13. Neptune et l'Enipée

L'Enipée
Ce n'est pas bien, Neptune, car il faut que je te parle franc : tu m'enlèves ma maîtresse, en prenant ma ressemblance, et tu as ses premières faveurs ; mais c'est à moi qu'elle croyait céder, et voilà pourquoi elle se prêtait à tes caresses.

Neptune
Pourquoi aussi, Enipée, faire le dédaigneux et l'insouciant avec une fille aussi belle ? Elle vient chaque jour auprès de toi, toute mourante d'amour, et toi, tu la méprises et sembles prendre plaisir à ses peines : elle se promène, rêveuse, sur tes bords, elle entre parfois dans tes eaux et s'y baigne, elle souhaite de t'avoir entre ses bras, et tu n'as pour elle que des rigueurs...

L'Enipée
Eh bien ! fallait-il, pour cela, la ravir à ma tendresse, déguiser Neptune en Enipée, et tromper la naïveté crédule de Tyro ?

Neptune
Ta jalousie vient un peu tard, Enipée, après tes premiers dédains. D'ailleurs le malheur de Tyro n'est pas bien grand : c'est à toi qu'elle a cru accorder ses faveurs.

L'Enipée
Pas du tout, puisqu'en la quittant tu as dit que tu étais Neptune ; ce qui lui a causé beaucoup de peine. C'est donc un vol que tu m'as fait, en jouissant d'un bien qui était à moi, en t'enveloppant de flots d'azur, qui vous ont entourés tous les deux, et en jouant mon rôle auprès de la jeune fille.

Neptune
Mais tu ne le voulais pas, Enipée !


Traduction d'Eugène Talbot (1857)