[Mantinée et sa région]
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Tardieu, 1821
[4] Sur les confins des Argiens près des ruines d'Hysies
vers le mont Parthenius il y a une espèce de
défilé qui communique avec l'Arcadie, et qui
mène jusques sur les terres des Tégéates.
On peut prendre deux autres chemins du côté de
Mantinée ; l'un se nomme Prine, et l'autre
l'Echelle ; ce dernier est le plus large, et porte ce nom
parce qu'autrefois on y descendait par des marches faites de
main d'homme.
[5] En tenant ce chemin on arrive au bourg de
Mélangée, d'où coule dans la ville de
Mantinée une source de fort bonne eau. A sept stades de
là est la fontaine des Méliastes et un temple de
Bacchus, où ils célèbrent les orgies. On
voit là aussi un temple de Vénus dite la
Noire, surnom qui vient apparemment de ce que les hommes
prennent d'ordinaire le temps de la nuit pour avoir commerce
avec leurs femmes, au lieu que les autres animaux s'accouplent
durant le jour.
[6] L'autre chemin est beaucoup plus étroit et passe par
le mont Artémisius dont j'ai parlé ci-devant et
où j'ai dit qu'il y avait un temple et une statue de
Diane. Le fleuve Inachus a sa source dans cette montagne ; c'est
même dès sa source ou du moins en tombant qu'il
sert de limites entre les Argiens et les Mantinéens ; car
lorsqu'il vient à prendre son cours, il tourne du
côté des Argiens ; c'est pourquoi Eschyle et
plusieurs autres poètes ne l'appellent point autrement
que le fleuve d'Argos.
VII. [1] Quand on a passé le mont Artémisius,
pour aller à Mantinée on descend dans une plaine
fort stérile qui à cause de cela est
appellée Argos, car en grec le mot Argos
signifie inutile et oisif. Cette stérilité
vient de ce que l'eau du ciel qui tombe des montagnes voisines
dans la plaine la tient toujours inondée à tel
point qu'elle deviendrait un lac, si l'eau ne trouvait une
ravine par où non seulement elle s'écoule, mais
elle se perd sous terre pour quelque temps.
[2] Car elle ressort ensuite auprès de Dine vers
Génethlium village sur les terres des Argiens. Dine est
un lac d'eau douce, formé pourtant par les eaux de la
mer. Les Argiens en l'honneur de Neptune y jetaient autrefois
des chevaux superbement enharnachés. Au reste que l'eau
de la mer se filtre et devienne douce en passant sous terre,
c'est ce qui arrive non pas seulement dans l'Argolide, mais
aussi dans la Thesprotie auprès d'un lieu que l'on nomme
Chimerium.
[3] On voit dans le Méandre une chose bien plus
mervelleuse, une source d'eau bouillante sortir non seulement
d'une roche que le fleuve baigne de tous côtés,
mais même du limon du fleuve. C'est ainsi qu'auprès
de Dicéarchie il y a dans la mer Tyrrhénienne une
source d'eau chaude, autour de laquelle on a fait une
espèce d'île pour profiter de ces bains salutaires,
et ne pas laisser ce bienfait de la nature inutile.
[4] A la gauche de ces landes dont j'ai parlé et du
côté de Mantinée, s'élève une
montagne où l'on voit les ruines d'un camp de Philippe et
d'un village appellé Nestane. Car il passe pour constant
que Philippe campa là, et une fontaine voisine se nomme
encore la fontaine de Philippe. En effet ce prince vint
en Arcadie pour désunir les Arcadiens d'avec les autres
Grecs, et pour tâcher de se les attacher.
[5] Personne ne peut douter que Philippe n'ait fait de
très grandes actions, et que de ce
côté-là il n'ait surpassé tous les
rois de Macédoine qui ont été avant et
après lui ; mais si l'on en juge sainement, on ne le
regardera pas pour cela comme un bon roi. Jamais prince n'a si
peu respecté la religion des serments, n'a si mal
observé les traités, et n'a été de
si mauvaise foi. Aussi n'échappa-t-il pas longtemps
à la colère du ciel.
[6] Car il n'avait pas plus de quarante-six ans lorsque
l'oracle de Delphes se trouva accompli en sa personne. Il
l'avait consulté sur la guerre qu'il méditait
contre les Perses, et il en avait reçu cette
réponse :
Déjà la victime est parée,
Le sacrificateur est prêt à l'égorger
;
Je vois le fer tranchant, sa mort est assurée.
L'événement fit voir que cet oracle devait
s'entendre non du roi de Perse, mais de Philippe
même.
[7] Il laissa un fils en bas âge, qu'il avait eu de
Cléopâtre nièce d'Attalus ; Olympias fit
jeter la mère et le fils dans un vaisseau d'airain
brûlant, et les y tint jusqu'à ce qu'ils eussent
expiré dans les tourments ; quelques années
après elle fit mourir Aridée. Mais la vengeance
divine poursuivit Philippe jusques dans la
postérité de Cassander, en ôtant de ce monde
deux fils que Cassander avait eus de Thessalonice fille de
Philippe.
Thessalonice et Aridée étaient nés de deux
Thessaliennes. Quant à Alexandre, tout le monde sait
quelle fut sa fin.
[8] Si Philippe dans toute sa conduite, avait eu devant les
yeux cette parole de la Pythie à Glaucus le Spartiate,
Qui craint Dieu, voit toujours prospérer sa famille,
il n'aurait pas attiré sur lui la colère du ciel
qui le punit par l'extinction de toute sa race et par la ruine
entière du royaume de Macédoine. On me pardonnera
bien cette petite digression.
VIII. [1] Après les ruines de Nestane on trouve un
temple de Cérès qui est fort
célèbre, et où les Mantinéens font
tous les ans la fête de la Déesse avec beaucoup de
solemnité. Au-dessous de Nestane ce sont les landes de
Moera, ainsi les nomme-t-on ; elles continuent l'espace de dix
stades, ensuite vous entrez dans une plaine, et à
quelques pas de là vous rencontrez sur le bord du grand
chemin la fontaine Arné.
[2] Les Arcadiens disent que Rhéa ayant accouché
de Neptune le cacha dans une bergerie pour être
élevé par des bergers dont les moutons paissaient
là auprès, et qu'alors cette fontaine fut
appellée Arné du mot grec arnes, qui
signifie des moutons. Rhéa fit accroire ensuite à
Saturne qu'elle avait accouché d'un poulain, et le lui
donna à dévorer ; comme depuis à la
naissance de Jupiter elle supposa une pierre qu'elle
présenta à Saturne, enveloppée de
langes.
[3] Au commencement de cet ouvrage, lorsque j'avois à
rapporter de ces sortes de fables inventées par les
Grecs, je les trouvais ridicules et pitoyables ; mais à
présent j'en juge autrement. Je crois que les sages de la
Grèce nous ont caché d'importantes
vérités sous des énigmes, et que ce que
l'on dit de Saturne est de cette nature. Quoi qu'il en soit,
pour ce qui regarde les dieux, il faut s'en tenir à ce
qui est établi, et en parler comme le commun des hommes
en parle.
[4] De la fontaine Arné à Mantinée il n'y
a guère que deux stades. Il est certain que
Mantinéüs fils de Lycaon bâtit ailleurs une
ville, que les Arcadiens appellent encore de son nom. Dans la
suite Antinoé en vertu d'un certain oracle
transféra les habitants de cette ville en celle dont il
s'agit présentement. On dit qu'un serpent lui montra le
chemin qu'elle devait tenir, mais on ne dit pas quelle
espèce de serpent c'était ; on ajoute seulement
que le fleuve qui traverse la ville fut nommé de
là Ophis, car Ophis en grec veut dire un
serpent.
[5] Que s'il est permis de tirer quelque conjecture des vers
d'Homère, je croirois que ce serpent était un
dragon. En effet lorsque dans le dénombrement des
vaisseaux ce poète dit que les Grecs laissèrent
Philoctète à Lemnos, souffrant des douleurs
mortelles de la piquure d'un serpent, il se sert non du mot
Ophis, mais de celui d'hydros, une hydre ; et au
contraire, quand il dit qu'un aigle qui tenait un dragon dans
ses serres le laissa tomber au milieu des Troyens, il emploie le
mot Ophis : c'est pourquoi on peut croire que le serpent
qui servit de guide à Antonoé était un
dragon.
[6] Les Mantinéens, pour venir à leurs exploits,
ne furent que spectateurs du combat que les autres Arcadiens
livrèrent aux Lacédémoniens près de
Dipée ; mais dans la guerre du Péloponnèse
ils se liguèrent avec les Eléens en faveur
d'Athènes contre Sparte, et soutenus pat les
Athéniens ils osèrent combattre les
Lacédémoniens en bataille rangée. Ensuite
suivant toujours l'inclination qu'ils avaient pour
Athènes ils firent voile sous ses enseignes en
Sicile.
[7] Quelques années après les
Lacédémoniens sous la conduite d'Agésipolis
fils de Pausanias firent des courses jusqu'aux portes de
Mantinée, taillèrent en pièces tout ce qui
s'opposa à eux, et prirent enfin la ville non pourtant
par force, mais par adresse. Car ils détournèrent
le fleuve Ophis, et lui firent prendre son cours le long des
murs, qui bâtis de brique crue bientôt se
délayèrent et ne furent d'aucune
résistance.
[8] En effet cette sorte de brique soutient mieux l'effort des
machines de guerre que les pierres les plus dures, qui rudement
frappées ou s'éclatent, ou se détachent et
se désunissent ; mais à l'eau elle s'amollit et
fond comme la cire au soleil. Agésipolis n'eut pas la
gloire de l'invention dans cette entreprise ; il ne fit que ce
que Cimon fils de Miltiade avait fait avant lui au siège
d'Eïon sur le Strymon contre Bogès qui
défendait la place pour le roi de Perse.
[9] Agésipolis qui pouvait avoir ouï parler de ce
stratagème si vanté à Pellène, en
profita fort à propos. Lorsqu'il eut pris Mantinée
il en rasa une bonne partie, et ne laissa sur pied que quelques
maisons pour un petit nombre d'habitants qui y restèrent,
les autres furent dispersés dans plusieurs
villages.
[10] Mais après la bataille de Leuctres ils furent
rétablis dans leur ville par les Thébains ;
bienfait dont ils ne se montrèrent pas fort
reconnaissants ; car peu après ils traitèrent avec
Sparte à l'insu des autres Arcadiens, et craignant les
Thébains qui avaient découvert leur dessein, ils
se rangèrent hautement du parti des
Lacédémoniens. Du moins est-il certain qu'au
combat de Mantinée ils combattirent sous les ordres des
Lacédémoniens contre Epaminondas et contre les
Thébains.
[11] Mais ensuite s'étant brouillés avec eux ils
quittèrent leur alliance pour entrer dans la ligue
d'Achaïe. Alors ils prirent les armes contre Agis fils
d'Eudamidas roi de Sparte et le chassèrent de leur pays ;
après quoi s'étant joints aux Achéens
commandés par Aratus ils remportèrent une seconde
victoire. Ils secondèrent encore les Achéens dans
leur expédition contre Cléomène, et
contribuèrent beaucoup à abattre la puissance des
Lacédémoniens. Enfin parce qu'Antigonus, tuteur de
ce jeune Philippe qui fut père de Persée,
s'était durant sa tutèle montré fort
affectionné aux Achéens, les Mantinéens lui
rendirent toute sorte d'honneurs, jusqu'à changer le nom
de leur ville en celui d'Antigonée.
[12] Dans la suite à la bataille d'Actium qui se donna
près du cap d'Apollon ils combattirent pour Auguste,
tandis que les autres Arcadiens suivaient le parti d'Antoine,
par aversion comme je crois pour les Lacédémoniens
qui avaient embrassé celui d'Auguste. Enfin après
dix générations, Hadrien parvenu à l'empire
fit reprendre à la ville de Mantinée son ancien
nom, ne trouvant pas bon qu'elle en portât un qui sentait
un peu trop son amour pour les Macédoniens.
IX. [1] Le principal temple de la ville est double ou pour
mieux dire, c'en sont deux qui ne sont séparés que
par un mur. Dans l'un il y a une statue d'Esculape, et c'est un
ouvrage d'Alcamène, l'autre est consacré à
Latone et à ses enfants ; leurs statues ont
été faites par Praxitèle trois
générations après Alcmène. Sur le
piédestal de ces statues le sculpteur a
représenté d'un côté une Muse, de
l'autre Marsyas qui joue de la flûte. Dans ce temple on
voit une colonne contre laquelle est adossée une statue
de Polybe fils de Lycortas ; je parlerai de lui ailleurs.
[2] Les Mantinéens ont plusieurs autres temples ; ils en
ont un de Jupiter Sauveur, un autre de Jupiter Epidote, comme
qui dirait, de la divinité dont les hommes tiennent tous
leurs biens ; un autre de Castor et de Pollux, un autre de
Cérès et de Proserpine. Dans ce dernier ils
conservent du feu toujours allumé, et ont grand soin
qu'il ne s'éteigne pas. J'ai vu aussi un temple de Junon
près du théâtre.
[3] La Déesse est assise sur un trône, ayant
à ses côtés sa fille Hébé et
Minerve : ce morceau de sculpture est de Praxitèle. Le
tombeau d'Arcas fils de Callisto est tout auprès de
l'autel de Junon ; car c'est-là que ses os ont
été apportés de Ménale en
conséquence d'un oracle rendu à Delphes, et
conçu en ces termes : [4]
Ménale fut toujours le séjour des frimas
; Ménale cependant possède votre Artas. Peuples qui lui devez un nom si plein de gloire, Hâtez-vous à l'envi d'honorer sa mémoire. Qu'incessamment ses os par vos soins rapportés, Soient au milieu de vous désormais respectés ; Et que ce héros, mis au rang des immortels, Obtienne enfin chez vous un temple et des autels. |
Les Mantinéens déposèrent les cendres
d'Arcas dans un lieu qu'ils nomment les autels du
Soleil.
[5] Aux environs du théâtre il y a plusieurs
monuments dignes de curiosité, entre autres une
espèce de rotonde où ils gardent le feu
sacré, ou commun, ainsi qu'ils l'appellent. On croit que
là repose Autonoé fille de Céphée.
Près de sa tombe on voit une colonne sur laquelle est une
statue équestre de Grillus fils de Xénophon.
[6] Derrière le théâtre sont les ruines
d'un temple de Vénus dite de bon secours, avec
quelques statues qui sont restées. Sur un
piédestal vous voyez une inscription qui porte que ces
statues avaient été consacrées par Nicippe
fille de Paséas. Les Mantinéens bâtirent ce
temple à Vénus pour apprendre à la
postérité qu'au combat naval d'Actium ils avaient
combattu sur la flotte des Romains. Ils ont aussi
dédié un temple et une statue à Minerve
Aléa.
[7] Antinoüs est encore une de leurs divinités,
mais son temple est le plus récent de tous, et c'est pour
faire leur cour à Hadrien qu'ils l'ont bâti. Pour
moi je n'ai jamais vu Antinoüs, mais j'ai vu de ses
portraits et de ses statues. Mantinée n'est pas le seul
endroit où il ait les honneurs divins ; les Egyptiens ont
sur le Nil une ville qui porte même son nom. Que si l'on
veut savoir pourquoi il est particulièrement
honoré à Mantinée, en voici la raison.
Antinoüs était de Bithynium qui est au-dessus du
fleuve Sangar. Or les habitants de Bithynium sont Arcadiens et
même Mantinéens d'origine.
[8] Voilà pourquoi l'empereur Hadrien a voulu
qu'Antinoüs eut à Mantinée un temple et des
sacrifices, et qu'on y instituât même en son honneur
des jeux qui se célèbrent tous les cinq ans. Dans
le lieu d'exercice il y a une maison où l'on conserve des
statues d'Antinoüs ; cette maison est à voir pour la
beauté du marbre dont elle est ornée et pour ses
peintures. Antinoüs y est peint en plusieurs endroits sous
la forme de Bacchus, et l'on y voit aussi ce combat de la
cavalerie athénienne, dont il y a un si beau tableau dans
le Céramique à Athènes.
[9] Dans la place publique vous verrez une statue de femme en
bronze, qui, à ce que disent les habitants,
représente Déomenée fille d'Arcas. Vous y
verrez aussi le monument héroïque de Podarès,
qui fut tué, disent-ils, en combattant contre Epaminondas
et contre les Thébains. Quelque soixante et dix ans avant
moi ils transportèrent au jeune Podarès petit-fils
de celui-ci l'inscription qui était sur le tombeau de son
aïeul. Le jeune Podarès a pu voir encore les Romains
en république.
[10] Mais de mon temps c'était l'ancien Podarès
qui était honoré des Mantinéens. Et en
effet ils publient qu'entre tous ceux qui payèrent de
leur personne au combat de Mantinée, citoyens ou
alliés, celui qui se distingua le plus fut Gryllus fils
de Xénophon ; après lui Céphisodore de
Marathon qui commandait la cavalerie des Athéniens, et en
troisième lieu Podarès, celui-là même
dont je parle.
X. [1] La ville est percée de telle sorte que de tous
côtés il y a des chemins qui mènent dans le
reste de l'Arcadie ; je n'oublierai rien de ce qui se trouve de
remarquable sur chaque route. En allant à
Tégée, sur le grand chemin à gauche, et
près, des murs de Mantinée, vous voyez une plaine
qui sert de lice pour les courses des chevaux, et un peu
au-delà un stade où l'on court à pied dans
les jeux institués en l'honneur d'Antinoüs.
Au-dessus de ce stade est le mont Alésium, ainsi
appelié, dit-on, à cause de la vie errante de
Rhéa. Le sommet de la montagne est couvert d'un bois
consacré à Cérès.
[2] Au bas est le temple de Neptune Hippius, il n'est
éloigné de Mantinée que d'un stade. Je ne
sais rien de ce temple que par ouï dire, et ceux qui en ont
parlé n'en savaient pas plus que moi ; car nul homme n'y
peut entrer. A l'égard du temple moderne que l'on voit
aujourd'hui, c'est Hadrien qui l'a fait bâtir, avec la
précaution de commettre des surveillants pour
empêcher que les ouvriers ne regardassent dans l'ancien
temple, ni n'en enlevassent aucune démolition, et il a
voulu que l'ancien temple fût renfermé dans le
nouveau. Quant à l'ancien, on dit qu'il fut bâti
par Agamede et par Trophonius, et qu'eux-mêmes
posèrent la charpente qui est de bois de
chêne.
[3] Pour en défendre l'entrée aux hommes ils
n'employèrent ni barrière, ni verrou ; ils
tendirent seulement un cordon de laine devant la porte, soit
qu'alors la religion ayant plus d'empire sur l'esprit des
hommes, cela fût suffisant pour leur imprimer de la
crainte et du respect, soit que ce cordon eût quelque
vertu secrète. Quoi qu'il en soit, on raconte qu'Epytus
fils d'Hippotoüs sans passer par-dessus, ni par-dessous le
cordon, mais après l'avoir coupé, entra dans le
temple, au mépris de la religion qui en faisait un crime
; mais qu'aussitôt il fut aveuglé par une source
d'eau qui lui jaillit au visage, et que peu après il
mourut.
[4] C'est une vieille tradition à Mantinée, que
la mer passe sous ce temple. On en dit autant du temple qui est
dans la citadelle d'Athènes, et à Mylasse ville de
Carie du temple de ce dieu qui dans la langue du pays se nomme
Ogoa. Mais Athènes n'est qu'à vingt stades de
Phalère et par conséquent de la mer ; au lieu que
du port des Mylasséens à Mylasse on compte
quatre-vingt stades. Pour la ville de Mantinée, elle est
si avant dans les terres, que la mer ne peut venir dans le
temple de Neptune que par un miracle.
[5] Après ce temple vous trouvez un trophée de
marbre, monument de la victoire remportée sur les
Lacédémoniens et sur Agis. Voici quelle fut la
disposition de l'une et de l'autre armée. Les
Mantinéens, tous gens choisis, avaient l'aile droite,
commandés par Podarès le petit-fils de celui qui
se signala contre les Thébains. Ils avaient avec eux le
devin Thrasybule Eléen fils d'Enéüs de la
race des Iamides ; ce devin leur prédit la victoire, et
lui-même y contribua beaucoup par sa valeur.
[6] Tous les autres Arcadiens composaient l'aile gauche ; car
chaque ville avait fourni un certain nombre de troupes avec
leurs chefs. Les Mégalopolitains entre autres
étaient menés par Lydiade et par Léocyde.
Aratus à la tête des Sicyoniens et des
Achéens commandait le corps de bataille. Les
Lacédémoniens de leur côté
étendirent leur phalange afin de faire front de toutes
parts. Agis se mit au centre, couvert de ce qu'il y avait de
plus brave et de plus déterminé dans ses
troupes.
[7] Dès le commencement du combat Aratus, suivant qu'il
en était convenu avec les Arcadiens, fit semblant de
lâcher pied, comme ne pouvant soutenir la première
furie de l'ennemi. Par cette feinte le corps de bataille forma
une espèce de demi-lune ; Agis croyant avoir
déjà la victoire poursuit Aratus ; les
Lacédémoniens, ceux même de l'aile droite,
et ceux de l'aile gauche, tous suivent leur
général,
[8] et tous se trouvent enveloppés par les Arcadiens qui
en firent un très grand carnage. Agis fils d'Eudamidas
périt en cette occasion. Les Mantinéens disent que
Neptune lui-même combattit pour eux, et par cette raison
le trophée qu'ils érigèrent lui fut
consacré.
[9] Que les dieux assistent en personne aux guerres et aux
combats des hommes, ce n'est pas chose nouvelle pour quiconque a
lu l'Iliade d'Homère et les aventures de ses
héros. Les Athéniens publient aussi qu'aux combats
de Marathon et de Salamine les dieux prirent les armes en leur
faveur, et il passe pour constant que l'armée des Gaulois
fut défaite à Delphes par Apollon, et plus
visiblement encore par les génies tutélaires de
cette ville. Il ne serait donc pas étonnant que les
Mantinéens fussent redevables de leur victoire à
la présence et au secours de Neptune.
[10] Ce Léocyde qui fut chef des Mégalopolitains
avec Lydiade mérite que j'en dise un mot. J'ai ouï
dire aux Arcadiens qu'il était le neuvième
descendant de cet Arcésilas, qui dans le temps qu'il
demeurait à Lycosure, vit un vieux cerf consacré
à cette Déesse qu'ils nomment la
Maîtresse ; ce cerf portait un collier, et sur ce
colier cette inscription :
Jeune faon je fus pris, quand pour aller à Troie
Agapénor partait, plein d'ardeur et de joie.
Ce qui prouve que les cerfs vivent plus longtemps que les
éléphants.
XI. [1] Le temple de Neptune n'est pas loin d'un bois fort
épais, qu'ils nomment Pelagus. A travers les chênes
dont il est planté on a fait un chemin qui conduit
à Tégée, et dans le chemin même il y
a un autel de figure ronde qui sépare le territoire de
Mantinée de celui de Tégée. Si vous aimez
mieux prendre le chemin qui est sur la gauche du temple, vous
n'aurez pas fait cinq stades que vous trouverez la
sépulture des filles de Pélias. Car les
Mantinéens assurent qu'après l'insigne
mechanceté de Médée, qui fut si fatale
à leur père, elles se transplantèrent en ce
lieu, pour éviter les reproches qu'elles avaient
mérités.
[2] En effet Médée ne fut pas plutôt venue
à Iolchos qu'elle machina la perte de Pélias, afin
de mettre sur le trône Jason qu'elle faisait semblant de
haïr, mais qu'elle aimait au fond de son coeur. Pour y
réussir, elle persuade aux filles de Pélias que si
l'on veut la laisser faire, elle rajeunira leur père qui
était d'un âge fort avancé ; et en leur
présence elle prend un vieux bélier, le coupe en
morceaux, le jette dans une chaudière, et après y
avoir mêlé je ne sais quelles herbes, le retire et
le fait voir transformé en un jeune agneau.
[3] Elle entreprend donc de faire la même
expérience sur la personne du Roi, elle le
dissèque de même et le jette dans une
chaudière d'eau bouillante ; mais la perfide l'y laissa
jusqu'à ce que le feu l'eût entièrement
consumé, de sorte que ses filles ne purent pas même
lui donner la sépulture. Voilà ce qui fit prendre
à ces malheureuses princesses le parti de venir en
Arcadie où elles finirent leurs jours, et elles y furent
inhumées, comme je l'ai dit. Aucun poète, au moins
de ceux que j'ai lus, ne nous a appris leurs noms ; mais par
leurs portraits que j'ai vus de la main de Micon, je sais que
l'une s'appellait Astéropée, et l'autre
Antinoé.
[4] A vingt stades de ces tombeaux vous verrez une petite
éminence entourée d'une balustrade, c'est la
sépulture des Phoésus ; ce lieu n'a point d'autre
nom. Là le chemin se retrécit ; on vous montrera
aux environs le tombeau d'Arétus surnommé
Corynète à cause de la massue qu'il portait.
[5] Revenons à Mantinée, et prenons le chemin qui
va à Pallantium. Quand vous aurez fait trente stades vous
trouverez près du grand chemin ce bois qu'il leur a plu
d'appeller le Pélagus. Ce fut là qu'il y
eut un combat de cavalerie entre les Athéniens et les
Mantinéens d'une part, et les Béotiens de l'autre.
Epaminondas fut tué dans ce combat, les Mantinéens
en attribuent l'honneur à un de leurs citoyens qu'ils
nomment Machérion ; les Lacédémoniens
disent que ce Machérion était de Sparte.
[6] Mais les Athéniens assurent que ce fut Gryllus le
brave fils de Xénophon, qui porta ce coup mortel à
Epaminondas, et les Thébains en conviennent. Aussi
Gryllus en a-t-il toute la gloire dans ce beau tableau qui
représente le combat de Mantinée, et qui se voit
au Céramique d'Athènes. Les Mantinéens
eux-mêmes semblent y avoir souscrit par la pompe
funèbre qu'ils lui ordonnèrent aux dépens
du public ; et par le monument qu'ils lui
érigèrent dans le lieu même où il
tomba, monument qui atteste encore que ce fut Gryllus qui se
distingua le plus à cette fameuse journée. Pour
Machérion, les Lacédémoniens et les
Mantinéens ont beau en parler, il n'est point connu ; et
je sais bien assuré
[7] que jamais homme de ce nom n'a reçu aucune marque
d'honneur, ni chez les uns, ni chez les autres. Epaminondas
retiré de la mêlée ferma sa plaie comme il
put ; ensuite il observa l'événement du combat, il
le regardait d'un lieu que l'on a depuis nommé
l'observatoire ; quand il vit la victoire disputée et
l'avantage égal de part et d'autre, il débanda sa
plaie et rendit l'âme avec son sang. Ce grand homme fut
inhumé sur le champ de bataille.
[8] On lui dressa une colonne à laquelle on attacha son
bouclier où un serpent était gravé, pour
marquer qu'il était de la race de ces hommes sortis des
dents de serpent dont la terre avait été
semée. Aujourd'hui il y a deux colonnes sur son tombeau,
l'une ancienne avec une inscription béotique, l'autre
moderne que l'empereur Hadrien a fait ériger avec une
nouvelle inscription.
[9] Je crois que l'on peut mettre Epaminondas en
parallèle avec tout ce que les Grecs ont eu de plus
grands capitaines. Car les plus illustres généraux
soit d'Athènes, soit de Lacédémone ont eu
cet avantage de trouver leur ville en possession de donner la
loi aux autres, et ont commandé des troupes à qui
cette supériorité enflait le courage. Mais
Epaminondas se mit à la tête des Thébains
lorsqu'ils étaient le plus découragés et
presque subjugués ; cependant en très peu de temps
non seulement il les tira de cet état d'humiliation, mais
il les rendit supérieurs aux autres.
[10] Depuis longtemps l'oracle de Delphes l'avait averti de se
défier de ce que les Grecs appellent le
pélagos, et pour profiter de cet avis il
évitait soigneusement de monter ni galère, ni
bâtiment de transport ; mais le Dieu voulait dire ce bois
que les Mantinéens nommaient le pélagos.
Cette conformité de nom avait déjà
trompé les Athéniens, et depuis trompa encore
Annibal.
[11] L'oracle d'Ammon avait prédit à ce
général carthaginois qu'après sa mort il
serait enterré dans la terre de Libye. Sur la foi de cet
oracle Annibal comptait qu'après avoir défait les
Romains il reverrait sa patrie et y finirait ses jours. Mais les
affaires ayant changé de face, Flaminius qui voulait le
prendre vif obligea Prusias à le chasser de ses
états où il s'était réfugié.
Annibal en montant à cheval se blessa le doigt avec son
épée qui était à demi sortie du
fourreau. Il n'eut pas fait quelques stades que l'inflammation
lui causa la fièvre ; au bout de trois jours il mourut et
fut enterré dans un village que les Nicomédiens
nommaient Libye.
[12] Quant aux Athéniens, l'oracle de Dodone leur
conseilla d'aller s'établir en Sicile ; mais cette Sicile
était une petite colline peu distante d'Athènes.
Eux, prenant l'oncle dans un autre sens, portèrent la
guerre fort loin de leur pays et jusqu'à Syracuse. On
pourrait trouver bien d'autres exemples de semblables
méprises.
XII. [1] Un stade au-delà du tombeau d'Epaminondas vous
verrez le temple de Jupiter surnommé Charmon. Dans
les bois d'Arcadie il y a des chênes de plusieurs
espèces, les uns ont la feuille fort large, d'où
ils prennent leur dénomination ; les autres sont des
hêtres ; d'autres ont l'écorce si poreuse et si
légère que dans l'eau elle surnage, et qu'elle
peut servir de marque aux mariniers et aux pêcheurs, pour
reconnaître l'endroit où ils ont jeté soit
l'ancre, soit leurs filets. C'est pourquoi les poètes
d'Ionie, et entre autres Hermésianax qui a fait des
élégies pour exprimer cette écorce,
emploient un mot qui signifie du liège.
[2] Méthydrium autrefois une ville n'est plus qu'un
village appartenant aux Mégalopolitains ; si vous y
voulez aller, il y a un chemin qui y mène de
Mantinée. Quand vous aurez fait environ trente stades,
vous entrerez dans la plaine d'Alcmédon. Au-delà
est le mont Ostracine où l'on vous montrera la grotte qui
servait de demeure à Alcimédon; c'était un
de ces hommes a qui l'on a donné le nom de
héros.
[3] Si l'on en croit les Phigaliens, Hercule devint amoureux de
sa fille nommée Phillo, et en eut un fils.
Alcimédon incontinent après les couches de sa
fille fit exposer la mère et l'enfant sur la montagne.
Une pie à force d'entendre crier l'enfant apprit à
le contrefaire.
[4] Si bien qu'un jour Hercule passant par là et
entendant la voix de la pie crut entendre les cris d'un enfant ;
il se détourna, vit la mère et son fils, les
reconnut et les délivra du danger où ils
étaient. L'enfant eut nom Ecmagoras ; et une fontaine
voisine fut nommée la fontaine de Cissa ou de la
pie. Quarante stades plus loin vous trouvez un lieu
qu'ils appellent Petrosaca, et qui sert de limites entre les
Mantinéens et les Mégalopolitains.
[5] Outre les deux routes dont j'ai parlé, il y en a
deux autres qui vont à Orchomène. Sur l'une des
deux est le stade de Ladas, ainsi nommé parce que Ladas
avait coutume de s'y exercer à la course. Près de
là on voit un temple de Diane, et sur le chemin à
droite une petite hauteur que l'on dit être le tombeau de
Pénélope. Car la tradition des Arcadiens sur
Pénélope ne s'accorde pas avec les poètes
de la Thesprotie.
[6] Ceux-ci disent que Pénélope après le
retour d'Ulysse lui donna une fille qui eut nom Ptoliporthe ;
mais les Mantinéens prétendent qu'accusée
par son mari d'avoir mis elle-même le désordre dans
sa maison, elle en fut chassée ; qu'elle se retira
premièrement à Sparte, et qu'ensuite elle vint
à Mantinée, où elle finit ses jours.
[7] La sépulture de Pénélope touche
à une plaine de peu d'étendue bornée par
une montagne où l'on voit les ruines de l'ancienne
Mantinée, qui conserve encore le nom de Ptolis ; et en
avançant quelques pas vers le nord on rencontre la
fontaine d'Alalcoménie. A trente stades de la ville ce
sont les ruines du village de Méra, je ne sais pourtant
s'il est bien vrai que Méra ait eu sa sépulture en
ce lieu ; car les Tégéates, qui prétendent
avoir chez eux le tombeau de cette fille d'Atlas, me paraissent
mieux fondés. Mais peut-être a-t-elle eu une fille
de même nom, qui est venue s'établir chez les
Mantinéens.
[8] J'ai dit qu'il y avait une autre route qui menait à
Orchomène. En suivant celle-là on trouve le mont
Anchisius, au bas duquel est le tombeau d'Anchise ; car
Enée faisant voile en Sicile prit terre en un endroit de
la Laconie, et s'y arrêta assez pour fonder les villes
d'Aphrodisias et d'Oeétis. Pendant ce temps-là son
père Anchise qui était allé en Arcadie je
ne sais pour quel dessein, mourut et y fut enterré. C'est
pourquoi ce lieu fut nommé le mont Anchise.
[9] Et ce qui semble confirmer cette tradition, c'est que les
Eoliens qui occupent à présent l'ancienne Troie
n'ont trouvé nulle part le tombeau d'Anchise. Près
de la montagne on voit encore les restes d'un temple qui avait
été dédié à Vénus.
C'est cette même montagne qui sépare les
Mantinéens des Orchoméniens.
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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.