[Les caps Malée et Ténare]

Tardieu, 1821

XXII. [1] A trois stades de Gythée on voit une grosse pierre toute brute ; on dit qu'Oreste s'y étant assis recouvra son bon sens, et à cause de cela on a nommé cette roche en langue dorique Jupiter Cappautas. Vis-à-vis de Gythée est l'île Cranaé, où Homère dit que Pâris après avoir enlevé Hélène jouit de sa conquête pour la première fois ; c'est pourquoi à l'opposite de l'île il y a sur le rivage un temple de Vénus Migonitis, et tout le canton s'appelle Migonium.

[2] Si on les en croit, c'est Pâris lui-même qui a fait bâtir ce temple, et huit ans après la ruine de Troie, Ménélas heureusement de retour chez lui, consacra près du temple de Vénus deux statues, l'une à Thétis, l'autre à la déesse Praxidica. La plaine de Migonium est dominée par une hauteur que l'on nomme le mont Larysius, et qui est consacrée à Bacchus, en l'honneur de qui chaque année on célèbre une fête au commencement du printemps ; on raconte plusieurs merveilles de cette fête, mais entre autres celle-ci, que l'on y voit toujours une grappe de raisin mûr.

[3] A la gauche de Gythée en avançant quelques trente stades dans les terres vous trouverez les murs de Trinase ; je crois que c'était autrefois non une ville, mais un château qui avait pris son nom de trois petites îles qui sont de ce côté-là près du rivage. Environ quatre-vingt stades plus loin vous voyez les ruines de la ville d'Hélos,

[4] et trente stades au-delà c'est Acries ville située sur le bord de la mer ; on y voit un fort beau temple de la mère des dieux, et une statue de marbre qui de tous les monuments consacrés à cette déesse est vanté comme le plus ancien qui soit dans tout le Péloponnèse ; car les Magnésiens qui sont au nord du mont Sipyle ont chez eux sur la roche Coddine une statue de la même déesse, qui est constamment la plus ancienne de toutes ; aussi dit-on que c'est Brotée fils de Tantale qui l'a faite.

[5] Les habitants d'Acries font gloire encore aujourd'hui d'avoir eu un de leurs citoyens nommé Nicoclès qui remporta deux fois le prix du simple stade aux jeux olympiques, et cinq fois le prix du stade double. Ils lui ont érigé un monument entre le lieu d'exercice et le port.

[6] Géronthre est à six-vingt stades de la mer au-dessus d'Acries ; c'était une ville fort peuplée avant l'arrivée des Héraclides dans le Péloponnèse ; elle fut détruite par les Doriens qui s'étaient rendus maîtres de Lacédémone : ces peuples chassèrent de Géronthre les anciens habitants, et y envoyèrent une colonie pour la repeupler : aujourd'hui elle obéit aux Eleuthérolacons. Sur le chemin qui mène d'Acries à Géronthre on trouve un lieu nommé le vieux village. Quant à Géronthre on y voit un temple de Mars, accompagné d'un bois sacré.

[7] Tous les ans on y sacrifie au dieu, mais il n'est pas permis aux femmes d'assister à ces sacrifices. La grande place est environnée de fontaines d'eau douce ; dans la citadelle il y a un temple d'Apollon ; le dieu y avait sa statue, mais il n'en reste plus que la tête qui est d'ivoire, les autres parties ayant été brûlées avec l'ancien temple.

[8] Marios autre ville des Eleuthérolacons est éloignée de Géronthre d'environ cent stades : ce que j'y ai vu de plus remarquable, c'est un vieux temple dédié à tous les dieux, et auprès un bois où l'eau serpente de tous côtés. On trouve des fontaines jusques dans le temple de Diane, et je ne connais guère d'endroit où l'eau vienne en aussi grande abondance que dans cette petite ville. Au-dessus de Marios on rencontre au milieu des terres un village que l'on appelle Glyppia. De Géronthre à un autre village appellé Selinunte il peut y avoir quelques vingt stades.

[9] Du côté de la terre ferme en montant au-dessus d'Acries on trouve les villages que j'ai dit ; mais si l'on côtoie le rivage, à soixante stades d'Acries on trouvera la ville d'Asope ; vous y verrez un temple dédié aux Empereurs de Rome, et douze stades au-delà de la ville un temple d'Esculape ; les habitants appellent ce dieu Philolaüs ; dans le lieu d'exercice on vous montrera des ossemens de corps humain, qui sont d'une grandeur prodigieuse. Au haut de la citadelle il y a un temple de Minerve dite Cyparissia, et au bas on voit les ruines d'une ville qui se nommait la ville des Achéens Paracyparissiens.

[10] A cinquante stades d'Asope on voit encore un temple d'Esculape dans un petit canton nommé l'Hypertéléate, et à deux cent stades de la même ville est un promontoire lui avance beaucoup dans la mer, et que l'on appelle La mâchoire d'âne. Minerve y a un temple, mais qui n'a plus ni toit, ni statue ; on croit que c'est Agamemnon qui l'a bâti. On y voit aussi le tombeau de Cinadus qui était le maître pilote du vaisseau de Ménélas.

Tardieu, 1821

[11] Sous ce promontoire est la baie de Boée, et à l'une des pointes de cette baie la ville même de Boée ; on dit quelle a été bâtie par Boeus, l'un des fils d'Hercule, et peuplée par une colonie qu'il y envoya, et qu'il avait tirée d'Etie, d'Aphrodisie, et de Sida, trois anciennes villes, dont les deux premières ont eu pour fondateur Enée, que la tenpête obligea de relâcher à cette baie, lorsqu'il voulait aborder en Italie ; il donna même à l'une de ces villes le nom de sa fille Etia, pour la troisième elle fut appellée Sida du nom d'une des filles de Danaüs.

[12] Les habitants qui étaient sortis de ces villes, et que l'on envoyait chercher fortune ailleurs, consultèrent l'oracle pour savoir où ils s'établiraient ; ils eurent pour réponse que Diane le leur montrerait. En effet lorsqu'ils eurent pris terre ils aperçurent un lièvre, ils le suivirent des yeux, et ayant remarqué qu'il se blotissait sous un myrthe, ils bâtirent une ville au même lieu. Depuis ce temps-là le myrthe est pour eux un arbre sacré, et ils honorent Diane comme leur divinité tutélaire.

[13] Dans le marché de Boée il y a un temple d'Apollon, et dans un autre quartier un temple d'Esculape. A sept ou huit stades de la ville on voit les ruines d'un temple de Sérapis et d'Isis ; sur le chemin à gauche on trouve une statue de marbre qui représente Mercure, et parmi des masures on découvre un temple d'Esculape et de la déesse Hygéia.

XXIII. [1] Vis-à-vis de Boée est la ville de Cythère ; c'est une île qui de ce côté-là est fort proche du continent, et à la hauteur d'un promontoire appellé le Plataniste, qui par mer n'est éloigné que de quarante stades du promontoire dont j'ai parlé et qu'ils nomment mâchoire d'âne. La rade de Cythère se nomme Scandée et de cette rade à la ville il n'y a guère que dix stades. On voit à Cythère un temple de Vénus Uranie qui passe pour le plus ancien et le plus célèbre de tous les temples que Vénus ait dans la Grèce ; la statue de la déesse la représente armée.

[2] Si vous allez par mer de Boée au cap Malée vous verrez sur la côte l'étang de Nymbée, ainsi le nomme-t-on ; auprès est un Neptune tout droit sur ses pieds, et au bord de la mer on vous en fera remarquer un autre où il y a une fontaine d'eau douce ; ce lieu est très fréquenté. Cent stades au-dessus de Malée vous trouvez sur les confins des Boéates un lieu qui est consacré à Apollon et qu'ils nomment Epidelium ; ce nom vient de ce que la statue qui s'y voit est la même que celle qui était autrefois à Délos ; voici par quelle aventure.

[3] Dans le temps que Délos était la ville la plus marchande de toute la Grèce et que le culte d'Apollon semblait la mettre à couvert de toute insulte, Ménophane un des généraux de Mithridate, soit de son propre mouvement, soit par ordre de son maître, car tout homme qui est possédé de l'amour des richesses compte la religion pour rien ;

[4] Ménophane, dis-je, s'avisa de venir investir Délos avec sa flotte, et l'ayant trouvée sans fortifications ni murailles, et les habitants sans armes, il n'eut pas de peine à s'en rendre maître ; il passa au fil de l'épée tout ce qu'il y avait d'hommes capables de résister, étrangers et citoyens, s'empara de leurs effets, pilla le temple, rasa la ville et fit vendre les femmes et les enfants comme autant d'esclaves. Durant le sac de la ville un barbare eut l'impiété d'enlever la statue du dieu, et la jeta dans la mer ; le flot l'ayant portée jusques vers les confins des Boéates, les gens du pays la prirent, se l'approprièrent, et en mémoire de cet événement le lieu où ils la déposèrent fut nommé Epidélium.

[5] Mais ni Ménophane, ni Mithridate lui-même ne purent échapper à la vengeance du dieu ; car après cette expédition Ménophane étant déjà en pleine mer, des négociants qui s'étaient sauvés du massacre trouvèrent le moyen de joindre son vaisseau, d'entrer sur son bord et de le tuer. Pour Mithridate, la colère d'Apollon le poursuivit jusqu'à l'obliger de tourner ses mains contre lui-même, après avoir perdu ses états et s'être vu chassé de ville en ville par les Romains. D'autres disent qu'il demanda en grâce à un de ces soldats mercenaires qu'il avait dans ses troupes de lui passer son épée au travers du corps : quoi qu'il en soit, l'impiété de l'un et de l'autre ne demeura pas impunie.

Tardieu, 1821

[6] Sur la frontière des Boéates, à quelques deux cent stades d'Epidélium, on trouve la ville d'Epidaure, autrement appellée Liméra. Les habitants se disent une colonie non de Lacédémoniens, mais de ces Epidauriens du pays d'Argos, et ils racontent que des députés envoyés par ces peuples vers Esculape dans l'île de Cos, ayant abordé en cette contrée de la Laconie avaient été avertis en songe de s'y établir ;

[7] que même un serpent qu'ils menaient avec eux sortit du vaisseau et alla se cacher dans une caverne sur le bord de la mer ; prodige qui joint aux apparitions qu'ils avaient eues en songe, les détermina à bâtir là une ville à laquelle ils donnèrent aussi le nom d'Epidaure ; et à l'endroit où le serpent se cacha, ils élevèrent à Esculape deux autels, qui sont aujourd'hui couverts d'oliviers sauvages que la terre a produits à l'entour.

[8] Deux stades plus loin sur la droite vous verrez ce qu'ils appellent le marais d'Ino ; c'est un marais de peu d'étendue, mais fort profond. Tous les ans à la fête d'Ino ils jettent dans ce marais des morceaux de pâte ; si cette pâte va au fond, ils en tirent un bon augure, et un mauvais si elle revient sur l'eau. On dit que les bouches du mont Ethna donnent lieu à de semblables pronostics. Les gens des environs y jettent de petites figures d'or et d'argent, quelques-uns même toute sorte de victimes ; si le tourbillon de flammes les engloutit, c'est pour eux un heureux présage ; au contraire s'il les rejette, ils se croient menacés de quelque malheur.

[10] Sur le chemin qui conduit de Boée à Epidaure et dans le territoire même des Epidauriens, vous trouvez un temple de Diane surnommée Limnatis, la ville d'Epidaure est bâtie sur une hauteur et fort peu éloignée de la mer. Tout ce que j'y ai vu de beau c'est un temple de Vénus, un temple d'Esculape où le dieu est en marbre et debout, et dans la citadelle un temple de Minerve. Vers le port il y a un temple de Jupiter Sauveur,

[11] et au bas de la ville un promontoire qui avance dans la mer et qu'ils nomment Minoa. Le bassin auquel il sert d'abri n'a rien de particulier et n'est pas différent des autres qui se voient le long des côtes de la Laconie ; j'ai seulement remarqué que le rivage de cette rade était plein de petits cailloux d'une beauté singulière soit pour la figure, soit pour les couleurs.

XXIV. [1] D'Epidaure à Zarax on compte environ cent stades ; cette ville a un port très commode ; mais de toutes les villes des Eleuthérolacons c'est celle qui a été exposée aux plus grands malheurs, car elle fut autrefois détruite par Cléonyme fils de Cléomène et petit-fils d'Agésipolis ; j'ai parlé ailleurs de Cléonyme. Il n'y a rien de remarquable à Zarax, on voit seulement à l'extrémité du port un temple d'Apollon, où le dieu est représenté tenant une lyre.

[2] Si vous côtoyez le rivage l'espace de six stades et qu'ensuite vous remontiez vers la terre ferme, vous n'aurez pas fait dix stades, que vous apercevrez les ruines du port de Cyphante et parmi ces ruines un temple d'Esculape, où le dieu est en marbre. Là se voit aussi une source d'eau froide qui sort d'un rocher ; on dit qu'Atalante revenant de la chasse et se trouvant fort altérée frappa ce rocher de son javelot et en fit jaillir cette source.

[3] Brasies est la dernière ville des Eleuthérolacons sur cette côte ; de Cyphante à Brasies il peut y avoir quelques deux cent stades par mer. Les habitants de cette ville ont une tradition qui est contredite par tous les autres Grecs ; ils disent que Sémélé ayant eu Bacchus de Jupiter, et que Cadmus s'en étant aperçu y elle fut enfermée dans un coffre elle et son fruit, qu'ensuite ce coffre fut abandonné à la merci des flots qui le portèrent jusques chez les Brasiates ; que ces peuples ayant trouvé Sémélé morte lui firent de magnifiques funérailles et prirent soin de l'éducation de son fils ;

[4] que pour cette raison, leur ville qui jusques-là s'était appellée Oréate, changea son nom en celui de Brasies, à cause de l'aventure du coffre, et parce que pour dire qu'une chose a été apportée par le flot, on se servait d'un mot grec qui a quelque rapport au nom de Brasies ; et pour dire le vrai, ce mot grec est encore en usage aujourd'hui dans cette signification. Mais les Brasiates ne s'en tiennent pas là ; ils assurent qu'Ino qui était errante vint chez eux et qu'elle voulut être la nourrice de Bacchus, ils montrent encore un antre où ils prétendent qu'elle l'allaitait, et ils nomment la plaine d'alentour le jardin de Bacchus.

[5] On voit à Brasies deux temples, l'un consacré à Achille, l'autre à Esculape, et tous les ans ils célèbrent une fête en l'honneur d'Achille. Au bas de la ville est un promontoire qui s'étend jusqu'à la mer par une pente fort douce ; sur ce promontoire vous trouvez de petites figures de bronze, de la hauteur d'un pied, et qui ont une espèce de chapeau sur la tête ; je ne sais pas bien si ce sont les Dioscures ou les Corybantes que l'on a voulu représenter ; mais ces statues sont au nombre de trois, et il y en a une quatrième qui est Minerve.

Tardieu, 1821

[6] Sur la droite du chemin qui mène à Gythion vous verrez la ville de Las à dix stades de la mer et à quarante de Gythion même. Cette ville est aujourd'hui située entre trois montagnes, le mont Ilion, le mont Asia, et le mont Knacadius. Anciennement elle était bâtie sur le sommet du mont Asia ; on voit encore à présent les ruines de l'ancienne ville, et devant les murs une statue d'Hercule avec un trophée érigé à l'occasion de la défaite des Macédoniens ; c'était une partie des troupes de Philippe, lorsqu'il fit une irruption dans la Laconie ; ces Macédoniens s'étant détachés du gros de l'armée, ravageaient toute la côte maritime, mais ils furent enveloppés et taillés en pièces.

[7] Au milieu des ruines de l'ancienne ville on voit un temple de Minerve surnommée Asia ; ils disent que ce furent Castor et Pollux qui le bâtirent en action de grâces de ce qu'ils étaient heureusement revenus de leur expédition de la Colchide, et ils ajoutent qu'il y avait à Colchos même un temple de Minerve Asia. Pour moi je sais fort bien que les fils de Tyndare s'embarquèrent avec Jason pour Colchos ; mais que Minerve Asia fut honorée dans la Colchide, j'ai peine à le croire, et je ne le rapporte que sur la foi des Lacédémoniens. Auprès de la ville neuve il y a une fontaine qu'ils appellent la fontaine Knaco à cause de la couleur de son eau ; à deux pas de là est un lieu d'exercice où l'on voit une statue de Mercure fort ancienne.

[8] Sur le mont Ilion vous trouverez un temple de Bacchus, et tout au haut un temple d'Esculape ; et sur le mont Knacadius un temple dédié à Apollon Carnéüs. A trente stades de là ou environ l'on rencontre un bourg de la dépendance de Sparte, nommé Hypsos ; on y voit deux temples, l'un d'Esculape, l'autre de Diane Daphnéa.

[9] Du côté de la mer sur un promontoire fort élevé il y a un temple de Diane surnommée Dictynna, en l'honneur de laquelle il se célèbre un jour de fête tous les ans. A gauche de ce promontoire le fleuve Sménus va tomber dans la mer, et je ne connais point de fleuve dont les eaux soient plus douces, ni meilleures à boire ; il a sa source dans la montagne de Taïgète, et passe à cinq stades de la ville.

[10] Au bourg d'Araine on vous montrera la sépulture de Las, il est représenté sur son tombeau ; les habitants du lieu disent que ce fut lui qui bâtit la ville qui porte ce nom, et qu'ensuite il fut tué par Achille ; car si on les en croit Achille était venu dans ce pays pour demander Hélène en mariage. Mais à dire le vrai, je crois que ce fut plutôt Patrocle qui tua Las ; car Patrocle était un de ceux qui recherchaient Hélène en mariage. Quant à Achille il ne fut jamais de ce nombre ; le catalogue des femmes illustres n'en fait aucune mention.

[11] Et si l'on n'est pas content de cette sorte de preuve, du moins faut-il se rendre à l'autorité d'Homère qui dit au commencement de l'Iliade qu'Achille était venu au siège de Troie par pure considération pour les Atrides, et sans être engagé par aucun serment envers Tyndare. Le même poète au livre vingt-troisième de l'Iliade fait dire à Antiloque qu'Ulysse était plus vieux que lui d'une génération, et Ulysse lui-même racontant à Alcinoüs ce qu'il a vu aux enfers, dit qu'il avait été surtout curieux d'y voir Pirithoüs et Thésée qui étaient d'un âge supérieur au sien. D'ailleurs nous savons que Thésée enleva Hélène ; il n'est donc pas possible qu'Achille ait recherché cette princesse en mariage, les temps ne cadrent pas.

XXV. [1] Un peu plus loin que ce monument vous verrez une rivière qui se décharge dans la mer ; cette rivière qui autrefois n'avait point de nom fut appellée Scyras, depuis que Pyrrhus fils d'Achille y aborda avec ses vaisseaux après s'être embarqué à Scyros pour venir épouser Hermione. Au-delà de cette rivière est un vieux temple, et à quelque distance du temple un autel de Jupiter.

[2] En remontant vers la terre ferme à quarante stades de l'embouchure de Scyras on trouve la ville de Pyrrhique, qui a pris son nom ou de Pyrrhus fils d'Achille, ou de Pyrrhichus l'un des Curètes. D'autres dirent que Silène quitta Malée pour venir demeurer en cette ville ; à la vérité Pindare témoigne dans une de ses odes que Silène avait été élevé à Malée ; mais qu'il se soit jamais appellé Pyrrhichus, c'est ce que l'on ne trouvera point dans Pindare, il n'y a que les habitants de Malée qui l'aient rêvé.

[3] Quoi qu'il en soit, dans le marché de Pyrrhique il y a un puits dont les habitants croient être redevables au Silène ; si ce puits venait à tarir, ils manqueraient entièrement d'eau. Les Pyrrhiquiens ont chez eux un temple de Diane Astratée ; nom qui a été donné à la déesse, parce que suivant la tradition du pays l'armée des Amazones demeura en deçà de ce lieu et n'avança pas plus loin ; Apollon a aussi un temple sous le nom d'Amasonius et par la même raison ; les statues de ces deux divinités sont de bois, et l'on croit qu'elles furent consacrées par ces femmes qui étaient venues des rives du Thermodon.

[4] Si vous descendez de Pyrrhique vers la mer, vous trouverez sur votre chemin Teuthrone, ville qui a été bâtie, à ce que disent les habitants, par Teuthras Athénien ; ces peuples honorent particulièrement Diane Issoria : la fontaine Naïa est tout ce que j'ai vu de curieux dans leur ville. A cent cinquante stades de Teuthrone vous avez le promontoire de Ténare qui avance considérablement dans la mer, et sous lequel il y a deux ports, l'un nommé Achillée, l'autre Psamathus ; sur ce promontoire est un temple de Neptune en forme de grotte, et à l'entrée une statue du dieu.

[5] Quelques poètes grecs ont imaginé que c'était par-là qu'Hercule avait emmené le chien de Pluton ; mais outre que dans cette grotte il n'y a aucun souterrain, il n'est pas vraisemblable qu'un dieu tienne son empire sous terre, ni que nos âmes s'attroupent là après notre mort. Hécatée de Milet a eu une idée assez raisonnable, quand il a dit que cet endroit du Ténare servait de repaire à un serpent effroyable, que l'on appellait le chien des enfers, parce que quiconque en était piqué mourait aussitôt, et il prétend qu'Hercule amena ce serpent à Eurysthée.

[6] Homère qui le premier a parlé du chien des enfers qu'Hercule traîna après lui, ne le distingue par aucun nom propre, ni ne le dépeint, bien qu'il dépeigne la Chimère ; mais ceux qui sont venus après lui ont appellé ce chien Cerbère ils lui ont donné trois têtes, et en ont fait un gros dogue, quoique Homère par le chien des enfers ait aussi bien pu entendre un dragon, qu'un animal domestique.

[7] Pour revenir à mon sujet, on voit au promontoire de Ténare plusieurs monuments antiques, entre autres Arion jouant de la lyre et assis sur un dauphin. Hérodote dans son histoire des Lydiens a rapporté ce qu'il avait appris d'Arion et de ce dauphin ; pour moi je parlerai ici comme témoin oculaire ; j'ai vu à Poroselène un dauphin qui avait été blessé par des pêcheurs, et dont un jeune enfant avait pris soin : ce dauphin pour prix de sa guérison obéissait à cet enfant, venait à lui quand il l'appellait et le portait sur son dos partout où il voulait.

[8] Vous verrez aussi au Ténare une fontaine qui véritablement n'a rien de surprenant aujourd'hui, mais dont on racontait autrefois des merveilles ; car si l'on en croit les gens du lieu, ceux qui regardaient dedans y voyaient des ports et des vaisseaux ; ils disent qu'elle a cessé de présenter ces objets, depuis qu'une femme y a lavé des habits qui étaient souillés.

[9] Du promontoire de Ténare à Cénépolis il y a environ quarante stades de navigation ; anciennement cette ville s'appellait Ténare ; on y trouve un temple de Cérès, et sur le bord de la mer un temple de Vénus où la déesse est debout et en marbre. Trente stades plus loin c'est un lieu appellé Thyridès, et qui est tout au haut de la côte ; près de là sont les ruines de la ville Hippola, au milieu desquelles subsiste encore une chapelle de Minerve Hippolaïtis. A une très petite distance on trouve la ville et le port de Messa.

[10] Du port à la ville d'Oetyle je compte cent cinquante stades : le héros qui a donné son nom à cette ville était Argien de naissance fils d'Amphianax et petit-fils d'Antimaque ; ce que j'ai vu dans cette ville de plus digne de curiosité, c'est un temple de Sérapis, et une statue d'Apollon Carnéüs dans la place.

Tardieu, 1821

XXVI. [1] D'Oetyle à Thalama il y a quelques quatre-vingt stades ; sur le chemin on voix un temple d'Ino célèbre par les oracles qui s'y rendent ; car ceux qui s'endorment dans ce temple reçoivent des lumières sur les choses qui leur doivent arriver, et la déesse par le moyen des songes leur apprend ce qu'ils ont envie de savoir. Devant le portail je remarquai deux statues de bronze ; l'une de Pasiphaé, l'autre du Soleil. Il y en a une troisième dans le temple même, mais elle est si chargée de couronnes et d'ornements, qu'on ne la saurait bien distinguer ; on la dit de bronze ; une fontaine donne à ce lieu de très bonne eau en abondance : cette fontaine est consacrée à la Lune et en porte même le nom. Pasiphaé est à l'égard des habitants un génie étranger.

[2] Vingt stades au-delà, de Thalama vous trouvez Péphnos qui est une ville maritime, fort peu distante d'une île qui n'est pas plus grande qu'un gros rocher, et qu'ils nomment aussi Péphnos. Les Thalamates disent que Castor et Pollux ont pris naissance dans cette île, et je sais que le poète Alcman a dit la même chose dans une de ses odes ; mais selon eux les Dioscures furent portés à Pellane par Mercure, et n'ont point été élevés à Péphnos.

[3] Dans cette petite île ces jumeaux sont représentés en bronze par deux statues qui n'ont pas plus d'un pied de haut, et qui sont exposées à l'air ; et quoique la base soit continuellement battue des flots de la mer, elle demeure immobile, ce qu'ils regardent comme un miracle : une autre merveille, c'est que les fourmis de cette île sont blanches, et non pas noires comme les nôtres. Les Messéniens prétendent que ce petit canton faisait autrefois partie de leur pays, et par cette raison ils se vantent d'appartenir aux Dioscures de plus près que les Lacédémoniens.

[4] De Péphnos à Leuctres il n'y a pas plus de vingt stades : j'ignore d'où cette ville a pris son nom ; mais si c'est de Leucippe fils de Périérès, comme le veulent les Messéniens, je ne m'étonne pas que ses habitants révèrent Esculape plus que tous les autres dieux, car ils le croient né d'Arsinoé qui était fille de Leucippe. On y voit deux statues de marbre, l'une d'Esculape, l'autre d'Ino, placées en des lieux différents,

[5] un temple et une statue de Cassandre fille de Priam, que les gens du pays appellent Alexandra, et quelques statues de bois d'Apollon-Carnéüs qui est honoré à Leuctres de la même façon qu'à Sparte. Dans la citadelle il y a un temple et une statue de Minerve ; j'oubliais dans la ville un temple de Cupidon, accompagné d'un bois sacré qui est toujours inondé durant l'hiver : une chose singulière, c'est qu'au printemps les feuilles qui tombent des arbres ne sont point emportées hors du bois par les eaux.

[6] Je rapporterai ici ce qui arriva de mon temps dans une plaine de Leuctres qui avoisine la mer. Le feu par un grand vent s'étant communiqué à une forêt, il y eut beaucoup d'arbres de brûlés : à l'endroit du bois qui avait été le plus dépouillé on trouva une statue de Jupiter Ithomate en pied ; d'où les Messéniens concluaient que Leuctres leur avait autrefois appartenu ; mais il se peut fort bien faire que dans le temps que Leuctres était aux Lacédémoniens, Jupiter Ithomate fût aussi en honneur chez eux.

[7] Cardamyle est à soixante stades de la mer et à soixante de Leuctres ; Homère en fait mention, et c'est une des sept villes dont Agamemnon promet de faire présent à Achille : cette ville obéit présentement à Sparte, depuis qu'Auguste l'a démembrée de la Messénie. On y voit près du rivage un temple qui est consacré aux filles de Nérée ; car on dit que ces nymphes sortirent de la mer et se placèrent là pour voir Pyrrhus qui allait à Sparte dans le dessein d'épouser Hermione. Dans la ville même il y a un temple de Minerve, et une statue d'Apollon Carnéüs, dont le culte est commun à tous les Doriens.

[8] La ville qu'Homère appelle Enope était aussi autrefois aux Messéniens ; mais aujourd'hui elle est de la dépendance des Eleuthérolacons et se nomme Gérénie. Quelques-uns disent que Nestor y fut élevé, et d'autres qu'il s'y retira seulement, après que Pylos eut été prise par Hercule.

[9] Vous verrez à Gérénie le tombeau de Machaon fils d'Esculape avec un temple fort célèbre qui lui est dédié ; car les habitants croient que Machaon a aussi la vertu de guérir les maladies ; ils lui ont consacré un petit canton qu'ils appellent Rhodon ; le dieu y est représenté en bronze debout sur ses pieds ; il a sur la tête une couronne que les Messéniens en leur langue naturelle nomment Ciphos. L'auteur de la petite Iliade rapporte que Machaon fut tué par Eurypile fils de Téléphe.

[10] Et de là vient ce qui se pratique de ma connaissance dans un temple d'Esculape qui est à Pergame ; on y chante des hymnes en l'honneur de Télèphe, mais sans y rien mêler qui soit à la louange d'Eurypile, et il n'est pas même permis de prononcer son nom dans ce temple, parce qu'il est regardé comme le meurtrier de Machaon. Au reste les habitants de Gérénie disent que les os de Machaon furent recueillis par Nestor ; et à l'égard de Podalire, ils tiennent qu'au retour de Troie ayant été jeté par la tempête avec les autres Grecs à Syros ville de Carie, il y fixa sa demeure.

[11] Dans le pays des Géréniens il y a la montagne de Calathion, et sur cette montagne un temple dédié à Calathée ; auprès est une grotte dont l'entrée est extrêmement étroite, mais le dedans est fort orné et mérite d'être vu. Si de Gérénie vous remontez vers les terres, vous n'aurez pas fait trente stades que vous trouverez la petite ville d'Alagonie qui appartient aussi aux Eleuthérolacons ; il n'y a rien à y voir qu'un temple de Bacchus et un temple de Diane.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.