24. Mercure et Maïa
Mercure
Est-il dans le ciel, ô ma mère, un dieu plus malheureux que moi ?
Maïa
Ne parle pas ainsi, Mercure.
Mercure
Et pourquoi pas, quand j'ai tant de choses à faire, seul, accablé, tiraillé par toutes sortes d'emplois ? Dès le matin, il faut que je me lève pour balayer la salle du banquet ; puis, quand j'ai étendu des tapis pour l'assemblée et tout mis en ordre, il faut que je me rende auprès de Jupiter, afin d'aller porter les ordres en bas, en haut, comme un vrai courète. A peine de retour, et tout couvert de poussière, il faut lui servir l'ambroisie ; et, avant l'arrivée de l'échanson dont il a fait récemment emplette, c'était moi qui lui versais le nectar. Mais le plus désagréable de tout, c'est que, seul de tous les dieux, je ne ferme pas l'oeil de la nuit : il faut que j'aille conduire les âmes chez Pluton, que je lui amène les morts et que je siège au tribunal. Les travaux de jour ne me suffisent pas : ce n'est pas assez d'assister aux palestres, de faire l'office de héraut dans les assemblées, de donner des leçons aux orateurs, je suis préposé en même temps à tout ce qui regarde les pompes funèbres. Cependant les enfants de Léda passent, chacun à leur tour, une journée dans le ciel et une autre dans les enfers : moi, j'ai à répéter chaque jour le même manège, sans nul répit. Les fils d'Alcmène et de Sémélé, nés de malheureuses mortelles, passent tranquillement leur temps dans les festins, et moi, fils de Maïa, la fille d'Atlas, je suis leur humble serviteur. En ce moment j'arrive de Sidon, de chez la fille de Cadmus, vers laquelle Jupiter m'a envoyé, pour voir ce que faisait cette chère enfant, et, avant que j'aie le temps de souffler, il m'envoie à Argos pour rendre visite à Danaé : «De là, ajoute-t-il, tu te rendras en Béotie, et, en passant, tu verras Antiope». Je suis déjà tout harassé ; et, si je le pouvais, j'aimerais mieux être mis en vente, comme les malheureux esclaves de la terre.
Maïa
Laisse là ce discours, mon fils ; tu es jeune et tu dois servir ton père. Suivant les ordres que tu as reçus, hâte-toi d'aller à Argos, puis en Béotie, de peur qu'un retard ne t'amène des coups : les amoureux ont l'humeur vive.
Traduction d'Eugène Talbot (1857)