«J'étais seul sur le seuil dans le vent froid,
Mais non, nullement seul, car deux grands êtres
Se parlaient au-dessus de moi, à travers moi.
L'un, derrière, une vieille femme, courbe, mauvaise,
L'autre debout dehors comme une lampe,
Belle, tenant la coupe qu'on lui offrait,
Buvant avidement de toute sa soif.
Ai-je voulu me moquer, certes non,
Plutôt ai-je poussé un cri d'amour
Mais avec la bizarrerie du désespoir,
Et le poison fut partout dans mes membres,
Cérès moquée brisa qui l'avait aimée.
Ainsi parle aujourd'hui la vie murée dans la vie.»

Yves Bonnefoy - Les Planches courbes - La maison natale, III

 

Adam Elsheimer - Ceres et Stellio - 1600 ?
Musée du Prado


Nicandre de Colophon - Theriaka, v.483 sqq - Askabalos

Edition de Parisiis : apud Guil. Morelium, 1557



Hic et vilis agit crudeles Stellio morsus.
Illum quare Ceres quondam violarit Achaea
Fama refert, quando puerilia membra resoluit
Callichorum ad puteum, pia cum Metanira senexque
Hospitio Celei divam excepisset amici.
Praeterea et silvas haud noxia turba ferarum
Pascitur et dumos atque obsita lustra tenebris.
Has elopes, libyasque, coronatosque myagros
Appellant, jaculos etiam, mitesque moluros
Quique errant nulla typhlopes peste nocentes.

Traduction du grec en latin
Edition de Parisiis : apud Guil. Morelium, 1557

Note du scholiaste de Nicandre :

Quem Graeci askalabon [...] appellant, Latini stellionem dicunt. Animal est lacertae simile, senectutem quoque exuens ut ungues. Temporibus statis se condit, latetque in cavernis mensibus quatuor frigidis imis. De ejus generatione fabula haec scripta est : cum Metanira Cererem (cui a luctu, cujus plena erat dum Proserpina quaereret, Graeci achaius epitheton indiderunt) hospitio et diversorio Celei, quem Ceres unice diligebat, excepisset, id aegre tulit Metanirae filius, nec se continuit quin et Cererem et ejus sacra rideret, multaque in eam contumeliose diceret : indignata ob haec Ceres eum in stellionem vertit atque haec est quae de eo fertur fama.


Ovide - Métamorphoses, V, 438-461

Interea pavidae nequiquam filia matri
omnibus est terris, omni quaesita profundo.
Illam non udis veniens Aurora capillis
cessantem vidit, non Hesperus ; illa duabus
flammiferas pinus manibus succendit ab Aetna
perque pruinosas tulit inrequieta tenebras ;
rursus ubi alma dies hebetarat sidera, natam
solis ab occasu solis quaerebat ad ortus.
Fessa labore sitim conceperat, oraque nulli
conluerant fontes, cum tectam stramine vidit
forte casam parvasque fores pulsavit ; at inde
prodit anus divamque videt lymphamque roganti
dulce dedit, tosta quod texerat ante polenta.
Dum bibit illa datum, duri puer oris et audax
constitit ante deam risitque avidamque vocavit.
Offensa est neque adhuc epota parte loquentem
cum liquido mixta perfudit diva polenta :
conbibit os maculas et, quae modo bracchia gessit,
crura gerit ; cauda est mutatis addita membris,
inque brevem formam, ne sit vis magna nocendi,
contrahitur, parvaque minor mensura lacerta est.
Mirantem flentemque et tangere monstra parantem
fugit anum latebramque petit aptumque pudori
nomen habet variis stellatus corpora guttis.

Cependant la mère de Proserpine, alarmée sur le sort de sa fille, la cherche en vain par toute la terre et sur toutes les mers. Ni l'Aurore, déployant à son lever sa radieuse chevelure, ni Vesper ne l'ont vue s'arrêter ; elle allume deux torches de pin aux flammes de l'Etna, et les porte sans relâche au milieu des froides ténèbres. Quant la clarté bienfaisante du jour a fait pâlir les étoiles, elle cherche sa fille depuis l'heure où le soleil se lève jusqu'à celle où le soleil se couche. Un jour qu'épuisée de fatigue et dévorée par une soif ardente, elle ne trouvait aucune source pour se désaltérer, le hasard découvre à ses yeux une cabane couverte de chaume ; elle frappe à son humble porte ; une vieille paraît et voit la déesse qui lui demande à boire ; elle lui présente un doux breuvage, composé d'orge et de miel, qu'elle venait de faire bouillir. Tandis que Cérès boit à longs traits, un enfant, au regard dur et insolent, s'arrête devant elle, et rit de son avidité. La déesse offensée jette le reste du breuvage sur le front de l'enfant, qui parle encore. Pénétré de cette liqueur, son visage se couvre aussitôt de mille taches, ses bras font place à deux pattes, une queue achève la métamorphose et termine son corps, qui conserve à peine, en se rapetissant, la faculté de nuire ; réduit à des formes chétives, il n'est plus qu'un lézard : la vieille en pleurs s'étonne de ce prodige, elle veut le toucher ; mais il fuit et court se cacher ; il tire son nom de la couleur de sa peau, où les gouttes du fatal breuvage sont parsemées comme autant d'étoiles.

Traduction de Louis Puget, Th. Guiard, Chevriau et Fouquier (1876)

L'épisode de Stellio chez les illustrateurs d'Ovide

Antonio Tempesta (1555-1630)

Johann Wilhelm Baur (1600-1640)


Antoninus Liberalis - Métamorphoses, XXIV - Askabalos

Du temps où Déméter parcourait, errante, la terre entière à la recherche de sa fille, elle fit halte en Attique. Elle avait la bouche desséchée par la grande chaleur quand Mismé la reçoit et lui donne à boire de l'eau à laquelle elle avait mélangé du pouliot et du gruau d'orge. Déméter assoiffée but ce breuvage d'un seul trait. A ce spectacle, Ascalabos, fils de Mismé, se mit à rire et ordonna d'apporter à nouveau à la déesse une profonde bassine ou une jarre. Déméter irritée déversa aussitôt sur lui ce qui restait du breuvage. Et Ascalabos fut transformé et devint un gecko au corps moucheté, objet de haine pour les dieux et pour les hommes. Il passe sa vie près des canaux, et qui le tue se fait bien voir de Déméter.

Traduction de Manolis Papathomopoulos, Edition des Belles Lettres (1968) p.42