A la troisième nuit, Chiron se montrera parmi les astres ; Chiron qui porte la moitié d'un corps d'homme entée sur le corps d'un fauve coursier. Le Pélion est une montagne d'Hémonie exposée au midi ; sa cime est couverte de pins verdoyants ; ailleurs le chêne seul s'élève. C'était là le séjour du fils de Phillyre ; c'est là que, dans les flancs profonds d'un antique rocher, habitait ce sage vieillard.

On croit que ce fut lui qui guida sur les cordes de la lyre la main qui devait donner la mort à Hector. Là se rendit Alcide, après avoir achevé une partie de ses travaux ; quelques ordres à peine lui restaient encore à accomplir. Aussi le hasard amenait un moment l'un près de l'autre, et le petit-fils d'Eaque, et le fils de Jupiter, qui devaient l'un et l'autre causer la perte de Troie. Phillyre accueille ce jeune hôte ; pourquoi est-il venu dans ces lieux ? Chiron interroge, Hercule répond. Cependant il examine la dépouille du lion, la massue : «Le héros est digne de ces armes, dit-il, et ces armes sont dignes du héros». Achille même ne peut commander à ses mains curieuses ; il ose toucher les longs poils de cette crinière hérissée.

Tandis que le vieillard manie les traits trempés dans les poisons, une flèche tombe et va percer son pied gauche. Chiron gémit et retire le fer de la blessure. Alcide et le jeune Thessalien lui ont répondu par un gémissement. Cependant il mélange des simples cueillies sur les collines de Pagase et invoque toutes les ressources de l'art pour guérir sa plaie. Mais l'art cède au feu dévorant du virus, qui a pénétré jusque dans la profonde moelle des os, et répandu dans le corps entier un poison mortel. Le sang de l'hydre de Lerne mêlé au sang du Centaure rend désormais tout remède impuissant. Achille, les yeux baignés de larmes, se tient près de lui comme auprès d'un père ; il ne pleurerait pas autrement si Pélée devait mourir. Souvent, d'une main affectueuse, il presse la main du malade, et le maître recueille les douces prémices de ce coeur qu'il a formé. Souvent Achille l'embrasse, souvent il dit au vieillard couché sur son lit de douleur : «Vivez, ô mon père chéri, ne m'abandonnez pas, je vous en conjure».

Le neuvième jour arrive, et ton corps, ô juste Chiron, s'environne de deux fois sept étoiles. La Lyre recourbée voudrait suivre le centaure, mais la voie n'est pas encore prête ; la troisième nuit sera le moment convenable.


Traduction de M. J. Fleutelot (collection Nisard des Auteurs latins) (1876)