéus était fils de Jupiter et d'Europe, et qu'Apollon et Latone prirent soin de son éducation. Cependant d'autres disent que les Grecs pour construire ce cheval de bois qui fut si fatal aux Troyens, coupèrent une grande quantité de cornouillers sur le mont Ida dans un bois consacré, à Apollon, et que par là ayant attiré sur eux la colère du dieu, ils instituèrent un culte en son honneur, et du nom de l'arbre qui faisait le sujet de leur disgrâce donnèrent à Apollon le surnom de Carnéüs, en transposant une lettre à la manière des anciens.

[6] Auprès de ce temple d'Apollon vous verrez la statue d'Aphétéüs, c'est le nom que porte l'inscription ; comme s'ils avaient voulu faire une divinité qui présidât aux barrières, le jour que les amants de Pénélope devaient entrer en lice et se la disputer à la course. Du même côté, mais un peu au-dessus, vous trouvez des portiques de figure carrée, où l'on vendait anciennement toutes sortes de mercerie. A quelques pas de là sont trois autels dédiés à Jupiter Ambulius, à Minerve Ambulia, et aux Dioscures qui ont aussi le surnom d'Ambulii.

[7] Vis-à-vis est une éminence appellée Colona, où il y a un temple de Bacchus Colonate ; ce temple tient presque à un bois qu'ils ont consacré à ce Héros qui eut l'honneur de conduire Bacchus à Sparte. Même ces femmes qu'ils appellent Dionysiades et Leucippides sacrifient à ce héros avant que de sacrifier au dieu. Outre ces prêtresses, il y a onze autres femmes qui se nomment aussi Dionysiades, et qui tous les ans disputent le prix de la course entre elles, suivant une coutume qui leur a été suggérée par l'oracle de Delphes.

[8] Du temple de Bacchus à celui de Jupiter Evanemus il n'y a pas loin ; et de ce dernier on voit le monument héroïque de Pleuron, dont les enfants de Tyndare descendaient par leur mère ; car selon le poète Asius, Thestius père de Léda était fils d'Agénor et petit-fils de Pleuron. Près de là est une colline où Junon Argiva a un temple, qui a été consacré, dit-on, par Eurydice fille de Lacédémon et femme d'Acrisius qui était fille d'Abas ; car pour le temple de Junon Hyperchiria, il fut bâti par le conseil de l'oracle dans le temps que le fleuve Eurotas inondait toute la campagne.

[9] On voit dans ce temple une statue de bois d'un goût fort ancien, et qui représente à ce qu'ils disent Vénus Junon ; toutes les femmes qui ont des filles à marier font des sacrifices à cette déesse. Sur le chemin qui mène à la colline on trouve à droite une statue d'un certain Hétamocle fils d'Hiposthène ; ce Lacédémonien fut couronné onze fois pour avoir remporté le prix de la lutte aux jeux olympiques, et son père l'emporta encore sur lui, ayant été couronné douze fois.

XIV. [1] Au sortir de la place, si vous allez au couchant vous verrez le cénotaphe de Brasidas fils de Tellis, et ensuite le théâtre ; il est bâti de marbre blanc et c'est un très bel édifice. Vis-à-vis du théâtre est le tombeau du roi Pausanias, qui commandait les Lacédémoniens au combat de Platée ; la sépulture de Léonidas est tout auprès. Tous les ans on fait les oraisons funèbres de ces grands capitaines sur leurs tombeaux, et ces oraisons sont suivies de jeux funéraires où il n'y a que les Lacédémoniens qui soient reçus à disputer le prix. Léonidas est véritablement inhumé en ce lieu-là, car ses os furent rapportés des Thermopyles par Pausanias quarante ans après sa mort. Là se voit aussi une colonne sur laquelle sont gravés les noms de ces braves hommes qui soutinrent l'effort des Perses aux Thermopyles, et non seulement leurs noms, mais ceux de leurs pères.

[2] Il y a un quartier de la ville, qu'on nomme le Théomélide, où sont les tombeaux des rois dits Agides. Le Lesché est tout contre, c'est le lieu où les Crotanes s'assemblent, et les Crotanes ne sont autre chose que la cohorte des Pitanates. Vous trouvez ensuite le temple d'Esculape, qu'ils nomment ordinairement l'Enapadon, et un peu plus loin le tombeau de Ténarus, d'où un promontoire fort connu qui avance dans la mer a pris sa dénomination. Dans le même quartier vous verrez le temple de Neptune Hippocurius, et celui de Diane Eginéa ; en retournant vers le Lesché vous trouverez sur votre chemin le temple de Diane Issoria, autrement dite Limnéa ; ce n'est pas même de Diane à proprement parler, mais de la Britomartis des Crétois, dont j'ai déjà fait mention dans l'histoire des Eginètes.

[3] Près de ces tombeaux des Agides vous verrez une colonne sur laquelle on a gravé les victoires qu'un Lacédémonien nommé Anchionis a remportées au nombre de sept, tant à Olympie qu'ailleurs ; savoir quatre à la simple course, et trois autres à la course double ; car ce n'était pas encore la coutume de finir les jeux en courant avec le bouclier ; on dit que cet Anchio iis se joignit à Battus de Théra, et qu'il s'embarqua avec lui pour passer Afrique, où il lui aida à bâtit Cyrène, et à donner la chasse aux Libyens, dont le voisinage les incommodait.

[4] Quant au temple de Thétis qui est aussi dans ce quartier-là, voici à quelle occasion il a été bâti. Lorsque les Lacédémoniens voulurent punir les Messéniens de leur défection, Anaxandre roi de Sparte fit une course dans le pays ennemi, et prit un grand nombre de captives qu'il amena avec lui ; Cléo prêtresse de Thétis fut de ce nombre ; Léandris femme d'Anaxandre pria son mari de lui donner cette captive, et l'ayant obtenue, elle remarqua que Cléo avait une statue de la déesse ; cette découverte jointe à une inspiration qu'elle eut en songe, la porta à bâtir à Thétis un temple qui fut consacré par sa prêtresse même.

[5] Et depuis ils ont gardé si précieusement cette ancienne statue, que qui que ce soit n'a permission de la voir. Pour le culte de Cérès Chthonia, comme ils l'appellent, ils prétendent l'avoir reçu d'Orphée ; mais je crois qu'ils l'ont pris plutôt des habitants d'Hermioné chez qui cette déesse est honorée sous le même nom. On voit aussi à Sparte un temple de Sérapis et un temple de Jupiter Olympien : le premier est des plus récents.

[6] Je ne dois pas oublier un endroit de la ville qu'ils appellent Dromos, où encore de nos jours ils exercent leurs jeunes gens à la course. Si vous y entrez du côté qui regarde la sépulture des Agides, vous verrez à main gauche le tombeau d'Eumédès, qui était un des fils d'Hippocoon, et à quelques pas de là une vieille statue d'Hercule. C'est à ce dieu et en ce lieu-là que sacrifient les jeunes gens qui sortent de l'adolescence, pour entrer dans la classe des hommes. Le Dromos a deux gymnases ou lieux d'exercices, dont l'un a été consacré à cet usage par Euryclide de Sparte. Au-dehors et près de la statue d'Hercule on vous montrera une maison qui appartient aujourd'hui à un particulier, et qui était autrefois la maison de Ménélas. Plus loin vous trouverez les temples des Dioscures, des Grâces, de Lucine, d'Apollon Carnéüs, et de Diane Hégémaque.

[7] A droite du Dromos vous avez le temple d'Agnitas, c'est un surnom quia été donné à Esculape à cause du bois dont sa statue est faite. Quand on a passé le temple d'Esculape on voit un trophée que Pollux, à ce que l'on dit, érigea lui-même après la victoire qu'il remporta sur Lyncée ; et c'est ce qui semble confirmer l'opinion de ceux qui croient que les enfants d'Apharéüs n'ont point leur sépulture à Sparte. Les Dioscures ont leurs statues à l'entrée du Dromos, comme des divinités qui président à la barrière. En avançant plus loin vous verrez le monument héroïque d'Alcon ; cet Alcon, selon eux, était un fils d'Hippocoon. A quelque pas de là c'est le temple de Neptune surnommé Domatitès.

[8] Plus loin c'est un endroit qu'ils nomment le Plataniste, à cause de la quantité des grands platanes dont il est rempli. Les jeunes Spartiates font leurs combats dans cette plaine, qui est toute entourée de l'Euripe ; vous diriez d'une île au milieu de la mer ; on y passe sur deux ponts ; à l'entrée de l'un il y a une statue d'Hercule, et à l'entrée de l'autre un portrait de Lycurgue ; car Lycurgue a fait des lois non seulement pour la république en général mais aussi pour les exercices et les combats des jeunes gens ; ainsi la jeunesse lacédémonienne a ses usages particuliers.

[9] En effet dans le collège où les jeunes gens sont élevés, ils sacrifient avant que d'aller au combat. Ce collège est hors de la ville et près du quartier appellé Thérapné. Les deux troupes de combattants immolent le petit d'une chienne au dieu Mars, ne croyant pas pouvoir offrir au plus courageux des dieux une victime plus agréable, que l'animal le plus courageux qu'il y ait entre les animaux domestiques. Je ne sais au reste si les Lacédémoniens ne sont point les seuls de tous les Grecs qui immolent le petit d'une chienne à quelque divinité ; il faut pourtant en excepter les Colophpniens qui ont coutume de sacrifier un petit chien noir à leur déesse Enodia ; ce sacrifice tant à Colophon qu'à Sparte se fait la nuit.

[10] Mais à Sparte les jeunes gens après leur sacrifice prennent deux sangliers apprivoisés, et les mènent avec eux pour les faire battre l'un contre l'autre ; chaque troupe s'intéresse pour le sien ; il arrive même d'ordinaire que la troupe dont le sanglier a été victorieux dans le Plataniste, est celle-là même qui remporte le lendemain la victoire. Voilà ce qu'ils pratiquent entre eux dans leur collège. Le lendemain sur le midi ils passent dans la plaine dont j'ai parlé, après avoir tiré au sort la nuit de devant, pour savoir par quel côté chaque troupe prendra le chemin du rendez-vous ; car, comme j'ai dit, il y a deux ponts, l'un d'un côté, l'autre de l'autre. Le signal donné ils se battent à coups de poings, à coups de pieds, ils se mordent de toute leur force et s'entre-arrachent les yeux ; vous les voyez se battre à outrance tantôt un contre un, tantôt par pelotons, et tantôt tous ensemble, chaque troupe faisant tous ses efforts pour faire reèuler l'autre et pour la pousser dans l'eau qui est derrière.

XV. [1] Vers ce bois de platanes vous verrez aussi le monument héroïque de Cynisca fille du roi Archidame, la première personne de son sexe qui ait pris plaisir à nourrir des chevaux, et la première qui sur un char attelé de quatre chevaux ait remporté le prix de la course aux jeux olympiques. Derrière un portique qui est là vous trouverez encore d'autres monuments héroïques, comme ceux d'Alcime et d'Enaréphore, un peu plus loin celui de Dorcée, et au-dessus celui de Sébrus ; c'étaient, à ce qu'ils disent, deux fils d'Hippocoon.

[2] Dorcée a donné son nom à une fontaine qui est dans le voisinage, et Sébrus le sien à une rue de ce quartier-là. A droite du monument de Sébrus vous remarquerez le tombeau d'Alcman qui a fait de si beaux cantiques quoique écrits dans la langue du pays, c'est-à-dire en une langue dont les mots n'ont aucune douceur.

[3] Là se trouvent aussi le temple d'Hélène, et le temple d'Hercule, le premier plus près de la sépulture d'Alcman, le second tout contre les murs de la ville ; dans ce dernier il y a une statue d'Hercule armé ; on dit qu'Hercule est représenté ainsi à cause de son combat avec Hippocoon et avec ses enfants. Et la raison que l'on donne de la haine d'Hercule contre cette famille, c'est que ce héros étant venu à Sparte pour se faire purifier du meurtre d'Iphitus, Hippocoon et ses enfants s'y opposèrent, ne le trouvant pas digne de cette grâce.

[4] Mais voici ce qui leur mit les armes à la main, du moins selon qu'on le raconte à Sparte. Oeonus était fils de Lycimnius frère d'Alcmène, et par conséquent il était aussi cousin germain d'Hercule ; étant venu avec lui à Sparte dans sa première jeunesse, un jour qu'il se promenait par la ville, comme il passait devant la porte d'Hippocoon, un chien qui gardait la maison sauta sur lui, Oeonus lui jeta une pierre, aussitôt les fils d'Hippocoon accoururent et assommèrent ce jeune homme à coup de bâtons.

[5] Hercule au désespoir de cet accident vint fondre sur eux ; mais ayant été blessé dans la mêlée il se retira. Quelque temps après il revint avec main-forte, massacra Hippocoon et ses enfants, et vengea ainsi la mort de son cousin ; c'est pourquoi l'on voit le tombeau d'Oeonus auprès du temple d'Hercule.

[6] Si en sortant du Dromos vous allez du côté de l'orient, vous trouverez un temple dédié à Minerve Axiopenas ou Vengeresse ; on prétend que ce fut Hercule qui le fit bâtir après la terrible vengeance qu'il tira d'Hippocoon et de ses fils ; et ce surnom vient de ce qu'autrefois les châtiments des hommes étaient appellés du nom de poené. Minerve a encore dans cette rue un temple, que l'on trouve à gauche au sortir du Dromos ; on assure que celui-ci a été consacré par Théras fils d'Autésion, petit-fils de Tisamène et arrière-petit-fils de Thersandre, lorsqu'il mena une colonie dans l'île Calliste, qui depuis a pris le nom de Théra.

[7] Ensuite vous verrez le temple d'Hipposthène, homme célèbre pour avoir été plusieurs fois vainqueur à la lutte ; ils lui rendent des honneurs divins suivant un certain oracle, et en l'honorant ils croient honorer Neptune même. Vis-à-vis de ce temple il y a une statue fort ancienne qui représente Mars enchaîné sur le même fondement que l'on voit à Athènes une Victoire sans ailes ; car les Lacédémoniens se sont imaginés que Mars étant enchaîné demeurerait toujours avec eux, comme les Athéniens ont cru que la Victoire n'ayant point d'ailes, elle ne pourrait s'envoler ailleurs, ni les quitter ; c'est la raison qui a porté ces deux peuples à représenter ainsi ces divinités.

[8] Vous avez encore à Sparte un autre Lesché qu'ils nomment le Poecile, et auprès vous pourrez voir les monuments héroïques de Cadmus fils d'Agénor, d'Oeolicus fils de Théras, et d'Egée fils d'Oeolycus. On dit que ce sont Mésis, Léas, et Europas fils d'Hyrée et petit-fils d'Egée, qui ont fait élever ces monuments. Ils y ont même ajouté celui d'Amphiloque, parce que Tisamène leur ancêtre était né de Démonasse soeur d'Amphiloque.

[9] Les Lacédémoniens sont les seuls Grecs qui révèrent Junon sous le nom de la déesse Egophage, et qui lui immolent une chèvre ; ils prétendent qu'Hercule lui bâtit un temple, parce que dans son combat contre Hippocoon et contre ses enfants elle ne l'avait point traversé, comme il s'attendait qu'elle ferait, et comme elle avait fait dans toutes ses autres entreprises ; et faute d'une autre victime, il lui sacrifia une chèvre, coutume qui s'est perpétuée depuis ce temps-là.

[10] Si vous reprenez le chemin du théâtre, vous verrez un temple de Neptune Généthlius, et deux monuments héroïques, l'un de Cléodée fils d'Hyllus, l'autre d'Oebalus. Esculape a plusieurs temples dans Sparte, mais le plus célèbre de tous, c'est celui qui est auprès du Boonète, et à la gauche duquel on voit le monument héroïque de Téléclus, dont je parlerai quand j'en serai à l'histoire des Messéniens. Plus avant vous découvrirez une petite colline, au haut de laquelle il y a un vieux temple de Vénus, et dans ce temple une statue qui représente la déesse armée ; c'est un temple singulier et le seul que j'aie vu bâti de cette manière ; car à proprement parler ce sont deux temples l'un sur l'autre.

[11] Celui de dessus est dédié à Morpho, mais Morpho n'est qu'un surnom de Vénus ; la déesse y est voilée, et elle a des chaînes aux pieds ; ils disent que c'est Tyndate qui lui a mis ces chaînes, pour donner à entendre combien la fidélité des femmes envers leurs maris doit être inviolable ; d'autre, disent, pour se venger de Vénus à qui il imputait l'incontinence et les adultères de ses propres filles ; mais je ne le puis croire, car il faudrait être insensé pour s'imaginer que l'on se venge d'une déesse, en la représentant par une statue de bois de cèdre avec des chaînes aux pieds.

XVI. [1] Le temple le plus proche qui se présente ensuite, c'est celui d'Hilaire et de Phoebé. L'auteur des poésies cypriennes a écrit qu'elles étaient filles d'Apollon ; elles ont pour prêtresses des vierges qui se nomment Leucippides, comme les déesses elles-mêmes, qui ont chacune leur statue. On raconte qu'un jour l'une de ces vierges voulant parer la statue de la déesse lui changea entièrement le visage en la représentant comme les femmes se mettent aujourd'hui ; et que contente de son ouvrage elle se disposait à en faire autant à l'autre, mais qu'elle eut un songe qui l'en détourna. Un oeuf enveloppé de bandelettes est suspendu à la voûte du temple, et le peuple croit que c'est l'oeuf dont accoucha Léda.

[2] Des femmes de Sparte filent tous les ans une tunique pour la statue d'Apollon qui est à Amycle, et le lieu où elles filent s'appelle par excellence la Tunique. Auprès est une maison qu'habitaient autrefois les fils de Tyndare, et qu'acheta depuis un particulier de Sparte nommé Phormion. Un jour, à ce que l'on dit, les Dioscures arrivèrent chez 1ui, se disant des étrangers qui venaient de Cyrène ; ils lui demandèrent l'hospitalité et le prièrent de leur donner une certaine chambre dans sa maison, c'était celle où ils s'étaient plu davantage, lorsqu'ils étaient parmi les hommes.

[3] Phormion leur dit que toute sa maison était à leur service, à la réserve pourtant de cette chambre qui était occupée par une jeune fille qu'il avait ; les Dioscures prirent l'appartement qu'on leur donna ; mais le lendemain la jeune personne et les femmes qui la servaient, tout disparut, et l'on ne trouva dans sa chambre que deux statues des Dioscures, une table, et sur cette table du benjoin : voilà ce qu'ils racontent.

[4] En allant vers la porte de la ville vous trouverez sur votre chemin le monument héroïque de Chilon, qui fut autrefois en grande réputation de sagesse, et celui d'un héros athénien qui était l'un des principaux de cette colonie que Doriéüs fils d'Anaxandride débarqua en Sicile. La raison qui fit que l'on envoya cette colonie, était que le pays d'Erycie appartenait aux descendants d'Hercule et non aux Barbares qui l'occupaient ; car Hercule en combattant contre Héryx à la lutte avait mis pour condition que s'il le terrassait il serait maître du pays, et que s'il en était vaincu il lui donnerait les boeufs de Géryon.

[5] En effet, il touchait ces boeufs devant lui en allant en Sicile, et quand ils eurent passé le détroit à la nage, il alla ensuite les rassembler lui-même au promontoire de Scylla. Mais les dieux ne furent pas aussi favorables à Doriéüs qu'ils l'a voient été à Hercule ; car ce héros tua Héryx, et Doriéüs fut taillé en pièces avec son armée par les Egestéens.

[6] Les Lacédémoniens ont aussi bâti un temple à Lycurgue leur législateur comme à un dieu ; derrière son temple on voit le tombeau de son fils Eucosmus, auprès d'un autel qui est dédié à Lathria et à Anaxandra, c'étaient deux soeurs jumelles qu'épousèrent les deux fils d'Aristodème qui étaient aussi jumeaux ; elles avaient pour père Thersandre fils d'Agamédidas, qui régnait sur les Cléonéens, et qui était le quatrième des descendants de Ctésippe fils d'Hercule. Vis-à-vis du temple de Lycurgue est la sépulture de Théopompe fils de Nicandre, et celle de cet Eurybiade qui commandait la flotte des Lacédémoniens au combat d'Artémisium et à celui de Salamine contre les Perses. Ensuite vous trouvez le monument héroïque d'Astrabacus.

[7] De là vous passez dans une rue qu'ils nomment Limnée, où il y a un temple dédié à Diane Orthia ; ils prétendent que la statue de la déesse est celle-là même qu'Oreste et Iphigénie enlevèrent de la Taurique, et disent qu'elle leur fut apportée par Oreste, qui en effet a été roi de Sparte ; tradition qui me paraît beaucoup plus vraisemblable que celle des Athéniens au sujet de la même statue ; car pourquoi Iphigénie aurait-elle laissé la statue de Diane à Brauron ? et pourquoi les Athéniens ne l'auraient-ils pas mise sur leurs vaisseaux, lorsqu'ils prirent la résolution d'abandonner leur ville ?

[8] Cette statue est encore aujourd'hui si célèbre que les Cappadociens et ces peuples qui habitent auprès du Pont-Euxin se la disputent entre eux, sans compter les Lydiens qui croient aussi l'avoir dans leur temple de Diane Anaïtis ; et les Athéniens, peuples si religieux, auraient souffert qu'un monument si considérable devînt la proie des Perses ? je n'y vois nulle apparence : mais de plus on sait que la Diane qui était à Brauron fut portée à Suse, et qu'ensuite par la bonté de Séleucus elle passa aux habitants de Laodicée en Syrie, qui la gardent encore.

[9] Enfin, que la statue de Diane Orthia qui est à Sparte soit la même que celle qui a été enlevée aux Barbares de la Taurique, en voici des preuves qui ne manquent pas de probabilité. Premièrement Astrabacus et Alopécus tous deux fils d'Irbus, petits-fils d'Amphisthène, et arrière-petits-fils d'Amphiclès qui eut pour père Agis, n'eurent pas plutôt trouvé cette statue qu'ils furent frappés de manie et perdirent le sens. En second lieu les Limnates, peuples de la Laconie, les Cynosuréens, ceux de Misoa et de Pitane étant venus à Sparte pour sacrifier à Diane Orthia, l'esprit de discorde s'empara tellement d'eux, qu'ils prirent querelle ensemble et se battirent les uns contre les autres ; plusieurs furent tués au pied de l'autel, et une maladie subite emporta les autres.

[10] L'oracle consulté sur cet accident, prononça que cet autel voulait être teint du sang humain ; c'est pourquoi durant un temps on y immola un homme pour victime, et le sort en décidait. Lycurgue abolit cette barbare coutume, et substitua à sa place la flagellation des jeunes gens, qui se pratique encore à présent ; de sorte qu'il est encore vrai de dire que cet autel est teint du sang des hommes. La prêtresse préside à cette flagellation, et pendant que l'on fouette de jeunes enfants jusqu'au sang, elle tient entre ses mains la statue de la déesse, qui est fort petite et fort légères.

[11] Mais si l'exécuteur épargne quelqu'un de ces enfants, soit pour sa naissance ou pour sa beauté, aussitôt la prêtresse s'écrie que la statue s'apesantit et que l'on ne peut plus la soutenir ; elle s'en prend au prévaricateur, et lui impute la peine qu'elle souffre ; tant il est comme naturel à cette statue d'aimer le sang humain, et tant l'habitude qu'elle en a contractée chez les Barbares s'est enracinée en elle ; au reste elle n'a pas pour un surnom, car on l'appelle aussi Lygodesmas, parce qu'elle est venue empaquetée avec des brins de sarment ; et comme elle était si bien liée qu'elle ne pouvait pencher d'un côté ni d'autre, de là vient qu'ils l'ont aussi nommée Orthia.

XVII. [1] Du temple de Diane il n'y a pas loin à celui de Lucine ; ils disent que c'est l'oracle de Delphes qui leur a conseillé de bâtir celui-ci, et d'honorer Lucine comme une déesse. Les Lacédémoniens n'ont point de citadelle bâtie sur une hauteur, comme la Cadmée à Thèbes, ou Larissa à Argos ; mais ils ont plusieurs collines dans l'enceinte de leur ville, et la plus haute de ces collines leur tient lieu de citadelle.

[2] Minerve y a son temple sous les noms de Minerve Poliuchos et Chalcioecos. Tyndare commença cet édifice ; après lui ses enfants entreprirent de l'achever et d'y employer le prix des dépouilles qu'ils avaient remportées sur les Aphidnéens ; mais l'entreprise étant encore restée imparfaite, les Lacédémoniens longtemps après construisirent un nouveau temple qui est tout d'airain, comme la statue de la déesse. L'ouvrier dont ils se servirent fut Gitiadas, originaire et natif du pays ; il a fait aussi plusieurs cantiques, et entre autres un hymne pour Minerve sur des airs doriens.

[3] Au-dedans du temple la plupart des travaux d'Hercule sont gravés sur l'airain, tant les aventures que l'on connaît sous ce nom, que plusieurs autres que ce héros a courues volontairement, et dont il est glorieusement sorti. Là sont aussi gravés les exploits des Tyndarides, et surtout l'enlèvement des filles de Leucippe. Ensuite vous voyez d'un côté Vulcain qui dégage sa mère de ses chaînes, suivant que je l'ai expliqué dans mon premier livre ; d'un autre côté Persée prêt à partir pour aller combattre Méduse en Lybie ; des nymphes lui mettent un casque sur la tête et des talonnières aux pieds, afin qu'il puisse voler en cas de besoin. On n'a pas oublié tout ce qui a rapport à la naissance de Minerve ; mais ce qui efface tout le reste à mon gré, c'est un Neptune et une Amphitrite qui sont d'une beauté merveilleuse.

[4] Vous trouvez ensuite une chapelle de Minerve Ergané. Aux environs du temple il y a deux portiques, l'un au midi, l'autre au couchant. Vers le premier est une chapelle de Jupiter surnommé Cosmétès, et devant cette chapelle le tombeau de Tyndare. Sur le second portique on voit deux aigles éployés qui portent chacun une victoire ; c'est un présent de Lysander et en même temps un monument des deux victoires qu'il avait remportées, l'une près d'Ephèse sur Antiochus le lieutenant d'Alcibiade, qui commandait les galères d'Athènes, l'autre encore sur la flotte athénienne qu'il défit entièrement à Aegospotamos.

[5] A l'aile gauche du temple d'airain il y a une chapelle qui est consacrée aux Muses, parce que les Lacédémoniens marchent à l'ennemi non au son de la trompette, mais au son des flûtes et de la lyre. Derrière le temple est la chapelle de Vénus Aréa, où l'on voit des statues de bois aussi anciennes qu'il y en ait dans toute la Grèce.

[6] A l'aile droite on voit un Jupiter en bronze, qui est de toutes les statues de bronze la plus ancienne. Ce n'est point un ouvrage d'une seule et même fabrique ; il a été fait successivement et par pièces, ensuite ces pièces ont été si bien enchâssées, si bien jointes ensemble avec des clous, qu'elles font un tout fort solide. A l'égard de cette statue de Jupiter, ils disent que c'est Léarque de Rhegium qui l'a faite ; selon quelques-uns c'était un élève de Dipoene et de Scyllis, et selon d'autres de Dédale même. De ce côté-là est un endroit appellé Scenoma, où vous trouvez le portrait d'une femme ; les Lacédémoniens disent que c'est Euryléonis, qui se rendit célèbre pour avoir conduit un char à deux chevaux dans la carrière, et remporté le prix aux jeux olympiques.

[7] A l'autel même du temple de Minerve il y a deux statues de ce Pausanias qui commandait l'armée de Lacédémone au combat de Platée. Je m'abstiens de raconter ses aventures, parce qu'elles sont assez connues, et que ceux qui ne les savent pas peuvent consulter plusieurs historiens qui en ont fait un récit fort exact : mais j'ai su d'un homme de Bysance que Pausanias se voyant atteint et convaincu de trahison, avait été le seul qui se fût réfugié à l'autel de Minerve Chalcioecos et qui n'y eut pas trouvé sa sûreté ; la raison qu'il en apportait, c'est que Pausanias ayant quelque temps devant commis un meurtre, il n'avait jamais pu s'en faire purifier.

[8] En effet, ce prince dans le temps qu'il commandait l'armée navale des Lacédémoniens et de leurs alliés sur l'Hellespont, devint amoureux d'une jeune Byzantine ; ceux qui avaient ordre de l'introduire dans sa chambre, y étant entrés sur le commencement de la nuit, le trouvèrent déjà endormi. Cléonice, c'était le nom de la jeune personne, en approchant de son lit renversa par mégarde une lampe qui était allumée ; à ce bruit Pausanias se réveille en sursaut, et comme il était en des agitations continuelles, à cause du dessein qu'il avait formé de trahir sa patrie, se croyant découvert, il se lève, prend son cimeterre, en frappe sa maîtresse et la jette morte à ses pieds.

[9] C'est-là ce meurtre dont il ne put jamais être purifié, quelques supplications, quelque expédient qu'il pût employer ; en vain s'adressa-t-il à Jupiter Phyxius, en vain alla-t-il à Phigalée en Arcadie pour implorer le secours de ces gens qui savent évoquer les âmes des morts, tout cela lui fut inutile ; c'est pourquoi il paya enfin à Dieu et à Cléonice la peine de son crime. Les Lacédémoniens par ordre exprès de l'oracle de Delphes ont depuis érigé deux statues de bronze à ce prince, et encore aujourd'hui rendent une espèce de culte au génie Epidote, dans la pensée que ce génie apaise la déesse, qui autrement pourrait se ressentir de l'injure qu'ils lui ont faite en la personne de Pausanias, lorsqu'il était suppliant aux pieds de ses autels.

XVIII. [1] Après ces statues on en voit une de Vénus surnommée Ambologéra ; celle-ci a aussi été érigée par l'avis de l'oracle, ensuite celles du Sommeil et de la Mort, qui sont frères au rapport d'Homère dans l'Iliade.

[2] Si de là vous passez dans la rue Alpia, vous trouverez le temple de Minerve dite Ophthalmitis ; on dit que c'est Lycurgue même qui a consacré ce temple sous ce titre à Minerve, en mémoire de ce que dans une émeute, ayant eu un oeil crevé par Alcandre à qui ses lois ne plaisaient pas, il fut sauvé en ce lieu-là par le peuple, sans le secours duquel il aurait peut-être perdu l'autre oeil et la vie même.

[3] Plus loin vous trouverez le temple d'Ammon, car il paraît qu'anciennement les Lacédémoniens étaient de tous les Grecs ceux qui recouraient le plus volontiers à l'oracle de la Lybie. On dit même que Lysander assiégeant la ville d'Aphytis près de Pallene eut durant la nuit une apparition du dieu Ammon qui lui conseilla comme une chose également avantageasse à lui et à Lacédémone de laisser les assiégés en paix, conseil auquel il déféra si bien, qu'il leva le siège, et qu'il porta ensuite les Lacédémoniens à honorer Ammon encore plus qu'ils ne faisaient : ce qui est de certain, c'est que les Aphytéens révèrent ce dieu comme les Libyens mêmes.

[4] Quant au temple de Diane Cnagia, ainsi la nomment-ils, voici ce qu'ils en racontent. Cnagéüs était selon eux un homme originaire du pays, qui accompagna Castor et Pollux au siége d'Aphidna ; ayant été fait prisonnier dans un combat il fut vendu et envoyé en Crète ; après avoir été esclave quelque temps dans une ville, où les Crétois avaient un temple de Diane, il s'enfuit avec la prêtresse qui emporta avec elle la statue de Diane. Tous les deux étant venus à Sparte, leur aventure donna lieu et au temple et au surnom de la déesse.

[5] Mais pour moi je ne puis croire que ce Cnagéüs ait passé en Crète à l'occasion que disent les Lacédémoniens, car premièrement il n'y eut point de combat à Aphidna, Thésée était pour lors chez les Thesprotiens ; d'ailleurs les Athéniens étaient partagés, et même la plupart penchaient plus pour Mnesthée que pour lui ; comment auraient-ils combattu en faveur du dernier ? Mais quand il y aurait eu un combat, je ne vois point d'apparence qu'aucun du parti des victorieux pût être prisonnier de guerre, les Lacédémoniens ayant tellement en l'avantage qu'ils prirent même Aphidna. Cette petite discussion doit suffire en passant.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.