La principale source d'information sur les personnels de la commanderie reste les interrogatoires des Templiers du Masdéu, publiés par Jules Michelet en 1841 à partir d'un manuscrit aujourd'hui déposé à la Bibliothèque Nationale. Ces textes ont été largement utilisés depuis par tous les historiens qui se sont intéressés au procès et à la fin de l'ordre du Temple, et notamment par Bernard Alart (Suppression de l'ordre du Temple en Roussillon), Josep Maria Sans i Travé (El procès dels Templers catalans) et Robert Vinas (L'ordre du Temple en Roussillon). Si on y ajoute les documents contenus dans les registres templiers des Archives de la Couronne d'Aragon, c'est presque toute la vie quotidienne au Masdéu que nous pouvons reconstituer. Ces textes, si riches, permettent d'ajouter aux aspects déjà bien connus de la vie templière, comme les modalités d'entrée dans l'ordre, le fonctionnement d'une commanderie, des points peu connus comme la culture des Templiers, l'argent «personnel» des Templiers et surtout le devenir des hommes au lendemain du procès.
La commanderie du Masdéu et ses personnels en 1307
1- La commanderie du Masdéu
Installé en Roussillon depuis 1132, au Masdéu sa maison mère depuis 1138, l'ordre a développé un véritable réseau sur le territoire de l'actuel département des Pyrénées-Orientales, moins la Cerdagne. Ce réseau comprend : la Maison mère du Masdéu, la maison de ville de Perpignan, les préceptories rurales du Mas de la Garriga, de Palau, de Sant Hipòlit, d'Orla, de Centernac et de Corbos.
Il s'agit d'une commanderie de rapport et non d'une commanderie militaire au contact des Sarrasins, comme il y en a eu dans la Catalogne voisine. Cependant, les quelques chevaliers et sergents d'armes qui y servent sont appelés a tourner dans les autres commanderies catalanes. Bien qu'entouré de murailles, le Masdéu est un couvent plus qu'une forteresse et le rôle des Templiers roussillonnais se limite à gérer et rentabiliser leur domaine et à participer à l'effort de financement de la croisade pour laquelle ils paient tous les ans une participation.
Pour la mettre en valeur, ils se montrent des gestionnaires avisés et la variété de leurs revenus est impressionnante. Ils les tirent surtout de la terre, soit en exploitation directe, soit indirectement en percevant des cens sur les serfs qu'ils installent sur leurs possessions, et de l'élevage qu'ils pratiquent dans les zones montagneuses, Prats de Mollo, Carençà, Urbanyà, Camps, ou dans l'étang de Bages asséché. Mais le commerce (points de vente sur le marché de Perpignan, droits de poids et mesure), l'industrie (ateliers de tannerie, tuilerie), les services (fours à pain, moulins), et l'immobiliser (lotissements, locations), viennent s'ajouter aux produits de la campagne. Enfin, ils profitent aussi des dîmes, des droits de justice là où ils sont seigneurs, et même du prêt à intérêt.
La commanderie est prospère et les Templiers roussillonnais peuvent verser tous les ans une contribution importante à la maîtrise en Catalogne. En 1307 elle est de 800 pièces d'or.
Pourtant les hommes qui gèrent cette commanderie sont peu nombreux, 26 au total en 1307, dont trois chevaliers seulement, en comptant le Précepteur, Ramon Saguardia et quatre chapelains. Tous les autres sont des frères servants, qui gèrent les filiales, ou des frères des métiers, travailleurs des champs, bergers ou maçons. La proportion des hommes âgés est importante, sept d'entre eux ont de 22 à 37 ans de Maison. Géographiquement, on les trouve répartis de la manière suivante : un à Centernac et à Corbos, deux à Sant Hipòlit, Palau, Orla, le Mas de la Garriga, six ou sept à Perpignan, et le reste au Mas Déu.
Bien que l'activité économique soit la raison d'être de la commanderie, et malgré l'implication du Temple dans la société de son temps, le Masdéu est resté jusqu'au bout un centre de vie religieuse et un lieu d'accueil, de refuge, d'hospitalité, de retraite et de charité. Les Templiers ont largement ouvert leur maison aux laïcs, nobles ou serfs de leur clientèle, simples donats ou confrères de leur maison. C'est une importante communauté qui vit en paix et en sécurité dans l'enclos du Masdéu. Une véritable vie religieuse existe autour de l'église et du cimetière. Les Templiers ont constitué une communauté monastique qui a fonctionné en tant que telle jusqu'à l'extinction de l'ordre, avec ses croyances, ses coutumes et ses fêtes.
Cette communauté est bien intégrée dans la société de son temps. Les templiers du Masdéu sont seigneurs à Palau, Sant Hipòlit, Terrats, Nyls, Orla. Ils sont les «patrons» de centaines de serfs, hommes «propris» et hommes «amansats» qui cultivent leurs terres et qu'ils protègent. Ils restent très liés à une noblesse roussillonnaise qui les a bien dotés en donations diverses et dont ils ont même protégé quelques membres compromis avec les hérétiques. De nombreux nobles sont même entrés dans la confraternité du Masdéu.
Le précepteur du Masdéu, Ramon Saguardia, témoin obligé des actes importants de la royauté est fréquemment chargé de missions de type diplomatique par les souverains de Majorque et même d'Aragon. Le précepteur de Perpignan Jaume d'Ollers, est aussi chargé de gérer les finances du roi de Majorque et il garde dans la maison de Perpignan contrats, argent et même traités. Nul doute que l'ordre est bien en cour en 1307 et que les Templiers du Masdéu sont encore utiles et considérés en 1307.
Capbreu d'Argeles - © Archives Départementales des Pyrénées-Orientales |
2- Les personnels
Le fonctionnement de la maison exige le recrutement de personnels très divers, qu'ils soient laïcs ou religieux, aptes à remplir l'ensemble des fonctions combattantes ou non combattantes de l'ordre. Mais il y a deux règles intangibles dans ce domaine :
- Le Temple recrute selon ses besoins.
- Une fois rentré chez les Templiers, on ne change pas de statut social, même si l'on peut exercer des fonctions de plus en plus importantes
On recrute donc au Temple des nobles, les chevaliers ou «milites», car on n'arme pas chevalier chez les Templiers, pas plus qu'on ne forme des prêtres. Le milieu social de recrutement des chevaliers est double :
Pour occuper les postes importants (maîtrise provinciale, commanderies principales comme le Masdéu) la grande et la moyenne noblesse fournissent les contigents les plus importants, à l'exemple des Montcada, Cardona, ou Torroja en Catalogne, ou des Canet, Castellnou et Saguardia en Roussillon. Mais les effectifs les plus importants sont constitués par la petite noblesse, représentée au Masdéu en 1307 par Guillem de Tamarit et Berenguer de Coll.
La proportion des chevaliers est globalement faible : au Masdéu trois sur 26, soit 11,5 %, contre 16 sur 193, soit 8,1 % à Paris lors des interrogatoires. Il faut croire toutefois que cette proportion changeait dans les commanderies situées près des zones de bataille. En effet, sur 38 templiers interrogés à Lleida, 19 (soit 50 %) étaient chevaliers. Dans l'ordre, ce sont ceux qui sont les plus mobiles. Les trois qui se trouvent au Masdéu en 1307 ont été reçus ailleurs, Ramon Saguardia à Saragosse, Berenguer de Coll à Miravet et Guillem de Tamarit à Gardeny, bien que les deux premiers soient incontestablement originaires de Catalogne-Nord. Ramon Saguardia a même été commandeur de Penyiscola, et il est au moment de la crise lieutenant du maître en Catalogne et Aragon. C'est aussi celui qui a les origines les plus aristocratiques. Les Pinos et les Canet sont ses proches parents. Les lettres qu'il écrit au roi Jaume II d'Aragon pendant le siège de Miravet nous montrent qu'il sait lire et écrire, au moins en «romanç».
Mais la grande majorité des Templiers, sergents, frères des métiers, prêtres, ne sont pas nobles. Pour eux, la seule exigence semble bien : ne pas être d'origine servile, donc n'appartenir à aucun seigneur, ne pas pouvoir être réclamé par un seigneur. Chez les Templiers, il ne faut pas et on ne peut généralement pas cacher son origine. La Règle de Barcelone (folio 49) nous donne l'exemple d'un Templier nommé Oliver, qui était entré en se disant chevalier. Découvert, il lui est proposé, car c'est un bon élément, de rester comme sergent. Il préfère demander l'autorisation de se faire ordonner prêtre, ce qui exceptionnellement, lui est accordé.
Au Masdéu, en 1307, les frères servants sont 18 sur 26 et constituent donc les 69,2 % de l'effectif templier. Ils sont gestionnaires et dirigent des filiales comme Perpignan, Palau, Sant Hipòlit, Orla, le Mas de la Garriga, les plus importantes, ou même les petites commanderies du pays de Fenouillèdes comme Corbos ou Centernac. L'un d'eux occupe le poste de bailli forain, essentiel dans le fonctionnement du système du Masdéu. Sur délégation du commandeur, il visite les petites implantations templières et règle les problèmes courants, en particulier dans les domaines de la gestion et de la justice. Dans les dernières années du Temple, cette charge, qui demande de nombreux déplacements, a été remplie par Jaume d'Ollers.
Le précepteur de Perpignan, souvent bailli forain, est aussi depuis la création du royaume de Majorque en 1276 procureur royal, comme l'ont été Pere de Camprodon puis Jaume d'Ollers (celui qu'on voit sur les terriers de 1293 du roi de Majorque) jusqu'en 1307, à la veille de la crise. Mais, en dehors de ces deux, au dessus du lot, les lettrés comme Jaume de Garrigans, reçu au Masdéu par Ramon Saguardia et devenu ensuite précepteur de Saint Hippolyte puis bailli forain du Masdéu et enfin précepteur de Gebut en Catalogne, sont rares.
En fait, la plupart des non-nobles sont des frères des métiers. Ils cultivent les champs, surveillent le bétail comme Arnau Calis ou Pere de Centernac, ou maçonnent comme Ramon Carme. Les interrogatoires nous les montrent totalement analphabètes, comme l'avoue sans honte le frère Ramon Rull.
Le recrutement plus local des frères servants est facile à vérifier. La plupart (15 sur 19 soit 78,9 %) ont été reçus dans la chapelle du Masdéu. Quatre seulement ont été reçus ailleurs, Pere Bleda à Alfambra (Aragon), Pere Servent à Gardeny, Jaume Boix à Montso et Ramon de Vilert à Aiguaviva (Girona).
Quant aux prêtres, ils sont nombreux à la commanderie du Masdéu, quatre en 1307. C'est une situation atypique, due au nombre de filiales de l'établissement, car souvent c'était la catégorie la plus difficile à recruter. C'est d'ailleurs pourquoi les Templiers avaient le droit de se confesser à des prêtres non-Templiers, dominicains, franciscains ou desservants locaux. Il y a trois chapelains au Masdéu (Bartomeu de Torre, Bernat Guerrer et Joan de Coma) qui assistent tous aux cérémonies d'admission, un (Ramon Sapte) au Mas de la Garriga où il y avait une chapelle, ce qui laisse supposer qu'il n'y en avait pas pour desservir l'église Sainte Marie du Temple de Perpignan où il devait être plus facile de trouver un officiant. Le nombre élevé de chapelains montre bien que la «familia» templière devait être assez nombreuse et comprendre, en dehors des frères, les confrères qui s'étaient retirés à la commanderie, quelquefois avec leur épouse, pour y finir leur vie, les donats, la domesticité et tous ceux qui travaillaient les terres de la réserve.
Leur recrutement est également local : ils ont tous été reçus dans la chapelle du Masdéu et leur culture est inégale car ils sont aussi interrogés en langue vulgaire. Au moment du procès, l'un d'eux, Bartomeu de Torre, assure provisoirement la direction de la commanderie en l'absence du frère Ramon Saguardia alors en mission en Catalogne. Sa déposition montre que c'est le plus instruit de tous. C'est lui qui détient la Règle conservée à la commanderie. Il sait donc lire en romanç et probablement même en latin.
Après le procès, on perd leur trace car ils ne figurent pas sur les listes de pensionnés. Prêtres ils étaient avant leur entrée au Temple, prêtres ils redeviennent.
Nous sommes parfaitement informés sur les cérémonies d'admission au Temple de tous ces personnels. Qu'il s'agisse de chevaliers ou de non-nobles, elles sont les mêmes, et on a quelquefois reçu le même jour, pendant la même cérémonie, un chevalier ou un frère servant ou un prêtre. Les exigences également sont identiques. Il faut être en bonne santé, propre au service du Temple, pour répondre aux duretés de la vie templière, ne pas être marié, ne pas être excommunié, ne pas être membre d'un autre ordre, ne pas avoir de dettes (l'entrée s'accompagne souvent d'une donation faite à l'ordre, ce qui est visible au Masdéu surtout au XIIème siècle) et aussi n'avoir rien promis pour obtenir l'entrée, ce qui s'assimilerait à de la simonie. C'est ce qui ressort des interrogatoires.
Bartomeu de Torre décrit ainsi la cérémonie de réception des frères. Elle se fait toujours de la même façon. On dit la messe puis tout le monde sort, sauf les frères de l'ordre, et on ferme portes et fenêtres. Le prêtre qui a célébré la messe invoque la grâce du Saint Esprit. Il dit «Veni, Sancte Spiritus» et la prière «Deus qui corda fidelium». Ensuite on procède à la réception des frères. Lorsque le nouveau a été informé des conditions exigées et des difficultés qui l'attendent, il est admis dans l'église et fait sa demande : «Je vous supplie de me recevoir comme socius et frère de l'ordre pour le service de Dieu. Pour le salut de mon âme je veux consacrer le reste de ma vie à la gloire de Dieu». Le précepteur fait alors resortir pour un moment le demandeur puis le fait appeler et venir à lui. «A ce moment là, dit Berenguer de Coll, il embrasse le nouveau sur la bouche et nulle part ailleurs». «De nombreux frères présents font la même chose, ajoute Guillaume de Tamarit. C'est ce qui est inscrit dans la Règle».
Les dates des cérémonies d'admission sont très diverses. La plupart du temps, elles ont lieu en chapitre le dimanche à la fin de la messe. Aucune période de l'année n'est privilégiée. Lors qu'il témoignent au procès, les frères indiquent, quand il ne s'agit pas d'une fête précise comme la Pentecôte ou la nativité de la Vierge, des dates approximatives. Ainsi Ferrer Hot, Joan Sacoma et Ramon Rull, qui ont pourtant été admis au cours de la même cérémonie quatre ans auparavant à peine, donnent-ils trois dates différentes, un dimanche aux environs de la St Martin, le dimanche avant l'Avent et le dimanche avant Noël. Quant à Arnau Calis, il se dit trop vieux pour se souvenir exactement d'un fait qui date de plus de 37 ans, d'autant que depuis, il ne s'occupe que des choses des champs et des troupeaux.
En outre, le Masdéu exporte des Templiers. C'est dans son église et à l'initiative de son précepteur que se font les admissions. C'est là qu'ont été recrutés tous les chapelains de la commanderie, la plupart des frères servants et certains chevaliers même. Enfin, la commanderie du Masdéu et le Roussillon en général ont été «exportateurs» en matière de Templiers. La liste des roussillonnais que nous retrouvons dans les autres parties de la Catalogne et en Aragon est longue, et certains d'entr'eux reviendront même vivre au pays après les procès.
Ainsi, parmi ceux qui ont été interrogés à Lleida, plusieurs avaient été reçus au Masdéu : Bernat Mateu d'Orla, sergent, reçu du temps du commandeur Guillem d'Abelars, Bertran de Ribes Altes, chevalier, reçu du temps de Guillem de Benages. Dans les autres commanderies catalanes, on trouve encore des roussillonnais comme Bernat de Millars, chevalier, durement châtié pour insubordination l'épée à la main au moment où il fut incarcéré à Gandesa, et Jaume de Garrigans, sergent, le plus connu des frères exportés, ancien commandeur de Sant Hipòlit, bailli forain du Masdéu, reçu par Ramon Saguardia au Masdéu. Mais il y a aussi les chevaliers Bertran de Vilallonga, Bernat de Forques et le sergent Arnau de Cabestany, les chevaliers Berenguer et Ramon de Sant Marçal, Arnau de Banyuls, Berenguer de Palau, Bordoll, Berenguer d'Oms et les sergents Guillem de Castell, Jaume de Conflent ou Ramon de Sant Hipòlit. On retrouve même parmi ceux qui ont été pris à Paris un Ramon de Corbos.
3- A quel âge entre-t-on au Temple ? Motivations, formation et culture
Les ordres militaires ont quelquefois accepté de prendre comme oblats de très jeunes gens, parfois même des orphelins. On n'a pas de preuve de cette pratique au Masdéu. Par contre, ce qui ressort c'est la différence d'âge d'admission entre les nobles, recrutés plus jeunes, (moins de 20 ans) et les sergents et prêtres recrutés plus tard (entre 20 et 30 ans généralemment). Les interrogatoires de Lleida nous donnent, en effet, l'âge d'entrée au Temple.
Les chevaliers ont tous été recrutés entre 13 et 20 ans (moyenne 17 ans), sauf l'un d'entr'eux qui avait cinquante ans lors de son admission. Peut être s'agit-il d'un ancien confrère.
Les prêtres ont entre 24 et 35 ans (moyenne 29 ans) et les frères servants ont entre 18 et 40 ans (moyenne 23 ans).
Il n'est pas étonnant de constater que les deux derniers survivants des templiers du Masdéu soient justement deux chevaliers, Guillem de Tamarit et Berenguer de Coll qui vivait encore en 1350. D'ailleurs, la bonne santé était un critère essentiel d'admission. Au procès, on a demandé au frère Gil de Vilert s'il n'a aucune maladie cachée qui le rende impropre au service du Temple.
On peut aussi avoir une idée de l'âge de ces gens au moment où ils sont interrogés. Le vieillissement des frères du Temple est évident. Les Templiers de Lleida ont plus de 41 ans de moyenne d'âge, toutes catégories confondues. Au Masdéu sept frères sur 25, et parmi eux le commandeur, ont entre 22 et 37 ans de maison et quatre seulement on été recrutés il y a moins de dix ans, ce qui suggère même des difficultés de recrutement dans les toutes dernieres années.
Les motivations des recrues sont difficiles à cerner, car cette question ne figure pas dans la liste de celles qui étaient posées au moment du procès. Le chevalier Guillem de Tamarit indique qu'ils étaient considérés immédiatement comme profès, sans période probatoire, très certainement pour aller plus vite combattre les infidèles. Le précepteur Ramon Saguardia précise qu'il en était ainsi dès que le demandant avait promis de ne pas quitter l'ordre et tous les templiers interrogés confirment cette pratique, dont ils disent que c'est la coutume au Temple, instituée par les saints fondateurs de l'ordre et inscrite dans ses statuts. Il n'y a donc pas de période probatoire, sauf à considérer que ceux qui sont rentrés après avoir été donats ou confrères en ont en fait reçu une. Cela semble indiquer que la formation n'était pas le premier souci des Templiers, au Masdéu pas plus qu'ailleurs. Ils se contentaient de recruter dans le voisinage des hommes sur lesquels ils avaient toute l'information souhaitée. Peut-être y avait-il parmi les recrues des personnes qui s'étaient déjà données au Temple, soit comme donats soit comme confrères, ce qui confirmerait qu'ils n'avaient pas besoin d'une formation spécifique, mais les exemples que nous trouvons de cette pratique remontent aux débuts de l'ordre, au XIIème siècle donc. A la fin du XIIIème, nous n'en trouvons plus.
Il semble que la seule précaution qu'on prenait était la lecture de passages de la Règle par un frère capable de la lire. On comprend mieux, dans ces conditions, l'existence de traductions en «romanç» comme cette Règle dite de Barcelone que possédaient les Templiers du Masdéu et dont l'un des premiers archivistes barcelonais qui en a vérifié le contenu a dit qu'elle était écrite dans une «merde de français et d'occitan». Le fait même que dans cet exemplaire fourmillent les exemples individuels montre bien que nos Templiers se référaient avant tout à ce qu'avaient fait les anciens et demandaient conseil à ceux qu'ils avaient sous la main.
La formation par la lecture d'exemples tirés de la Règle devait donc se réduire aux chapitres du dimanche, quand il y avait dans la commanderie un nombre minimal de frères, cinq ou six, un chapelain qui sache lire et un exemplaire du texte. Il va sans dire que ces conditions n'étaient réunies que dans les commanderies importantes comme le Masdéu. Ailleurs, dans les granges isolées, le frère servant de base restait dans l'ignorance. Ceux du Masdéu cependant savent qu'en l'absence de chapelain ils peuvent se confesser à un frère prêcheur, un frère mineur ou même un prêtre séculier, et qu'on ne parle pas de ce qui s'est dit au chapitre. Il est tout de même regrettable de ne pas pouvoir mesurer les conséquences de cette absence de formation sur les abandons et les défections.
Cependant, les motivations religieuses ne devaient pas être absentes, elles sont évidentes chez les meilleurs d'entr'eux, chez un Ramon Saguardia ou un Bartomeu de Torre par exemple. Elles restent toutefois la plupart du temps dans le non-dit.
Mais il faut constater que l'entrée au Temple offrait un statut social apprécié, et qu'il devait être tentant pour des parents d'y placer un fils, quitte à payer l'entrée par une bonne donation. Même les frères des métiers vivent «tranquillement», dans des places sûres. Quant aux chevaliers ou aux laïcs instruits, ils peuvent envisager de faire carrière, d'occuper des postes de choix, d'assouvir leur soif d'aventures même, dans un ordre où l'on ne vit pas reclus dans un couvent. Mais être chevalier du Temple ou frère sergent combattant était quand même risqué, vu les forts pourcentages de pertes au combat, souvent 50 % et plus en Orient.
Enfin les interrogatoires et aussi quelques inventaires retrouvés nous renseignent sur la culture des Templiers.
Au Masdéu, chose rare, le précepteur a à sa disposition un exemplaire de la Règle du Temple, celle communément appelée Règle de Barcelone. C'est le frère Bartomeu de Torre, chapelain principal qui remplace le commandeur Ramon Saguardia et le précepteur de Perpignan, Jaume d'Ollers décédé à la fin de l'année 1307, qui demande à ce qu'elle soit mise à la disposition de la commission épiscopale.
La commanderie dispose aussi de livres (bibles, évangiles, missels, antiphonaires et même un livre de prophéties) dont la présence est encore attestée en 1376-1377 par les Hospitaliers qui ont succédé aux Templiers en gardant tous les objets liturgiques.
Les inventaires retrouvés en Catalogne nous confirment la présence d'oeuvres liturgiques en quantité, mais aussi celle des «oeuvres indispensables à toute bibliothèque religieuse médiévale» : lettres de St Paul, traités de St Augustin, sentences d'Isidore de Séville, lettres du pape St Grégoire, commentaires de la Bible, et même livres enluminés que le roi Jaume veillera à récupérer, ce qui prouve qu'il y avait chez les frères du Temple des gens - peu nombreux certes - capables de les lire avec profit. Cette constatation met fin au mythe de l'ignorance crasse des Templiers. Ils sont au niveau des autres ordres religieux.
Voilà la communauté qui habite le Masdéu en 1307, telle qu'elle va être touchée par le cataclysme qui s'abat sur l'ordre.
Le procès et ses suites
1- Les lendemains du procès
Après un procès exemplaire, qui fera l'objet d'une autre communication, l'enquête est enfin close en août 1310. Le pape Clément V, après le concile de Vienne, déclare l'ordre éteint (3 avril 1312) et ordonne de faire comparaître tous les Templiers des provinces, et de les faire juger par des conciles provinciaux. S'ils sont absous, on pourra leur donner une portion congrue prise sur les biens de l'ordre. Il veut qu'ils soient entretenus décemment, et recommande la mansuétude sauf contre les relaps. En Catalogne le mot de la fin est donné par l'archevêque de Tarragone, Guillem de Rocabertí, lui même frère d'un Templier retenu prisonnier en Egypte, qui prononce, le 4 novembre 1312, l'innocence de tous les Templiers catalans.
Les biens immeubles de l'ordre, d'abord administrés par deux bourgeois de Perpignan, séquestres royaux, passent à l'ordre des Hospitaliers de St Jean de Jérusalem qui possédaient en Roussillon la Maison de Bajoles, selon les dispositions papales du 3 mai 1312. Toutefois ce ne fut pas chose facile pour les Hospitaliers de prendre effectivement possession de l'ensemble du patrimoine : ici comme ailleurs, les officiers royaux ont continué un certain temps à toucher les revenus.
Les biens mobiliers (argent : 22500 sous, livres, etc) reviennent au roi de Majorque, Sanche, qui abandonne toutefois les ornements liturgiques, à condition qu'ils restent sur place affectés au service des églises. Malheureusement, les inventaires manquent. La Règle que possédaient les frères du Masdéu a disparu. Un de leurs sceaux d'argent réapparaîtra en octobre 1313 en Catalogne. Le 12 octobre 1315 encore, le trésorier du roi Sanche de Majorque, Arnau de Codalet, recevait de l'argenterie retrouvée dans la maison que le frère Jaume d'Ollers occupait à la trésorerie du roi. Il y avait là une coupe dorée à l'intérieur et à l'extérieur, un hanaps doré à l'intérieur et douze tasses.
Quant au sort des individus, nous le connaissons.
Le roi de Majorque n'essayant même pas de réutiliser ses Templiers comme le fait le roi du Portugal, ceux du Masdéu prennent tout simplement leur retraite.
En revanche, l'Eglise se préoccupe de leur sort en décrétant qu'on ne peut les laisser errer comme des vagabonds. Il est conseillé de les accueillir dans des couvents, car ils restent des religieux qui, à titre individuel, ne sont pas déliés de leurs voeux. Par exemple, les prêtres restent prêtres, jamais ils ne reçoivent de pension. Ils vont poursuivre leur ministère ailleurs. L'Eglise pourvoit aussi à leur entretien. On doit leur permettre de vivre selon leur condition, car le Temple n'est pas une société égalitaire. Ainsi nous connaissons le détail des sommes attribuées à chacun d'eux. Seuls, les chevaliers, au nombre de quatre, reçoivent des rentes importantes : de 7 000 sous par an à Saguardia à 1 400 sous à Tamarit. Les autres, les non-nobles, les frères servants, reçoivent tous 600 sous, à prendre sur le revenu de leurs anciens biens car on n'a pas trouvé le mystérieux trésor.
Pourtant, à la lumière de recherches récentes, nous avons acquis la preuve que certains avaient de l'argent personnel.
En effet, même si les Templiers étaient supposés vivre dans la pauvreté et avoir tout abandonné en entrant dans l'ordre, beaucoup de faits, dans les documents qui nous restent de ce début du XIVème siècle, viennent contredire cette croyance. Ce qui était vrai au début, ne l'est peut-être plus en 1307. La déclaration de Jaume de Garrigans, l'ancien commandeur de Sant Hipòlit, qui avoue partir avec de l'argent qu'il dit lui appartenir, pose le problème du rapport des Templiers à l'argent et de leurs biens «personnels». Et les exemples sont nombreux.
Ramon Saguardia, le Commandeur, possède argent et bijoux, et semble continuer à gérer les biens qui lui viennent de sa famille. Lorsqu'il reçoit au château de Miravet son neveu, Ramon de Canet, chargé par le roi Jaume II d'Aragon de négocier la reddition des Templiers, il en profite pour lui remettre une somme de 300 florins que Ramon de Canet emporte avec lui. Le roi se plaint au roi de Majorque d'avoir été trompé, car il avait donné l'ordre de récupérer tous les biens des Templiers. Le roi de Majorque prend la défense de ses sujets et explique à son neveu Jaume II qu'il ne s'agit pas d'argent templier mais de sommes provenant des «negocis» du comte de Pallars et de quelques uns de ses amis. Bernat de Libia, l'envoyé du roi d'Aragon, estime, lui, qu'il y a eu «engany» et qu'avant la reddition il y a eu «molt ladronici, que faien de roba i de diners».
Au Masdéu, il n'a pas été retrouvé d'inventaires, mais il faut que le roi Jaume II de Majorque envoie des hommes et même le bourgeois de Perpignan Ramon Savina, pour mettre les biens sous séquestre car on lui dit que les Templiers volent. A Miravet, Mascaros Garidell les fait fouiller : ils ont tous de l'argent, des bijoux, des pierres précieuses qu'il confisque. Dans la chambre de Berenguer de Sent Just on trouve 700 doubles «dalmir», 7211 sous de Jaca, 2212 sous de Barcelone et 333 tournois d'argent. Il demande qu'en raison de ses maladies (il a même demandé au roi de lui envoyer le maître Arnau de Vilanova pour le soigner) on lui laisse 1100 «dalmir» qui ne sont pas à l'inventaire. Ramon Saguardia remet 33 anneaux d'or et d'argent et deux pierres précieuses, Berenguer de Sent Just quinze anneaux d'or et diverses pierres, Ramon de Sent Just 720 sous de Jaca, Bernat de Millars 18 florins d'or, Guillem de Sent Just 150 sous de Jaca... La fouille des 22 autres frères rapporte 4 000 sous, ce qui prouve encore que les richesses étaient bien réparties selon la condition sociale. Au total, Guillem de Ceret, le bailli de Tortosa, reçoit 63 templiers et leurs hommes, venus de Miravet, et 7 0000 sous qu'on y a retrouvés.
On peut comprendre que ces hommes, sentant la fin de l'ordre arriver, aient voulu assurer un tant soit peu leur avenir, mais leur rapport à l'argent est préoccupant et donne raison à ceux qui pensaient que les Templiers avaient perdu leur pureté originelle. Ces faits peuvent expliquer en partie les réactions négatives des contemporains envers l'ordre.
Quant au fameux trésor des Templiers, nous ajouterons un exemple local à la légende. En 1539, un habitant de Palau del Vidre est soupçonné d'avoir trouvé en excavant dans le mur de la commanderie, alors aux mains des Hospitaliers un trésor caché par un ancien commandeur. La rumeur publique arrive aux oreilles de l'autorité qui met ledit habitant en prison et l'interroge. Il reconnaît avoir trouvé un vieux coffre et deux pièces d'or. Malheureusement, nous n'en savons pas plus et nous n'en dirons pas plus, car une famille du même nom existe toujours dans ce village où elle a des propriétés.
2- La vie des frères du Temple après les procès : diversité des destins
a) Ramon Saguardia
L'archevêque de Tarragone ayant finalement absous tous les Templiers catalans, ils se sont retrouvés en état de choisir (sauf pour les prêtres) où, dans quel couvent, ils finiraient leur vie. Simplement, il ne fallait pas laisser trop de Templiers ensemble dans la même maison. Cette recommandation a été bien suivie en Roussillon, car à part Saguardia et peut-être Berenguer de Sent Just, personne ne semble vivre au couvent du Masdéu.
Ramon Saguardia absous, réside au Masdéu avec une pension viagère de 350 livres par an (7 000 sous) dès octobre 1313. Il y a son habitation, sans payer de loyer, des légumes et des fruits du jardin pour sa nourriture seulement. Il peut prendre du bois pour lui et sa compagnie. Il est clair qu'il continue à vivre selon sa condition, sa pension lui permettant d'entretenir des domestiques. Des documents de la Procuració Reial nous le montrent encore en train de régler des affaires d'argent pendant sa retraite. Seul en Catalogne Dalmau de Rocaberti, que l'on retrouve sur les listes de pensionnés de 1319 avec 8000 sous, touche plus que lui. Mais ce dernier doit cette libéralité au fait qu'il est lui aussi de haute noblesse, frère de l'archevêque de Tarragone et qu'en plus il a été de longues années prisonnier du sultan d'Egypte.
L'ancien commandeur du Masdéu tiendra son rang jusqu'à sa mort. En effet le «héros de Miravet» ne tombe pas complètement dans l'oubli puisqu'on le voit encore, selon Muntaner, envoyé par la reine-mère de Majorque en décembre 1315, comme homme de confiance, pour aller à la rencontre de son petit fils, l'infant Jaume (le futur roi Jaume III de Majorque) qui rentrait de Sicile. «E a Bascara trobam frare Ramon Saguardia ab deu cavalcadors que madona la la reina de Mallorca nos havia tramès per ço que acompanyas lo senyor infant ; si que hanc no es parti de nos ell e quatre porters del senyor rei que ens trameteren, entro que fom a Perpinya». Il est vrai que la famille Saguardia restait toute dévouée aux souverains : un frère de Raymond, Pons, était alors lieutenant du roi à Majorque. Mais il semble bien que ce soit le seul cas connu de résidence au couvent parmi les Templiers roussillonais.
b) Jaume de Garrigans
Aux antipodes de ce destin orthodoxe et tout de fidélité, se situe celui, complètement atypique, de Jaume de Garrigans, le traître du Temple, celui qui s'est enfui du château de Miravet assiégé en emportant la correspondance que Ramon Saguardia envoyait au Pape et à tous ceux qui pouvaient l'aider, et l'a livrée au roi d'Aragon. Après sa fuite de Miravet, il a été arrêté, mis en prison et enchaîné. Les lettres qu'il écrit alors au roi Jaume II d'Aragon nous donnent la preuve irréfutable de ses capacités. Dans l'une d'elles, datée du 10 septembre 1308, il explique au roi qu'avant d'entrer dans l'ordre il était clerc, portait tonsure et avait rang d'acolyte. Il est donc capable de truffer sa missive en romanç de citations latines, pas toujours à propos d'ailleurs, surtout quand il cite l'adage «bonum est sperare in Domino quam sperare in principibus». Il n'oublie pas, non plus, de réclamer qu'on lui rende ses vêtements, ses armes, mais aussi ses livres et son argent (20 livres, soit 600 sous).
Lassé, le roi Jaume II lui fait compiler dans sa prison un livre d'heures. On lui a évidemment confisqué les lettres qu'il devait envoyer pour les assiégés, en particulier celle qu'ils adressaient au pape, qu'on n'a jamais pu retrouver dans aucune archive. Il n'est pas étonnant que Ramon Saguardia n'ait jamais reçu de réponse. Il avait trop confiance en l'hommme qu'il avait reçu personnellement au sein du Temple dans la chapelle du Masdéu. Ses compagnons ne partageaient pas cette confiance depuis l'échec au cours de l'été 1308 de la mission du frère Jaume. Ce dernier savait ce qui l'attendait s'il tombait entre leurs mains.
Sa fuite nous éclaire cependant sur l'art et la manière de quitter l'ordre du Temple. Lors de la cérémonie d'admission, il est demandé au nouveau de promettre qu'il ne quittera pas le Temple pour un autre ordre, majeur ou mineur. Pourtant, au cours de son interrogatoire, le frère Jaume Mascaro a indiqué que les supérieurs ont le droit de donner à un Templier qui le demanderait l'autorisation de quitter l'ordre.
Il faut croire que plus d'un est parti sans recevoir ladite autorisation, à tel point qu'une exclusion de fait était quelquefois décidée. C'est précisément une lettre de Jaume de Garrigans au roi Jaume II qui nous en donne les modalités. «Costume es de l'orde quo tot frare qui s'en partex e jau dos nitz de fora e s'en porta espasa ni coltel d'armes ni diners ni nuls altres bens, que aytal ha perdut l'orde per tostemps». Jaume qui est parti dans ces conditions, ne se considère plus comme Templier. «Et pus yo he portades alcunes armes, ço es espaça e I coltell at entro a XX llibres de Barçalones que jo m'avia, yo so ara tot axi com home Seglar». C'est donc en tant qu'homme du siècle et clerc qu'il propose naïvement ses services au roi. Pour la même raison, il ne comprend pas pourquoi on le mettrait en prison, puisqu'aussi bien il n'est plus Templier. Nous perdons sa trace en 1317, et on ne le retrouve pas ensuite titulaire d'une pension, puisqu'il n'était plus Templier. Le roi d'Aragon aura finalement pitié de lui et lui accordera un salaire de 500 sous par an, à peu près le montant de ce qu'aurait été sa pension de frère servant, pour collecter au nom du roi des revenus templiers du côté de Lleida. Plus tard, on le retrouve, chez les Hospitaliers à la fin des années 1320 et au début des années 1330, sans que nous ayons l'absolue certitude qu'il s'agit de la même personne. Il serait donc le seul cas de passage dans un autre ordre parmi les Templiers catalans.
c) Les autres
L'origine sociale différente des anciens frères du Temple leur vaut des pensions adaptées à leur condition. Les autres nobles du Masdéu, Guillem de Tamarit et Berenguer de Coll, reçoivent 70 livres (1 400 sous). Ils rejoignent leurs familles respectives, comme Berenguer de Coll qui s'en retournera vivre dans la vallée de Prats de Mollo, dont il est originaire, où l'on retrouve sa trace jusqu'en 1350.
Quant aux autres, tous frères servants, c'est 30 livres (600 sous) qu'ils reçoivent uniformément. Au hasard des actes notariés que l'on retrouve, on s'aperçoit qu'ils vivent presque tous à Perpignan ou aux alentours. Ils sont peu à peu rejoints par d'autres frères originaires du Roussillon, venus se retirer près des leurs. Ainsi, dès 1317, Berenguer d'Oms, chevalier, ex-commandeur d'Alfombra, touche-t-il sa pension de 100 livres (2000 sous) sur les revenus du Masdéu.
D'autres viennent bientôt grossir leur nombre, mais continuent de recevoir leur revenu de la commanderie dont ils dépendaient, comme Arnau de Banyuls (Gardeny, 3000 sous), Bernat de Millars (Barberà, 1400 sous) et Bernat de Forques (Miravet, 1400 sous), tous chevaliers. Il faut dire que certains se débrouillent très bien et qu'ils tournent l'obligation de résidence dans une maison religieuse avec la complicité royale. Bernat de Millars est attaché à la maison de la reine Esclarmonde de Majorque dès 1313. Il n'a même plus besoin de sortir du Roussillon pour toucher sa pension, a droit à des paiements anticipés et on finit même par le payer sur la trésorerie du Masdéu. Malgré ces situations d'exception, le peu d'entrain que les anciens Templiers mettent à rejoindre un couvent et leur goût prononcé pour l'indépendance vont très vite indisposer les payeurs des pensions, les frères de l'Hôpital. Les archives regorgent de récriminations des Hospitaliers, d'interruptions de paiements, d'appels à l'arbitrage des souverains et même de procès. Ceux qui ont eu le plus de problèmes étaient ceux qui cumulaient le double désavantage de ne pas bénéficier de la faveur royale et de recevoir de grosses pensions.
C'est ainsi qu'Arnau de Cabestany se voit reprocher de vivre dans le siècle. Mais c'est le cas des deux frères Ramon et Berenguer de Sant Marsal qui a laissé le plus de traces dans les archives : Ramon est d'abord allé se battre en Sicile contre Robert de Naples, mais sur ses vieux jours il est entré au pays. Berenguer, ancien commandeur d'Ascó, n'a jamais voulu vivre au couvent. En 1327, les Hospitaliers, forts des instructions renouvelées de la papauté, ne veulent plus les payer et le procès dure des années malgré l'intervention du roi de Majorque. Les deux vieux Templiers sont dans la misère, car en tant que nobles ils ne savent rien faire et ne peuvent exercer un métier.
Une amicale des anciens Templiers ? Le réseau continue à fonctionner.
Lorsque Bernat de Millas se retire en Roussillon en 1317 et fait son testament, on retrouve autour de lui toute la famille templière : ses exécuteurs testamentaires sont Berenguer d'Oms et Arnau de Banyuls, chevaliers ex-templiers, le bourgeois Ramon Savina de Perpignan, longtemps homme de confiance du commandeur du Masdéu, et comme témoins, Guillem Marturell, Gil de Vilert et Pere Bleda ex-Templiers, frères servants du Masdéu.
Un acte de 1329 est particulièrement significatif : il nous donne la liste de ceux qui survivaient à l'époque et qui continuaient à recevoir leur pension du Masdéu. Il y avait quatre chevaliers, Berenguer de Coll et Guillem de Tamarit, mais aussi Bernat de Forques alors âgé de 42 ans à peine, et Bernat de Millars, et comme frères servants Ramon Carme, Ramon de Vilert, Pere Servent et Arnau Septembre, qui a procuration pour recevoir les sommes destinées à Gil de Vilert, Guillem Marturell et Guillem de Terrats. Tous ces hommes gardent donc des relations et continuent à se rendre des services jusqu'à la fin.
Rien dans nos archives ne prouve que même hors du couvent ils n'ont pas mené une vie vertueuse. Aucun ne semble s'être marié. Déçus par l'Eglise et le rôle qu'elle a joué pendant le procès, ils ont préféré vivre dans le siècle au risque de perdre leur revenu. L'Eglise n'a pas non plus cherché à les contrôler trop étroitement en leur imposant une discipline externe. On les a globalement laissé vivre et mourir en paix. D'ailleurs, aucun des frères n'est entré dans un autre ordre, alors que cela leur était permis. Cela prouve qu'ils ont préféré être fidèles à la Règle du Temple, qui leur recommandait de ne pas quitter leur ordre pour un autre, majeur ou mineur, plutôt que d'obéir au Pape.
Certains se mettent à travailler ou reprennent leur ancien métier, comme Ramond Carme que l'on retrouve curieusement «maçon» (peyrer) à Perpignan en 1319. Il est obligé de travailler pour améliorer l'ordinaire. Dieu sait que ce détail a fait «phosphorer» du monde... Certains ont voulu y voir le chaînon manquant entre les Templiers et la maçonnerie...
Peu à peu on perd leur trace, la liste de ceux qui touchaient leur pension se réduit, ils ne sont plus que quinze sur l'état de 1319, le dernier où figure encore Raymond Saguardia, plus que cinq dix ans après, en 1329. Il s'agit de Ramon Carme, Arnau Septembre, Guillem de Tamarit, Pere Servent et Berenguer de Coll. Le dernier survivant des Templiers roussillonnais est le frère Berenguer De Coll, qui vivait encore dans la vallée de Prats de Mollo en 1350, année où un membre de sa famille, Tristan, avait encore procuration pour venir toucher sa pension en son nom. Ensuite on perd sa trace après 1350 et après lui :
OMNIA PRAETEREUNT PRAETER AMARE DEUM
TOUT PASSE, SAUF AIMER DIEU
© Robert Vinas
Et pour compléter
- Robert Vinas - Le procès des Templiers du Roussillon - Tdo Editions (2009)