[La Béotie orientale et septentrionale]
Tardieu, 1821
XVIII. [1] En sortant de Thèbes par la porte Proetide,
on va droit à Chalcis. Sur le chemin on trouve le tombeau
de Mélanippus, un des plus grands capitaines que les
Thébains aient jamais eu. Lorsque les Argiens
assiégeaient Thèbes, il tua de sa main
Tydée et Mécistée, un des frères
d'Adraste ; mais il fut tué lui-même par
Amphiaraüs.
[2] Près de ce tombeau vous voyez trois grosses pierres
; ceux qui croient connaître les antiquités du pays
disent que c'est le lieu de la sépulture de Tydée
qui fut inhumé là par Méon, et ils se
fondent sur un vers de l'Iliade d'Homère, qui dit
que ce guerrier
Trouva sa sépulture aux campagnes thébaines.
[3] Les tombeaux des fils d'Oedipe sont sur la même ligne.
Je n'ai pas assisté aux sacrifices qui s'y font ; mais
des gens dignes de foi m'ont dit deux choses, l'une que les
Thébains sacrifient à plusieurs autres
héros, mais particulièrement à ceux-ci ;
l'autre, que dans le temps qu'ils font rôtir les victimes
immolées à ces frères
irréconciliables, la flamme et la fumée se
séparent visiblement en deux. Si quelque chose peut
rendre ce fait croyable, c'est ce que j'ai vu moi-même
ailleurs.
[4] Dans cette partie de la Mysie qui est au-dessus de
Caïque, il y a une petite ville nommée Pionie, du
nom de Pionis son fondateur qui était, dit-on, un des
descendants d'Hercule. Lorsque les habitants vont sacrifier sur
le tombeau de ce Pionis, il en sort une fumée assez
épaisse, et je l'ai vu de mes propres yeux. Les
Thébains vous montreront aussi le tombeau de
Tirésias qui est à quinze stades ou environ de la
sépulture des fils d'Oedipe. Cependant, comme ils
conviennent eux-mêmes que Tirésias mourut à
Haliartie, ils ne regardent ce tombeau que comme un
cénotaphe.
[5] Enfin ils se vantent d'avoir aussi le tombeau d'Hector fils
de Priam, et ils le montrent près de cette fontaine que
l'on nomme la fontaine d'Oedipe. Car ils disent que les cendres
de ce fameux Troyen furent apportées à
Thèbes, en conséquence d'un certain oracle
conçu en ces termes : Peuples qui habitez la
célèbre ville de Cadmus, voulez-vous jouir d'un
bonheur durable ? Allez recueillir les cendres d'Hector, le
généreux fils de Priam, apportez-les d'Asie chez
vous, et qu'à l'avenir elles soient honorées comme
elles doivent l'être ; c'est la volonté de
Jupiter.
[6] La fontaine porte le nom d'Oedipe, parce que ce fut dans
ses eaux qu'il se purifia du meurtre de son père.
Près de cette fontaine on voit le tombeau d'Asphodicus ;
les Thébains disent que cet Asphodicus tua
Parthénopée fils de Talaüs, dans le combat
qui fut donné sous les murs de Thèbes contre les
Argiens. Mais ces vers de la Thébaïde,
où il est parlé de la mort de
Parthénopée, en donnent tout l'honneur à
Périclymène.
XIX. [1] Sur cette route on trouve le village de Teumesse,
où l'on dit que Jupiter tint Europe cachée. On
fait aussi un conte sur un renard de Teumesse, qui servait
d'instrument à la vengeance de Bacchus irrité
contre les Thébains. Ce renard, dit-on, allait être
pris par un chien que Diane avait donné à Procrys,
fille d'Erechthée, lorsque le chien et le renard furent
changés en pierres. A Teumesse on voit un temple de
Minerve Telchinia, où il n'y a aucune statue. On peut
croire que le surnom de Telchinia vient de ces Telchiniens qui
habitèrent autrefois l'île de Chypre, et dont
plusieurs passèrent dans la Béotie, où
apparemment ils bâtirent ce temple à Minerve.
[2] A sept stades de Teumesse, en tirant sur la gauche, on
trouve les ruines de Glisas ; et sur la droite on voit une
petite éminence couverte d'arbres sauvages et d'arbres
fruitiers. On tient que c'est la sépulture de ces Argiens
qui suivirent Egialée fils d'Adraste dans son
expédition contre Thèbes ; car plusieurs des chefs
y périrent, et entre autres Promachus fils de
Parthénopée. Quant à Egialée, en
parlant des curiosités de Mégare, j'ai
déjà dit qu'il y avait son tombeau à
Pages.
[3] Sur le chemin de Thèbes à Glisas, vous verrez
une enceinte fermée par une balustrade de pierres ; les
Thébains nomment ce lieu la tête du serpent,
parce qu'un gros serpent avait autrefois là son repaire,
et que Tirésias, dans le temps que ce reptile levait la
tête, la lui coupa avec son sabre. Au-dessus de Glisas
s'élève une montagne nommée le haut
lieu, parce que Jupiter le Très Haut y a un temple et
une statue. De là tombe un torrent qu'ils appellent le
Thermodon. Si vous revenez gagner le chemin de Chalcis vers
Teumesse, vous verrez le tombeau de Chalcodon, tué par
Amphitryon, dans le combat qui se donna entre les
Thébains et les Eubéens.
[4] On voit ensuite les ruines d'Harma et de Mycalèse.
La première de ces villes est ainsi nommée parce
que selon les Tanagréens ce fut là
qu'Amphiaraüs fut englouti avec son char, et non dans
l'endroit que disent les Thébains. Pour Mycalèse,
on convient qu'elle a pris son nom de ce que la vache qui
servait de guide à Cadmus et à ses troupes se mit
à beugler dans le lieu où la ville a
été bâtie. Ses malheurs sont décrits
dans mes mémoires sur l'Attique.
[5] Du côté de la mer il y a dans cette ville un
temple de Cérès Mycalésia. Les gens du pays
disent que toutes les nuits Hercule ferme et rouvre ce temple ;
mais, selon eux, c'est Hercule le Dactycle Idéen. Voici
un autre miracle qu'ils racontent. On apporte aux pieds de la
déesse toutes sortes de fruits qui se cueillent en
automne, et ces fruits se conservent toute l'année aussi
frais que s'ils venaient d'être cueillis.
[6] En tirant vers l'Euripe, du côté qu'il
sépare l'Eubée de la Béotie, à la
droite du temple de Cérès Mycalésia, si
vous avancez un peu vous entrerez dans l'Aulide, ainsi
appelée, à ce que l'on prétend, du nom
d'une fille d'Ogygus. On y voit un temple de Diane et deux
statues de marbre blanc dont l'une représente la
déesse un flambeau à la main, l'autre avec un arc
et des flèches. On dit que les Grecs, selon l'oracle de
Calchas, étant sur le point de sacrifier Iphigénie
sur l'autel de Diane, la déesse substitua elle-même
une biche en sa place. Les gens du lieu conservent encore dans
le temple une partie du tronc de ce platane dont Homère
fait mention dans l'Iliade.
[7] Une de leurs traditions est aussi que les Grecs furent
arrêtés longtemps en Aulide par les vents
contraires, et que tout à coup les vents étant
devenus favorables, chacun sacrifia aussitôt en action de
grâces la première victime qu'il put rencontrer,
soit mâle, soit femelle ; que de là est venue la
coutume qui s'observe encore dans le pays, d'immoler à
Diane toute sorte de victimes, sans distinction de sexe. On vous
montrera la fontaine sur le bord de laquelle était le
platane d'Homère, et l'on vous fera remarquer sur une
petite éminence un seuil de cuivre qui était
devant la tente d'Agamemnon.
[8] Autour du temple il y a des palmiers dont le fruit n'est
pas fort bon, non plus que ceux de la Palestine ; mais encore
est-il meilleur que les dattes qui viennent en Ionie. L'Aulide
n'a qu'un très petit nombre d'habitants qui pour la
plupart travaillent en poterie. Les terres sont cultivées
par les habitants des villes voisines, Tanagre, Mycalèse
et Harma.
XX. [1] Sur les confins des Tanagréens du
côté de la mer est la ville de Délium,
où pour toute curiosité vous voyez une statue de
Diane et une de Latone. Quant aux Tanagréens, ils
rapportent leur origine à Poemander fils de
Chérésilas, petit-fils d'Iasius et
arrière-petit-fils d'Eleuther, qui, si on les en croit,
était issu d'Apollon et d'Ethuse fille de Neptune.
Poemander épousa Tanagra, qu'ils disent fille d'Eole
contre l'opinion de Corinne qui dans ses vers l'a faite fille de
l'Asope.
[2] Ils ajoutent que Tanagra eut une vie si longue que ses
voisins ne la nommaient plus autrement que Gréa,
c'est-à-dire la vieille, nom qui passa à la ville
et qui est demeuré si longtemps qu'Homère ne lui
en donne point d'autre dans son dénombrement. Mais dans
la suite elle reprit son premier nom.
[3] A Tanagre on voit le tombeau d'Orion et le mont
Cérycius, où l'on dit que Mercure a pris
naissance. Le Poloson est encore un lieu remarquable ; c'est
là, dit-on, qu'Atlas avait coutume de se retirer pour
observer le ciel et pour s'enfoncer dans l'étude de la
nature ; ce qui a donné à Homère l'occasion
d'en parler d'une manière si magnifique.
[4] Dans le temple de Bacchus on voit une très belle
statue du dieu ; elle est de marbre de Paros et de la
façon de Calamis. Mais il y a un Triton qui est encore
plus admirable, et les Tanagréens donnent à cette
statue une origine qui mérite d'être
rapportée. Ils disent que les femmes les plus
considérables de Tanagre étaient initiées
aux mystères de Bacchus ; qu'un jour étant
descendues sur le rivage de la mer pour se purifier, comme elles
étaient dans l'eau, un Triton se jeta sur elles ; que
dans ce pressant danger elles adressèrent leurs voeux
à Bacchus, qui aussitôt vint à leur secours,
combattit le Triton et le tua.
[5] Cependant d'autres racontent le fait d'une autre
manière, qui le rend à la vérité
moins merveilleux mais plus probable. Selon eux un Triton
caché sous l'eau se jetait sur les bestiaux qui venaient
boire ou paître en ce lieu ; il attaquait même les
pêcheurs dans leurs barques. Les Tanagréens
s'avisèrent de mettre une cruche de vin sur le bord de la
mer ; le Triton attiré par l'odeur ne manqua pas de venir
boire ce vin, dont les fumées lui portant à la
tête l'endormirent, et en dormant, il se laissa tomber du
haut d'une falaise. Un Tanagréen qui se trouva là
par hasard l'ayant vu, lui coupa la tête avec sa hache ;
de là vient qu'il est représenté sans
tête, et parce que l'ivresse avait été cause
de sa mort, on imagina que c'était Bacchus qui l'avait
tué.
XXI. [1] Parmi les curiosités de la ville de Rome j'ai
vu aussi un Triton, mais plus petit que celui qui est à
Tanagre. Voici maintenant comment les Tritons sont faits quant
à la figure. Ils ont une espèce de chevelure d'un
vert d'ache de marais et tous leurs cheveux se tiennent, de
manière qu'on ne peut les séparer. Le reste du
corps est couvert d'une écaille aussi fine et aussi forte
que le chagrin. Ils ont des nageoires au-dessous des ouïes
et des narines d'hommes, l'ouverture de la bouche fort large,
avec des dents extrêmement fortes et serrées. Leurs
yeux, autant que je l'ai pu remarquer, sont verdâtres. Ils
ont aussi des mains, des doigts et des ongles qui ressemblent
à l'écaille supérieure d'une huître ;
enfin, vous leur voyez sous l'estomac et sous le ventre des
pattes comme aux dauphins.
[2] J'ai vu plusieurs autres animaux extraordinaires, comme des
taureaux d'Ethiopie, autrement appelés rhinocéros,
parce que sur chacune des narines ils ont une corne, et une
autre plus petite au-dessus, sans en avoir à la
tête ; des taureaux de Péonie, qui ont de grands
poils sur le corps, particulièrement sous la gorge et sur
l'estomac ; des chameaux des Indes qui sont de la même
couleur que les léopards ;
[3] enfin un animal qui naît dans le pays des Celtes, et
que l'on nomme Alcé ; c'est une espèce qui
semble tenir du cerf et du chameau. Cette bête est la
seule qui sache se dérober à la connaissance et
aux poursuites des chasseurs. Elle sent un homme de loin, et se
cache aussitôt dans son fort, qui est si profond et si
épais que l'on ne saurait y pénétrer. Aussi
ne la prend-on jamais que par hasard, et en chassant d'autres
bêtes. On investit tout un canton, soit plaine, soit
montagne, et on l'entoure de filets ; chaque chasseur garde
exactement son poste ; tous ensuite se rapprochent peu à
peu, en sorte que le cercle qui est d'abord fort grand devient
toujours plus petit, jusqu'à ce que toutes les
bêtes enfermées dans cette enceinte se trouvent
prises. Parmi ces bêtes, celle dont je parle se rencontre
quelquefois ; il n'y a que cette seule manière de la
pouvoir prendre.
[4] Ctésias dans son histoire des Indes parle d'une
bête appelée par les Indiens la mantichore, et par
les Grecs l'andropophage ; je crois pour moi que ce n'est autre
chose qu'un tigre. Suivant Ctésias, cet animal a trois
rangs de dents à chaque mâchoire ;
l'extrémité de sa queue est hérissée
de pointes, avec lesquelles il se défend contre ceux qui
l'approchent, et qu'il darde même au loin contre ceux qui
le poursuivent. Mais la peur que les Indiens ont de cet animal
pourrait bien avoir quelque part à la peinture qu'ils en
font.
[5] Car ils se trompent jusque dans la couleur qu'ils lui
attribuent ; ils le croient rouge, parce qu'au soleil il leur
paraît tel, ou parce que l'extrême agilité de
cet animal, qui pourtant ne court jamais, et le danger de
l'approcher ne leur permettent pas de discerner sa
véritable couleur. Si quelqu'un se donnait la peine
d'aller aux Indes, ou en Libye, ou en Arabie, pour y chercher
toutes les espèces d'animaux qui sont en Grèce, je
suis persuadé qu'il ne les y trouverait pas toutes, et
que parmi celles qu'il y trouverait, plusieurs lui
paraîtraient d'une forme différente.
[6] Car ce n'est pas seulement l'homme qui tire de la
diversité de l'air, ou du climat, ou de la terre des
qualités différentes ; la même chose arrive
aux autres animaux. En effet, nous savons qu'en Libye les
aspics, quant à la couleur, sont tout semblables aux
aspics d'Egypte, et que ceux d'Ethiopie sont noirs comme les
hommes qui naissent en cette contrée. C'est pourquoi
quand on entend parler de quelque merveilleuse production de la
nature, on ne doit ni croire légèrement ni aussi
se montrer incrédule. Je n'ai jamais vu de serpents
ailés ; cependant je ne puis douter qu'il ne s'en trouve,
depuis que je sais qu'un Phrygien apporta en Ionie un scorpion
qui avait des ailes comme une sauterelle.
XXII. [1] Près du temple de Bacchus à Tanagre, il
y a trois autres temples, l'un consacré à
Thémis, l'autre à Vénus, le
troisième à Apollon ; dans ce dernier Diane et
Latone ont aussi leurs statues. Mercure a deux temples dans
cette ville, l'un sous le nom de Criophorus ou
Porte-Bélier, l'autre sous celui de Promachus,
c'est-à-dire le défenseur. Le premier surnom vient
de ce que les Tanagréens étant affligés de
la peste, Mercure détourna d'eux ce fléau en
portant un bélier sur ses épaules autour des murs
de la ville ; c'est la raison pourquoi Calamis qui a fait sa
statue, l'a représentée de la sorte. Et en
mémoire de ce bienfait, tous les ans le jour de la
fête du dieu ils choisissent le plus beau jeune homme
d'entre eux pour faire la même
cérémonie.
[2] Le second surnom est fondé sur une autre marque de
protection que ce dieu leur a donnée, car ils racontent
que les Erétriens s'étant embarqués
à Eubée pour venir assiéger Tanagre,
Mercure à la tête des jeunes gens de la ville,
lui-même sous la forme d'un jeune homme et armé
d'une étrille, attaqua brusquement les ennemis, surtout
les Eubéens, et les mit en fuite. Dans le temple de
Mercure Promachus, on conserve encore les restes d'un arbre sous
lequel on prétend que ce dieu fut nourri. Non loin du
temple est le théâtre, et près du
théâtre un portique. Les Tanagréens m'ont
paru plus religieux que tous les autres peuples de la
Grèce, en ce qu'ils ont bâti leurs temples dans un
lieu séparé du commerce des hommes, où il
n'y a point de maison, et où l'on ne va que pour adorer
les dieux.
[3] Ils ont choisi l'endroit le plus apparent de la ville pour
y placer le tombeau de Corinne, le seule femme de Tanagre qui
ait fait des odes et des cantiques. Ils ont aussi mis son
portrait dans le lieu d'exercice ; elle est
représentée la tête ceinte d'un ruban pour
marque du prix de poésie qu'elle remporta à
Thèbes sur Pindare. Je crois que le prix ne lui fut
adjugé qu'à cause du dialecte dont elle
s'était servie ; car ses vers n'étaient pas en
langage dorien comme ceux de Pindare, mais en un langage que les
Eoliens pouvaient entendre plus aisément ; et d'ailleurs
c'était la plus belle femme de son temps, à en
juger par son portrait.
[4] J'ai vu à Tanagre des coqs de deux espèces,
les uns qui aiment à se battre comme les coqs ordinaires,
et les autres que l'on nomme des merles. Ces derniers sont de la
grosseur de ces oiseaux de Lydie ; ils ont la chair noire comme
le corbeau, la crête et les barbes de couleur
d'anémone, l'extrémité du bec et de la
queue marquetée de blanc. Voilà à peu
près comme ils sont faits.
[5] Dans cette partie de la Béotie qui est à la
gauche de l'Euripe, il y a le mont Messapius, et au bas,
Anthédon, ville maritime, qui a pris son nom ou de la
nymphe Anthédon, ou d'un certain Anthès qui
exerçait son empire sur toute cette côte, et que
l'on croit avoir été fils de Neptune et d'Alcyone
fille d'Atlas. On voit au milieu de la ville un temple des
Cabires, et près de là un bois sacré de
Cérès avec un temple de Proserpine, où la
déesse est en marbre blanc.
[6] Bacchus a aussi son temple et sa statue devant la porte de
la ville du côté de la terre ferme. Là vous
verrez le tombeau des enfants d'Aloéüs et
d'Iphimédée ; ils furent tués par Apollon
à Naxe, au-dessus de Paros, comme Homère et
Pindare le racontent ; mais leur sépulture est à
Anthédon. Du côté de la mer vous remarquerez
un endroit que l'on nomme le saut de Glaucus.
[7] On dit que ce Glaucus était un pêcheur et
qu'ayant mangé d'une certaine herbe, il fut changé
en un dieu marin. Plusieurs se persuadent qu'il prédit
encore l'avenir, et tous les ans on voit des étrangers
qui passent la mer pour le venir consulter ;
particularité que Pindare et Eschyle avaient apparemment
apprise des Anthédoniens ; car l'un en touche quelque
chose dans une de ses odes, et l'autre l'a fait servir de
fondement à une de ses pièces.
XXIII. [1] A Thèbes, près de la porte Proetide,
vous verrez un lieu d'exercice qui porte le nom d'Iolas, et
ensuite un stade qui comme à Olympie et à Epidaure
est une espèce de longue terrasse. Là on vous fera
aussi remarquer le monument héroïque d'Iolas. Les
Thébains même conviennent qu'Iolas périt en
Sardaigne, avec les Athéniens et les Thespiens, qui
s'étaient embarqués sous ses ordres.
[2] Quand vous avez monté la terrasse qui sert de stade,
vous trouverez à votre droite une lice pour les courses
de chevaux, au milieu de laquelle est le tombeau de Pindare. On
raconte de ce poète qu'étant encore dans la
première jeunesse, un jour d'été qu'il
allait à Thespies, il se trouva si fatigué de la
chaleur qu'il se coucha à terre près du grand
chemin, et s'endormit. On ajoute que durant son sommeil des
abeilles vinrent se reposer sur ses lèvres, et y
laissèrent un rayon de miel ; ce qui fut comme un augure
de ce que l'on devait un jour attendre de lui.
[3] Son nom devint bientôt célèbre dans
toute la Grèce ; mais ce qui mit le comble à sa
gloire, ce fut la fameuse déclaration de la Pythie, qui
enjoignait aux habitants de Delphes de donner à Pindare
la moitié de toutes les prémices que l'on
offrirait à Apollon. On dit que sur la fin de ses jours
le poète eut une vision en songe. Proserpine s'apparut
à lui, se plaignant d'être la seule divinité
qu'il n'eût pas célébrée dans ses
vers ; mais, ajouta-t-elle, j'aurai mon tour ; quand je vous
tiendrai, il faudra bien que vous fassiez aussi un cantique en
mon honneur.
[4] Pindare ne vécut pas dix jours après ce
songe. Il y avait à Thèbes une femme
vénérable, parente du poète, et qui
chantait fort bien ses odes. Une nuit qu'elle dormait, elle vit
en songe Pindare qui lui chanta un cantique qu'il avait fait
pour Proserpine ; cette femme à son réveil se
rappela le cantique et le mit par écrit. Le poète
y donnait plusieurs surnoms à Pluton, mais entre autres
celui de Chrysénius, qui sans doute doit
s'entendre de l'enlèvement de Proserpine.
Tardieu, 1821
[5] De là on va à Acrephnie par des plaines qui
règnent sur une bonne partie du chemin. C'est une petite
ville bâtie sur le mont Ptoüs ; on dit qu'elle
était autrefois du ressort de Thèbes ; ce qui est
de sûr, c'est que plusieurs Thébains s'y
retirèrent lorsque Thèbes fut détruite par
Alexandre ; car ceux qui ne se sentirent pas assez de force pour
suivre les autres jusqu'en Attique prirent le parti de
s'établir là. Il y a dans cette ville un temple et
une statue de Bacchus qui méritent d'être
vus.
[6] Quinze stades au-delà vous trouvez le temple
d'Apollon surnommé Ptoüs, parce que Ptoüs fils
d'Athamas et de Thémiste donna son nom et au temple et
à la montagne, comme Asius le dit dans ses
poésies. Avant l'expédition d'Alexandre contre les
Thébains et la ruine de Thèbes, le dieu rendait en
ce temple des oracles qui ne trompaient jamais. On dit qu'un
Européen nommé Mys étant venu de la part de
Mardonius pour consulter Apollon, il lui proposa ses questions
dans la langue de son pays, et que le dieu répondit en
langue barbare.
[7] Quand vous aurez passé le mont Ptoüs, vous
verrez sur le bord de la mer Larymna ville de Béotie. On
croit que cette ville a pris son nom de Larymna fille de Cynus,
dont je donnerai la généalogie lorsque je parlerai
des Locriens. Cette ville était anciennement de la
dépendance d'Opunte ; mais les Thébains
étant parvenus à un haut degré de gloire et
de puissance, elle se soumit d'elle-même aux
Béotiens. On y voit un temple de Bacchus, où le
dieu est représenté debout. Près de la
ville est un lac qui a cela de particulier que ses rives
même sont d'une profondeur extraordinaire ; et au-dessus
ce sont des montagnes couvertes de bois, où l'on trouve
quantité de sangliers.
XXIV. [1] Au sortir d'Acrephnie vous trouverez un chemin qui
vous mène droit au lac Céphise, autrement dit
Copaïs, et vous passez par une plaine que l'on nomme la
plaine d'Athamas, parce qu'Athamas y avait autrefois son
habitation. Le lac Céphise est ainsi appelé
à cause du fleuve Céphise qui s'y décharge
; ce fleuve vient de Lilée, ville de la Phocide ; en le
descendant vous allez jusqu'à Copes, petite ville
située sur le bord du lac qu'Homère n'a pas
oubliée dans son dénombrement.
Cérès, Bacchus et Sérapis y ont chacun un
temple.
[2] Les Béotiens assurent qu'il y avait autrefois deux
autres villes bâties sur ce lac, Athènes et
Eleusis, et que le lac, grossi par la fonte des neiges,
étant venu à déborder, ces villes furent
submergées. Ce lac n'est pas plus poissonneux qu'un
autre, mais on y trouve des anguilles d'une grosseur prodigieuse
et d'un goût excellent.
[3] Halmons est à douze stades de Copes sur la gauche,
et Hyette est à sept stades d'Halmons ; ce sont deux
villages tels qu'ils ont toujours été ; mais je
les crois du territoire des Orchoméniens, aussi bien que
la plaine d'Athamas. C'est pourquoi, dans l'article où je
me réserve à parler de ces peuples, je raconterai
ce que j'ai ouï dire d'un Argien, nommé Hyettus, et
d'un fils de Sisyphe, qui avait nom Halmon. Du reste, le village
d'Halmons ne mérite pas de nous arrêter plus
longtemps ; mais à Hyette il y a un temple d'Hercule
où les malades vont chercher leur guérison. La
statue du dieu n'est nullement travaillée ; c'est une
grosse pierre toute brute comme au vieux temps.
[4] D'Hyette à Cyrtons on compte vingt stades ; c'est
une petite ville qui se nommait autrefois Cyrtone ; elle est
bâtie sur une montagne fort haute, on y voit un temple
d'Apollon et un bois sacré ; Apollon et Diane y sont
représentés debout. Une source d'eau froide qui
sort d'une roche forme une fontaine, près de laquelle est
une chapelle consacrée aux nymphes, et un petit bois, ou,
pour mieux dire, un verger planté d'arbres
fruitiers.
[5] Passé Cyrtons, vous achevez de monter la montagne,
et vous trouvez une autre petite ville nommée
Corsées. Au bas et à demi-stade c'est un bois
sacré au milieu duquel on voit une petite statue de
Mercure exposée à l'air. Quand vous êtes
dans la plaine vous voyez le fleuve Platanius, qui bientôt
après va se jeter dans la mer. A la droite du fleuve vous
avez pour frontière de la Béotie, la petite ville
d'Hales, près d'un bras de la mer qui sépare la
Locride de l'Eubée.
Chapitre suivant
Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.