César et Alexandre
Alexandre
Qui est donc ce Romain nouvellement venu ? Il est percé de bien des coups. Ah, j'entend qu'on dit que c'est César. Je te salue, grand Romain : on disait que tu devais aller vaincre les Parthes et conquérir tout l'Orient. D'où vient que nous te voyons ici ?
César
Mes amis m'ont assassiné dans le sénat.
Alexandre
Pourquoi étais-tu devenus leur tyran, toi qui n'étais qu'un simple citoyen de Rome ?
César
C'est bien à toi à parler ainsi. N'as-tu pas fait l'injuste conquête de l'Asie ? N'as-tu pas mis la Grèce dans la servitude ?
Alexandre
Oui. Mais les Grecs étaient des peuples étrangers et ennemis de la Macédoine. Je n'ai point mis comme toi dans les fers ma propre patrie. Au contraire, j'ai donné aux Macédoniens une gloire immortelle avec l'empire de tout l'Orient.
César
Tu as vaincu des hommes efféminés, et tu es devenu aussi efféminé qu'eux. Tu as pris les richesses des Perses ; et les richesses des Perses t'ont vaincu en te corrompant. As-tu porté jusqu'aux Enfers cet orgueil insensé qui te fit croire que tu étais un dieu ?
Alexandre
J'avoue mes fautes et mes erreurs. Mais est-ce à toi à me reprocher ma mollesse ? Ne sait-on pas ta vie infâme en Bithynie, ta corruption à Rome où tu n'obtins les honneurs que par des intrigues honteuses ? Sans tes infamies tu n'aurais jamais été qu'un particulier dans ta république. Il est vrai aussi que tu vivrais encore.
César
Le poison fit contre toi à Babylone ce que le fer a fait contre moi dans Rome.
Alexandre
Mes capitaines n'ont pu m'empoisonner sans crime ; tes concitoyens, en te poignardant, sont les libérateurs de leur patrie. Ainsi nos morts sont bien différentes. Nos jeunesses le sont encore davantage. La mienne fut chaste, noble, ingénue ; la tienne fut sans pudeur et sans probité.
César
Ton ombre n'a rien perdu de l'orgueil et de l'emportement qui ont paru dans ta vie.
Alexandre
J'ai été emporté par mon orgueil, je l'avoue. Ta conduite a été plus mesurée que la mienne. Mais tu n'as point imité ma candeur et ma franchise. Il fallait être honnête homme avant que d'aspirer à la gloire de grand homme. J'ai été souvent faible et vain ; mais au moins j'étais meilleur pour ma patrie et moins injuste que toi.
César
Tu fais grand cas de la justice sans l'avoir suivie. Pour mois, je crois que le plus habile homme doit se rendre le maître, et puis gouverner sagement.
Alexandre
Je ne l'ai que trop cru comme toi. Eaque, Rhadamanthe et Minos m'en ont sévèrement repris, et ont condamné mes conquêtes. Je n'ai pourtant jamais cru, dans mes égarements, qu'il fallût mépriser la justice. Tu te trouves mal de l'avoir violée.
César
Les Romains ont beaucoup perdu en me tuant ; j'avais fait des projets pour les rendre heureux.
Alexandre
Le meilleur projet eût été d'imiter Sylla qui, ayant été tyran comme toi, leur rendit la liberté. Tu aurais fini ta vie en paix comme lui. Mais tu ne peux me croire, et je t'attends devant les trois juges qui te vont juger.