Sylla, Catilina et César
Sylla
Je viens à la hâte vous donner un avis, César, et je mène avec moi un bon second pour vous persuader : c'est Catilina. Vous le connaissez, et vous n'avez été que trop de sa cabale. N'ayez point de peur de nous. Les ombres ne font point de mal.
César
Je me passerais bien de votre visite. Vos figures sont tristes et vos conseils le seront peut-être encore davantage. Qu'avez-vous donc de si pressé à me dire ?
Sylla
Qu'il ne faut point que vous aspiriez à la tyrannie.
César
Pourquoi ? N'y avez-vous pas aspiré vous-mêmes ?
Sylla
Sans doute et c'est pour cela que nous sommes plus croyables quand nous vous conseillons d'y renoncer.
César
Pour moi je veux vous imiter en tout, chercher la tyrannie comme vous l'avez cherchée, et ensuite revenir comme vous de l'autre monde après ma mort pour désabuser les tyrans qui viendront en ma place.
Sylla
Il n'est pas question de ces gentillesses et de ces jeux d'esprit. Nous autres ombres nous ne voulons rien que de sérieux. Venons au fait. J'ai quitté volontairement la tyrannie et m'en suis bien trouvé. Catilina s'est efforcé d'y parvenir et a succombé malheureusement. Voilà deux exemples bien instructifs pour vous.
César
Je n'entends point tous ces beaux exemples. Vous avez tenu la république dans les fers et vous avez été assez malhabile homme pour vous dégrader vous-même. Après avoir quitté la suprême puissance, vous êtes demeuré avili, obscur, inutile, abattu. L'homme fortuné fut abandonné de la fortune. Voilà, déjà un de vos deux exemples que je ne comprends point. Pour l'autre, Catilina a voulu se rendre le maître, et a bien fait jusque-là. Il n'a pas su bien prendre ses mesures. Tant pis pour lui. Quant à moi je ne tenterai rien qu'avec de bonnes précautions.
Catilina
J'avais pris les mêmes mesures que vous, flatter la jeunesse, la corrompre par des plaisirs, l'engager dans des crimes, l'abîmer par la dépense et par les dettes, s'autoriser par des femmes d'un esprit intrigant et brouillon. Pouvez-vous mieux faire ?
César
Vous dites là des choses que je ne connais point. Chacun fait comme il peut.
Catilina
Vous pouvez éviter les maux où je suis tombé et je suis venu vous en avertir.
Sylla
Pour moi je vous le dis encore. Je me suis bien trouvé d'avoir renoncé aux affaires avant ma mort.
César
Renoncé aux affaires ! Faut-il abandonner la république dans ses besoins ?
Sylla
Hé ! ce n'est pas ce que je vous dis. Il y a bien de la différence entre la servir ou la tyranniser.
César
Hé ! pourquoi donc avez-vous cessé de la servir ?
Sylla
Ho ! vous ne voulez pas m'entendre. Je dis qu'il faut servir la patrie jusqu'à la mort, mais qu'il ne faut ni chercher la tyrannie ni s'y maintenir quand on y est parvenu.