XI, 1 - Considérations générales sur l'Asie
Carte Spruner (1865) |
1. Comme on n'a, pour passer d'Europe en Asie, qu'à franchir le Tanaïs, limite commune des deux pays, c'est à la description de l'Asie que nous allons maintenant
procéder.
Seulement, pour plus de clarté, nous établirons au préalable quelques divisions générales empruntées à des limites naturelles, faisant ainsi
pour l'Asie ce qu'Eratosthène a fait pour toute la terre habitée.
2. Le Taurus [nous fournira une première division,] car, en se prolongeant, comme il fait, de l'O. à l'E., il figure proprement une ceinture coupant ce continent par le milieu et
détermine ainsi deux régions distinctes, l'une au Nord, l'autre au Sud. C'est là ce que les Grecs appellent les deux régions cis-taurique et trans-taurique. Nous
avons déjà donné cette indication précédemment, mais nous croyons devoir la répéter ici pour mémoire.
3. La largeur de cette chaîne, sur beaucoup de points, n'atteint pas moins de 3000 stades ; quant à sa longueur, elle se confond à proprement parler avec la longueur
même de l'Asie, laquelle mesure, avons-nous dit, 45 000 stades depuis la côte qui fait face à l'île de Rhodes jusqu'aux extrémités orientales de l'Inde et
de la Scythie.
4. Certains géographes ont divisé le Taurus lui-même en plusieurs parties formant sous différents noms des circonscriptions plus ou moins étendues ; mais nous,
considérant que cette chaîne, vu son immense largeur, se trouve comprendre dans son sein de grandes nations, les unes il est vrai plus obscures, les autres au contraire connues de
tout le monde, ocomme voilà les nations Parthe, Mède, Arménienne et en partie du moins les nations Cappadocienne, Cilicienne et Pisidienne, nous avons cru devoir rattacher
à l'Asie septentrionale celles de ces nations dont la situation incline plutôt vers le nord, et à l'Asie méridionale celles dent la situation se rapproche plus du
midi ; restaient les nations qui occupent la partie centrale de la chaîne, mais pour celles-là il nous a paru qu'on pouvait à la rigueur les attribuer aussi à l'Asie
septentrionale, puisque les deux climats sont presque identiques et que, tandis que dans l'Asie méridionale il fait partout très chaud, on éprouve encore un froid
très vif au coeur de ces montagnes. Ajoutons que presque tous les fleuves qui descendent du Taurus coulent (au moins dans la partie supérieure de leur cours et quittes à se
détourner ensuite pour la plupart soit vers l'E. soit vers l'0.) dans un sens diamétralement opposé, les uns au nord, et les autres au midi, et que cette direction
symétrique est une circonstance heureuse qui vient encore justifier l'emploi que nous avons fait de la chaîne du Taurus comme délimitation naturelle dans notre division de
l'Asie en deux grandes régions. N'est-ce pas, au reste, de la même manière que la mer Intérieure qui, dans presque toute son étendue, forme en quelque sorte le
prolongement direct de la chaîne du Taurus, nous a fourni le moyen de faire de l'Europe et de la Libye deux continents distincts qui trouvent désormais en elle leur meilleure ligne
de démarcation ?
5. Cette division de l'Asie en deux grandes régions une fois admise, comme c'est la région du Nord que le géographe rencontre la première quand il passe d'Europe en
Asie, c'est par celle-ci naturellement que nous commencerons, et, dans celle-ci, c'est la partie qui borde le Tanaïs que nous décrirons d'abord, puisque nous avons
décidé de prendre précisément le cours de ce fleuve pour limite entre l'Europe et l'Asie. - Or, nous avons là en quelque sorte une presqu'île,
bornée au couchant par le Tanaïs même, le Palus-Maeotis jusqu'au Bosphore [Cimmérien] et la partie de la côte du Pont-Euxin qui aboutit à la Colchide ; au
nord par l'Océan jusqu'au débouché de la mer Caspienne ; au levant par cette même mer jusqu'aux confins de l'Albanie et de l'Arménie, ou, ce qui revient au
même, jusqu'à l'embouchure du Cyrus et de l'Araxe, fleuves qui arrosent, le premier, l'Arménie, et, le second, l'Ibérie et l'Albanie ; et enfin au midi par une ligne
allant d'une mer à l'autre sur un espace de 3000 stades environ entre l'embouchure du Cyrus et la frontière de la Colchide et à travers l'Albanie et l'Ibérie de
manière à figurer l'isthme de ladite presqu'île. Il n'y a pas à tenir compte, fût-ce un moment, de l'opinion de ceux qui prétendent réduire cet
isthme autant que l'a fait Clitarque, par exemple, quand il a affirmé qu'il était sujet à être entièrement couvert par les eaux des deux mers qu'il
sépare. Mais Posidonius à son tour n'assigne à ce même isthme que 1500 stades d'étendue, juste autant, dit-il, qu'à l'isthme compris entre Péluse
et la mer Erythrée, déclarant, qui plus est, qu'à son idée l'isthme qui va du Mmotis à l'Océan ne doit guère différer des deux
autres.
6. Or, nous le demandons, quelle autorité peut-on accorder à cette dernière assertion de Posidonius sur un point que personne n'a encore pu constater et dont lui par
conséquent ne peut rien dire qui ait une apparence de fondement, quand on le voit sur les faits patents outrager à ce point l'évidence et le bon sens ? Et notez qu'il
était l'ami de Pompée, l'ami de celui-là même qui, en portant la guerre jusque chez les Ibères et les Albani, avait touché à la fois aux deux
mers, à la mer Caspienne aussi bien qu'à la mer de Colchide ! Chacun sait en effet que, passant par Rhodes pour aller prendre le commandement de l'expédition contre les
pirates (prélude de ses campagnes contre Mithridate et les Barbares voisins de la Caspienne), Pompée assista à une leçon de Posidonius et lui demanda en le quittant
s'il n'avait pas quelque recommandation à lui faire, à quoi Posidonius répondit : «Oui, une seule, d'être en tout et toujours le premier et le meilleure».
Notez encore que l'ami du héros s'était fait plus tard son historien. N'aurait-il pas dû pour toutes ces raisons se montrer un peu plus soucieux de la vérité
?
7. Une seconde partie de la zone ou région septentrionale de l'Asie pourrait comprendre tout le pays qui s'étend au-dessus de la mer Hyrcanienne, ou, comme nous l'appelons souvent
[aussi], de la mer Caspienne, jusqu'à la Scythie ; une troisième embrasserait non seulement ce qui touche à l'isthme en question, mais encore ce qu'on rencontre à la
suite dans la région cis-taurique quand, après avoir franchi les Pyles Caspiennes, on se rapproche de l'Europe, c'est à savoir la Médie, l'Arménie, la
Cappadoce et les différents pays intermédiaires ; enfin une quatrième partie se composerait du territoire sis en deçà de l'Halys et de tout le pays
situé soit au sein du Taurus soit même au delà qui se trouve enclavé dans la presqu'île ayant pour isthme l'étroit espace compris entre la mer Pontique
et la mer de Cilicie. Pour ce qui est de l'autre région ou région trans-taurique, nous y placerons l'Inde d'abord, puis l'Ariane et tous les pays à la suite, nous
avançant de proche en proche jusqu'aux pays qui touchent d'une part à la mer Persique, au golfe Arabique et au Nil et d'autre part à la mer d'Egypte ainsi qu'à la
mer d'Issus.