Cicéron et Démosthène

Démosthène
Il y a longtemps que je souhaitais de vous voir ; j'ai entendu parler de votre éloquence ; César, qui est arrivé ici depuis peu, m'en a instruit.

Cicéron
Il est vrai que ç'a été un de mes plus grands talents.

Démosthène
Parlez-m'en en détail, je vous en prie.

Cicéron
D'abord j'ai défendu plusieurs gens accusés injustement, j'ai fait bannir Verrès, préteur de Sicile, j'ai parlé pour et contre des lois, j'ai abattu Catilina et son parti, j'ai plaidé pour Sextius, tribun du Peuple, qui avait toujours été pour moi, même pendant mon exil, enfin j'ai couronné ma vie par ces Philippiques si célèbres, qui...

Démosthène
J'entends, qui ont surpassé les miennes ; je ne pensais pas que vous eussiez apporté ici votre vanité, mais laissons cela : comment vous êtes-vous gouverné dans la rhétorique ?

Cicéron
J'ai fait des ouvrages qui dureront éternellement, j'ai parlé des orateurs les plus célèbres, j'ai...

Démosthène
Je vois bien que vous voulez toujours revenir à vos Oraisons : ne croyez pas me tromper. J'en sais autant qu'un autre, et...

Cicéron
Tout beau : vous me reprenez de ma vanité, et vous vous louez vous-même !

Démosthène
Il est vrai, j'ai tort, je l'avoue, je me suis laissé emporter, mais vous avouerez vous-même que vous vous louez un peu trop partout. Y a-t-il rien de plus fade que la louange que vous vous donnez au commencement de la troisième Catilinaire, lorsque vous dites que «puisque l'on a élevé au rang des dieux Romulus, fondateur de la ville de Rome, que ne fera-t-on point à celui qui a conservé cette même ville fondée et augmentée ?»

Cicéron
Mais, dans le fond, ne fallait-il pas nous vanter pour nous défendre contre de tels ennemis ? Nous avons tous deux eu affaire à des gens très puissants. Vous aviez Philippe, roi de Macédoine, contre vous ; et moi, Marc Antoine, qui depuis partagea l'empire avec Auguste en deux parties, et qui a eu, sans contredit, la plus belle et la plus florissante.

Démosthène
Oui ; mais lorsque vous avez parlé contre lui, il n'était que triumvir ; votre peuple vous regardait comme une merveille, et vous croyait. Moi j'ai eu à persuader un peuple faible, superstitieux, incapable des choses sérieuses ; de plus, j'ai parlé avec force. Vous, vous avez eu de la force, je l'avoue, mais vous y ajoutiez trop d'ornements. La véritable éloquence va à cacher son art : ou il faut ne point parler, ou il faut étudier la vraie et la solide éloquence.