© Agnès Vinas


Pour répondre point par point au programme architectural de Pompée, Jules César avait prévu de construire un théâtre sur le Forum Holitorium, près du Tibre. Les terrains avaient été achetés, mais le théâtre fut effectivement construit par Auguste, et dédié à la mémoire de Marcellus.

Marcellus était le neveu d'Auguste, fils de sa soeur Octavie. Il avait épousé Julie, la fille d'Auguste. Sa mort en 23 avant JC plongea la cour dans la consternation. On se souvient du couplet dramatique consacré à Marcellus dans l'Enéide, lorsqu'au livre VI Anchise montre à Enée sa future descendance, et en particulier un jeune homme promis à un destin tragique : c'est à ce Marcellus qu'Auguste a dédié le théâtre construit au bord du Tibre.

Avec la rénovation du théâtre de Pompée, menée en 32, la construction de ce théâtre, inauguré en 13 ou en 11, et celle du théâtre de Balbus en 13 avant JC, le programme d'édification des lieux de spectacle à Rome fut mené à grande allure en une vingtaine d'années. L'importance accordée à ce type de construction appelle plusieurs remarques :

  1. Contrairement au Sénat républicain, qui avait interdit la construction en dur de lieux de spectacle, Auguste mesure l'intérêt que peuvent présenter de tels lieux à des fins de propagande : le rassemblement de grandes masses populaires en un même lieu lui permet de célébrer à grande échelle les valeurs mythiques du nouveau régime. En 22, le mime Pylade, affranchi et protégé d'Auguste, s'est fait le théoricien d'une nouvelle forme de spectacle, représentant toute l'histoire du monde «à partir du chaos et de la première naissance du monde jusqu'à l'histoire de Cléopâtre, reine d'Egypte» (Lucien, Sur la danse, 37). Il s'agit donc, dans un décor théâtral d'un type nouveau, de représenter «le cosmos réconcilié du nouvel âge d'or, dont le pouvoir augustéen fixait le retour à partir d'Actium» (Gilles Sauron). En 17, une partie des Jeux séculaires, présentés dans le théâtre de Marcellus, ne fait que redire à la foule qu'Auguste est bien cet homme providentiel, dont l'intervention, forcément voulue par les dieux, a ramené sur terre l'Age d'Or.

  2. La lex Julia theatralis, dont nous ne connaissons pas la date exacte, assigne à chaque spectateur une place dans les gradins du théâtre déterminée par sa classe sociale : ségrégation et hiérarchisation sociales, matérialisées de manière évidente par la place de chacun dans la cavea, s'imposent ainsi aux esprits avec une remarquable efficacité.

  3. Enfin l'anecdote des colonnes de Scaurus est emblématique de la nouvelle politique du régime à l'égard du luxe privé (privata luxuria). M. Aemilius Scaurus s'était particulièrement distingué, pendant l'année 58 où il avait été édile et où, en campagne électorale, il avait construit un théâtre provisoire en bois de 8000 places, somptueusement orné en particulier de quatre colonnes grecques en marbre, d'une taille et d'un prix excessif. Une fois le théâtre démonté, il avait récupéré ces colonnes et les avait intégrées dans l'atrium de son luxueux palais du Palatin. Dans la logique de ses lois somptuaires destinées à limiter les dépenses privées, Auguste fit raser le somptueux bâtiment et «rendit les colonnes au peuple» en les faisant placer sur le mur de scène du théâtre de Marcellus : la publica magnificentia était prioritaire... Ce geste ne mit évidemment aucun terme à la débauche de luxe privé, mais il servit évidemment auprès du peuple l'image d'un Auguste modeste et ennemi des excès des classes aristocratiques.

Gravure d'Etienne du Pérac, I vestigi dell'antichità di Roma (1575)

Abandonné semble-t-il au début du IVe siècle après JC, le théâtre commença à servir de carrière pour la réparation du pont Cestius. Heureusement, il fut transformé en forteresse au Moyen Age, et au XVIe siècle, l'architecte Baldassare Peruzzi y construisit le palais de la famille Savelli, qui passa au XVIIIe siècle aux Orsini. Cette série de réutilisations spectaculaires a sauvé le théâtre, qui seul a subsisté sous une forme reconnaissable, alors que les théâtres de Pompée et de Balbus n'ont plus laissé de souvenirs que dans leurs substructures et dans la courbe de certaines rues.

© Agnès Vinas