IX, 5 - La Thessalie
Carte Spruner (1865) |
1. La Thessalie comprend une première région maritime, à savoir toute la côte qui s'étend depuis les Thermopyles jusqu'à l'embouchure du
Pénée et à l'extrémité du Pélion en regardant le levant et la pointe septentrionale de l'Eubée. De cette région, la partie qui avoisine
l'Eubée et les Thermopyles est occupée par les Maliéens et les Phthiotes-Achéens, celle qui avoisine le Pélion l'est par les Magnètes. Tout
entière, elle forme ce que nous appellerons volontiers le côté oriental ou le littoral de la Thessalie. Si des deux extrémités de ce côté,
maintenant, et dans la direction de l'intérieur, on tire une double ligne, une ligne allant des dernières pentes du Pélion et de l'embouchure du Pénée le long
de la frontière de Macédoine jusqu'à la [Parorée] et à l'entrée de l'Epire, et une autre ligne partant des Thermopyles et suivant toute la chaîne
de l'Oeta et des monts d'Aetolie, laquelle est parallèle à la frontière de Macédoine, pour ne finir qu'à la Doride et au Parnasse, on obtiendra ainsi deux
nouveaux côtés : le premier, celui qui est contigu à la Macédoine, sera le côte septentrional de la Thessalie, le second, parallèle à
celui-là, en sera le côté méridional. Quant au dernier côté ou côté occidental, il est représenté par une ligne qui longe
l'Aetolie, l'Acarnanie, l'Amphilochie et la partie de l'Epire occupée par les Athamanes et les Molosses, ainsi que l'ancien territoire des Aethices, bref toute la région du Pinde.
[En général, le sol de la Thessalie est plat et peu accidenté] ; on y rencontre à vrai dire le Pélion et l'Ossa, mais ces montagnes, qui ne laissent pas que
d'atteindre à une grande hauteur, ne couvrent qu'une médiocre étendue de terrain et s'arrêtent brusquement à l'entrée des plaines.
2. Ces plaines occupent juste le centre de la Thessalie et constituent une fort riche contrée : par malheur, il y en a une partie qui se trouve exposée à de
fréquentes inondations. Le fleuve Pénée, en effet, qui coupe en deux la Thessalie et qui reçoit [dans son long parcours] un grand nombre d'affluents, est sujet
à déborder souvent. On dit même qu'anciennement toute cette plaine, enfermée de trois côtés par des montagnes et bordée d'autre part par le
littoral, dont le niveau est sensiblement plus élevé que le sien, formait un immense lac, mais qu'à la suite de violents tremblements de terre une brèche
s'était ouverte [à la hauteur de] Tempé, qui avait séparé l'Ossa de l'Olympe, et qui, livrant passage au Pénée, avait permis à ses eaux
de s'écouler vers la mer. La plaine s'en était trouvée naturellement asséchée, néanmoins il y est resté un fort grand lac, le Nessonis, et un
autre plus petit, et plus rapproché aussi de la côte, qui se nomme le Boebéis.
3. Dans les limites que nous venons de tracer, la Thessalie présentait anciennement quatre divisions principales : la Phthiotide, l'Hestiaeotide, la Thessaliotide et la
Pélasgiotide. A la Phthiotide correspond toute la partie méridionale et voisine de l'Oeta, s'étendant en longueur depuis le golfe Maliaque et la baie Pylaïque
jusqu'à la Dolopie et au Pinde, et en largeur jusqu'à Pharsale et aux plaines thessaliennes. Quant à l'Hestiaeotide, elle comprenait la portion occidentale [de la plaine]
et ce qui se trouve entre le Pinde et la Haute-Macédoine. Le reste de la plaine était partagé entre les Pélasgiotes qui habitaient au-dessous de l'Hestiaeotide, et
s'étendaient jusqu'aux confins de la Basse-Macédoine et les [Thessaliotes], dont les possessions continuaient la Pélasgiotide et se prolongeaient jusqu'à la
côte dite de Magnésie, complétant ainsi [la Thessalie propre]. - La Thessalie, elle aussi, pourra nous fournir une longue liste de noms illustres à divers titres,
illustres surtout par la mention qu'en a faite Homère ; mais de ses villes bien peu ont conservé leur antique éclat, et c'est encore Larisse qui est le moins
déchue.
4. Homère, lui, divise en dix parties, dix Etats, toute la contrée que nous appelons aujourd'hui Thessalie, mais sous ce nom il comprend une portion de la région
Etéenne et de la Locride, voire une portion de la Macédoine actuelle ; nouvelle preuve de ce fait général et qui s'est vérifié partout qu'une
même contrée change de frontières et varie dans ses divisions intérieures suivant le degré de puissance de ses différents maîtres.
5. C'est par l'énumération des peuples qui obéissaient à Achille qu'Homère commence son Catalogue ou dénombrement des forces thessaliennes. Ces
peuples occupaient le côté méridional de la Thessalie et bordaient la chaîne de l'Oeta et la frontière épicnémidienne :
«Tous les peuples d'Argos Pélasgique, tous ceux d'Alos, d'Alopé et de Trachîn,
ceux aussi de la Phthie et de la Hellas, où les femmes sont si belles, tous les peuples enfin nommés
Myrmidons, Hellènes, Achéens...» (Il. II, 681).
Seulement, les sujets de Phénix se trouvent ici confondus avec ceux d'Achille, et Homère n'a fait des uns et des autres qu'une seule et même armée. N'ayant pas voulu exposer Phénix, non plus que Nestor, aux dangers mêmes de la mêlée, Homère naturellement ne mentionne jamais ses sujets, les Dolopes, parmi les combattants, mais leur présence est attestée par d'autres auteurs, notamment par Pindare, qui, ayant eu occasion de nommer Phénix, ajoute ces mots :
«Il avait amené ces hardis bataillons de frondeurs Dolopes, auxiliaires si utiles de la cavalerie grecque».
A la rigueur même on pourrait dire que la présence des Dolopes sous les murs de Troie est sous-entendue chez Homère, en vertu de cette figure que nos grammairiens nomment aposiopèse ou réticence. Car il serait plaisant que le roi eût pris part à l'expédition et qu'aucun de ses sujets ne [l']eût suivi. Phénix n'eût plus été à ce compte un allié, un compagnon d'armes du héros, il n'eût joué auprès de lui que le rôle d'un gouverneur auprès d'un jeune prince, le rôle d'un orateur, ou, si l'on veut, d'un conseiller, tandis que les vers du poète lui confèrent aussi très expressément la première qualité, ce vers-ci par exemple :
«Pour l'éclairer de ses conseils et l'aider de son bras» (Il. IX, 443).
[Il est donc évident, comme] nous le marquions tout à l'heure, qu'Homère n'a fait des sujets d'Achille et de ceux de [Phé]nix qu'une seule et même
armée.
6. Quant au texte même de ce passage dans lequel le poète énumère les peuples qui obéissaient à Achille, il prête à la controverse. Le nom
d'Argos Pélasgique, notamment, qui [suivant les uns], désigne une ancienne ville de la Thessalie, proche voisine de Larisse, et aujourd'hui détruite, ne saurait être,
suivant les autres, un simple nom de ville, mais serait une dénomination générale s'appliquant à toute l'étendue des plaines thessaliennes et rappelant
l'établissement de colons argiens amenés autrefois par Abas. [Même désaccord au sujet de la Phthie] : car, tandis que les uns confondent la Phthie avec la Hellade et
l'Achaïe et veulent que sous ces trois noms différents le poète n'ait désigné qu'une des deux grandes divisions de la Thessalie, c'est-à-dire, la
moitié méridionale, d'autres voient là trois noms et trois pays distincts. En fait, le poète paraît distinguer tout au moins la Phthie de la Hellade quand il
dit :
«Ceux aussi de la Phthie et d'Hellas [où les femmes sont si belles] (Il. II, 683),
comme s'il s'agissait de deux contrées différentes ; et ailleurs :
«Je m'enfuis alors au loin, et traversant les vastes espaces d'Hellas, j'atteignis bientôt la Phthie» (Ibid. IX, 498),
et ailleurs encore :
«Les [femmes achéennes] ne manquent pas dans Hellas ni en la Phthie» (Ibid. 395).
Mais, tout en distinguant les lieux, il n'indique pas si ce sont des pays ou des villes. Or, parmi les modernes, les uns ont déclaré que le nom d'Hellas était un nom de
pays et qu'il désignait toute la contrée qui s'étend depuis Palaepharsale jusqu'à Thèbes-Pthiothides, et, comme il y a dans ladite contrée, justement
à portée des deux Pharsales, de Palaepharsale, comme de Néopharsale, un lieu appelé Thétidium, ils ont conclu du nom seul de cette localité que toute
cette contrée faisait autrefois partie des Etats d'Achille ; pour d'autres, au contraire, l'antique Hellas n'est qu'une ville, mais, tandis que les Pharsaliens montrent à 60
stades de leur propre ville, et dans le voisinage des deux sources de Messéis et d'Hypérie, une cité en ruines qu'ils n'hésitent pas à identifier avec Hellas,
les Mélitéens indiquent pour elle un autre emplacement à 10 stades environ de leurs murs, de l'autre côté de l'Enipée, oh se serait élevée
soi-disant la ville d'Hellas, du temps que leur propre ville se nommait Pyrrha, mais que les Hellènes, à cause de sa situation trop enfoncée, n'auraient pas tardé
à abandonner pour venir s'établir parmi eux, dans Pyrrha même. Et, comme preuve à l'appui de leur opinion, les Mélitéens rappellent la présence
dans leur ville, en pleine agora, du tombeau d'Hellen, fils de Deucalion et de Pyrrha. Chacun sait en effet que, dans l'histoire, Deucalion est toujours qualifié de roi Phthiote ou
simplement de roi Thessalien. L'Enipée [que nous venons de mentionner] est un cours d'eau qui prend sa source dans l'Othrys, passe ensuite auprès de Pharsale et va se
réunir à l'Apidanus, affluent du Pénée. - Nous n'en dirons pas davantage au sujet des Hellènes.
7. Pour ce qui est du nom de Phthii, il est certain qu'il s'appliquait non pas seulement aux sujets d'Achille, mais encore à ceux de Protésilas et de Philoctète.
Homère lui-même nous en fournit la preuve, car, après avoir, dans le Catalogue, compris les habitants de la Phthie (Il. II, 683), au nombre des
combattants qui reconnaissaient Achille pour chef, il les fait figurer dans l'épisode du Combat près des vaisseaux, combat livré, comme on sait, sans le concours des
soldats d'Achille, mais avec celui des compagnons de Philoctète commandés par Médon et des compagnons de Protésilas commandés par Podarcès, [il les
nomme même par deux fois à cette occasion,] dans son énumération générale d'abord :
«Là se tenaient les Béotiens, les Iaones, à la robe traînante, les Locriens, les Phthii, les nobles Epéens» (Ibid. XIII, 685),
et plus loin séparément (Ibid. 693-699) :
«A la tête des Phthii marchaient Médon et le bouillant Podarces... Couverts de brillantes cuirasses,
les deux héros guidaient au combat les nobles guerriers de la Phthie, et se dévouaient,
avec les chefs béotiens, à la défense des vaisseaux».
Peut-être même faudrait-il étendre aux sujets d'Eurypyle la dénomination de Phthii, les Etats d'Eurypyle étant limitrophes de ceux des héros que nous
venons de nommer. Aujourd'hui pourtant c'est à la Magnésie [et non à la Phthiotide] qu'on rattache et le canton d'Orménium (lequel faisait une bonne partie des Etats
d'Eurypyle), et toute l'étendue du royaume de Philoctète, de sorte qu'il ne reste plus pour représenter l'ancienne Phthie que le royaume de Prmésilas, lequel
était compris entre la Dolopie et le Pinde d'une part, et la côte de Magnésie de l'autre, et, avec le royaume de Protésilas, celui d'Achille et de Pélée
qui (à n'en prendre aussi que la largeur) s'étendait depuis la Trachinie et la chaîne de l'Oeta jusqu'à Antron, ou plutôt Antrones, car le nom de cette ville,
la première du royaume de Protésilas, est plus usité aujourd'hui au pluriel qu'au singulier ; or, cet intervalle correspond, on le voit, juste à la profondeur du
golfe Maliaque.
8. A l'égard d'Hales et d'Alopé [la question est autre] : on se demande si les villes portant ces noms dans Homère sont bien celles que comprend le district actuel de la
Phthiotide, et si le poète n'aurait pas voulu plutôt désigner les villes de mêmes noms situées en Locride, puisqu'il est notoire que le domaine d'Achille,
borné d'un côté par la Trachinie et la région de l'Oeta, s'étendait d'autre part jusqu'en Locride. Seulement, comme il se trouvé sur la côte de
Locride, indépendamment d'une ville appelée Alopé, deux autres localités du nom d'Halos et d'Halionte, quelques grammairiens substituent dans Homère un nom
à l'autre, Halionte à Alopé, et lisent le vers [de l'Iliade] ainsi qu'il suit :
«Et ceux qui venaient d'Halos, et les gens d'Halionte, et les gens de Trachîn» (Il. II, 682).
L'autre Halos, on le sait, est située à l'extrémité du mont Othrys, lequel forme la limite septentrionale de la Phthiotide depuis le mont Typhrestus auquel il se
relie sur les confins de la Dolopie jusqu'aux abords du golfe Maliaque. Cet Halos, ou, si l'on veut, cette Halos (car le nom a les deux genres) est à soixante stades de distance environ
d'Itone. La cité primitive fondée par Athamas avait disparu depuis longtemps lorsque [les Pharsaliens la rebâ]tirent là où nous la voyons aujourd'hui,
au-dessus de la plaine Crocienne et sur les bords de l'Amphrysus. Au-dessous de la même plaine est Thèbes-Phthiotique. Si Halos porte aussi cette qualification de Phthiotique ou
d'Achaïque, c'est que son territoire, comme les premières pentes de l'Othrys, s'est toujours arrêté à la frontière des Maliéens. L'une des villes
de Protésilas, Phylacé, appartient notoirement à ce canton de la Phthiotide qui touche au territoire des Maliéens, Halos est dans le même cas. Distante de
Thèbes de 100 stades environ et située juste à mi-chemin entre cette ville et Ptéléum, Halos n'en fut pas moins distraite de la Phthiotide par Philippe et
annexée au territoire des Pharsaliens, nouvel exemple des continuels changements qui s'opèrent dans les limites et dans la condition politique des peuples et des lieux. Sophocle
constate un changement semblable lorsqu'il attribue Trachîn à la Phthiotide. Artémidore, lui, transporte Halos sur le littoral même, mais en dehors du golfe Maliaque,
ce qui la laisse dans les limites de la Phthiotide, car, partant dudit golfe pour gagner l'embouchure du Pénée, Artémidore nomme successivement Antron,
Ptéléum, et Halos à 110 stades de Ptéléum. Touchant Trachîn, nous n'ajouterons rien à ce que nous avons dit plus haut. Nous rappellerons
seulement qu'Homère la nomme aussi dans le passage en question.
9. Un autre nom que le poète mentionne à plusieurs reprises comme celui d'une divinité topique [par rapport à Achille] est le nom du Sperchius. Or, ce fleuve,
descendu du Typhraestus, montagne de la Dryopie qui s'appelait primitivement [...] va se jeter dans la mer non loin des Thermopyles entre ce défilé et la ville de Lamia ;
Homère nous donne donc à entendre que toute la côte du golfe Maliaque, en dedans et en dehors des Thermopyles, faisait partie des Etats d'Achille. L'embouchure du Sperchius
est à 30 stades environ de Lamia et la plaine de Lamia descend jusqu'aux bords mêmes du golfe Maliaque. Ce qui m'autorise à dire que ce fleuve était [pour Achille]
une divinité topique, c'est, d'une part, ce voeu du héros, que lui-même rappelle, de laisser croître sa chevelure pour la consacrer au Sperchius, et, d'autre part, la
tradition qui faisait naître l'un des lieutenants d'Achille, Ménesthius, des amours du Sperchius et de la propre soeur du héros. Il est probable, maintenant, que le nom de
Myrmidons, lequel rappelait les compagnons fidèles qui avaient suivi Pélée à Egine, était particulier aux sujets immédiats d'Achille et de Patrocle,
tandis que le nom d'Achéens s'appliquait à l'ensemble des populations de la Phthiotide.
10. Pour énumérer les lieux remarquables de la Phthiotide, ou en d'autres termes de cette partie de la Thessalie sur laquelle Achille exerçait une sorte de
suprématie, on part du territoire des Maliéens. Ces villes ou lieux remarquables sont en très grand nombre : on distingue particulièrement Thèbes Phthiotique,
Echinus, Lamia, théâtre de cette fameuse guerre lamiaque qu'Antipater et les Macédoniens eurent à soutenir contre les Athéniens et dans laquelle
périrent Léosthènes, général des Athéniens, [et Léonnat] ami particulier du feu roi Alexandre, [puis Nartha]cium, Erinée, Ceronée
dont le nom rappelle cette fameuse ville de Béotie, Mélitée, Thaumaci, Proerna, Pharsale, Erétrie l'homonyme de la ville Eubaeenne, enfin [le dème] des
Parachéloïtes, qu'il ne faut pas confondre avec le dème de même nom situé en Aetolie. Les environs de Lamia ont aussi leur fleuve Achéloüs, et c'est
de ce fleuve naturellement que les populations riveraines ont emprunté leur nom de Parachéloïtes. Borné au nord-ouest par les possessions des Asclépiades et au
nord-est par le royaume d'Eurypyle [et par celui] de Protésilas, le nome ou cercle Phthiotique s'étendait, du côté du midi, jusqu'au district de l'Oeta, lequel
comprenait quatorze dèmes, plus Héraclée et la Dryopide, cette antique tétrapole émule de la Doride, d'où sont sortis, à ce qu'on croit, les
Dryopes du Péloponnèse. A ce même district appartiennent encore les villes d'Acyphus, de Parasopias, d'Oeniades et d'Anticyre (nous avons déjà rencontré
ce dernier nom chez les Locriens occidentaux). Mais toutes ces divisions, comme chacun sait, n'existent plus, et elles ont fait place à d'autres dès longtemps ; si pourtant je les
indique, c'est que de toutes les vicissitudes et révolutions intérieures que ce pays a éprouvées celles-là m'ont paru les plus remarquables et par
conséquent les plus dignes de mémoire.
11. Pour ce qui est des Dolopes, Homère nous indique clairement qu'ils habitaient à l'extrémité de la Phthie et qu'ils reconnaissaient comme les Phthiotes
l'autorité de Pélée lorsqu'il fait dire [à Phénix] :
«Oui, j'habitais l'extrême Phthie, parmi les Dolopes, dont la faveur de Pélée m'avait fait roi» (Il. IX, 484).
Or, l'extrême Phthie confine au Pinde, à la région du Pinde, laquelle se trouve aujourd'hui pour la plus grande partie comprise dans les limites de la Thessalie. On sait
en effet que, par suite de l'illustration et de la prépondérance des Thessaliens et des Macédoniens, les plus proches voisins de ces deux peuples parmi les Epirotes
s'étaient vu, bon gré mal gré, absorber peu à peu pour être réunis, les uns à la Thessalie (Athamanes, Aethices, Talares), les autres à la
Macédoine (Orestes, Pélagons, Elimiotes).
12. Le Pinde est une grande chaîne de montagnes ayant au N. la Macédoine, à l'0. le territoire des Perrhèbes métanastes ou transplantés,
au S. celui des Dolopes, [et à l'E. l'Hestimotide], l'une des grandes divisions de la Thessalie. Sur le Pinde même habitaient autrefois les Talares, tribu d'origine molosse,
détachée des Talares de Tomare, et, avec les Talares, les Aethices, c'est-à-dire la même nation qui, suivant Homère, donna asile aux Centaures chassés
par Pirithoüs. Mais aujourd'hui l'on ne connaît plus ces deux peuples, ils sont éteints. Entendons-nous cependant, le mot éteints a deux sens et peut signifier
soit l'extermination de tout un peuple et la dépopulation complète du pays qu'il occupait, soit la simple disparition du nom national due à un changement quelconque dans la
constitution politique du pays.
Il peut arriver, maintenant, que l'Etat aujourd'hui disp-ru n'ait fait figure à aucune époque, dans ce cas là, naturellement, nous ne nous croyons pas tenu à en
mentionner l'existence, même sous son nom nouveau ; pour peu, au contraire, que quelque circonstance mémorable le recommande, nous croyons devoir rappeler le changement qu'il a
éprouvé.
13. Ds l'ancien royaume d'Achille, dont nous avons déjà fait connaître toute la portion locrienne et [cetéenne], il ne nous reste plus à décrire que le
littoral. Suivons donc l'ordre des lieux à partir des Thermopyles. L'entrée des Thermopyles est séparée du cap Cénaeum par une traversée de 70 stades.
Si nous partons de ce point en rangeant la côte, nous rencontrons d'abord à une distance de [70] stades l'embouchure du Sperchius, et, 20 stades plus loin, Phalares. Juste
au-dessus de Phalares, à 50 stades dans l'intérieur, est [la ville des Lamiéens]. Un nouveau trajet de 100 stades, le long de la côte, nous mène en face
d'Echinus. Continuons à ranger la côte, nous découvrons à une vingtaine de stades dans l'intérieur la ville de Larissa Crémasté, connue aussi
sous le nom de Larissa Pélasgia.
14. Nous atteignons ensuite la petite île de Myonnèse, puis la ville d'Antron, comprise autrefois dans le royaume de Protésilas. Nous avons donc achevé de
décrire la partie [de la Phthiotide] qui reconnaissait Achille pour roi. Mais, comme Homère se trouve avoir, en énumérant dans son Catalogue les noms des
chefs thessaliens et ceux des villes qui leur obéissaient, introduit dans la géographie de la Thessalie autant de divisions aujourd'hui consacrées, nous ne pouvons mieux
faire que de le prendre pour guide, ainsi que nous avons fait ci-dessus, et de le suivre jusqu'à ce que nous ayons parcouru le cercle entier, et complété de la sorte la
description de la contrée. Or, dans le Catalogue d'Homère, à l'armée d'Achille succède celle de Protésilas, et, comme les possessions d'Achille
sur la côte ne dépassaient pas Antron, on peut concevoir, pour bien délimiter les deux royaumes, que les Etats de Protésilas étaient situés tout
à fait en dehors du golfe Maliaque, quoique se trouvant encore compris dans les limites de la Phthiotide (il s'agit ici, bien entendu, de la Phthiotide considérée dans son
ensemble et non pas seulement de la Phthiotide appartenant à Achille). Phylacé est en effet proche voisine de Thèbes-Phthiotique, laquelle appartenait aussi à
Protésilas. D'autre part, les villes d'Halos, de Larissa Crémasté et de Démétrium, comprises également dans le royaume de Protésilas, se
trouvent situées toutes trois à l'est de l'Othrys. Démétrium correspond à cet ancien temple de Déméter mentionné par Homère et
qu'il confond [à tort] avec Pyrasus. Il y a en effet une distance de 2 stades entre Pyrasus, ville maritime pourvue d'un excellent port, et ledit sanctuaire composé d'un temple et
d'un bois sacré. Juste au-dessus de Pyrasus, à 20 stades dans l'intérieur des terres, s'élève Thèbes, puis derrière Thèbes, plus avant
par conséquent dans l'intérieur, on voit s'étendre la plaine Crocienne, laquelle ne finit qu'avec les dernières pentes de l'Othrys et est traversée dans toute
sa longueur par le cours de l'Amphrysus. Enfin au-dessus de la plaine Crocienne est Itone, avec son temple de Minerve Itonienne, type de celui que possède la Béotie. A la
même hauteur coule le Cuarius ; fleuve dont le nom, joint à celui d'Arné, se trouve mentionné déjà dans notre description de la Béotie. Ces
dernières localités, du reste, [n'appartiennent plus à la Phthiotide,] mais bien à la Thessaliotide, quatrième grande division de la Thessalie, qui se trouve
comprendre en outre l'ancien royaume d'Eurypyle, la ville de Phyl[lus avec son temple d'Apol]lon Phyllien, celle d'Ichnae, où Thémis, sous le nom d'Ichnaea, est l'objet d'un culte
particulier, celle de Ciérus [et plusieurs autres localités qui se succèdent de Ciérus à la frontière de] l'Athamanie. Revenons à Antron. Juste
vis-à-vis, dans le détroit d'Eubée, est un écueil à fleur d'eau connu sous le nom de l'Ane d'Antron. A partir de là, notas rangeons
successivement Ptéléum et Halos, puis le Démétrium ou temple de Cérès, les ruines de Pyrasus situées, avons-nous dit, juste au-dessous de
Thèbes, et enfin la pointe de Pyrrha, reconnaissable aux deux petites îles qui l'avoisinent et dont une porte aussi le nom de Pyrrha, tandis que l'autre s'appelle Deucalion. A la
rigueur, ces deux petites îles peuvent être prises pour les bornes extrêmes de la Phthiotide.
15. Passé cette limite, la côte, suivant Homère, appartenait aux sujets ou compagnons d'Eumélus ; c'est à la Magnésie, voire à la
Pélasgiotide qu'elle appartient aujourd'hui. A vrai dire, la grande plaine Pélasgique (laquelle mesure 160 stades jusqu'au Pélion) finit à Phères du
côté de la Magnésie. Mais le port de Pagases, bien que situé à 90 stades de Phères et à 20 stades seulement de Iolcos, dépend proprement
de Phères. La ville d'Iolcos, que nous venons de nommer, ville très anciennement ruinée, est la même qui vit Pélias expédier Jason et le navire Argo. La
construction de l'Argo (naupêgia) serait aussi, au dire de certains mythographes, ce qui a fait donner au port de Pagases le nom qu'il porte ; cependant l'autre étymologie
proposée (pêgai, sources) nous paraît plus plausible, vu la quantité de belles sources que possède le territoire de Pagases, sans compter qu'il existe
tout à côté de Pagases un lieu appelé Aphètes, comme qui dirait l'Aphètérion ou embarcadère des Argonautes. Par rapport à
Démétrias, [la distance] d'Iolcos est de 7 stades ; son emplacement n'est pas sur la côte même, mais un peu au-dessus. Démétrius Poliorcète, qui
fonda Démétrias et lui donna son nom, bâtit cette ville entre Nélée et Pagases, sur le bord même de la mer et lui annexa successivement toutes les
petites places environnantes, Nélée d'abord, puis Pagases et Orménium, voire Rhizûs, Sépias, Olizon, Boebé et Iolcos qui forment aujourd'hui encore
autant de dèmes ou de quartiers de Démétrias. Ainsi augmentée, cette ville devint pour longtemps l'arsenal maritime et le lieu de résidence des rois de
Macédoine, d'autant qu'elle commandait le défilé de Tempé, voire, avons-nous dit, la double position du Pélion et de l'Ossa. Aujourd'hui, bien que fort
déchue, Démétrias l'emporte encore de beaucoup sur toutes les autres villes de cette partie de la Thessalie. Le lac Boebéis, situé tout à
côté de Phères, s'étend à l'opposite jusqu'aux dernières pentes du Pélion et à la frontière de la Magnésie. Il a sur ses
bords une petite ville du nom de Boebé. Les mêmes causes qui avaient ruiné anciennement la ville d'Iolcos parvenue au faîte de la prospérité, à
savoir les factions et l'ambition des tyrans, perdirent la ville de Phères : elle aussi, après avoir atteint le comble des grandeurs, fut entraînée dans la chute de
ses tyrans. Un cours d'eau, l'Anaurus, passa auprès de Démétrias. Au delà, la plage conserve le nom d'Iolcos : on y a célébré longtemps une
fête annuelle en l'honneur de [Pélias]. Artémidore ne fait commencer le golfe Pagasétique qu'après Démétrias, et il le comprend tout entier dans
le royaume de Philoctète : il y signale aussi l'île de Cicynéthus, avec une petite ville de même nom.
16. Enumérons, à présent, toujours d'après le Catalogue homérique, les villes sur lesquelles régnait Philoctète. La première que
nomme le poète est Méthone, qu'il ne faut pas confondre avec son homonyme de Thrace, laquelle fut détruite par Philippe. Nous avons cité plus haut,à pro-pos
de [lieux] situés dans le Péloponnèse [et nommés Méthana,] un exemple de confusion semblable. Les noms qui suivent dans le Catalogue sont ceux de
Thaumacia, d'[0liz]on, de Mélibée, toutes villes échelonnées le long de la côte. Tout ce littoral de la Magnésie est bordé d'un grand nombre
d'îles, dont les plus célèbres sont Sciathos, Péparéthos, Icos, Halonnèse et Scyros, qui renferment chacune une ville de même nom. Scyros est
peut-être encore plus célèbre que les autres à cause de l'alliance contractée entre Lycomède et Achille, et aussi parce que le fils du héros,
Néoptolème, y était né et y avait été élevé. Plus tard, l'ambition de Philippe, jaloux de la prépondérance maritime des
Athéniens et de la domination qu'ils exerçaient sur les îles [de la Grèce] en général et sur ces parages en particulier, ajouta encore à la
célébrité des îles que nous venons de nommer et qui se trouvaient être le plus à sa portée. On sait quelle fut la tactique de Philippe dans toute
cette guerre dont l'hégémonie de la Grèce devait être le prix ; ce fut d'avancer toujours graduellement et de proche en proche : ses premières annexions sur le
continent avaient embrassé une bonne partie de la Magnésie, ainsi que de la Thrace et des pays environnants ; il procéda de même sur mer et les premières
îles sur lesquelles il mit la main furent celles qui bordent la Magnésie, de sorte que des îlots, des rochers, que personne ne connaissait auparavant, acquirent en devenant
le théâtre de sanglants combots une véritable renommée. La renommée de Scyros, due surtout, comme on l'a vu, à des souvenirs historiques et à
d'antiques traditions, se trouve accrue aujourd'hui par des circonstances d'une nature tout autre, telles que la supériorité des chèvres dites de Scyros et la
richesse des carrières qui donnent ce beau marbre veiné, ce marbre scyrien analogue au marbre carystien, au marbre [dociméen] ou synnadique, et au marbre
hiérapolitique. On peut voir à Rome des colonnes monolithes et de grandes dalles ou plaques de ce marbre veiné de Scyros décorer les édifices publics et les
maisons particulières : les marbres blancs en ont été dépréciés du coup.
17. Parvenu à ce point de le côte de Magnésie, Homère revient sur ses pas pour reprendre de la Haute-Thessalie. Il part en effet de la Dolopie et de la région
du Pinde et, suivant toute la lisière de la Ph[thiotide], descend [jusqu'à] la Thessalie inférieure. Le passage est ainsi conçu :
«Viennent les gens de Tricca et ceux de la caillouteuse Ithomé» (Il. II, 729).
Or, ces deux localités appartiennent à l'Histiaeotide. Primitivement, ce canton de la Thessalie portait, dit-on, le nom de Doride, mais quand les Perrhèbes s'en furent
emparés, comme ils venaient de dévaster tout le territoire d'Histiée en Eubée et d'en arracher les habitants pour les transporter sur le continent, ils
changèrent l'ancien nom de Doride contre celui d'Histiaeotide qui répondait mieux à l'importance de l'émigration histiaeenne. [Le même canton de la Thessalie,
joint à] la Dolopie, est également désigné sous le nom de Haute-Thessalie, et le fait est qu'il se trouve placé directement sous [la Haute-]Macédoine,
comme l'est la Thessalie inférieure sous la Basse-Macédoine. Tricca, qui possède le plus ancien et le plus célèbre temple d'Esculape, est une ville
située sur les confins mêmes de la Dolopie et de la région du Pinde. Quant à Ithomé, dont le nom, semblable en apparence à celui de la ville de
Messénie, n'a jamais dû pourtant, à ce qu'on assure, se prononcer tout à fait de même (il perdait la première syllabe dans l'usage, [ce qui donnait
Thomé,] devenu aujourd'hui par altération Thamae), elle s'offre aux yeux comme une ville d'assiette très forte, comme un vrai roc, s'élevant à peu près
au centre d'un quadrilatère formé par les quatre places de guerre de Tricca, de Métropolis, de Pélinnaeum et de Gomphi. C'est, du reste, de Métropolis qu'elle
dépend : formée à l'origine de la réunion de trois bourgades obscures, Métropolis vit son territoire s'agrandir encore par des annexions successives,
notamment par l'annexion d'Ithomé. Callimaque, dans ses Iambes, prétend que de toutes les Vénus connues (on sait que le nombre en est grand), la plus raisonnable est
incontestablement la Vénus Castniétide, parce que seule elle permet qu'on immole des porcs sur ses autels. Et Callimaque, comme chacun sait, passe pour un érudit profond
s'il en fut, pour un érudit qui, toute sa vie (il l'a déclaré lui-même), chercha la vérité et l'exactitude en ces matières.
Sur ce point, cependant, Callimaque s'est fourvoyé, car il a été prouvé par la suite que la Vénus Castniétide n'était pas seule à avoir
autorisé un semblable usage, et que mainte autre Vénus, notamment celle de Métropolis, l'agréait pareillement. On ajoute que c'est à l'une des bourgades
qu'elle s'est annexées, et qui avait nom Onthyrium, que Métropolis emprunta le rite en question. Nommons encore comme appartenant à l'Histiaeotide la ville de Pharcadon,
dont le territoire est traversé par le Pénée et le Curalius : ce dernier cours d'eau, le même que nous avons vu baigner l'enceinte du temple de Minerve Itonienne, est
un affluent du Pénée. Quant au Pénée, à sa descente du Pinde, où, avons-nous dit, il prend sa source, il laisse sur la gauche Tricca, Pélinnaeum
et Pharcadon, baigne les murs d'Atrax et de Larisse, et, après s'être grossi de tous les cours d'eau de la Thessaliotide, gagne par Tempé le point de la côte où
il débouche à la mer. Le même canton de la Thessalie contient une ville du nom d'Oechalie, que certains critiques identifient avec l'Oechalie d'Eurytus, lui attribuant ainsi
la qualification homérique que d'autres transportent soit à l'Oechalie d'Eubée, soit à l'Oechalie d'Arcadie, comme nous avons déjà eu l'occasion de le
dire dans notre description du Péloponnèse. Ajoutons que l'objet principal de la controverse est de savoir quelle est la ville qui fut prise par Hercule, quelle est la ville qu'a
voulu chanter l'auteur de la Prise d'Oechalie. - Tels sont les lieux qu'Homère range sous la domination des Asclépiades.
18. Après quoi, passant au royaume d'Eurypyle, le poète énumère
«Et les gens d'Orménium et les riverains de la fontaine Hypérée, et les combattants
qu'envoient Astérium et Titanos à la blanche acropole» (Il. II, 734).
L'ancienne ville d'Orménium s'appelle aujourd'hui Orminium et ne forme plus qu'un simple bourg situé an pied du Pélion sur le rivage même du golfe Pagasitique. Orménium était du nombre des villes qui, ainsi que nous l'avons dit plus haut, se fondirent dans Démétrias. Elle devait s'élever alors non loin du lac Boebéis, puisque Boebé figure, comme elle, dans le groupe qu'absorba Démétrias. D'Orménium à Démétrias, la distance par terre est de 27 stades, et, dans l'intervalle, on rencontre le site d'Iolcos distant de 7 stades de Démétrias et de 20 stades, par conséquent, d'Orménium. Le Scepsien prétend que Phénix était né à Orménium même et que c'est d'Orménium qu'il venait lorsque, fuyant «la colère de son père Amyntor, fils d'Orménus», il courut dans la Phthie demander asile «au roi Pélée». Le Scepsien ajoute qu'Orménium avait été fondé par Orménus, fils de Créthès, fils lui-même d'Aeolus ; qu'Orménus, à son tour, avait eu deux fils, Amyntor et Evaemon ; que Phénix était né du premier et Eurypyle du second ; mais que l'héritage commun (Phénix ayant fui loin de la maison paternelle) était resté tout entier aux mains d'Eurypyle. Et en conséquence il substitue [dans le texte d'Homère] la leçon suivante :
«Tel que j'étais lorsque, tout jeune encore, je quittai Orménium et ses gras pâturages» (Il. IX, 447)
à la leçon consacrée :
«Quand je quittai Hellas, où les femmes sont si belles».
Cratès, lui, fait de Phénix un Phocéen : il se fonde sur ce que le casque de Mégès que portait Ulysse dans la Nyctégersie avait été, au dire du poète,
«Enlevé dans Eléon de la maison d'Amyntor, fils d'Orménus : Autolycus en avait percé les murs épais» (Il. X, 226).
Suivant Cratès, Eléon est une petite ville du Parnasse. Il ajoute que l'on ne connaît pas d'autre Amyntor, fils d'Orménus, que le père de Phénix et que c'était apparemment de la maison d'un voisin qu'Autolycus, montagnard du Parnasse, avait percé les murs, les voleurs n'ayant guère l'habitude de s'attaquer à ce qui est loin. A quoi le Scepsien réplique qu'on ne connaît pas dans tout le Parnasse de lieu appelé Eléon ; qu'il y a bien une ville du nom de Néon, mais que cette ville n'a été fondée que postérieurement à la guerre de Troie ; qu'enfin tout vol par effraction n'est pas nécessairement le fait d'un voisin. Il y aurait beaucoup à dire encore sur ce sujet, mais je craindrais en vérité d'être trop long si j'insistais. Quant à la leçon ex Eleônos, «dans Héléon», que proposent d'autres grammairiens, elle risquerait, vu qu'Héléon est un bourg du canton de Tanagre, de rendre plus inintelligible encore cet autre passage du poète :
«M'enfuyant alors loin de la maison paternelle, j'eus bientôt franchi Hellas... et j'atteignis la Phthie» (Ibid. IX, 424).
La fontaine Hypérée se voit encore au beau milieu de la ville de Phères, laquelle était notoirement du domaine d'Eumélus, on ne comprend donc pas que le
poète en ait attribué la possession à [Eurypy]le. Quant au nom de Titanos, il rappelle une circonstance physique, à savoir probablement cette couleur
blanchâtre qu'affecte le sol aux environs d'Arné et [d'Itone], non loin du site, précisément, où s'élève Astérium.
19. Au lot d'Eurypyle succède, dans le Catalogue d'Homère, le lot de Polypoetès, comprenant
«Et les habitants d'Argissa et ceux de Gyrtoné, d'Orthé, d'Eloné et de la blanche Oloosson» (Il. II, 738),
c'est-à-dire tout un canton de la Thessalie occupé anciennement par les Perrhèbes. Dans le principe, en effet, la nation des Perrhèbes se trouvait répandue sur le littoral et le long du cours inférieur du Pénée [depuis] Gyrton, ville d'origine notoirement perrhébique. Mais plus tard les Lapithes, ayant à leur tête Ixion et son fils Pirithoüs, subjuguèrent les Perrhèbes et occupèrent à leur tour tout ce canton, auquel Pirithoüs ajouta même le Pélion enlevé par lui de vive force aux Centaures, nation encore sauvage. C'est ce que marque Homère lorsqu'il dit :
«Il les expulsa du Pélion, et les poursuivit jusque chez les Aethices» (Il. II, 744).
Naturellement Pirithoüs assigna aux Lapithes les terres de la plaine, une portion toutefois (celle qui tend vers l'Olympe) resta au pouvoir des Perrhèbes, qui ailleurs
s'étaient mêlés et fondus complètement avec les Lapithes. Argissas, ou, comme on l'appelle aujourd'hui, Argura, est située sur le Pénée. A 40
stades au-dessus de cette ville, mais toujours dans le voisinage du fleuve, on rencontre Atrax ; toute la vallée intermédiaire a longtemps appartenu aux Perrhèbes. Quant au
nom d'Orthé, il désigne, d'après la supposition de quelques auteurs, l'acropole de Phalanna, ancienne ville perrhébique, bâtie sur le Pénée, aux
abords de Tempé. Les Perrhèbes, cependant, s'étaient retirés devant les Lapithes leurs vainqueurs et avaient cherché presque tous un refuge du
côté de la montagne, dans le Pinde, chez les Athamanes, chez les Dolopes. Le pays qu'ils quittaient et où un petit nombre des leurs voulut rester tomba alors au pouvoir des
Larisséens, leurs voisins, riverains comme eux du Pénée et possesseurs déjà de la portion la plus fertile des plaines, mais qui avaient à se
dédommager de tout ce que les débordements annuels dudit fleuve leur enlevaient de terre arable dans les fonds qui bordent le lac Nessonis : ils n'avaient pas encore eu
l'idée de protéger leurs cultures par des levées parallèles au fleuve. L'ancienne Perrhèbie resta ainsi aux mains des Larisséens et continua de leur
payer tribut jusqu'à l'époque où Philippe étendit sa domination sur la Thessalie entière. Il existe une autre Larisse dans l'Ossa ; et, en plus de celle-ci,
une Larisse dite Crémasté, la même qu'on nomme parfois Pélasgie. La Crète, elle aussi, possédait une ville de ce nom, ville aujourd'hui réunie
à Hiérapytna, mais qui a laissé à toute la plaine environnante le nom de Champ Larissien. Ajoutons qu'on connaît dans le Péloponnèse, outre
[Larisse], acropole d'Argos, un fleuve du nom de Larisus, qui forme la limite entre l'Elide et le territoire de Dymé, voire une ville appelée de ce même nom de Larisse, et
bâtie, au dire de Théopompe, précisément sur cette frontière. L'Asie, à son tour, nous offre Larissa Phriconis, près de Cumes ; une autre Larissa
près d'Hamaxitos en Troade ; Larissa Ephésienne et Larissa de Syrie. On connaît de plus, à 50 stades de Mitylène, les roches Larissies, 1esauelles bordent le
chemin escarpé qui mène à Méthymne ; et, dans le territoire de Tralles, à 30 stades au-dessus de cette ville, sur la route qui franchit le Mésogis et
débouche dans la vallée du Caystre près du temple de Cybèle Isodrome, un bourg appelé Larissa qui, par sa situation et par certains avantages de son sol
(lequel se trouve être, bien que largement arrosé, très favorable pourtant à la vigne), rappelle tout à fait Larissa Crémasté ; sans compter que
c'est probablement de la même localité que Jupiter dit Larisius a emprunté son surnom. Signalons enfin sur le côté gauche du Pont un dernier bourg du nom
de Larissa : il est situé entre Naulo[que et Odessus] non loin du point où vient finir l'Haemus. Quant à Olosson, à la blanche Olosson, ainsi appelée
par Homère de la couleur de son sol qui est de nature argileuse, elle figure, ainsi qu'Eloné et Gonnus, au nombre des villes d'origine perrhébique. Seulement Eloné a
changé de nom et s'est appelée depuis Limoné. Cette ville, aujourd'hui en ruines, était bâtie, comme Gonnus, au pied de l'Olympe, à une petite distance
du fleuve Europus, le même que le poète nomme le Titarésius.
20. Le passage du Catalogue dans lequel Homère parle du Titarésius et de la nation des Perrhèbes fait suite à celui que nous avons cité
précédemment et est ainsi conçu :
«Gouneûs a amené de Cyphos, sur vingt-deux vaisseaux, les Enianes et les bouillants Perrhèbes,
tant ceux qui ont établi leur demeure autour de l'âpre et froide Dodone que ceux
qui cultivent les bords riants du Titarésius» (Il. II, 748).
Homère, on le voit, ne mentionne qu'une partie des possessions perrhébiques, celle qui était comprise dans les limites de l'Hestiasotide. Quant aux terres que
possédaient les Perrhèbes dans les Etats de Polypoctès, il les attribue aux Lapithes parce qu'ici dans la plaine, bien que Perrhèbes et Lapithes vécussent
côte à côte, c'étaient les Lapithes qui étaient les vrais maîtres du pays, et les cultivateurs perrhèbes n'étaient guère
traités par eux autrement que comme des sujets. Toute la région montagneuse au contraire qui s'étend vers l'Olympe et Tempé (c'est-à-dire les cantons de
Cyphos et de Dodone avec la vallée du Titarésius) appartenait sans conteste aux Perrhèbes. C'est d'un rameau ou chaînon contigu à l'Olympe et nommé le
Titarius que descend le Titarésius, pour se diriger ensuite vers les cantons de la Perrhébie voisins de la vallée de Tempé et se réunir de ce
côté au Pénée. Seulement, les eaux du Pénée sont pures, tandis que celles du Titarésius charrient une sorte de limon qui les rend toutes grasses
: les deux courants ne se mêlent donc pas et le Titarésius «surnage comme de l'huile au-dessus des eaux du Pénée» (Il. II, 754). La fusion des deux
nations Perrhèbe et Lapithe explique comment Simonide a pu appeler indifféremment de l'un ou de l'autre nom l'ensemble des peuples de la Pélasgiotide, c'est-à-dire
de la portion orientale de la Thessalie, laquelle comprend les districts de Gyrton, des Bouches du Pénée, de l'Ossa, du Pélion, de Démétrias, et, dans la
plaine, ceux de Larisse, de Crannon, de Scotussa, de Mopsium et d'Atrax, voire ceux des lacs Nessonis et Bcebéis. De ces différents noms, bien peu, il est vrai, se rencontrent
dans Homère, mais c'est qu'apparemment ce pays, de son temps, était encore inhabité ou tout au moins très peu peuplé à cause des inondations qui
l'avaient dévasté à différentes époques. Il est même probable, comme Homère ne mentionne pas le lac Nessonis, mais seulement le Boebéis
(lequel est pourtant beaucoup moins grand), que le Boebéis était alors le seul lac permanent du pays, l'autre étant sujet à grossir ou à baisser tout à
coup. Pour ce qui est de Scotussa, nous l'avons déjà mentionnée à propos de Dodone et comme, étant le siège de l'ancien oracle thessalien [d'où
celui de Dodone avait tiré son origine]. Nous ajouterons que c'est dans les environs de la même ville que se trouve le champ de bataille de Cynocéphales,
célèbre par la victoire que les Romains aux ordres de Titus Quinctius [Flamininus] et les Aetoliens, leurs alliés, remportèrent sur Philippe, fils de
Démétrius, roi de Macédoine.
21. Il faut que la Magnésie [du temps d'Homère] ait été à peu près dans les mêmes conditions [que la Perrhébie], car, bien qu'il
énumère bon nombre de localités appartenant notoirement à cette contrée, le poète ne donne à aucune la qualification de Magnète : il
réserve ce nom pour un peuple unique qu'il place d'une façon bien vague, bien peu précise
«Dans le voisinage du Pénée et de ce mont Pélion aux hautes cimes verdoyantes toujours agitées par le vent» (Il. II, 756).
Et pourtant juste aux même lieux, c'est-à-dire dans le voisinage du Pénée et du mont Pélion, se trouvaient encore les Magnètes de Gyrton (Homère lui-même mentionne cette ville dans son Catalogue), les Magnètes d'Orménium, etc., etc., sans compter ceux qui avaient été s'établir à une distance plus grande du Pélion et au premier rang desquels figuraient les sujets d'Eumélus, si l'on en croit certains témoignages, postérieurs il est vrai à Homère. Mais c'est probablement aux perpétuels déplacements des populations de cette contrée, à leurs migrations d'une cité dans l'autre, à leurs mélanges [par voie d'alliance] qu'il faut attribuer l'espèce de confusion qui règne dans la nomenclature géographique et ethnographique de cette partie de la Thessalie, confusion souvent embarrassante pour le géographe moderne. Nous en avons la preuve tout d'abord en ce qui concerne les villes de Crannon et de Gyrton. Anciennement les Gyrtoniens s'appelaient Phlegyre, du nom de Phlégyas, frère d'Ixion, et les Crannoniens Ephyri ; aussi ne sait-on, quand on lit dans Homère :
«Les deux [divinités] s'élancent en armes du fond de la Thrace et menacent
la nation superbe des EPHYRES ou PHLEGYES» (Il. XIII, 301),
aussi ne sait-on démêler qui, des Crannoniens ou des Gyrtoniens, le poète a voulu désigner.
22. Même embarras au sujet des Perrhèbes et des Aenianes. Homère, en effet, joint ces noms ensemble, et nous donne à penser par là que les deux peuples
étaient voisins l'un de l'autre, ce que confirment du reste des témoignages postérieurs, témoignages d'après lesquels les Aenianes auraient eu longtemps pour
demeure la plaine Dotienne. On nomme ainsi une plaine voisine du canton que nous avons décrit ci-dessus comme correspondant à l'ancienne Perrhébie, voisine également
de l'Ossa et du lac Boebéis, plaine située pour ainsi dire au centra de la Thessalie et à laquelle les monts Didymes servent de ceinture, la même enfin dont parle
Hésiode dans le passage suivant :
«OU TELLE QUE la jeune Coronis, lorsque, vierge encore, elle descendait
des cimes sacrées des Didymes qui l'ont vue naître et venait au fond de la plaine Dotienne
et en face des belles vignes d'Amyros se baigner les pieds dans le lac Boebéis».
Apparemment, les Aenianes que les Lapithes avaient chassés et refoulés dans l'Oeta (où ils ne tardèrent pas du reste à devenir pour les Doriens et les
Maliéens de redoutables voisins puisqu'ils enlevèrent à ces derniers toute la portion de leur territoire comprise entre Héraclée et Echinus) formaient
seulement la majeure partie de la nation, et le reste n'avait pas quitté les environs du Cyphos, montagne de la Perrhébie supportant une ville de même nom, pas plus que les
Perrhèbes cantonnés dès longtemps sur le versant occidental de l'Olympe n'avaient quitté cette position et le voisinage de la frontière de Macédoine,
quand le gros de leur nation avait été rejeté dans les montagnes de l'Athamanie et jusque dans les gorges du Pinde, où l'on ne retrouve d'ailleurs aujourd'hui que
peu ou point de traces de leur établissement. Mais de ce que nous venons de dire il résulte que les Magnètes dont parle Homère et par lesquels il termine son
Catalogue ou Dénombrement thessalien ne nous représentent [qu'une partie de la nation], à savoir celle qui habitait en deçà du défilé de
Tempé, s'étendant là depuis le Pénée et l'Ossa jusqu'au Pélion, et confinant à la nation macédonienne des Piériotes, laquelle
possédait l'autre rive du Pénée jusqu'à la mer. Naturellement c'est aux Magnètes dont parle le poète qu'il faut attribuer la ville d'Homolium ou
d'Homolé (le nom a les deux formes), que nous avons déjà mentionnée ci-dessus dans notre description de la Macédoine comme étant située dans le
voisinage de l'Ossa et à l'entrée de Tempé, c'est-à-dire juste au point où le Pénée s'engage dans le défilé pour aller se jeter
à la mer. A la rigueur même nous pourrions dépasser Homolium, et, nous avançant jusqu'à la partie du littoral la plus rapprochée de cette ville,
attribuer [encore] aux Magnètes d'Homère Rhizûs d'abord, puis Erymrae, qui s'élevait sur la côte même dans les parties soumises à Philoctète
et à Eumélus. Mais ce serait là matière à controverse, n'insistons point. On n'est pas certain davantage de l'ordre et de la succession des lieux sur toute
cette côte jusqu'à l'embouchure du Pénée ; seulement, comme il ne s'y trouve que des localités obscures, la chose n'a pas non plus grande importance à
nos yeux. Il est un nom cependant (celui du promontoire Sépias) qui, célèbre dès longtemps comme l'attestent les Tragiques, a reçu une illustration nouvelle
des hymnes patriotiques composés après la destruction de la grande flotte persane. Le promontoire Sépias n'est proprement qu'une immense falaise rocheuse ; puis, entre
cette falaise et le bourg de Casthanée, lequel est situé au pied du mont Pélion, la côte s'abaisse. Or, c'est en vue de cette plage que mouillait la flotte de
Xerxès, lorsque l'apéliote soufflant tout à coup avec fureur la dispersa une partie des vaisseaux furent poussés droit sur le sable de la plage où ils
s'échouèrent et périrent incontinent, les autres furent entraînés soit vers les rochers d'Ipni, lieu situé, comme Casthanée, dans le voisinage du
Pélion, soit du côté de Mélibée, soit vers Casthanée elle-même, et se perdirent en vue de ces différents lieux.
En général, la côte qui longe le Pélion est d'une nature âpre et rocheuse. Son étendue est de 80 stades. La côte qui borde l'Ossa se trouve avoir
et la même étendue et le même aspect. Elles sont séparées l'une de l'autre par un golfe de plus de 200 stades, au fond duquel est Mélibée. Si l'on
mesure, maintenant, la distance de Démétrias à l'embouchure du Pénée, en tenant compte des sinuosités et enfoncements de la côte, on trouve un
total de plus de 1000 stades ; prise du Sperchius, la distance s'augmente de 800 stades ; prise de l'Euripe, elle s'élève à 2350 stades. Hiéronyme donne à la
grande plaine thessalienne et à la Magnésie 3000 stades de circuit. Suivant le même auteur, ces deux cantons de la Thessalie auraient eu pour premiers habitants des
Pélasges chassés plus tard par les Lapithes et rejetés jusqu'en Italie, et ce serait pour cette raison qu'aujourd'hui encore on nomme Pelasgicus campus la partie de la
Thessalie qui comprend Larissa, Gyrtoné, Phères, Mopsium, le Boebéis, l'Ossa, l'Homolé, le Pélion, voire toute la Magnésie. A propos de Mopsium, disons
que ce n'est pas à Mopsus, fils de Manto et petit-fils de Tirésias, que cette ville doit son nom, mais bien à Mopsus le Lapithe, compagnon des Argonautes, différent
lui-même du héros Mopsopus en l'honneur de qui l'Attique fut appelée dans un temps la Mopsopie.
23. Aux détails qui précèdent et qui ne se rapportent qu'à deux des parties de la Thessalie Hiéronyme ajoute quelques renseignements généraux,
à savoir que cette contrée s'appela d'abord Pyrrhaea du nom de Pyrrha, femme de Deucalion ; puis Haemonie du nom d'Haemon, et finalement Thessalie du nom de Thessalus, fils
d'Haemon.
Mais, suivant d'autres auteurs, la Thessalie aurait formé dès le principe deux divisions : la portion méridionale, échue à Deucalion, aurait reçu de
lui le nom de Pandore en l'honneur de sa mère, tandis que l'autre portion, attribuée à Haemon, prenait de lui le nom d'Haemonie ; puis, ces deux noms ayant fait place
à d'autres, la première division se serait appelée Hellas du nom d'Hellen, fils de Deucalion, et la seconde Thessalie du nom du fils d'Haemon. Une troisième
tradition veut que ce nom de Thessalie ait été donné au pays par des conquérants étrangers sortis d'Ephyre en Thesprotie et issus d'Antiphus et de Phidippe,
fils de l'héraclide Thessalus, et cela en l'honneur de leur ancêtre. Enfin on a prétendu que le pays tout entier s'était appelé jadis Nessonis comme le lac, du
nom de Nesson, fils de Thessalus.