Première partie, discours premier

Sur les Dames qui font l'amour, et principalement sur les cocus, et de leurs diverses espèces (extrait)

Que dirons-nous maintenant d'aucuns maris qui ne se contentent de se donner du contentement et plaisir paillard de leurs femmes, mais en donnent de l'appétit, soit à leurs compagnons et amis, soit à d'autres, ainsi que j'en ai connu plusieurs, qui leur louent leurs femmes, leur disent leurs beauté, leur figurent leurs beaux membres et parties du corps, leur représentent leurs plaisirs qu'ils ont avec elles, et les folâtreries dont elles usent envers eux, les leur font baiser, et tâter, voire voir nues ?

Que méritent-ils, ceux-là, sinon qu'on les fasse cocus bien à point, ainsi que fit Gigès, par le moyen de sa bague, au roi de Candalles ou au roi des Lydiens ; tel quel soit qu'il était ? Lui ayant loué la rare beauté de sa femme, comme si le silence lui faisait tort et dommage, et puis la lui ayant montrée toute nue, en devint si amoureux qu'il en jouit à son gré, et le fit mourir, et s'impatronisa de son royaume. On dit que la femme en fut si désespérée, pour avoir été représentée toute nue, qu'elle força Gigès à ce méchant tour, en lui disant : Ou celui qui t'a pressé et conseillé de telle chose, faut qu'il meure de ta main ; ou toi qui m'as regardée toute nue, tu meurs de la main d'un autre. Certes, ce roi était bien de loisir, de donner ainsi appétit d'une viande nouvelle, si bonne et belle, et qu'il devait tenir si chère.

 

Illustration de P.E. Bécat
édition Athéna bibliophile (1948)