XII, 5 - La Galatie
Carte Spruner (1865) |
1. Au midi de la Paphlagonie s'étend, avons-nous dit, la Galatie. Or, des trois peuples qui habitent cette contrée, il en est deux, à savoir les Trocmi et les
Tolistobogii, qui doivent leurs noms à d'anciens chefs militaires ; seul le troisième a retenu le nom d'un des peuples de la Celtique. Avant d'occuper cette partie de l'Asie, les
Galates avaient mené pendant longtemps une vie errante et dévasté à plusieurs reprises les Etats des Attales et des rois de Bithynie ; enfin ces princes se
décidèrent spontanément à leur céder le pays connu aujourd'hui sous les noms de Galatie et de Gallo-Grèce. Le chef qui avait
présidé à leur passage définitif en Asie paraît avoir été un certain Léonnorius. Les trois peuples parlaient la même langue et ne
présentaient sous aucun rapport de différence sensible. Néanmoins chacun d'eux dut former un état à part divisé en quatre districts. Chacun de ces
districts reçut le nom de tétrarchie, et eut son administration propre composé d'un tétrarque, d'un juge ou dicaste et d'un stratophylax ou chef
militaire placés tous deux sous les ordres du tétrarque, et enfin de deux hypostratophylaces [placés sous les ordres du chef militaire]. De plus, les douze
tétrarques eurent pour les assister un conseil ou sénat de trois cents membres, se réunissant en un lieu appelé le Drynémétum. Ce sénat
connaissait seul des meurtres ; quant aux autres affaires, elles étaient portées devant les tétrarques et les dicastes. Telle était du moins l'ancienne constitution
du pays ; car, de nos jours, on y a vu l'autorité se concentrer entre les mains de trois chefs, puis de deux, puis d'un seul, par l'avénement du roi Déjotarus, qui,
à son tour, transmit le pouvoir monarchique à Amyntas. Mais actuellement toute l'ancienne Galatie jointe aux Etats particuliers d'Amyntas appartient aux Romains qui en ont fait
une seule et même province.
2. Ce sont les Trocmi qui occupent la partie de la Galatie contiguë au Pont et à la Cappadoce, laquelle se trouve être en même temps la partie la plus fertile de la
contrée. Elle contient trois places principales, dont les Trocmi ont fait trois forteresses : la première, nommée Tavium, est le grand marché du pays et
possède, avec une enceinte consacrée à Jupiter et jouissant du droit d'asile, une statue très célèbre du dieu, statue en airain et de dimensions
colossales ; la seconde est cette place de Mithridatium que Pompée détacha naguère du royaume du Pont pour la donner à Brogitarus. Quant à la troisième
forteresse (si toutefois on peut donner le nom de forteresse à Danala), elle fut témoin de l'entrevue entre Pompée et Lucullus, lorsque le premier de ces
généraux vint pour continuer et achever la guerre contre Mithridate, et que Lucullus lui remit son commandement pour regagner Rome, où l'attendaient les honneurs du
triomphe.
Nous avons dit quelle est la partie de la Galatie qu'occupent les Trocmi. Passons aux Tectosages. Ceux-ci habitent sur les confins de la Grande Phrygie les cantons de Pessinonte et d'Orcaorci.
Leur principale place d'armes de tout temps a été Ancyre, dont le nom rappelle une petite ville de Phrygie située près de la frontière lydienne du
côté de Blaudos. Quant aux Tolistobogii, ils confinent à la Bithynie et à la Phrygie Epictète et ont pour places fortes Lucéium et Péum, qu
servirent à Déjotarus, l'une de résidence, l'autre de gazophylacium ou de trésor.
3. Pessinûs est le principal emporium de cette partie de la Galatie, ce qui peut s'expliquer par la présence d'un temple consacré à la Mère des Dieux
(ou, comme on l'appelle dans le pays, à Agdistis), temple qui est l'objet d'une grande vénération. Anciennement, les prêtres de ce temple avaient le rang de princes
et ils tiraient en même temps de leur charge de gros revenus, mais aujourd'hui honneurs [et profits] ont pour eux sensiblement diminué. Le marché de Pessinûs, en
revanche, subsiste aussi florissant que par le passé. Ajoutons que la piété des Attales a singulièrement accru la majesté de l'ancienne enceinte
sacrée, en y construisant un naos et des portiques en marbre blanc. Enfin, ce qui a achevé de rendre ce temple illustre, c'est que le peuple romain, pour obéir aux
Oracles sibyllins, a décrété que la statue de la déesse qui le décorait serait apportée à Rome comme l'avait été auparavant
l'Esculape d'Epidaure. La ville de Pessinûs est dominée par le mont Dindyme, et c'est à cette circonstance que la déesse doit d'être souvent appelée
Dindymène, comme le voisinage des monts Cybèles ailleurs lui a fait donner le nom de Cybèle.
Le Sangarius passe aussi non loin de Pessinûs. Sur les bords de ce même fleuve s'élèvent les palais des rois phrygiens, ces palais illustrés par le
séjour de Midas et plus anciennement de Gordius et de quelques autres encore, et qui, s'ils ne laissent plus deviner ce qu'ils étaient autrefois, c'est-à-dire de
véritables villes, ont conservé tout au moins l'aspect de villages, voire de villages un peu plus grands que les bourgs ordinaires. Tel est le cas de Gordium et aussi de
Gorbéûs, cette ancienne résidence du roi Castor Tarcondarius, que Déjotarus, après y avoir égorgé ce prince, son gendre, et du même coup sa
fille, femme de celui-ci, se plut, non seulement à démanteler, mais à ruiner et à détruire presque de fond en comble.
4. Passé la frontière de la Galatie, on arrive, dans la direction du sud, d'abord au lac Tata, qui borde le canton de la Grande Cappadoce appelé la Morimène
et dépend de la Grande Phrygie, puis à ce territoire compris entre le lac et le Taurus dont Amyntas possédait la plus grande partie. On pourrait comparer, ce semble, le lac
Tatta à une immense saline naturelle, à voir avec quelle facilité le sel contenu dans ses eaux adhère à tous les corps qu'on y plonge ; ainsi, pour peu qu'on
y jette un cercle fait de joncs tressés, on le retire à l'instant changé en une couronne de sel. Il n'est pas jusqu'aux oiseaux qui ne se laissent aisément prendre
pour avoir effleuré la surface de ce lac, car on les voit tomber à l'instant sous le poids des cristaux de sel qui se sont attachés à leurs ailes.