Déesse qui personnifiait, chez les Grecs et les Romains, la paix et ses bienfaits.
I. Eirènè chez les Grecs
De très bonne heure les poètes grecs firent
de la paix une divinité. Dans la
Théogonie d'Hésiode,
Eirènè est une des trois Heures, filles de Zeus
et de Thémis ; elle a pour soeurs Eunomia et
Dikè. La même allégorie se retrouve dans
Pindare, sous une forme à peine différente ;
elle est mentionnée par Diodore de Sicile et
Apollodore. Chez d'autres poètes, par exemple chez
Euripide et chez Aristophane, Eirènè est
invoquée comme une déesse
particulièrement bienveillante pour les hommes, comme
la plus belle, la plus vénérable des
déesses.
Les Athéniens rendirent un culte à
Eirènè. La déesse avait chez eux, sinon
un temple, du moins un autel, bômos.
D'après Plutarque, cet autel aurait été
dédié à la fin des guerres
médiques, après la victoire remportée
par Cimon sur les bords de l'Eurymédon et le
prétendu traité de paix qui aurait
été alors signé par le Grand Roi.
D'autre part, Isocrate et Cornelius Nepos rapportent que le
premier autel d'Eirènè dans Athènes fut
consacré seulement en 374 av. JC., à la suite
de la victoire remportée par Timothée sur les
Lacédémoniens et de la paix qui en fut la
conséquence. Parmi les documents épigraphiques,
le plus ancien de ceux qui attestent l'existence à
Athènes d'un culte d'Eirènè est de
l'année 332-339 av. JC. Mais Aristophane, dans sa
comédie la Paix, représentée en
419, parait bien indiquer qu'à cette époque on
avait l'habitude à Athènes d'offrir des
sacrifices à Eirènè. Il est très
probable que le culte et l'autel d'Eirènè
existaient chez les Athéniens dès le milieu du
Ve siècle. Le scoliaste d'Aristophane nous apprend
qu'on offrait un sacrifice à la déesse le
seizième jour du mois d'Hecatombaion, que ce sacrifice
était un sacrifice non sanglant, et que les offrandes
des particuliers présentaient le même
caractère. Hors d'Athènes, l'on n'a
trouvé que très peu de traces du culte
d'Eirènè dans le monde grec.
Il y avait à Athènes une statue
célèbre d'Eirènè, oeuvre de
Képhisodotos, qui passe pour être le père
et le maître de Praxitèle. Képhisodotos
avait représenté la déesse debout,
tenant de la main droite un long sceptre et portant sur son
bras gauche Ploutos enfant.
Ce groupe fut reproduit sur des monnaies athéniennes, et Brunn en a reconnu une réplique dans un marbre de la Glyptothèque de Munich, que l'on avait pris jusqu'alors pour une image de Leucothée portant son fils Melikertès. L'oeuvre de Képhisodotos fut peut-être exécutée à l'occasion de la victoire de Timothée ; elle fut placée près des statues des Eponymes, non loin du temple d'Arès et de la Tholos, au pied de l'Aréopage et dans le voisinage de l'agora. Des monnaies de Cyzique, de Locres Epizéphyrienne, de Nysa en Lydie portaient également une image d'Eirènè. |
II. Pax chez les Romains
Les plus anciens témoignages que l'on ait d'une personnification allégorique de la paix à Rome ne remontent pas au delà du milieu du Ier siècle av. JC. Ce sont deux monnaies : sur l'une est gravé le nom de L. Aemilius Buca, l'un des quatuorviri monetales institués par César en 44 av. JC. ; l'autre porte le nom d'Auguste et l'indication de son sixième consulat ; or Auguste fut consul pour la sixième fois en 28 et pour la septième fois en 27. Cette monnaie a donc été frappée en 28. Au droit de la monnaie qui porte le nom de L. Aemilius Buca, on voit une tête de femme avec le mot PAXS. Au revers de la monnaie d'Auguste, se lit de même le mot PAX et auprès une image de la Paix, sous les traits d'une femme debout, tenant un caducée de la main droite ; près d'elle est représentée une ciste mystique d'où s'élance un serpent. M. Rabelon pense que cette médaille a été frappée en Asie Mineure. |
Mais c'est seulement avec l'institution et la dédicace de l'Ara Pacis Augustae qu'apparait un culte réel de la déesse Pax dans le monde romain. Le 4 juillet de l'année 13 av. JC., pour fêter le retour d'Auguste qui rentrait à Rome après un séjour de trois années en Espagne et dans les Gaules, le Sénat décida l'érection dans le Champ de Mars d'un autel de la Paix Auguste. Trois ans et demi plus tard, le 30 janvier de l'an 9, cet autel était solennellement dédié. Il se dressait dans la partie septentrionale du Champ de Mars, là où l'on voit aujourd'hui l'église San Lorenzo in Lucina et le palais Fiano. Autour de l'autel proprement dit s'élevait une enceinte quadrangulaire, d'environ 10 mètres de côté ; cette enceinte était décorée à l'extérieur de sculptures qui représentaient une procession et des scènes de sacrifice, à l'intérieur de motifs décoratifs, festons, guirlandes, arabesques. Plusieurs fragments de cet ensemble ont été retrouvés ; ils sont malheureusement dispersés à Paris, à Florence, à Rome, dans divers musées ou collections. |
L'Ara Pacis est représentée sur
plusieurs monnaies de Néron. Le culte de la
déesse Pax fut désormais
célébré régulièrement
chaque année le 30 janvier et le 4 juillet ; à
la fin de mars, quelque cérémonie y avait lieu
également. La victime que l'on sacrifiait à la
déesse Pax était une génisse,
vacca ; les magistrats en exercice, les prêtres
et les Vestales devaient assister au moins à la
cérémonie du 4 juillet.
Un peu moins d'un siècle après
l'érection de l'Ara Pacis, Vespasien, en l'an
75 ap. J.-C., fit construire en l'honneur de la déesse
un temple magnifique, «le plus vaste et le plus beau,
dit Hérodien, des édifices qui ornaient
Rome». Ce temple s'élevait au nord-est du Forum
Romanum ; il était entouré d'une area
à laquelle fut donné plus tard le nom de
Forum Pacis. Vespasien accumula dans le temple de la
Paix des richesses et des oeuvres d'art, enlevées
à diverses provinces de l'empire ; c'est là, en
particulier, que furent déposés les vases
sacrés et les objets en or provenant du temple de
Jérusalem ; on y voyait aussi plusieurs chefs-d'oeuvre
de sculpture et de peinture ravis à la Grèce.
Ce temple fut dévoré par un incendie terrible
sous Commode en 191 ap. JC.
Le culte de la déesse Pax ne semble pas avoir
été plus populaire à Rome et dans
l'empire romain, que celui d'Eirènè dans le
monde hellénique. Les dédicaces à Pax
sont rares tant en Italie que dans les provinces. On en a
trouvé jusqu'à présent à Rome,
à Préneste, en Espagne, en Gaule, sur les bords
du Rhin et du Danube, en Afrique, mais nulle part ces
documents ne révèlent l'existence d'un culte
très répandu.
Les Romains représentaient la déesse Pax sous
des traits analogues à ceux de la Fortune, de
l'Abondance, etc. Ses attributs les plus fréquents
étaient un rameau d'olivier, un caducée, une
corne d'abondance. Parfois le type de Pax se rapprochait des
images de la Victoire ; on considérait en effet la
Paix comme le résultat d'une guerre victorieuse : dans
ce cas, elle était couronnée de laurier, elle
avait une lance ; parfois même on lui donnait des ailes
comme à la Victoire.
Article de J. Toutain