CONSULTATION SUR L’ÉPIDÉMIE FAITE PAR LE COLLÈGE
DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS
Ms. Latin 11227 - BnF
A la vue des effets dont la cause échappe à la perspicacité des meilleures intelligences, l’esprit humain tombe dans l’étonnement. Il y a en lui un besoin inné de poursuivre le bien et le vrai ; tout être aime le bien et désire savoir, comme le philosophe nous le démontre clairement. A la suite de cet étonnement, un esprit sage ne résiste pas à son attrait naturel, mais, avide de son perfectionnement, il emploie tous, ses efforts à rechercher les causes des effets merveilleux ; c’est ce qu’ont fait, de nos jours, comme nous l’apprenons, plusieurs savants astrologues et médecins au sujet de la cause de l’épidémie qui sévit dès l’an 1345 de notre ère. Mais, comme leur déclaration laissait encore ample matière à discussion, nous tous et chacun de nous, maîtres du collège de la Faculté de médecine de Paris, conformément aux ordres de notre très illustre prince et de notre sérénissime seigneur et maître Philippe [VI], roi de France, et désireux également de pourvoir au bien public, nous avons résolu de faire un court exposé des causes de l’épidémie, causes générales et éloignées, particulières et prochaines, ainsi que des remèdes les plus efficaces, autant qu’il est permis à l’esprit humain de connaître la nature de cette maladie ; nous appuyant pour cela sur les paroles des plus illustres philosophes de l’antiquité, ainsi que sur les opinions plus certaines des savants modernes, astronomes ou médecins, et comptant aussi sur l’aide de Dieu.
Quoiqu’il ne nous soit pas donné, comme nous le voudrions, d’éclaircir toutes les difficultés, car elles sont de celles dont on ne peut découvrir ni la raison certaine, ni une connaissance absolument complète, comme l’indique Pline au livre II, chapitre XXXIX, où il dit : « Il est évident que parmi les causes des saisons, les unes sont fixes, les autres fortuites ou du moins régies par des lois encore ignorées, » néanmoins, ce que nous allons dire ici facilitera la voie à tout investigateur attentif, pour suppléer à ce qui lui manque.
Nous divisons cette consultation en deux parties. Dans la première, nous recherchons les causes de cette épidémie, et d’où elle provient. Dans la seconde, nous indiquons les remèdes préservatifs et quelques remèdes curatifs.
La première partie comprend trois chapitres.
Car cette épidémie provient d’une double cause : l’une éloignée, qui est supérieure et céleste ; l’autre prochaine, qui est inférieure et terrestre. Cette seconde cause dépend de la première et pour la source et pour l’effet. D’où le premier chapitre traite de la première cause ; le second de la deuxième ; le troisième du pronostic et des symptômes et complète ainsi les deux premiers chapitres.
La seconde partie renferme deux traités.
- Le premier est consacré aux remèdes préservatifs à l’aide du régime.
- Le second aux remèdes curatifs et préservatifs, au moyen des médicaments.
Dans le premier traité, il y a quatre chapitres.
- Le premier, sur le choix de l’air et sa purification.
- Le second, sur l’exercice et le bain.
- Le troisième, sur les aliments et les boissons.
- Le quatrième, sur le sommeil et la veille, l’inanition et la réplétion, et sur les accidents de l’âme.
Dans le deuxième traité, il y a trois chapitres.
- Le premier, sur les remèdes généraux.
- Le second, sur les remèdes particuliers et spéciaux.
- Le troisième, sur les antidotes.
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER - DE LA CAUSE GENERALE ET ÉLOIGNÉE
Disons d’abord que la cause éloignée et première de cette peste a été et est encore quelque constellation céleste. Car, en l’an du Seigneur 1345, il y eut une importante conjonction de trois planètes supérieures, dans le signe du Verseau, le 20e jour du mois de mars, à une heure de l’après-midi. Cette conjonction, ainsi que d’autres conjonctions et éclipses qui furent précédemment la cause réelle de la corruption meurtrière de l’air qui nous environne, présage la mortalité et la famine, ainsi que bien d’autres fléaux que nous passerons maintenant sous silence, comme n’ayant point de rapport avec notre sujet. Qu’il en soit ainsi, c’est ce que nous enseigne Aristote dans son livre sur les causes des propriétés des éléments, vers le milieu, où il dit : que la mortalité des nations et la dépopulation des royaumes proviennent de la conjonction de deux astres, à savoir de Saturne et de Jupiter, à cause du changement de ces deux étoiles, de triplicité à triplicité : d’où résultent des accidents graves, comme cela est démontré chez les anciens philosophes.
Albert de Cologne, dans son livre sur les causes de la propriété des éléments, (traité 2e chap. 1), dit aussi que la conjonction de deux étoiles, à savoir, de Mars et de Jupiter, amène une grande pestilence dans l’air, surtout quand la conjonction de ces astres se fait dans un signe chaud et humide, comme cela eut lieu alors. Car Jupiter, une planète chaude et humide, souleva, de la terre et de la mer, les mauvaises vapeurs. Quant à Mars, qui est excessivement chaud et sec, il embrasa ces vapeurs élevées dans l’air.
Voilà pourquoi l’air se remplit d’éclairs, de lueurs, de vapeurs pestilentielles et de feux, surtout, parce que Mars, planète malfaisante, qui engendre la maladie et la guerre, depuis le 6e jour d’octobre de l’an 47, jusqu’à la fin de mai de la présente année, se rencontra dans le signe du Lion avec la tête du Dragon ; tous ces astres, qui sont chauds, attirèrent une grande quantité de vapeurs, de sorte que l’hiver ne fut pas froid comme il aurait dû l’être. De son côté. Mars, par son mouvement rétrogade, attira de la terre et des eaux une certaine quantité de vapeurs qui, mêlées à l’air, corrompent sa nature ; et comme il se tourna vers Jupiter à l’aspect malfaisant, il en résulta, en quatrième lieu, que ces vapeurs engendrèrent une mauvaise disposition ou qualité ennemie et contraire en elle-même à la vie humaine. De là, s’élevèrent des vents violents, car, d’après Albert, au livre quatrième des météores, Jupiter a la propriété de donner naissance aux vents puissants, qui, étant habituellement des vents du midi, produisirent, dans nos contrées plus basses, un excès de chaleur et d’humidité. Toutefois, dans notre région, l’humidité l’emporta sur la chaleur.
N’insistons pas davantage, quant à présent, sur cette cause générale et éloignée.
CHAPITRE DEUXIÈME - DE LA CAUSE PARTICULIERE ET PROCHAINE
Quoique les maladies pestilentielles proviennent de la corruption de l’eau et des aliments, comme il arrive en temps de famine et de stérilité, nous croyons cependant que ces maladies sont plus dangereuses quand elles sont engendrées par la corruption de l’air. Le mauvais air, en effet, est plus pernicieux que les aliments et les boissons, parce qu’il pénètre plus rapidement, avec sa malignité, jusqu’au cœur et au poumon. Or, nous croyons que l’épidémie ou peste actuelle, provient directement de l’air corrompu dans sa substance essentielle et non point seulement dans ses qualités; c’est-à-dire que l’air, qui de sa nature est pur et clair, ne se gâte et ne se corrompt que lorsqu’il en vient, par quelque cause, à se mélanger avec de mauvaises vapeurs.
Or, d’abondantes vapeurs corrompues s’élevèrent de la terre et des eaux, au temps des conjonctions susdites et par leur force même se répandirent dans l’air ; beaucoup s’y multiplièrent, sous l’influence des vents épais et violents soufflant fréquemment du midi, et, à cause des vapeurs humides étrangères que ces vents entraînent ou entraînèrent avec eux, elles pénétrèrent la substance intime de l’air. Cet air même ainsi corrompu, entraîné par la respiration, pénètre nécessairement au cœur ; il corrompt la nature du souffle vital qui est dans cet organe, et gâte les parties environnantes par suite de l’humidité, cause de la chaleur, qui s'échappe de la nature, et corrompt ainsi le principe même de la vie. Telle est la cause immédiate de l’épidémie qui sévit en ce moment.
En outre, ces vents méridionaux qui furent si fréquents parmi nous, ont pu ou pourraient peut-être dans l’avenir transporter ou avoir transporté jusqu’à nous, dans leur impétuosité, les mauvaises vapeurs, empestées et empoisonnées, d’autres contrées, comme des marais, des lacs, des vallées profondes, ainsi que des cadavres non ensevelis et non brûlés, ce qui est ou sera plus meurtrier encore ; telle pourrait être la cause de l’épidémie. Peut-être aussi cette corruption a pu ou pourra provenir, en dehors des autres causes, des décompositions amoncelées dans les couches inférieures du sol, ce qui amène parfois des tremblements de terre, comme, de fait, il s’en est produit récemment. C’est ainsi qu’en corrompant l’air et l’eau, elles rendirent et rendent encore ces éléments dangereux. Les constellations susdites peuvent donc être les causes universelles et éloignées de tous ces fléaux.
CHAPITRE TROISIÈME - DU PRONOSTIC ET DES SYMPTÔMES
Les changements de saisons sont très souvent une cause de maladies. Les anciens en effet, et principalement Hippocrate, sont unanimes sur ce point ; si l’air est corrompu pendant les quatre saisons de l’année, ou si les saisons ne gardent pas, cette année-là, leur consistance, il s’engendre des pestes et des maladies mortelles.
Or, nous savons par expérience que, depuis longtemps, les saisons ne se sont point faites en leur temps ; l’hiver passé fut moins rigoureux qu’il n’aurait dû l’être, et fort pluvieux ; le printemps fut marqué par des vents nombreux, et des pluies sur la fin ; l’été fut beaucoup moins chaud que d’ordinaire et plus humide ; les jours et les heures amenant de fortes variations de température, l’air fut souvent troublé et bientôt après éclairci ; il y eut des annonces de pluie prochaine non suivies d’effet ; l’automne aussi fut très pluvieux et nuageux ; de sorte que toute cette année, au moins dans son ensemble, fut chaude et humide.
Voilà pourquoi l’air est pestilentiel ; la chaleur et l’humidité de l’air ne sont pas celles des saisons de l’année, mais des temps d’épidémie. De sorte que nous pouvons généralement redouter les suites de cette peste parce qu’elle est d’une origine inférieure, et surtout parce qu’elle provient d’une mauvaise influence des astres, d’autant plus que la conjonction susdite eut lieu dans un signe occidental. En conséquence, si l’hiver prochain est très pluvieux et moins froid qu’il ne le faudrait, nous craignons que l’épidémie ne se produise vers la fin de l’hiver, ou dans le courant du printemps. S’il est long, l’épidémie sera aussi redoutable.
D’ordinaire en effet, quand une seule saison est bouleversée, l’épidémie a moins de durée. Mais quand ce sont toutes les saisons, comme il est clair que cela eut lieu récemment, l’épidémie doit logiquement être plus longue et plus terrible, à moins toutefois que les saisons nouvelles ne se présentent sous un aspect tout opposé. De là, si l’hiver était boréal, c’est-à dire froid et sec, cette épidémie pourrait peut-être être retardée. Quand nous disons que cette peste doit être fort dangereuse, nous ne voulons pas entendre par là qu’elle exercera ses ravages au même degré que dans les contrées méridionales et orientales. C’est en effet de ce côté, plus que du nôtre, que se tournèrent les constellations et autres causes susdites. Toutefois ces signes, comme ceux des astronomes, doivent être placés, d’après Ptolémée, entre l’absolu et le possible. De plus, on vit, plus que jamais, des exhalaisons et des embrasements, tels que ceux du Dragon et des étoiles volantes.
Plus fréquemment aussi que de coutume, le ciel prit une teinte jaune, et l’air une couleur rougeâtre, par suite de l’embrasement des vapeurs ; on remarqua de nombreux et fréquents éclairs, et des lueurs enflammées ; de grands coups de tonnerre et des vents tellement puissants et violents que les pluies ébranlèrent une grande partie du sol ; elles venaient des contrées du midi qui sont les plus mauvaises entre toutes, et disposèrent ainsi les corps à une rapide putréfaction. Ajoutons surtout de forts tremblements de terre et une multitude de poissons, de bêtes et d’autres animaux dont les corps couvrirent le littoral de la mer et d’autres régions ; et les arbres couverts de poussière.; il est même des témoins qui racontent avoir vu une grande quantité de grenouilles et de reptiles sortir de cette pourriture.
Tous ces phénomènes semblent annoncer une grande corruption dans l’air et sur la terre. Or, beaucoup d’hommes sages, dont le nom est digne de mémoire, ont prédit tout cela, en s’appuyant sur des preuves certaines.
Il n’est donc point étonnant que nous redoutions l’épidémie pour l’avenir ; mais ici, il faut bien remarquer que, par ce qui précède, nous n’entendons pas exclure les maladies qui doivent arriver suivant la nature de cette présente année, d’après la sentence des aphorismes d’Hippocrate. Car une année de vapeurs abondantes et d’une excessive humidité, est aussi une année de maladies nombreuses.
Et en outre, la cause de cette production des maladies se trouve dans les dispositions impressionnables du corps. Une cause quelconque ne produit point ses effets sur un sujet, sans l’aptitude de ce sujet à les recevoir. Il faut donc bien remarquer que, malgré le danger où tout le monde se trouve, par suite de la nécessité de la respiration, d’absorber parfois de l’air corrompu, tout le monde néanmoins ne contracte pas de maladie à cause de cette corruption de l’air, mais un certain nombre seulement qui s’y trouvaient prédisposés ; quant à ceux qui sont atteints, ils ne guérissent point, sauf de rares exceptions. Or, les corps mieux préparés à recevoir les germes de l’épidémie sont les corps chauds et humides, parce qu’ils sont mieux disposés à la corruption.
Il en est de même des corps remplis et obstrués par de mauvaises humeurs, et dont la surabondance n’est pas absorbée ou expulsée comme elle devrait l’être ; il en est ainsi de ceux qui suivent un mauvais régime, qui abusent d’un repos et d’un coït exagérés, et des bains ; des hommes mous, faibles, et fort craintifs ; de même les enfants, les femmes, les jeunes gens, ceux qui ont le corps épais, le teint coloré, la bile rougeâtre, doivent s’observer plus que les autres. Ceux au contraire dont le corps est sec et purifié de toutes les humeurs superflues, qui suivent un bon régime, approprié à leur tempérament, sont moins vite atteints par le fléau.
Nous ne voulons pas manquer de dire que lorsque l’épidémie procède de la volonté divine, nous n’avons alors d’autre conseil à donner que celui de recourir humblement à cette volonté même, sans négliger néanmoins les prescriptions du médecin. Car c’est le Très-Haut qui a créé la médecine sur la terre ; c’est donc Dieu seul qui guérit les maladies, lui qui, dans sa libéralité, a fait sortir la médecine de notre fragilité. Béni donc soit le Dieu glorieux et élevé qui, sans jamais cesser de nous secourir, a appris à ceux qui le craignent la science certaine de guérir.
Ceci suffit pour le troisième chapitre et pour toute la première partie.
SECONDE PARTIE
DEUX TRAITÉS
La seconde partie renferme deux traités ; c’est-à-dire que le traitement préservatif se compose de deux éléments : le premier, au moyen du régime, qui consiste à éviter l’usage des choses dangereuses pour notre nature.
Le second, à l’aide des procédés médicinaux, tels que les saignées, les purgations, et autres remèdes.
Le premier traité s’occupera donc des remèdes préservatifs au moyen du régime, suivant l’exposé de six choses qui peuvent être contraires à notre nature. Il renfermera quatre chapitres.
CHAPITRE PREMIER - DU CHOIX DE L’AIR ET DE SA PURIFICATION
Celui qui veut se préserver de cette épidémie, doit choisir un air aussi pur et aussi clair qu’il lui sera possible, sans aucun mélange de vapeurs corrompues et d’une nature sèche. Ce choix amène une double considération : l’une sur le choix de l’air, par rapport au lieu d’habitation ; l’autre sur la purification de l’air, par rapport à sa substance et à sa nature. Quant au premier point, suivons le conseil d’Haly, qui s’exprime en ces termes : « Que les habitants quittent les lieux où les accidents arrivent, si cela leur est possible. Sinon, qu’ils choisissent leur habitation à l’abri des vents qui traversent ces vapeurs corrompues, comme dans les maisons quelque peu humides où il ne passe pas beaucoup d’air. » D’où il résulte évidemment que, dans les temps nébuleux et suspects, les maisons basses sont les meilleures.
Il faut donc choisir une habitation qui soit telle, éloignée des lieux marécageux, bourbeux et fétides, ainsi que des mauvaises eaux stagnantes et des fossés, dont les fenêtres soient ouvertes au vent du nord. Il faut prendre garde toutefois que ces vents ne traversent pas des lieux corrompus et infectés, et que les fenêtres opposées, tournées vers le midi, restent closes et fermées, ou du moins qu’on ne les ouvre pas avant le lever du soleil, ni avant d’avoir fait du feu. Les fenêtres doivent aussi être vitrées ou garnies de toile cirée, afin que l’air n’entre pas librement dans l’appartement, si ce n’est quand le vent du nord souffle pur et limpide, vers l’heure de midi, quand l’air est purifié par la chaleur du soleil. Quant aux habitations dans les bois, nous les approuvons moins ; toutefois celles qui sont dégagées de bois vers le nord et abritées du côté du midi, nous paraissent préférables aux autres.
Quant à la purification de l’air dans sa substance et sa nature, il est à considérer que si l’air n’est pas pur, mais fétide et nuageux, il faut choisir une habitation dans une chambre, et corriger la malignité de l’air à l’aide du feu fait avec des bois secs et odoriférants. Or les bois qui conviennent dans cette circonstance sont le genévrier et le frêne, la vigne et le romarin, le chêne jeune et les épines. L’hiver surtout, il convient de faire des fumigations pour corriger l’air avec du bois d’aloës, de l’ambre et du musc, pour les personnes riches qui le peuvent ; ou avec le costus, le storax calamite, l’olibane, la majoraine, le mastic, les Astiques, le thamarisque et autres plantes semblables.
Il faut donc se servir, dans l’hiver, de ces plantes, soit mélangées, soit prises séparément et une à une, pourvu que les fumigations soient aromatiques et agréables, sans être trop chaudes ; et, entre autres plantes, le ciperon et le thamarisque, en raison même de leur saveur aigre sont plus propres à corriger l’air qui a pris de mauvaises qualités. On peut aussi pour faire des fumigations se servir de trochisques, dont nous réservons la description au dernier chapitre ; ce genre de fumigations doit se faire au lever et au coucher du soleil et au milieu de la nuit ; on peut en même temps en faire, assez avantageusement, avec de l’olibane et des grains de genièvre. On dit aussi que l'ase empêche la putréfaction de l’air, en chasse la puanteur et la corruption qui en résulterait. Un autre moyen, dit-on, de corriger la malice de l’air, c’est de mettre dans le feu des morceaux de figues fraîches, en ayant soin d’en jeter sur les charbons embrasés jusqu’à ce qu’ils soient entièrement brûlés.
Dans l’été au contraire, ou dans les temps chauds, la malice de l’air doit être corrigée par le froid. Il faut alors arroser la chambre ou le lieu d’habitation avec de l’eau de rose et du vinaigre, ou de l’eau très froide avec du vinaigre ; il faut y étendre des branches, des feuilles et des fleurs froides, telles que des plantes vertes, des osiers, des roses, des nénuphars, des feuilles de vigne et d’autres plantes odorantes, de l’eau de rose et du vinaigre, ou maintenir une éponge imbibée de vinaigre.
CHAPITRE SECOND - DE L'EXERCICE ET DU BAIN
Sur l’exercice et le bain, deux choses sont à considérer. D’abord, par rapport à l’exercice, ceux qui n’y sont pas accoutumés, ne doivent pas commencer à s’y livrer en temps d’épidémie ; quant à ceux qui en ont l’habitude, ils doivent, lorsque l’air est serein, se livrer à la promenade moins cependant que de coutume, de manière à ne pas accroître en eux le besoin de respirer beaucoup d’air. Cependant, si l’air du dehors n’est pas serein, mais trouble et infect, il ne faut pas sortir du logis, mais au contraire prendre un peu d’exercice dans l’appartement ou dans la cour. Quelques auteurs, il est vrai, proscrivent l’exercice, mais il en sera question à propos des excès et du régime curatif dans la présente maladie.
La seconde chose à considérer, c’est le bain, qu’il faut éviter, à notre avis, de prendre chaud, parce qu’il détend et humecte le corps. Si des auteurs le permettent, c’est à ceux qui y sont fort habitués, et encore plus rarement que de coutume, ou du moins à ceux dont le corps est replet, qui ont des humeurs grasses et compactes, et à qui le bain convient ordinairement avant la purgation, pour détremper en quelque sorte les humeurs, de manière à favoriser leur expulsion.
CHAPITRE TROISIÈME - DES ALIMENTS ET DES BOISSONS
Au sujet du manger et du boire, il est à observer que l’on doit éviter nécessairement les excès de nourriture et de boissons, ainsi que les choses humides, parce qu’elles prédisposent à l’épidémie. On doit donc user d’aliments légers, de facile digestion, capables d’enrichir le sang, comme du pain fait avec du froment d’une bonne qualité et d’une bonne récolte, bien cuit, suffisamment fermenté, d’un jour ou deux au plus, et mélangé d’un peu de son ou d’orge.
Parmi les viandes, il faut choisir les agneaux d’an an, les morceaux tendres du veau, les chevreaux, les lapins, les jeunes poulets, les poules, les perdrix, les faisans, les étourneaux, les chapons, et autres gallinacés et même les petits oiseaux tels que les alouettes gamaleones, et autres semblables. Cependant toutes ces viandes doivent être mangées rôties plutôt que bouillies. Avant de les faire bouillir, les jeunes moutons seront salés pendant un jour. Or, les viandes bouillies doivent être assaisonnées avec des épices aromatiques, particulièrement avec de la cannelle et du vinaigre, et toutes les sauces doivent être apprêtées avec de fines épices, telles que le gingembre, les clous de girofle, le poivre de cubèbe, le cardamome, la noix muscade, le macis, ou fleur et écorce du muscadier et spécialement le safran et la cannelle, avec du vinaigre ou du verjus.
Toutefois dans l’été, il convient d’assaisonner les viandes avec moins d’épices et une sauce plus légère, avec du vinaigre ou du verjus ; mais au contraire avec une sauce plus forte en hiver. On peut aussi assaisonner les viandes susdites avec des gelées ou des galantines formées des mêmes épices. Cependant, dans le temps présent, il faut éviter les viandes d’une digestion difficile, qui engendrent des humeurs épaisses, mélancoliques ou liquides, soit flatueuses, comme particulièrement les viandes de bœuf trop vieux et trop salé, de vache, de porc, de cerf, de chèvre, et de tous les oiseaux aquatiques.
A plus forte raison, on ferait bien d’éviter de manger des poissons, et surtout ceux qui vivent de chair ou dans les marais, parce qu’ils se corrompent facilement. Si parfois cependant on vient à en user, il faut choisir les poissons écailleux, vivant dans des eaux claires, douces, rocailleuses et courantes. Parmi les poissons de mer, on choisira les rougets, les soles, les plies, et autres semblables, et on doit les manger rôtis, en général, avec des sauces composées des épices susdites, faites avec du vinaigre ou du verjus.
Les potages doivent se composer de jus de viande, de bonne qualité, préparés selon les règles, avec des épices aromatiques et avec du vinaigre ou du verjus. Une fois par semaine cependant, on pourra se servir de pois et de lentilles, parce qu’ils s’opposent à la putréfaction, en vertu de leur nature sèche. On pourra aussi user de bourrache,d’épinards, de blettes, de jeunes vignes, de persil et d’oseille, et pendant quelque temps de choux bien cuits et accompagnés de bonnes viandes. Toutefois ces légumes doivent être pris rarement et en petites quantités, parce qu’ils rendent le sang aqueux et le prédisposent ainsi à la corruption. Mais les œufs frais, cuits et mangés avec du vinaigre et du verjus, peuvent être utiles de temps en temps. Il est bon aussi d’éviter les laitages. Cependant, de temps à autre, et à la fln du repas, on peut suivre l’usage de prendre du fromage, mais en petite quantité. De même le lait aigre peut tenir lieu de médecine, comme il sera dit plus bas.
En outre, il faut éviter tous les fruits en général, parce qu’ils mettent dans le sang une prédisposition à la corruption ou à la putréfaction, à moins qu’ils ne soient acidulés et aigrelets, et ceux-ci conviennent en temps d’épidémie, surtout pendant l’été, tels que les pommes grenades, les citrons, l’herbe de citron, les cornouilles, les cormes, les coings et autres semblables. Quelques auteurs permettent aussi les figues, avec des noix, parce qu’elles résistent au venin ; on doit avoir soin cependant de faire sécher les noix, afin de leur enlever leur écorce extérieure.
Mais c’est surtout dans les temps d’épidémie qu’il est dangereux de prolonger les repas avec diverses espèces de fécules. On ne doit pas non plus prendre un deuxième repas avant la complète digestion du premier.
Quant à la boisson, il faut considérer que dans ce temps il est nuisible de souffrir de la soif sans l’apaiser. Il convient de boire un vin d’agréable odeur, léger, bien récolté, clair, exempt de tout mauvais goût, et coupé d’eau suivant l’habitude de chacun et la force du vin, moins toutefois en hiver qu’en été. Si, parmi les anciens, quelques-uns proscrivent l’usage du vin, c’est que, de leur temps sans doute, cet usage n’était pas aussi répandu qu’il l’est aujourd’hui chez nous, ou encore parce que leurs vins étaient plus forts, ou que, dans le traitement curatif d’une maladie pestilentielle pareille à la nôtre, ils considéraient ce genre de maladie, comme provenant plutôt de la chaleur que de la corruption.
En outre, ceux qui, dès le matin, ont à travailler ou à chevaucher par un temps nuageux et malsain, qui doivent se rendre près des malades atteints par l’épidémie ou traverser des lieux suspects, ceux-là doivent boire un peu de vin odoriférant, avec un peu de pain grillé. Il pourra même être bon d’y joindre un peu de vinaigre, ou quelque fruit convenable, tels que pommes de citronnier, ou quelque électuaire cordial bien approprié, dont la description se trouvera plus loin.
Quant à l’eau que l’on pourra boire, il faut avoir soin de la choisir bien pure et bien claire, d’une source pure et limpide, point suspecte, et courant sur des pierres ; l’eau des fleuves doit être prise dans un endroit où elle soit bien courante, sur un fond pur, ni limoneux, ni fangeux, mais caillouteux. Si l’on ne peut se procurer une telle eau, si l’on craint au contraire quelque malignité dans celle que l’on doit boire, il faut la rectifier en la faisant bouillir, ou en la distillant à l’aide de l’alambic.
Ajoutons que ceux qui n’ont point de vin ou ne sont pas habitués à en boire, devront boire de l’eau pure, limpide, bouillie, avec un peu de vinaigre, ou bien de la tisane d’orge.
CHAPITRE QUATRIÈME - DU PREMIER TRAITÉ DE LA DEUXIEME PARTIE
DU SOMMEIL ET DE LA VEILLE ; DE L’INANITION ET DE LA REPLETION ET DES ACCIDENTS DE L’AME.
Il est bon de considérer combien le sommeil est un puissant secours pour la nature. Il est donc utile de dormir la nuit. Il faut au contraire éviter le sommeil du milieu du jour ; toutefois ceux qui en ont l’habitude peuvent dormir quelque temps, un long intervalle étant écoulé depuis le repas, car il est nuisible de changer ses habitudes.
Que celui qui est replet et celui qui souffre d’inanition, évitent tout superflu ; ils peuvent cependant prendre de la nourriture lorsque le résidu du repas précédent est expulsé des intestins ; le ventre doit être tenu aussi libre que possible, avec du jus de viande, ou de la purée de pois, ou de pois chiches, et, de temps en temps avec le résidu des fleurs du canéficier et du tamarinier, et de la manne, s’ils sont constipés. S’ils sont moins replets, il faudra les purger comme il sera dit plus amplement au chapitre des médicaments. Il faut aussi se priver, en temps d’épidémie, des plaisirs de l’amour, exception faite toutefois en faveur de ceux qui ont une forte constitution et un bon tempérament, et qui sont fort riches en semence ; et encore ne doivent-ils s’y livrer que rarement.
Quant aux accidents de l'âme, on doit remarquer qu’ils peuvent être souvent la cause des maladies du corps ; il faut donc fuir la colère et une tristesse excessive, et les soucis ; garder bon espoir et l’esprit calme ; se réconcilier avec Dieu, parce qu’ainsi on redoutera moins la mort ; autant qu’on le peut, il faut vivre dans la joie et le plaisir, car si le plaisir attiédit parfois le corps, il réconforte cependant l’esprit et le cœur,
CHAPITRE PREMIER DU SECOND TRAITÉ DE LA DEUXIEME PARTIE
DES REMÈDES GENERAUX
Ceux qui ont un corps sec ou desséché, purifié de toutes les humeurs superflues, et qui suivent un bon régime, n’ont pas besoin de purgation ; ils doivent seulement se préserver, à l’aide d’un régime approprié, de tout ce qui n’est pas naturel, comme il est clairement démontré en la première partie. Ceux qui ont le corps plein d’humeurs, et qui, dans ces temps, sont pour la plupart prédisposés à l’épidémie, doivent être purgés aussitôt ; si quelque mouvement de sang se produit, il faut les saigner sans retard ; celui qui a l’habitude de se faire saigner une fois, le fera deux fois, si ses forces le lui permettent ; néanmoins cette saignée doit se faire sur la veine hépatique ou médiane, suivant l’usage de chacun et le conseil des médecins.
Nous conseillons surtout aux hommes du peuple et aux cultivateurs, qui n’ont pas une vie délicate, de ne pas négliger cette saignée sur la veine médiane. Mais les corps qui sont remplis de mauvaises humeurs doivent être purgés de ces humeurs par des remèdes appropriés à leur sang ; le choix en est laissé à la direction des médecins pour chaque cas particulier, car il n’est pas possible, dans un seul remède, de trouver un traitement approprié à toutes les constitutions.
Il convient cependant de les y disposer préalablement avec des sirops pris chaque jour, vinaigrés et apéritifs des obstructions, avec du sucre ou du miel rosat clarifié. Si quelques auteurs défendent les préparations au miel, nous disons qu’ils entendent parler de celles que l’on administre en guise de nourriture.
Parmi les médicaments à prendre encore en ces temps, les cordiaux réconfortant le tempérament ne doivent aucunement être négligés.
En outre, dans une telle épidémie, on voit habituellement sortir des apostèmes pernicieux dans leur suppuration, par suite de la transformation de leur substance en la substance empoisonnée des éléments qui corrompent le membre, et transmettent le venin jusqu’au cœur.
Il faut donc y remédier dès leur première apparition, avec une saignée sur un bras ou sur les deux bras, si les apostèmes se montrent sur le diaphragme ; ou bien sur les sôphènes, s’ils se montrent sous le diaphragme. Peut-être aussi serait-il bon d’appliquer une ventouse sur le lieu de l’abcès, pour éviter que peut-être la matière ne s'écoule à l’intérieur. Le médecin devra aussi se hâter d’administrer une médecine capable de faire évacuer les humeurs corrompues.
Ensuite, il faut réconforter le cœur avec des lavages à l’extérieur, et avec des sirops et autres médicaments à l’intérieur ; toutes ces préparations doivent contenir du parfum et de l’arôme, tels que la saveur du citronnier, le rob des pommes et des citrons, et les grenades fort acidulées.
CHAPITRE DEUXIÈME DU SECOND TRAITÉ DE LA DEUXIEME PARTIE.
DES REMÈDES PARTICULIERS ET APPROPRIES
Parmi les médecines appropriées à la présente épidémie, dans le traitement préservatif, les unes rentrent tout à la fois dans la classe des aliments et des médicaments, comme le vinaigre, le lait aigre, l’oseille, et autres substances semblables ; d’autres, au contraire, ne sont que de la classe des médicaments, comme le bol d’Arménie, la terre sigillée, l’agaric, la thériaque, et autres semblables. Nous avons d’abord à nous occuper du vinaigre. L’usage du vinaigre dans la nourriture et la boisson, en temps d’épidémie, est une garantie contre le danger même. Il faut donc en temps de peste user de vinaigre à tous les repas, non seulement dans un but d’alimentation, mais encore à titre de médecine ; car il a cette double propriété de s’opposer à la putréfaction et à la corruption.Voilà pourquoi quelques auteurs conseillent d’assaisonner le pain avec un peu de vinaigre ; il est utile en effet de prendre le matin un morceau de pain trempé dans du vinaigre, ou dans de l’eau et du vinaigre, ou du vin et du vinaigre ; car si le vinaigre occasionne parfois un dérangement à l’estomac, cet inconvénient est évité en le corrigeant avec de la cannelle ou de l’eau de mastic, ce qui détruit sa malice, tout en réconfortant l’estomac. Mais comme il nuit aux membres pectoraux, il faut administrer après lui un électuaire dyadragant, ou du sucre de roses, et d’autres adoucissants du même genre ou bien que le vinaigre soit étendu d’eau. De même ceux qui ont la poitrine et l’estomac délicats, doivent en user plus modérément. S’il renfermait en outre des racines de caparis, il aurait une efficacité spéciale comme médecine. Ce n’est pas seulement le vinaigre de vin qui est utile, mais encore le vinaigre de grenades, le jus de citron et autres semblables.
Ajoutons encore cette considération que les hommes forts et robustes qui vivent d’une nourriture grossière, qui habitent dans le voisinage de mauvaises eaux, qui boivent peu ou point de vin, peuvent manger des aulx de temps en temps, et particulièrement pendant l’hiver, parce qu’ils réchauffent et arrêtent les humeurs froides, dissipent les humeurs épaisses, et corrigent aussi la malice intrinsèque des eaux ; ce sont des thériaques contre toute espèce de poison. Toutefois ils doivent être évités de la part de ceux qui souffrent facilement de la tête, qui vivent délicatement, et qui, pour la plupart du temps, sont sujets à des indispositions corporelles, car l’ail développe toutes les maladies auxquelles le corps est disposé.
En outre, le lait aigre convient surtout particulièrement dans le régime curatif et pendant l’été ; car il est d’une nature froide et sèche, et telle est la doctrine d’Avicenne : un oignon coupé en petits morceaux et mangé le matin dans du lait bouilli, détruit la malice des venins. Enfin, l’oseille combat les apostèmes de l’épidémie qui amènent subitement la mort, ainsi que les éruptions et les boutons, selon toute la théorie exposée dans le traitement préservatif et curatif.
Parmi les autres remèdes préservatifs qui rentrent uniquement dans la catégorie des médicaments, les uns sont simples, les autres composés. Parlons d’abord des médicaments simples, et, en premier lieu, du bol ou terre d’Arménie. Nous savons en effet par expérience quelle est son efficacité merveilleuse contre l’épidémie, et plusieurs même ont été guéris d’une grande pestilence par leur coutume d’en boire avec du vin léger ; jamais on n’a vu quelqu’un qui en faisait un usage assidu, n’être pas délivré de l’épidémie avec le secours et la puissance de Dieu. Si on en boit, dans la fièvre pestilentielle actuelle, il faut le mélanger avec du julep, de la tisane, et du vinaigre, ou le matin, avec du vin léger et de l’eau de rose, pour qu’il parvienne au cœur. La dose en sera d’un gros ou d’un demi-gros, au plus, avec une once de bon vin. En second lieu, la terre sigillée (ou de Lemnos) offre un grand secours en temps de peste ; car elle a la propriété admirable de réjouir et de réconforter le cœur, avec la vertu manifeste de la thériaque. C’est pourquoi elle combat tous les poisons, qu’on la prenne soit avant, soit après, car elle soutient la nature et l’aide à l’évacuation du poison. Elle a de plus la propriété d’illuminer l’esprit et de le réconforter. Quant aux médecines laxatives à l’aide desquelles il convient de purger le corps, telles que l’agaric, elles ne doivent pas faire défaut. L’agaric est une médecine familière, qui purifie tous les membres inférieurs des humeurs épaisses ; il a aussi la propriété de la thériaque, avec la vertu de réconforter le cœur et de le réjouir.
L’émeraude est aussi un remède insigne contre tout venin.
Parmi les médecines composées à cette intention, il faut signaler la grande thériaque, après dix ans de sa confection, dont il convient d’administrer, tous les quinze jours ou au moins tous les mois, un gros, ou environ, avec deux onces de bon vin aromatisé, après une purgation générale préalable. Après l’administration de ce remède, on ne doit prendre aucune nourriture, jusqu’à sa parfaite digestion dans tous les membres, digestion qui s’opère dans l’espace de neuf heures. Ce remède en effet résiste fortement à la putréfaction en temps de peste : les malades le prendront avec de l’eau de buglosse. Il faut en dire autant du métridat.
L’électuaire dyanthos est aussi efficace chez les hommes craintifs, tristes, inquiets, dont les esprits sont faibles ; il vient en aide aux cardiaques, à ceux qui ont des syncopes, aux convalescents ; il corrige les restes des humeurs nuisibles et le venin d’une nourriture corrompue ; il préserve de l’épidémie pestilentielle et de l'air empoisonné, ainsi que de la fièvre propagée par la corruption.
On approuve aussi beaucoup les pilules d’aloës, de myrrhe et de safran.
Au dire même des anciens, on n’avait jamais vu une personne faisant usage de cette médecine ne pas être délivrée ou préservée de la peste ; jamais on n’inventa une médecine qui pût lui être comparée, ni aussi merveilleuse et d’une efficacité aussi éprouvée. La dose doit être de deux scrupules ou d’environ un gros et il faut la prendre le soir dans du vin, deux ou trois fois la semaine. La recette en sera donnée au chapitre suivant, avec les antidotes. En outre, les sirops de suc d’acétose, ou de jus de citron, ou de grenades acides, conviennent beaucoup en temps de fièvre pestilentielle, et surtout pendant un été malsain.
De plus, il faut apporter le plus grand soin à réconforter le cœur et les membres principaux dans lesquels est la mine des forces, particulièrement à l’aide de médecines cordiales qui résistent à toute espèce de poison ; il faut faire usage de parfums aromatiques dans lesquels il y ait de l’arome et du fortifiant. Ceux donc qui veulent se préserver respireront, pendant l’été, des aromates froids, comme des roses, du santal, du nénuphar, du vinaigre, de l’eau de roses, des trochisques de camphre avec lesquels aussi le cœur est réconforté et des pommes froides.
En hiver, on respirera des aromates chauds, tels que le bois d’aloès, l’ambre, la noix muscade, la pomme d’ambre et autres semblables, et on se servira d’électuaires cordiaux et de trochisques, dont les descriptions se trouveront au chapitre suivant.
Ceux qui le pourront devront avoir, de plus, des vêtements de drap ou de soie, et leurs chemises seront conservées avec des aromates.
Quant à ceux qui voyagent par un temps nuageux et fétide, ils devront aspirer le moins d’air qu’il leur sera possible, en faisant tous leurs efforts pour voiler les conduits de la respiration. Ils auront soin aussi de porter avec eux des pommes aromatiques artificielles, sans lesquelles ni médecin, ni personne ne doit jamais avoir la témérité d’approcher des malades atteints de cette peste.
Il faut aussi prêter une grande attention à ce que ceux qui sont sains soient éloignés de toutes les maladies qui répandent une mauvaise odeur ; parce que ces maladies sont contagieuses ; l’infection de l’air corrompu et empoisonné, exhalé par la respiration des malades, se communique aux assistants. De là vient qu’on voit mourir, pour la plupart du temps, tous ceux de la même maison, et surtout les parents des malades ou leurs alliés, car ce sont eux qui les assistent le plus souvent. Qu’ils s’en éloignent donc, parce que là un grand nombre ont encouru un danger de mort.
Nous arrêtons ici notre exposé sur les remèdes généraux et appropriés.
TROISIÈME ET DERNIER CHAPITRE - DES ANTIDOTES
Parmi les antidotes que nous avons à décrire, les uns se font sous forme de pilules, d’autres sous forme de trochisques ; d’autres enfin affectent l’aspect de pommes et d’électuaires.
Voici la formule des pilules adoptées par les anciens en vue de se préserver de l’épidémie :
Prenez : aloès socotrin, une once (32 grammes), myrrhe, safran de l’Orient, de chacune de ces substances une demi-once. Faites un mélange avec du suc de mélisse, de buglosse, ou du vinaigre. On pourrait augmenter ou diminuer cette composition, selon la complexion des sujets et la diversité des tempéraments ; mais cette particularité relève de la sagacité des praticiens.
Recette de trochisques purifiant l’air par la combustion :
Prenez : gomme claire, semences de cresson, storax blanc, safran byzantin, asaret, encens, bois d’aloès d’Inde, de chacune de ces substances, trois gros (douze grammes) ; camphre, un demi-gros ; pierre, une demi-once ; triturez ces substances avec de l’eau de roses ; confectionnez des trochisques de la grosseur d’une noisette. Jetez-en un ou deux dans le feu.
Formule de trochisques de camphre qui peuvent être avalés : prenez : feuilles de romarin, une demi-once, spode, deux gros ; santal citrin, deux gros et demi ; safran, un gros ; réglisse, deux gros ; bois d’aloès, cardamome, amidon, camphre, de chacune de ces substances, deux scrupules ; sucre blanc, trois gros ; préparez avec un mucilage de psyllium dans de l’eau de roses.
Autres trochisques pour l’usage interne. Prenez : cannelle, girofle, épi de nard, bois d’aloès, mastic, noix muscades, grand cardamome, écorce de citron, de chacune de ces substances, le poids d’un écu d’or, musc dix grains (cinquante centigrammes) ; arrosez le tout avec du vin aromatique et préparez vos trochisques. A ces substances ajoutez pour les jeunes gens et les bilieux quelques toniques froids comme le santal blanc et rouge, avec quelques semences froides ; supprimez les médicaments chauds.
Autres trochisques pour les femmes. Prenez : semences de citrouille, de concombre, endive, laitue, pourpier, roses, santal, aloès, tout cela en parties égales ; cassiafistule, le poids de trois grains d’orge et un gros et demi de chacune des substances précédentes. Faites des trochisques avec du suc d’orange et de pommes maciaines ; le médicament se prendra à la dose d’un gros dans du vin de grenades aigre, trois ou quatre fois par semaine ; on en usera plus ou moins, selon la prescription du médecin, et cela le matin.
Recette de la pomme d’ambre. Pour le Roi et pour la Reine, que ce soit de l’ambre absolument pur et de première qualité ; l’ambre possède à un haut degré la propriété de réjouir les sens et de tonifier le corps ; il doit cette qualité à la puissance de son arôme. Aussi, il réconforte tous les tempéraments, est favorable à la respiration, aux principaux organes ; il multiplie, pour ainsi dire, la vitalité. L’ambre coûtant cher, on peut composer une pomme ou pilule assez efficace et moins chère ; en voici la formule. Prenez : une pierre très pure de deux onces ; storax calamite, gomme arabique, myrrhe, encens, aloès, de chacune de ces substances trois gros ; roses rouges choisies, un gros ; santal, musc, deux gros ; noix muscade, girofle, macis, de chacune de ces substances, un gros ; noix de ben, coquille supérieure et inférieure d’huître byzantine, karabé, calame aromatique, semences de basilic, marjolaine, sarriette, menthe sèche, racine de giroflier, de chacune de ces substances un demi-gros ; épi de nard un scrupule (13 décigrammes) ; cannelle, garingal, grand cardamome, de chacune de ces substances, un demi-gros ; bois d'aloès une demi-once ; ambre, un gros ; musc, un gros et demi ; camphre, un demi-scrupule ; huile de nard, huile de muscatelline, une quantité suffisante pour parfumer ; ajoutez-y un petit fragment de cire blanche.
Autre formule de la même préparation. Prenez : confection aromatique, noix muscade, de chacune de ces substances une once ; oliban pulvérisé, menthe sèche, calamite aromatique, racine de girofle, zédoaire, basilic, marjolaine, sarriette, de chacune de ces substances un demi-gros ; bois d’aloès, quatre grains ; tout cela doit être préparé avec les essences ci-dessus et de l’eau de roses. Cette recette peut être préparée seulement avec la confection aromatique de noix muscade et de musc.
Il y a une autre formule de pomme aromatique fournie par Jean Mesué ; elle est utilisée dans la fièvre ardente syncopale et pestilentielle. La mixture est ainsi composée : prenez : poivre noir, santal rouge et blanc ; de chacune de ces substances, des parties égales ; roses, deux parties ; camphre, une demi-partie ; bol d’Arménie, quatre parties. Le tout, sauf le camphre, doit être trituré très finement, tamisé, agité, broyé avec de l’eau de rose pendant une semaine ; enfin on y ajoutera du camphre ; on en fera des pommes avec une pâte de gomme arabique à l'eau de rose. On conserve ce médicament, pour qu’il ne perde pas son efficacité, dans un bocal de verre ; on additionne le mélange, à maintes reprises, d’eau de rose, de camphre, de santal, de muscade. On pourrait ajouter à cette recette les substances aromatiques chaudes, qui ont été indiquées dans les formules précédentes ; elle deviendrait ainsi d'un usage prophylactique.
La formule de l'électuaire cordial qui préserve de l’air vicié, de la fièvre et des apostèmes pestilentiels est ainsi conçue : prenez : cannelle, alipte, un gros et demi ; bois d’aloès indien, fleurs d’aloès, poivre long de cubèbe, sucre blanc, de chacune de ces substances deux scrupules ; noix muscades, girofle, garingal, ben, deux espèces de véronique, grand cardamome, de chacune de ces substances, un demi-gros ; épi de nard, feuilles de zédoaire, safran d’Orient, semences de basilic, mélisse, menthe sèche, de chacune de ces substances, un scrupule ; perles diverses, jaconces, émeraude, corail rouge, karabé, un demi-scrupule ; roses rouges choisies, les santals, corne de cerf, spode, ivoire râpé, de chacune de ces substances, un demi-gros ; semence acidulée, les quatre semences froides de l’Inde, semences de citron, de chacune de ces substances, un scrupule ; soie teinte coupée en menus morceaux dans du kermès, un scrupule ; ambre gris, un demi-gros ; musc, un scrupule ; camphre, six grains ; pommes de pin, quelques grappes de fistiques ou raisins secs dépouillés de leur noyau, de chacune de ces substances, un gros et demi ; conserve de roses, conserve de fruits de sycomore, conserve de buglosse, de chacune de ces substances, une demi-once ; conserve de citron incisé, deux onces ; sucre, camphre, de chacune de ces substances, deux livres ; préparez avec de l’eau de roses et de buglosse, couvrez la masse entière avec des feuilles d’or pur.
Voici un autre mélange d’électuaire cordial : Prenez : conserve de roses d’abbaye préparée avec du camphre, deux gros ; poudre joyeuse de Galien, poudre de perles, de chacune de ces substances, un gros et demi ; poudre musquée, poudre d’œillet avec du musc, de chacune de ces substances un gros ; poudre dyadragante froide, poudre des trois santals, de chacune de ces substances un gros, et demi. Faites un électuaire avec les conserves et les eaux ci-dessus et avec du suc de camphre.
Ces détails relatifs aux antidotes suffisent en général.
Quant aux autres points qui peuvent intéresser les soins actuels de l’épidémie, nous les laissons à la sagacité des médecins praticiens, et nous terminons ici cette œuvre pour la compilation de laquelle il convient de remercier Dieu très bon qui prodigue à tous les trésors de ses largesses.
FIN DU TRAITÉ SUR L’ÉPIDÉMIE, RÉDIGÉ A PARIS, AU MOIS D’OCTOBRE 1348.
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