11. Le Xanthe et la Mer

Le Xanthe
O mer, reçois-moi ; je suis dans un état pitoyable ; éteins le feu qui me brûle.

La Mer
Qu'est-ce donc, Xanthe, qui t'a ainsi brûlé ?

Le Xanthe
C'est Vulcain ! Me voilà presque en charbon, malheureux que je suis ; je grille.

La Mer
Mais pourquoi t'a-t-il mis tout en feu ?

Le Xanthe
A cause du fils de Thétis : comme il massacrait les Phrygiens, je voulus le fléchir par mes prières ; mais loin de calmer sa fureur, il encombrait mon courant de cadavres : j'eus alors pitié de ces misérables, je m'élançai pour le submerger et pour l'obliger par crainte à laisser les hommes en repos. Alors Vulcain, qui par hasard était près de nous, rassemble tout le feu, je crois, qu'il avait dans ses forges, tout celui de l'Etna, tout le feu du monde enfin, et vient fondre sur moi : il entraîne à l'instant mes peupliers et mes tamarins, rôtit mes malheureux poissons et mes anguilles, et me fait bouillir au point d'être presque tout à fait desséché. Tu vois en quel état m'a mis cette brûlure.

La Mer
Oui, pauvre Xanthe, te voilà tout trouble et tout bouillant : trouble par le sang des cadavres, bouillant par les feux dont tu parles. Mais aussi pourquoi t'élancer contre un de mes enfants, sans respect pour le fils d'une des Néréides ?

Le Xanthe
Eh ! ne devais-je pas avoir pitié de mes voisins les Phrygiens ?

La Mer
Et Vulcain ne devait-il pas avoir pitié d'Achille, le fils de Thétis ?


Traduction d'Eugène Talbot (1857)