Périclès et Alcibiade

Périclès
Mon cher neveu, je suis bien aise de te revoir. J'ai toujours eu de l'amitié pour toi.

Alcibiade
Tu me l'as bien témoigné dès mon enfance. Mais je n'ai jamais eu tant de besoin de ton secours qu'à présent. Socrate que je viens de trouver me fait craindre les trois juges devant lesquels je vais comparaître.

Périclès
Hélas, mon cher neveu, nous ne sommes plus à Athènes. Ces trois vieillards inexorables ne comptent pour rien l'éloquence. Moi-même j'ai senti leur rigueur, et je prévois que tu n'en seras pas exempt.

Alcibiade
Quoi, n'y a-t-il pas quelque moyen pour gagner ces trois hommes ? Sont-ils insensibles à la flatterie, à la pitié, aux grâces du discours, à la poésie, à la musique, aux raisonnements subtils, au récit des grandes actions ?

Périclès
Tu sais bien que si l'éloquence avait ici quelque pouvoir, sans vanité ma condition devrait être aussi bonne que celle d'un autre. Mais on ne gagne rien ici à parler. Ces traits flatteurs qui enlevaient le peuple d'Athènes, ces tours convaincants, ces manières insinuantes qui prennent les hommes par leurs commodités et par leurs passions ne sont plus d'usage ici : les oreilles y sont bouchées et les coeurs de fer. Moi qui suis mort dans cette malheureuse guerre du Péloponnèse, je ne laisse pas d'en être puni. On devrait bien me pardonner une faute qui m'a coûté la vie, et même c'est toi qui me la fis faire.

Alcibiade
Il est vrai que je te conseillai d'engager la guerre plutôt que de rendre compte. N'est-ce pas ainsi que l'on fait toujours quand on gouverne un Etat ? On commence par soi, par sa commodité, sa réputation, son intérêt ; le public va comme il peut. Autrement quel serait le sot qui se donnerait la peine de gouverner, et de veiller nuit et jour pour faire bien dormir les autres ? Est-ce que vos juges d'ici trouvent cela mauvais ?

Périclès
Oui, si mauvais qu'après être mort de la peste dans cette maudite guerre, où je perdis la confiance du peuple, j'ai souffert ici de grands supplices pour avoir troublé la paix mal à propos. Juge par là, mon pauvre neveu, si tu en seras quitte à bon marché.

Alcibiade
Voilà de mauvaises nouvelles. Les vivants quand ils sont bien fâchés disent : «Je voudrais être mort», et moi, je dirais volontiers au contraire : «Je voudrais me porter bien».

Périclès
Oh ! tu n'es plus au temps de cette belle robe traînante de pourpre avec laquelle tu charmais toutes les femmes d'Athènes et de Sparte. Tu seras puni non seulement de ce que tu as fait, mais encore de ce que tu m'as conseillé de faire.