I. Déméter et sa fille Coré-Perséphone apparaissent, tout au moins à l'époque classique, sous la forme d'un couple indissolublement uni. Les expressions mêmes qui servent à désigner les «deux déesses», ai Semnai, ai Potniai, sont un signe de cette unité mythologique. Les lieux de culte sont les mêmes ; les épithètes et les attributs s'échangent ; les fonctions divines de l'une sont aussi celles de l'autre ; dans l'art enfin elles apparaissent souvent réunies, et il arrive que leurs types soient semblables au point qu'il n'est pas toujours facile d'établir entre les deux représentations une distinction bien sûre et bien nette.

C'est ce qui explique que les mythologues, même les plus récents, n'aient pas songé à faire de Coré-Perséphone une étude particulière et indépendante, et qu'ils aient toujours exposé sous une même rubrique l'état de nos connaissances sur les deux grandes divinités éleusiniennes. Il est impossible de traiter du caractère et du culte de Déméter sans traiter du même coup de la plupart des questions que soulève l'étude de Coré-Perséphone. C'est ce qui a été fait ici à l'article Ceres. Le présent article n'en doit être considéré que comme un complément ; à propos de chaque question particulière, il convient de s'y reporter. Telle partie du sujet, la répartition géographique du culte, est traitée si complètement dans cet article que nous n'aurons pas du tout à y revenir ; telle autre, le mythe de l'enlèvement de Perséphone et de son séjour chez Hadès, assez longuement pour que nous n'ayons que peu de détails à ajouter. Nous insisterons davantage sur les questions que le long développement de l'article Ceres n'a pas épuisées : ainsi le caractère primitif de Perséphone, et son rapport exact, aux différentes époques, à Déméter ; ainsi les représentations artistiques de Perséphone et des légendes où elle joue le premier rôle. Nous devons laisser tout à fait de côté l'étude des mystères d'Eleusis, qui sont cependant, dans la Grèce classique, le centre même de tout le culte de Perséphone [Eleusinia et Mysteria].

Le nom. Ses formes. - Le nom de Perséphone se présente à nous, dans les textes, les inscriptions et les monuments, sous des formes très diverses. Le second élément composant du nom apparaît tantôt sous la forme phonê ou phoneia, tantôt sous la forme phassa ou phatta. A côté de Persephonê (chez Homère Persephoneia) qui est la forme commune, on trouve Phersephonê dans des textes poétiques et des inscriptions funéraires, Pêriphonê, en Laconie Pêrephoneia. - Les formes en phassa (phatta) sont plus spécialement attiques, comme l'indique le grammairien Moeris : Pherrephatta Attikôs, Persephonê Ellênikôs. Le sanctuaire de Perséphone sur l'agora du Céramique s'appelait le Pherrephattion. Les poètes attiques emploient de préférence la forme Persephassa ou Phersephassa ; les inscriptions ont Pherrephatta, quand ces documents ne désignent pas la déesse sous le nom de Korê. Sur les vases peints on trouve, à côté de Pherrephatta, la forme Pherophatta ; sur l'un d'eux, Persôphatta.

Etymologie. - Pas plus que celui d'aucune des divinités helléniques, le nom de Perséphone ne peut être encore expliqué avec pleine certitude. Les interprétations données par les anciens, quand elles ne sont pas de pure fantaisie, sont au moins très arbitraires. Les mythologues modernes ne sont pas moins partagés dans leurs explications. Il paraît à présent assez généralement admis que le second élément du nom de Perséphone dérive non pas de la racine de phoneuô, mais bien de celle de phainô, et implique l'idée de lumière. Toute la difficulté gît dans le premier élément du nom. Pour Zeyss et Förster, c'est à la racine de perthein qu'il faut le rattacher, et Perséphone serait ainsi la divinité destructrice de la lumière, la déesse des ténèbres infernales. Mais il est douteux que le premier élément composant du nom soit une racine verbale, et d'autre part certains traits du caractère de Perséphone (celui-ci entre autres qu'elle est considérée quelquefois comme une divinité lunaire, aussi bien qu'Artémis) paraissent contredire une telle explication. Sonne, suivi par Bloch et plus récemment par Gruppe, voit dans le premier élément du mot une forme adverbiale. Persephonê serait une épithète analogue par sa composition à l'épithète d'Athéna Gorgophonê, et Persephassa serait une forme exactement constituée comme Têlephassa. Le premier mot, un hypothétique adverbe perse, se rattacherait à la même racine que Perseus, le nom du héros Persée, c'est-à-dire, d'après Sonne, à une racine sanscrite ayant le sens d'«éclat lumineux». Le rapprochement de Persephonê, et de Perseus n'est d'ailleurs pas une idée exclusivement moderne.

Epithètes. - Les épithètes qu'on trouve accolées dans les textes au nom de Perséphone sont très nombreuses. La plus fréquente est celle de Korê Dêmêtros, ou simplement Korê. Elle constitue pour la déesse, à l'époque classique, un nom qui la désigne par lui seul ; c'est l'appellation qu'on trouve par exemple dans les décrets attiques. Le nom de Korê est naturellement employé surtout quand il s'agit de la fille de Déméter, et celui de Persephonê, quand il est parlé de l'épouse d'Hadès, suivant la remarque de Proclus. Mais la règle n'a rien d'absolu, et c'est Perséphone qu'est dénommée la jeune déesse sur les vases éleusiniens, qui la montrent auprès de sa mère.

L'énumération des plus communes parmi les autres épithètes de Perséphone trouvera mieux sa place quand nous parlerons de ses attributions. On en trouvera d'ailleurs la liste complète dans le recueil de Bruchmann.

Caractère primitif de la déesse, et son évolution. - Quel a été le caractère primitif de la déesse, et de quelle manière a-t-il évolué jusqu'au temps où s'est constituée la mythologie classique ? La question est peu traitée et encore mal éclaircie. Pour les mythographes, Perséphone est essentiellement la fille de Déméter. Elle l'a toujours été, et ils ne conçoivent guère d'époque où cette association de la mère et de la fille n'ait pas existé, où Perséphone ait eu une existence distincte de celle de la vieille divinité achéenne. Mais d'autre part Coré, sous le nom de Perséphone, est l'épouse d'Hadès et la reine des enfers. Le mythe du rapt, d'après lequel Hadès aurait ravi la jeune vierge, l'aurait emmenée à ses côtés dans le royaume des ombres, d'où sa mère n'aurait pu la reconquérir que pour une partie de l'année seulement, explique la coexistence en Perséphone de ces deux personnalités distinctes. Et tout devient clair si l'on voit en Coré la personnification de la végétation, fille de la Terre, qui, toute une partie de l'année, recouvre le sol de sa luxuriante parure, et, toute une autre, disparaît dans ses profondeurs. Mais dans cette conception commune du caractère et du rôle de Perséphone le mythe du sol apparaît comme une invention toute factice destinée à raccorder entre elles deux conceptions très différentes d'une même personne divine. Or ce mythe, au contraire, occupe une place si éminente dans l'histoire de Perséphone et contient tant de traits d'une haute antiquité qu'il doit tenir étroitement à la nature même de la divinité qui y joue le premier rôle, et l'expliquer en partie. D'autre part, le fait que résident en Perséphone deux personnalités distinctes est constaté, mais non du tout expliqué.

A coup sûr l'association de Déméter et de Coré remonte à une haute antiquité. Des terres cuites qui datent du VIe ou même du VIIe siècle représentent déjà le couple divin, tel qu'on le connaît à l'époque classique. Mais le texte des poèmes homériques, comme l'ont remarqué Rohde et Bloch, montre qu'on ne saurait concevoir Perséphone comme ayant été de tout temps à la fois fille de Déméter et épouse d'Hadès, et, dans le deux cas, symbole de la vie végétative. L'indissolubilité du couple Déméter et Coré-Perséphone, que l'on constate à l'époque classique et même auparavant, ne semble pas avoir existé aux temps les plus anciens de la religion grecque. S'il est facile de s'y méprendre, c'est que l'époque où les documents, textes littéraires et monuments figurés, commencent à se multiplier sur la religion grecque, est précisément celle où le culte d'Eleusis devient, de local, attique et panhellénique, et où la forme qu'y prennent Déméter et Coré-Perséphone rejette dans l'ombre tout le passé des deux divinités.

Mais dans les poèmes homériques ni Déméter et Perséphone n'ont de rapports entre elles, ni Perséphone n'a le caractère d'une divinité agraire ; elle est uniquement déesse infernale et reine des ombres. Tous les passages de ces poèmes où Perséphone est mentionnée la définissent ainsi : c'est la terrible souveraine, epainê, du royaume souterrain. L'un des deux passages où elle est donnée comme fille de Déméter est une interpolation tardive ; l'autre fait partie de la Nekyia de l'Odyssée, apport également récent. Même à une époque très postérieure, il subsiste encore dans la tradition un souvenir d'une Perséphone fille d'une autre que Déméter ; chez Apollodore (I, 3, 1), Perséphone est fille de Zeus et du Styx.

Il y a plus. Là même où le couple divin de la mère et de la fille semble le plus indissoluble, à Eleusis, il semble qu'il n'ait pas existé de toute antiquité. Un des points établis par M. Foucart dans ses travaux sur les mystères d'Eleusis est qu'à une époque très reculée le couple éleusinien était composé, à côté de la «déesse», thea, d'un «dieu», theos, à l'exclusion d'une divinité-fille. Depuis longtemps, à l'époque classique, le culte du dieu et de la déesse avait été supplanté par celui de Déméter et de Coré ; mais il n'était pas complètement oublié, et un monument du Ier siècle av. J.C., consacré précisément aux deux déesses, rappelle encore le souvenir d'un temps où l'une d'elles n'existait pas dans le culte éleusinien.

A l'époque préhomérique donc, il n'y avait point de Coré ; et Perséphone, tout à fait indépendante de Déméter, était, dans l'imagination populaire, exclusivement la reine des morts. Mais l'étymologie, indiquée plus haut, qui parait la plus satisfaisante pour expliquer le nom de la déesse, ne semble pas s'accorder exactement avec un tel rôle. Et pour remonter plus haut encore, pour déterminer le caractère vraiment primordial et essentiel de Perséphone, il n'est plus de recours possible qu'à des constructions hypothétiques comme celle imaginée par M. Gruppe. Nous n'y insisterons pas. Aussi bien la question importante est celle-ci. S'il est établi qu'à l'époque préhomérique et homérique Perséphone, déesse des enfers, est sans rapports avec Déméter, et que cependant, dès avant l'époque classique, Coré-Perséphone apparaît comme une fille étroitement unie à sa mère, comment s'est opéré le rapprochement ? - D'abord, à une époque encore reculée, Déméter, en tant que déesse agraire, s'est dédoublée en mère et en fille ; à partir de ce jour il y a eu une Korê Dêmêtros. Les dédoublements de ce genre ne sont pas rares dans l'histoire de la religion grecque ; on peut se reporter sur ce point aux explications présentées à l'article Ceres. Cette transformation s'est opérée, dans le culte éleusinien, avant le XIe siècle ; car la triade éleusinienne, Déméter, Coré et Zeus Eubouleus, se rencontre dans plusieurs des Cyclades colonisées par des Ioniens partis de l'Attique à cette époque. Comme la divinité mère était la terre elle-même, la divinité fille fut la végétation qui en sort, avec ses alternatives de croissance et de dépérissement. La dernière phase de l'évolution a consisté dans l'identification, avec cette Coré fille de Déméter, de la très antique Perséphone. La rencontre n'a pu se faire que sur un terrain commun à toutes les deux. Or Déméter a toujours été divinité chthonienne et même infernale aussi bien qu'agraire ; si cet élément de sa nature divine, à l'époque classique, avait perdu toute importance, du moins le souvenir en était-il resté : de là une expression comme en Dêous à la place de en Aidou ; et nous savons par Plutarque que les morts, à Athènes, étaient quelquefois désignés par le nom de Dêmêtreioi. C'est sans doute dans ce domaine particulier de son activité que sa fille Coré s'est identifiée avec la déesse infernale Perséphone, par l'effet d'un processus que nous n'avons aucun moyen de restituer dans son détail. Le mythe du rapt de Perséphone, qui prééxistait à la fusion des deux divinités, lui a survécu. Mais il a pris une forme et une signification nouvelles, en s'enrichissant du personnage de Déméter et en s'accommodant à la nature de Coré. Coré-Perséphone n'a plus été seulement la vierge ravie par le dieu des ombres, puis délivrée de l'Hadès par l'effort d'une autre divinité. Ç'a été la fille de la terre féconde, qui, chaque année, disparaît pendant quelques mois dans les profondeurs du sol pour remonter à sa surface quand le printemps ramène la floraison de la vie végétale. Cette transformation, cet élargissement du mythe lors de l'identification définitive de Perséphone avec la fille de Déméter explique que les poèmes homériques, qui lui sont antérieurs ou qui l'ignorent, ne connaissent que le fait même du rapt, et non point celui du retour périodique de la jeune déesse sur la terre. Cette légende, une fois fixée par la poésie sacrée (hymne homérique à Déméter), a pris dans la mythologie grecque classique une importance considérable. Elle est devenue le centre du culte des grandes déesses. Le groupement des deux divinités était ancien déjà. La popularité du mythe l'a rendu vraiment indissoluble ; et c'est ainsi que, par l'influence grandissante du sanctuaire éleusinien, il a conquis le monde grec tout entier, si bien qu'on n'y trouve plus, à l'époque classique et dans le culte officiel, aucune trace nette d'un culte rendu à Perséphone seule, sans que cette divinité apparaisse comme une simple associée du culte de Déméter.

Le culte de Coré-Perséphone ayant suivi en général, à l'époque classique, puis à l'époque gréco-romaine, les destinées du culte éleusinien, nous renvoyons sur ce point à l'article Eleusinia. Mentionnons seulement les altérations et les identifications nouvelles qui sont venues le compliquer. La première, qui remonte haut, est l'identification de Perséphone avec les déesses lunaires. Elle peut avoir eu pour cause la croyance, sans doute populaire, qu'on retrouve chez Pythagore, chez les Orphiques, chez Plutarque, à un séjour des morts non dans le royaume infernal, mais dans la lune. D'ailleurs l'idée de nuit et de lumière nocturne se lie assez naturellement à l'idée du royaume des morts. Chez Epicharme déjà, d'après Varron, Perséphone portait le surnom de Séléné. Les deux déesses lunaires, Hécate et Artémis, sont souvent, même dans la littérature classique, désignées comme filles de Déméter au même titre que Perséphone. Artémis a des épithètes communes avec elle. D'après un scoliaste de Théocrite, c'est Hécate qui est dépêchée par Zeus vers Hadès pour réclamer le retour de Perséphone sur la terre. Toutes ces confusions se résument chez les Orphiques en un syncrétisme des trois divinités, Artémis, Hécate et Perséphone. Une inscription d'Asie mineure postérieure à l'ère chrétienne parla d'une Kourê Selênê à côté d'un Êlouôn Êlios ; 15. Quant à la place que tient dans la théologie orphique Perséphone, épouse violentée de Zeus et mère de Dionysos-Zagreus, on se reportera à l'article Orpheus ; sur les rapports de Perséphone avec Dionysos et d'autres divinités du cycle éleusinien, à l'article Eleusinia. Une dernière identification est à signaler : quand, à l'époque alexandrine, la personnalité de Déméter fut rapprochée de celle de Cybèle, une des divinités phrygiennes du cycle de la mère des dieux, Misè, se rapprocha en même temps de Coré-Perséphone : ainsi il nous est parlé, dans Hérodas, d'un kathodos tês Misês, et une inscription nous apprend l'existence à Pergame d'une prêtresse de Mise Corè. De même des médailles de Cyzique avec la tête de Coré portent à l'avers une tête de lion, attribut de Cybèle.

Le mythe de l'enlèvement de Coré. - L'histoire du mythe de l'enlèvement de Coré a été faite à l'article Ceres. Quelques détails complèteront la première partie de ce récit. Le rapt de Coré s'accomplit avec le consentement de Zeus et même sa complicité ; on le voit dans un texte faire servir la foudre à favoriser l'entreprise d'Hadès. Une variante poétique isolée attribue à Aphrodite la première idée de l'enlèvement. Coré est surprise alors que, loin du monde, dans la compagnie des Océanides et des Nymphes et, parmi les divinités supérieures, d'Artémis et d'Athéna, elle s'occupe à tisser ou se distrait au chant des sirènes. Le lieu du rapt varie suivant les textes ; on trouve ainsi mentionnés : le Nusion pedion dans l'hymne homérique, identifié par Förster avec la plaine de Nysa en Carie, et qui pour d'autres n'est qu'un lieu imaginaire ; le bord de l'Océan, dans les textes orphiques ; Eleusis d'après un scoliaste de Sophocle ; Krenides, postérieurement Philippoi, chez Appien ; la Crète, d'après Bacchylide ; Cyzique, selon Properce ; enfin, suivant un grand nombre de textes, la Sicile, centre important du culte des grandes déesses, et en Sicile Syracuse, l'Enna ou Euna. Pendant que l'attention de Coré et de ses compagnes est toute retenue par la cueillette des fleurs (le narcisse est particulièrement nommé dans la légende attique, la violette dans la légende sicilienne), Hadès, sur son char attelé de quatre chevaux, dont des textes donnent les noms, ravit Perséphone et l'emmène au séjour infernal. La seconde partie du mythe, la quête de Déméter, ses voyages à travers le monde, son séjour à Eleusis, intéresse l'histoire de Déméter et du culte éleusinien plutôt que celle propre de Coré-Perséphone. On en trouvera à l'article Ceres la narration complète, avec la mention des variantes que les patriotismes locaux introduisirent dans la légende. Il en est de même de la troisième partie du récit mythique, la mission d'Iris et des autres dieux auprès de Déméter irritée, celle d'Hermès auprès d'Hadès, et le retour, l'anodos de Coré, qui, pour avoir accepté de la main de son époux infernal une pomme ou une grenade, devra passer, selon la version la plus naturelle, conservée seulement chez Homère et chez Apollodore, deux tiers de l'année auprès de sa mère, et un tiers auprès d'Hadès ; selon la version sicilienne et alexandrine, la moitié de l'année auprès de chacun des deux.

Le mythe de l'enlèvement de Coré a été le centre du culte des deux déesses, non seulement à Eleusis, mais dans toutes les villes où l'on célébrait des fêtes en l'honneur de Déméter et de sa fille. On trouvera aux divers articles concernant ces fêtes, Eleusinia, Anthesphoria, Demetria, Koreia, Theogamia, etc., des renseignements sur la place qu'y tenait le souvenir ou même la représentation mimétique de tout ou partie de la légende. Sa place n'a pas été moins considérable dans la littérature. Les traits essentiels en étaient fixés dans l'hymne homérique à Déméter ; mais jusqu'à la fin de la littérature grecque elle a sollicité l'imagination des poètes, comme aussi d'ailleurs les commentaires des philosophes. L'étude de l'histoire poétique et philosophique du mythe sortirait du cadre de cet article ; elle a été faite par Fôrster. On trouvera mentionnés plus loin et classés quelques-uns des monuments figurés qui le représentent.

Attributions de Coré-Perséphone. - Coré-Perséphone possède, très nettement distinctes, des attributions qui conviennent à la déesse de la vie végétale, et d'autres qui sont le fait de la déesse des morts. Et il faut remarquer que si le culte officiel et particulièrement le culte éleusinien ont plutôt tendu à effacer la Perséphone épouse d'Hadès devant la Perséphone-Coré fille de Déméter, l'imagination populaire semble n'avoir pas suivi ce mouvement et avoir gardé très vivante la notion de la Perséphone infernale, telle qu'elle apparaît chez Homère. C'est ainsi que cette Coré éleusinienne, dont le culte est si répandu, dont le nom se rencontre si souvent dans les textes littéraires ou épigraphiques, apparaît à tout prendre, en dehors d'Eleusis, comme une personnalité assez pâle dès qu'on veut serrer de près son rôle et ses attributions. Ces attributions ne diffèrent pas de celles de sa mère. Mais on ne retrouve pas, accolées au nom de Coré, les multiples épithètes qui marquent les pouvoirs divins de Déméter. Comme sa mère cependant, elle est une divinité auguste et vénérable, agnê, semnê, potnia. Comme elle aussi, elle est la protectrice naturelle de la végétation et, de tous les fruits de la terre, sous l'épithète karpophoros ; elle est la puissance qui détient et fait croître les germes, ê dunamis ê spermatouchos ; elle est le printemps même.

Elle est également associée à sa mère dans un domaine qui semble devoir être plutôt réservé à cette dernière ; elle est, comme elle, déesse thesmophoros, protectrice des liens du mariage et, par extension, de toutes les règles de la société humaine ; à Athènes et en d'autres points du monde grec, l'expression de thesmophorô désigne les deux grandes déesses. Comme Déméter enfin, Coré est, d'une manière générale, déesse protectrice et de sauvegarde, sôteira ; il en est ainsi à Sparte, en Arcadie, à Cyzique, où elle est particulièrement adorée et fêtée sous ce vocable.

C'est comme déesse des enfers que Perséphone a la physionomie la plus accusée. Nombreuses et surtout fréquemment répétées sont les épithètes qui la désignent comme telle. Elle est auprès d'Hadès la divinité terrible, epainê, la divinité puissante, iphthimê, pambasilêa, inflexible, athelgê, ameidêtos, la reine des morts, anassa pantôn, nekussos, nertera theos. La mort des hommes est son oeuvre ; c'est sur son ordre, kata keleusin Despoinês, qu'on descend chez Hadès ; Hermès Psychopompe est son messager ; le tombeau même est la chambre, la maison de Perséphone, et qui va chez les morts va «chez Perséphone». Si le caractère de Perséphone déesse des enfers est essentiellement implacable, sa dureté sait cependant à l'occasion fléchir et s'humaniser, et il est plus d'une légende (légende d'Alceste, légende d'Eurydice [Orpheus]) où on la voit consentir à libérer une des victimes d'Hadès. Il n'en est pas moins vrai que la terrible sévérité de Perséphone ne s'accorde pas avec la grâce auguste de Coré et que l'incohérence même qui se révèle dans le caractère de la fille de Déméter est une preuve de l'irréductible dualité de personnes dont elle est issue.

Attributs. - L'attribut le plus ordinaire de Coré-Perséphone est la torche, que lui donnent les textes et les monuments figurés. Sur les vases peints et les bas-reliefs (voir plus loin), la règle générale est que Coré porte la torche et Déméter les épis et le sceptre. Il en va cependant souvent à l'opposé, et la légende représente Déméter porteuse d'une torche lors de sa course errante à la recherche de sa fille. Sur les attributs plus particulièrement propres à Coré Eleusinienne, la ciste et le calathos, on consultera les articles Cista, Calathus, Eleusinia.

Deux attributs qui appartiennent spécialement à Aphrodite, la grenade et la colombe, sont donnés quelquefois à Coré-Perséphone. Perséphone reine des enfers a aussi pour attribut le coq, qui lui était consacré, au dire de Porphyre. Sur des bas-reliefs (voir plus loin), tantôt il lui est offert par un adorant, tantôt elle le tient elle-même dans ses mains. Les plantes à signification funèbre, cyprès et asphodèle, sont également mises en rapport avec elle. Sur la question des sacrifices offerts à Coré, des animaux qui servaient à ces pratiques, et des rites mêmes de ces sacrifices, nous renvoyons à l'article Ceres, où le sujet est traité à propos du culte de Déméter.

Lieux de culte. - L'expansion du culte de Coré-Perséphone à travers tout le monde grec a été étudiée en grand détail aux articles Ceres et Koreia ; toutes les localités anciennes où l'on trouve, au témoignage des textes, des inscriptions ou des monuments figurés, quelque trace du culte de Coré, ont été énumérées suivant leur répartition géographique. Nous nous contenterons de compléter en note, par quelques additions, cette longue étude.

Représentations artistiques. - Nous ne saurions, sans sortir du cadre de cet article, énumérer tous les monuments figurés où l'on peut voir une représentation de la fille de Déméter. Nous renvoyons pour une étude plus complète à l'ouvrage d'Overbeck, où sont passés en revue un très grand nombre de monuments, à celui de Förster, au travail de Leo Bloch. Nous ne ferons ici qu'appeler l'attention sur quelques monuments nouvellement connus ou étudiés, que marquer l'essentiel du développement des types et qu'indiquer les points en discussion. On se reportera d'autre part, pour tout ce qui dans les monuments figurés concerne Déméter, à l'article Ceres. Aussi bien il est rare que sur ces monuments Perséphone paraisse seule. Si nous avons pu essayer de remonter jusqu'à un temps où la personnalité divine de Perséphone était indépendante de celle de Déméter, nous ne pouvons le faire à propos des monuments de l'art. C'est à une époque relativement tardive, et sous l'influence exclusive du culte éleusinien, que le couple de la mère et de la fille a supplanté toutes les formes mythologiques antérieures. Mais cette époque était encore pour l'art, en Grèce, une époque de naissance et de premier développement ; aussi la conception du couple divin règne-t-elle en maîtresse dans les monuments figurés ; les plus intéressants et les plus significatifs de ceux où apparaît Perséphone, à savoir les bas-reliefs et les peintures de vases, la montrent toujours à côté de sa mère. Un certain nombre de statues nous offrent une image isolée de Perséphone ; mais il importe de remarquer que les identifications proposées pour ces oeuvres d'art reposent surtout sur l'idée générale qu'on se fait du type convenant à la jeune déesse et que, même fondées sur des comparaisons avec les types des bas-reliefs, elles n'ont pas un caractère d'absolue certitude. D'ailleurs le type plastique de Coré, pas plus que celui de Déméter, ne fut jamais bien nettement défini. Tandis que la poésie homérique présentait aux artistes grecs, pour d'autres divinités, des formes précises où pouvait s'appuyer leur imagination, elle laissait dans le vague l'image de Déméter et celle de sa fille, qui jouent dans le poème un rôle effacé. De ce défaut initial la statuaire de Déméter et de Coré se ressentit toujours. Elles restèrent longtemps pour les peintres et les sculpteurs la mère et la fille, sans autre détermination plastique ; ce n'est qu'à partir du IVe siècle que se répand, et pour Déméter seulement, un type plus caractéristique Les identifications sont par là même souvent difficiles ; nous ne mentionnerons que les plus certaines.

A. Textes. - Des statues et des groupes statuaires, en assez petit nombre, dont il est parlé dans les textes anciens, et qui représentaient Perséphone, il ne nous reste rien. Ainsi du trône de l'Apollon Amycléen, du xoanon de Coré à Hélos, et des autres que cite Pausanias ; ainsi de la statue assise de Phlionte ou de celle d'Olympie, ici et là groupée avec une statue de Déméter. Que des monnaies lydiennes de l'époque impériale, de la Méonie et de Sardes, reproduisent le type de très anciennes idoles de Coré, c'est ce que prétendait Eckhel, mais qui n'est nullement assuré. Pour l'époque classique, deux groupes sont mentionnés où figurait Perséphone. Le premier est le groupe de Déméter, Coré et Iacchos dans l'Eleusinion d'Athènes, oeuvre de Praxitèle l'ancien. Il faut mentionner ici l'hypothèse de M. Kalkmann, d'après qui la statue de Coré de la villa Albani se rattacherait, à côté de la statue de Déméter de Cherchel, à ce groupe de l'Eleusinion. L'autre groupe est celui qu'on attribuait à Praxitèle le jeune. Pour l'époque post-classique enfin (la date exacte est encore sujet de discussion), Pausanias mentionne et décrit l'oeuvre de Damophon de Messène. Ce sculpteur avait exécuté pour le temple de Déméter à Lycosoura un groupe composé de Déméter, de Despoina Perséphone et du Titan Anytos. Perséphone, sur l'épaule de qui s'appuyait sa mère, tenait un sceptre dans la main droite et sur les genoux la ciste mystique. On a retrouvé d'importants fragments de cette oeuvre, mais très peu de chose de la statue de Despoina.

B. Monuments. Epoque archaïque. - De l'époque archaïque il ne reste pas de statue où l'on puisse reconnaître Perséphone. Mais on peut avec vraisemblance voir dans les bas-reliefs laconiens archaïques, expliqués généralement comme représentation des morts héroïsés, le groupe Hadès-Perséphone. Le plus célèbre de ces bas-reliefs est celui de Chrysapha, au musée de Berlin. Perséphone est représentée trônant près de son époux infernal ; d'une main elle tient son voile et de l'autre une grenade.

L'interprétation est fortifiée par le fait qu'on a, de la ville de Locres en Italie, colonie de Sparte et centre important du culte de Perséphone, un relief analogue ; ici la déesse est à la droite d'Hadès ; dans la main droite elle tient un coq (qui dans les bas-reliefs laconiens lui est offert par les adorants), dans la main gauche des épis. Il a été question à l'article Ceres des groupes de terre cuite où Déméter et Coré sont figurées l'une à côté de l'autre. De plus, nous avons insisté plus haut (1ere image) sur l'importance d'un groupe en terre cuite du Louvre qui représente Déméter et Coré sous forme d'un double xoanon de style très ancien, attestant la réunion des deux déesses, mère et fille, dès une époque reculée. Mais des nombreuses terres cuites archaïques où l'on peut voir la représentation des déesses éleusiniennes, il n'en est guère où un accessoire ou un détail de reconnaître à coup sûr Coré.

Les représentations certaines de Perséphone sont également rares sur les vases archaïques à figures noires. Tantôt la jeune déesse apparaît à côté de sa mère, et presque identique à elle ; tantôt elle trône dans le palais infernal. Ailleurs elle assiste assise, tenant des épis dans la main gauche, au supplice de Sisyphe roulant son rocher.

Epoque classique, Ve siècle. - La sculpture du Ve siècle nous offre d'abord le groupe célèbre de Déméter et de Coré dans la moitié de gauche du fronton oriental du Parthénon. On a, d'ailleurs, donné du groupe d'autres interprétations. Tout récemment, M. Studniczka a cherché à démontrer que les deux figures sont représentées assises sur la ciste mystique et doivent bien être interprétées comme Déméter et Coré. Le sculpteur, sans que la différence soit très tranchée, paraît avoir distingué la fille de la mère par des formes moins puissantes et moins pleines ; en tout cas, sauf Rayet, tous les archéologues désignent comme étant Coré la déesse la plus éloignée du centre du fronton, qui, d'un geste gracieux, appuie le bras gauche sur l'épaule de sa compagne.

Avec le groupe du Parthénon, les seules représentations tout à fait certaines de Coré dans la plastique du Ve siècle se trouvent sur des bas-reliefs, pour la plupart éleusiniens. Le plus célèbre est le bas-relief Lenormant, reproduit à l'article Ceres. La question de savoir laquelle des deux divinités qui y sont figurées représente Déméter, et laquelle Coré, n'a pas été sans diviser les archéologues. On désigne généralement la figure de droite comme Perséphone. Tandis que Déméter présente au jeune Triptolème le grain de blé, symbole de sa mission, Perséphone fait le geste de poser une couronne sur la tête de l'éphèbe ; de l'autre main elle porte une torche. Dès la découverte du grand relief d'Eleusis, on a cherché dans la statuaire contemporaine les oeuvres qu'on pouvait mettre en rapport avec ce monument. Le relief d'Eleusis n'est d'ailleurs pas isolé : on en a découvert une série d'autres, où le type des deux déesses est analogue. Le plus intéressant a été trouvé à Eleusis même ; on y voit, entre autres personnages, Coré debout, une torche dans chaque main. Citons encore un relief de l'Acropole qui représentait le départ de Triptolème ; on y voit Coré dans la même attitude. On peut reconnaître des types de Coré remontant au Ve siècle dans un certain nombre de statues des musées d'Europe, cela par la comparaison qu'on en peut faire avec le type des bas-reliefs. Ainsi une statuette de bronze du musée de Vienne, d'aspect encore archaïque, paraît représenter la forme la plus ancienne du type, antérieure même aux sculptures du Parthénon. La statue de la villa Albani interprétée autrefois comme une Sappho, serait un exemple du premier développement de ce type de Coré antérieur à Phidias ; dès la découverte du relief Lenormant, Brunn appelait l'attention sur la parenté de la figure de droite avec la statue Albani. Enfin un exemplaire plus avancé encore du même type fait partie d'un groupe de statues de petites dimensions, provenant de la collection Grimani, et appartenant toutes au cycle de Déméter ; l'on peut croire qu'elles ornaient un sanctuaire consacré aux déesses d'Eleusis.

IVe siècle. - Au IVe siècle, le type plastique de Coré est touché par l'évolution générale à la faveur de laquelle les types praxitéliens remplacent les types du Ve siècle. C'est encore sur les bas-reliefs qu'on trouve les représentations les plus certaines ; ainsi sur le bas-relief trouvé à Eleusis, au Plutonion, qui représente Triptolème assis sur son char entre les deux déesses ; Coré est à gauche, debout, portant deux torches, vêtue, par-dessus le chiton, d'un manteau drapé autour du corps et formant des plis larges et profonds. Plusieurs statues ou statuettes, qui reproduisent ce type, peuvent être désignées comme des statues de Coré et fixent pour nous le type statuaire de la déesse au IVe siècle. Les trois exemplaires principaux sont : une statue de la collection Duval, près de Genève, une statue de Florence, enfin une statue de Vienne, restaurée en Euterpe.

Au IVe siècle aussi appartient sans doute l'original d'un groupe qui représentait Déméter sur la ciste mystique, et auprès d'elle Coré debout. Depuis 1876, on a trouvé à Eleusis et à Athènes de nombreuses reproductions de ce groupe, sous forme de reliefs ou de statues de petites dimensions. M. Kern, qui a étudié ces monuments, y veut voir les copies d'un groupe consacré dans le sanctuaire d'Eleusis et représentant Déméter et Coré comme déesses des mystères.

Nous n'avons pas conservé de statue qui soit pour Coré ce qu'est la statue de Cnide pour Déméter, et nous donne de la jeune déesse une image saisissante et pathétique. La belle tête de la Glyptothèque de Munich, où M. Arndt voulait voir «la vraie fille de la Déméter de Cnide», n'a pas, M. Furtwängler l'a démontré, la provenance qu'on lui attribuait ; et rien n'autorise à lui donner le nom de Coré.

Vases peints, terres cuites, etc. - Sur les vases peints de l'époque classique, à figures rouges, Perséphone apparaît soit en compagnie de Déméter, soit aux côtés d'Hadès. On trouvera de nombreux exemples du premier groupement dans l'Elite ceramographique de De Witte et Lenormant. Sur la plupart de ces vases, Perséphone tient la torche et offre à Triptolème la libation du départ. Quelquefois aussi son costume est moins riche et moins orné que celui de sa mère ; ainsi sur le beau vase d'Hiéron.

Sur d'autres vases éleusiniens, Déméter est assise et Coré est debout à côté d'elle, comme dans les groupes étudiés par M. Kern [Eleusinia]. Il faut mentionner aussi un autre monument important trouvé à Eleusis, la plaquette consacrée par Ninnion, qu'a publiée M. Svoronos, et le vase de la collection Tiszkiewicz, aujourd'hui au Musée de Lyon. Nous citerons enfin la jolie peinture qui montre Triptolème à la charrue, assisté des deux déesses et où Coré tient deux torches.

Le second groupement, Perséphone et Hadès, apparait sur de nombreux vases de date récente, à personnages multiples, qui mettent sous nos yeux les enfers et leurs habitants. Souvent Perséphone trône à côté d'Hadès sous une édicule à colonnes ; quelquefois elle est debout auprès de lui. Tantôt elle porte le sceptre et le diadème ; tantôt elle tient une torche dans chaque main.

Mentionnons encore le beau fond de coupe, avec la représentation du banquet de Ploutôn et Pherrephatta.

C'est Coré déesse d'Eleusis dont les terres cuites reproduisent le plus souvent les traits. Tantôt la jeune déesse est représentée sévèrement drapée dans sa tunique et les bras collés au corps, tantôt coiffée du polos et tenant d'une main le porc de lustration. Parmi ces terres cuites les unes proviennent d'Eleusis : ainsi le bel exemplaire du Louvre. D'autres ont été trouvées en Béotie, en Sicile ou en Asie Mineure. Ce type austère est remplacé au IVe siècle par un type plus familier et plus gracieux ; les deux déesses forment alors un groupe où se montre clairement la tendresse qui les unit ; on trouve même, par exemple sur des terres cuites de Myrina, Coré assise sur les genoux de sa mère.

Beaucoup de monnaies enfin, d'Asie Mineure ou de Sicile, reproduisent les traits des déesses éleusiniennes. Mais il est le plus souvent impossible de déterminer si c'est la tête de Déméter ou celle de Coré que portent ces monnaies. Cependant de beaux tétradrachmes de Syracuse, de la fin du IVe siècle, ont l'inscription KORAS). Quant aux grandes monnaies de Cyzique qui portent l'inscription KORE SOTEIRA KYZIKENON, elles ressortent en réalité à l'iconographie des impératrices romaines plutôt qu'à celle de Coré.

Représentations figurées de l'enlèvement et de l'anodos de Coré. - De la période archaïque on ne peut guère citer, comme se rapportant à coup sûr au mythe du rapt de Coré, qu'un relief de terre cuite trouvé à Locres. Hadès imberbe tient Coré serrée dans ses bras et se dispose à l'entraîner sur son char. Une amphore de Nota, de style archaïque, ne représente que le thème habituel de la poursuite amoureuse. Mais comme le personnage masculin porte le sceptre et la corne d'abondance, on doit sans doute l'expliquer comme Hadès, et la jeune fille qu'il poursuit comme Perséphone.

Les monuments de l'époque classique qui figurent le rapt de Coré sont au contraire nombreux. Le sujet, par ses qualités pittoresques, devait tenter les artistes. Il semble avoir été traité par Praxitèle, qui, au dire de Pline l'Ancien, avait représenté Proserpinae raptum, item catagusam. Un tableau du peintre Nicomachos offrait le même sujet.

Les monuments conservés sont de nature très diverse. Un petit fronton de terre cuite de Tanagra, publié par Curtius, représente Hadès enlevant Perséphone qui se défend et étend les bras vers sa mère. D'après M. Mayer, des fragments de sculptures, de petites dimensions, trouvées à Eleusis, auraient fait partie également d'un fronton figurant l'enlèvement de Coré. Une peinture murale, trouvée à Kertch et publiée dans l'ouvrage de Förster, et une mosaïque, trouvée à Rome, représentent le même sujet ; sur cette dernière les chevaux du char d'Hadès ont chacun leur nom.

Le rapt de Coré est figuré sur de nombreuses monnaies de villes d'Asie. Sur toutes on voit Hadès, vêtu de l'himation flottant qui entoure sa tête comme d'un nimbe, emportant dans ses bras Coré qui se rejette désespérément en arrière ; Eros est représenté voltigeant au-dessus des chevaux qui se cabrent, conduits par Hermès. La composition est belle et pleine de mouvement ; en raison de sa hardiesse, elle décèle l'imitation d'une peinture plutôt que d'un groupe sculptural.

L'enlèvement de Coré est assez rarement représenté sur les vases peints. Parmi ceux qui sont figurés dans l'atlas d'Overbeck, l'un est un très grand vase de Ruvo dont l'un des registres est consacré à la scène du rapt ; à droite on voit trois des compagnes de Perséphone, puis le char monté par elle et par Hadès. Les autres vases représentent simplement le char d'Hadès avec Perséphone, et Déméter qui le suit, portant une torche. Sur l'un d'eux, il semble que Coré suive de bonne grâce son époux ; aussi Stephani voyait représenté là non le mythe de l'enlèvement, mais celui du retour périodique de Coré auprès d'Hadès. Toutes ces peintures sont très médiocres. Beaucoup plus intéressants sont les fragments d'un vase, trouvés à Eleusis, rapprochés et publiés par M. Hartwig. La scène parait y avoir été représentée avec une puissance et une force qui rappelle la manière de Brygos. Mais l'ensemble est très mutilé.

De gracieuses terres cuites du IVe siècle, qui représentent une jeune fille agenouillée, occupée à cueillir et à arroser des fleurs, sont peut-être une traduction familière de la légende de l'anthologia, dans le goût habituel des coroplastes de cette époque.

C'est sur les reliefs de sarcophages de l'époque romaine que le mythe de l'enlèvement de Coré-Perséphone est le plus fréquemment figuré. La signification philosophique qu'avait prise la légende du rapt explique le choix de ce sujet sur de tels monuments, comme aussi sur quelques cippes funéraires et sur des urnes étrusques. Il suffira de noter ici les traits essentiels de ces reliefs, qu'ont étudiés en détail Förster et Overbeck.

Aucun de ces reliefs de sarcophages n'est exactement semblable à l'autre. Mais, à travers les multiples variantes de détails, on peut distinguer trois séries de ces monuments. Dans une première classe se rangent tous les reliefs où la représentation est dirigée de gauche à droite et où l'attitude d'Athéna et d'Aphrodite est hostile à l'acte d'Hadès. Et cette classe de reliefs se divise en deux séries, suivant que s'y trouve ou non intercalée entre les deux scènes de l'enlèvement et des pérégrinations de Déméter, la scène de la cueillette, l'anthologia. Une troisième série est constituée par quelques reliefs où la représentation va de droite à gauche, et où Aphrodite et Athéna paraissent favoriser l'entreprise d'Hadès. Nous décrirons sommairement un exemplaire de chacune de ces séries. La figure ci-dessous reproduit un des meilleurs exemplaires de la première série.

Hadès, vêtu d'un manteau qui flotte autour de sa tête comme sur les monnaies d'Asie Mineure, emporte dans ses bras, sur son attelage dont les chevaux s'élancent, conduits par Hermès, Perséphone échevelée, la tête renversée, les bras levés. Sous les chevaux Gaia est étendue à terre ; au-dessus du char vole un Eros. A gauche d'Hadès, Athéna semble vouloir lui disputer sa proie, mais derrière elle Artémis et Aphrodite la retiennent en se saisissant du bord de son bouclier. A l'extrémité gauche du relief on voit Déméter voilée, sur son char attelé de serpents ; près de l'attelage une figure féminine.

Le sarcophage de Mazzara en Sicile donne un exemple des reliefs de la seconde série ; un troisième tableau est intercalé entre la poursuite de Déméter et l'enlèvement de Coré ; on voit la jeune déesse agenouillée, la main droite sur une corbeille que remplit un Eros, et Hadès qui la saisit. La troisième série de reliefs n'est représentée que par un petit nombre de monuments, dont un seul sarcophage complet. Le mouvement de la scène est ici de la droite vers la gauche. D'autre part, Aphrodite et Athéna se montrent, par leur attitude, nettement favorables à l'entreprise d'Hadès. A droite de la scène du rapt est représentée celle de l'anthologia ; mais elle est réduite à une seule figure, Coré agenouillée qui pose la main droite sur une corbeille et élève le bras gauche comme pour écarter son ravisseur. Celui-ci n'est pas représenté, et toute la partie droite du relief est occupée par Déméter et son char attelé de serpents, que conduit une figure féminine ailée et que précèdent des Eros. Un sarcophage enfin, conservé à Rome, porte sur une de ses petites faces une représentation complémentaire ; on y voit Hadès et Perséphone voilée trônant à côté de lui, et Hermès réclamant le retour sur la terre de la fille de Déméter. Ce sujet est très rarement traité.

La scène de la montée, anodos, de Perséphone, retournant du royaume d'Hadès sur la terre, est figurée sur divers monuments. Les plus intéressants sont les vases peints. Sur le plus anciennement connu on voit Perséphone (Persôphata) sortant de terre et saluant la lumière. Près d'elle se tient Hermès (Êrmes) ; devant elle Hécate (Êkate) portant deux torches ; à droite Déméter (Demeter). On connaît maintenant deux autres peintures de vases attiques qui représentent certainement le même sujet. C'est d'abord un vase de Dresde, où l'on voit Perséphone (Pherophatta) dont le corps émerge aux trois quarts du sol, Hermès tenant le bâton du conducteur d'âmes, et trois Silènes dansants. La seconde peinture orne un cratère trouvé à Faléries ; on y voit également Coré sortant aux trois quarts du sol, Hermès et huit Silènes.

On peut faire aussi rentrer dans la catégorie des représentations de l'anodos deux peintures dont l'interprétation est plus discutable : sur l'une on voit une femme vêtue d'un chiton, sortant de terre entre deux Silènes ; sur l'autre, une femme vue à mi-corps émerge d'une grotte en présence de Pan, de Dionysos et de deux Silènes. MM. Helbig et Fröhner, et après eux M. Hartwig, croient à une représentation de l'anodos ; mais M. C. Robert est d'un avis contraire.

Douteuse enfin est la signification de deux peintures de vases de l'Italie méridionale, où l'on voit une tête ou un corps de femme sortir du sol que deux Silènes, armés de marteaux, viennent sans doute d'entr'ouvrir. Comme les humains, par leur travail, font sortir les fruits de la terre, les Silènes ici, par le leur, en feraient sortir Coré. En dehors des peintures de vases, il n'est guère de monuments qui se rapportent à l'anodos de Coré. Le sarcophage de Wiltonhouse, publié par Gerhard, représente pourtant, d'après l'opinion commune, ce même sujet ; mais ici c'est montée sur un char que Perséphone reparait à la lumière.

Enfin une terre cuite du Louvre, provenant de la collection Rayet, traduit curieusement la même légende. C'est une statuette coupée aux genoux ; les deux bras «retombent le long des flancs, comme si le personnage sortait réellement d'une ouverture étroite, d'une sorte de puits pratiqué en terre... La jeune déesse surgit, semblable à une fleur merveilleuse, et son attitude rend d'une façon aussi exacte que possible l'étrangeté de son apparition».

II. - En Etrurie la Perséphone grecque apparaît, comme déesse des enfers, aux côtés d'Hadès, sous le nom de Phersipnei, sur une peinture murale de la tombe dell'Orco, à Cornéto ; ainsi encore sur les tombes Golini à Orviéto, et Campanari à Vulci.

A Rome, le culte de Coré-Perséphone pénétra à deux moments de l'histoire religieuse de la cité. En 496 av. J.-C. fut introduit, sur l'ordre des livres sibyllins, le culte de la triade éleusinienne, Déméter, Dionysos et Coré. Mais, de même que Déméter était assimilée à la déesse italique Ceres, et Dionysos au Liber pater, Coré prenait les traits de la compagne de ce dernier, la déesse Libera.

Au contraire, le culte de Perséphone, épouse d'Hadès et reine du monde infernal, resta toujours essentiellement grec. En 249 av. J.-C. les livres sibyllins ordonnèrent de célébrer pendant trois nuits consécutives, en l'honneur de Dis Pater et de Proserpina, les Ludi Tarentini, et de leur offrir des victimes noires (hostiae furvae), à Dis un taureau, à Proserpine une vache. Le Tarentum était un emplacement situé dans la partie nord-ouest du Champ de Mars, près du Tibre ; là se trouvait un autel, ara Ditis et Proserpinae, dont des fouilles récentes ont ramené au jour quelques vestiges. Les Ludi Tarentini devaient être renouvelés au bout de cent ans. Ce furent, après une réorganisation opérée par Auguste, les jeux séculaires.

Avant 249, Proserpine paraît avoir été tout à fait étrangère à la religion romaine. Son nom même le prouve. Les anciens y voyaient une dérivation de proserpere. Mais les mythologues et linguistes modernes considèrent généralement le nom de Proserpina comme une simple adaptation latine du nom de Persephonê.

Sur des monuments d'époque tardive, on voit associée à Dis Pater non pas Proserpine, mais une déesse Aera Cura. On peut croire que c'est une ancienne divinité italique, que Proserpine aurait supplantée ; mais, comme elle n'apparaît qu'à une date avancée, elle peut n'être aussi qu'une création mythologique très postérieure.

Proserpine n'a jamais tenu que peu de place dans la religion romaine. Seuls les textes poétiques la mentionnent, fréquemment sous le nom de Juno stygia, averna, inferna ; d'autres épithètes encore font ressortir uniquement son rôle de déesse des morts. Les dédicaces à Proserpine sont rares dans tout l'ensemble du monde romain.

Article d'Emile Cahen