9. Neptune et Mercure

Neptune
Peut-on, Mercure, entrer maintenant chez Jupiter ?

Mercure
Non, Neptune !

Neptune
Annonce-moi toujours.

Mercure
Ne me presse pas davantage, te dis-je : le moment est mal choisi, et tu ne le peux voir en cet instant.

Neptune
Est-ce qu'il est auprès de Junon ?

Mercure
Non ; c'est tout autre chose.

Neptune
J'entends : Ganymède est là dedans.

Mercure
Tu te trompes, Jupiter est malade.

Neptune
Quelle est sa maladie, Mercure ? Ce que tu dis est étonnant.

Mercure
J'ai honte de te le dire, mais c'est comme cela.

Neptune
Il ne faut pas te gêner avec moi, qui suis ton oncle.

Mercure
Eh bien ! Neptune, il vient d'accoucher tout à l'heure.

Neptune
D'accoucher ? lui ! fi donc ! Et par où ? Il nous a donc caché qu'il fût des deux sexes : mais son ventre ne nous avait jamais fait présumer une grossesse.

Mercure
Tu as raison ; aussi n'était-ce pas là qu'il portait son enfant.

Neptune
Je comprends. Il sera encore accouché par la tête, comme pour Minerve : il a la tête féconde !

Mercure
Pas du tout : c'est dans la cuisse qu'il portait l'enfant qu'il a eu de Sémélé.

Neptune
0 l'excellent dieu, qui porte des enfants et accouche de tous les côtés ! Et quelle est cette Sémélé ?

Mercure
Une Thébaine, une des filles de Cadmus : il a eu commerce avec elle et l'a rendue grosse.

Neptune
Et puis après, Mercure, il est accouché pour elle ?

Mercure
Justement, tout étrange que cela te paraît. Junon, dont tu sais l'humeur jalouse, étant descendue chez Sémélé, lui persuada de prier Jupiter de la venir voir avec ses tonnerres et ses éclairs : Jupiter consentit, arriva la foudre en main, mit le feu au toit, et Sémélé périt dans l'incendie. Il m'ordonna alors de fendre le ventre de cette femme et de lui apporter l'embryon imparfait, qui n'avait encore que sept mois : j'obéis, il s'ouvrit la cuisse et y déposa l'enfant jusqu'à ce qu'il vînt à terme : aujourd'hui que le troisième mois est arrivé, il l'a mis au monde, et les douleurs de l'accouchement l'ont rendu malade.

Neptune
Où l'enfant est-il donc à présent ?

Mercure
Je l'ai porté à Nysa, et donné à élever aux nymphes, sous le nom de Dionysos.

Neptune
Par conséquent Jupiter est tout à la fois le père et la mère de ce Dionysos.

Mercure
Naturellement. Mais je m'en vais lui porter de l'eau pour laver la blessure, et lui faire tout ce qui se fait, en pareil cas, à une nouvelle accouchée.

Traduction d'Eugène Talbot (1857)