Pisistrate fait son entrée à Athènes avec la fausse Athéna - Gravure extraite de Vorzeit und Gegenwart, Augsbourg, 1832



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Aristote, Constitution d'Athènes, 14-17

[14] Tyrannie de Pisistrate. Son premier exil.

Pisistrate, qui passait donc pour le plus résolu partisan de la démocratie et qui s'était illustré dans la guerre contre Mégare, se fit un jour lui-même une blessure, puis il persuada au peuple que c'étaient ses adversaires qui l'avaient ainsi maltraité, et qu'il fallait lui donner une garde du corps : la proposition fut faite par Aristion. On lui donna ceux qu'on appela les porte-massue, et, marchant contre le peuple avec leur aide, il prit possession de l'Acropole, trente-deux ans après l'établissement des lois de Solon, sous l'archontat de Coméas. On rapporte que, lorsque Pisistrate demanda des gardes du corps, Solon lui fit opposition, disant : « J'aurai plus de perspicacité que les uns et plus de courage que les autres : plus de perspicacité que tous ceux qui ne comprennent pas que Pisistrate prétend à la tyrannie; plus de courage que ceux qui, sans l'ignorer, se taisent. » Comme ses paroles restaient sans effet, il suspendit ses armes au-dessus de sa porte, et dit qu'il avait servi sa patrie aussi longtemps qu'il l'avait pu - il était déjà très vieux - et que c'était au tour des autres d'en faire autant. Mais Solon n'aboutit à rien par ses exhortations.

Au reste, Pisistrate, maître du pouvoir, administra la cité moins en tyran qu'en citoyen respectueux de la Constitution. Son pouvoir n'avait pas encore pris de fortes racines, quand les partisans de Mégaclès et ceux de Lycurgue s'associèrent pour le chasser : cela eut lieu cinq ans après le premier établissement de Pisistrate, et sous l'archontat d'Hégésias. Onze ans après, Mégaclès, menacé par ses propres partisans, entra en pourparlers avec lui ; il lui imposa comme condition d'épouser sa fille, et le fit rentrer par un artifice digne des anciens temps, et d'une extrême simplicité. Il fit courir le bruit qu'Athéna allait ramener Pisistrate, puis, ayant découvert une femme grande et belle, originaire du dème de Paeania, suivant Hérodote, marchande de couronnes d'origine thrace, du quartier de Collytos, selon d'autres, et nommée Phyé, il la costuma en Athéna, et la fit entrer dans la ville avec Pisistrate. Celui-ci fit son entrée sur un char, ayant cette femme à ses côtés, et les habitants, prosternés, les reçurent avec une pieuse admiration.

[15] Second exil et second retour de Pisistrate.

Ainsi s'accomplit son premier retour. Dans la suite, exactement six ans après, il dut s'exiler de nouveau. Il lui fut en effet impossible de tenir longtemps : n'ayant pas voulu s'unir avec la fille de Mégaclès, il craignit les deux partis opposés et se déroba par la fuite. Il s'établit d'abord sur le golfe Thermaïque, à l'endroit nommé Rhaekélos, et passa ensuite dans la région qui s'étend autour du mont Pangée. C'est de là qu'après avoir amassé de l'argent et pris des hommes à sa solde, il partit pour Érétrie, dix ans après sa fuite d'Athènes, et essaya, alors pour la première fois, d'employer la violence pour recouvrer le pouvoir. Parmi tous ceux qui l'aidèrent dans son entreprise, les plus zélés furent les Thébains, Lygdamis de Naxos, et aussi les cavaliers qui tenaient le pouvoir à Érétrie. Vainqueur auprès du temple de Palléné, il s'empara du pouvoir et sut maintenir solidement sa tyrannie, après avoir enlevé ses armes au peuple. Il se rendit aussi à Naxos et y installa Lygdamis.

Voici comment il s'y prit pour enlever ses armes au peuple après avoir passé une revue dans l'enceinte de l'Anakéion, il fit mine d'y haranguer le peuple et s'efforça de parler à voix basse. Comme les assistants disaient qu'ils n'entendaient rien, il les invita à monter à l'entrée de l'acropole, pour que sa voix portât mieux. Pendant qu'il était occupé à haranguer le peuple, des hommes, qui en avaient reçu l'ordre, enlevèrent toutes les armes et les enfermèrent dans les édifices situés auprès du Théséion. Ils revinrent ensuite près de Pisistrate, qui achevait son discours, et l'avertirent. Pisistrate conta ce qui venait de se passer au sujet des armes, ajoutant qu'il ne fallait ni s'en étonner ni se laisser abattre ; qu'une fois de retour chez eux, ils n'avaient qu'à s'occuper de leurs propres affaires ; qu'à lui seul incombait le soin de toutes les affaires publiques.

[16] Caractère de son gouvernement.

C'est ainsi qu'au début fut établie la tyrannie de Pisistrate, et ce furent là ses vicissitudes. Pisistrate, comme nous l'avons dit, gouverna la cité moins en tyran qu'en citoyen respectueux de la Constitution. Il avait l'abord facile et plein de douceur, et se montrait indulgent à toutes les fautes. Il faisait aux pauvres, pour l'exploitation de leurs terres, des avances d'argent qui leur permettaient de ne pas interrompre leurs travaux de culture. Il agissait ainsi pour deux raisons : il voulait qu'au lieu de vivre à la ville, ils fussent dispersés dans la campagne, et que parvenant à l'aisance et préoccupés de leurs seuls intérêts, ils n'eussent ni le désir ni le loisir de s'occuper des affaires publiques. En même temps, plus on cultivait la terre, plus ses propres revenus s'accroissaient : car Pisistrate percevait la dîme des fruits. Pour toutes ces raisons, il établit les juges des dèmes, et lui-même sortait souvent dans la campagne pour se rendre compte des choses et régler les différends, afin qu'on n'eût pas à négliger les champs pour venir à la ville. C'est dans une de ces tournées qu'il arriva à Pisistrate cette aventure bien connue : il vit, dans la région de l'Hymette, un paysan qui cultivait le champ appelé depuis le Champ-Franc. Le bonhomme ne remuait que des cailloux, et Pisistrate, surpris, fit demander par son esclave ce qu'on retirait du champ : « Rien que maux et peines, répondit le paysan, et encore, faut-il que Pisistrate en prélève la dîme. » II avait répondu sans connaître Pisistrate, mais celui-ci, charmé de cette franchise en même temps que de cette ardeur au travail, l'exempta de tout impôt.

Pas une des mesures de son gouvernement ne fut vexatoire pour le peuple. Il prépara toujours la paix et sut maintenir le calme à l'intérieur de la cité ; de là l'expression proverbiale qu'on répéta souvent dans la suite : « Vivre sous la tyrannie de Pisistrate, c'était vivre du temps de Cronos. » Ce n'est en effet que plus tard et par les excès de ses fils, que la tyrannie devint de jour en jour plus dure. Ce qu'on louait le plus en lui, c'étaient ses manières, qui dénotaient un ami du peuple, et sa bienveillance. D'ailleurs, en toute son administration, il se conforma aux lois, sans s'arroger aucune prérogative : appelé un jour à comparaître devant l'Aréopage comme prévenu de meurtre, il se présenta lui-même en homme prêt à se défendre ; ce fut l'accusateur, effrayé, qui fit défaut. Voilà pourquoi sa tyrannie dura longtemps et pourquoi, après chacune de ses chutes, il n'eut pas de peine à ressaisir le pouvoir. Il avait en effet pour lui le bon vouloir de la plupart des nobles : et des gens du parti populaire : également bien disposé pour les uns et pour les autres, il gagnait les uns par ses relations d'amitié, les autres par des services personnels. Les lois des Athéniens sur la tyrannie étaient alors peu sévères, celle surtout qui visait les entreprises des tyrans et dont voici le texte : Les lois athéniennes établies par nos pères portent que quiconque aspire à la tyrannie ou forme un complot pour l'établir, sera frappé d'atimie dans sa personne et dans sa race.

[17] Mort de Pisistrate. Ses fils.

Pisistrate vieillit dans l'exercice du pouvoir et mourut de maladie sous l'archontat de Philonéos. Depuis qu'il avait établi pour la première fois sa tyrannie, il avait vécu trente-trois ans : il en avait passé dix-neuf au pouvoir et le reste en exil. Aussi est-il manifestement déraisonnable de dire que Pisistrate fut aimé par Solon et qu'il commandait dans la guerre engagée contre les Mégariens au sujet de Salamine. L'âge de l'un et de l'autre rend cette assertion inadmissible : on n'a qu'à rapprocher l'époque de leur vie et la date de leur mort. Après la mort de Pisistrate, ses fils prirent le pouvoir et continuèrent à l'exercer de la même manière. De son union légitime avec une femme d'Athènes, Pisistrate avait eu deux fils, Hippias et Hipparque ; d'une femme d'Argos, il en avait eu deux autres, Iophon et Hégésistratos. Ce dernier était surnommé Thettalos. Pisistrate avait en effet épousé une femme d'Argos, la fille d'un citoyen de cette ville nommé Gorgilos : elle s'appelait Timonassa et avait été la femme d'Archinos d'Ambracie, de la famille des Kypsélides. De ce second mariage de Pisistrate était résultée une alliance avec les Argiens : mille d'entre eux, qu'avait amenés Hégésistratos, prirent part à la bataille livrée près du temple de Palléné. Le mariage avait été contracté, selon les uns, pendant le premier exil de Pisistrate ; selon les autres, pendant qu'il était au pouvoir.


Traduit par B. Haussoullier, avec la collaboration de E. Bourguet, Jean Brunhes et L. Eisenmann, E. Bouillon, Paris, 1891.

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