15. Zéphyre et Notus

Zéphyre
Non, jamais pompe plus magnifique ne s'est offerte à mes yeux sur la mer, depuis que je vis et que je souffle ! Et toi, ne l'as-tu pas vue, Notus ?

Notus
De quelle pompe veux-tu parler, Zéphyre ? Et quels étaient ceux qui la composaient ?

Zéphyre
Tu as perdu le plus agréable coup d'oeil, un spectacle tel que tu n'en verras jamais sans doute de pareil.

Notus
J'avais affaire le long de la mer Erythrée, et je soufflais dans cette partie de l'Inde qui est voisine de la mer, en sorte que je n'ai pu voir ce dont tu parles.

Zéphyre
Tu connais Agénor de Sidon ?

Notus
Oui, le père d'Europe. Eh bien ?

Zéphyre
C'est justement d'Europe que je veux te parler.

Notus
Ne veux-tu pas me dire que Jupiter aime depuis longtemps cette belle ? ce n'est pas d'hier que je le sais.

Zéphyre
Puisque tu connais cet amour, apprends quelle en a été la suite. Europe se promenait en jouant au bord de la mer, accompagnée des jeunes filles de son âge, quand Jupiter, sous la forme d'un taureau, vint se jouer avec elles. Il était d'une beauté parfaite, d'une blancheur irréprochable, ses cornes d'une courbure gracieuse, le regard plein de tendresse. Il bondissait sur le rivage et mugissait avec tant de douceur qu'Europe se hasarda à monter sur son dos. A cet instant Jupiter, prenant sa course, s'élance vers la mer, emportant avec lui la jeune fille, et se jette à la nage. Europe effrayée se tient de la main gauche aux cornes du taureau pour ne pas glisser, et de l'autre retient son voile où s'engouffre le vent.

Notus
Le charmant spectacle, Zéphyre, la jolie scène d'amour de voir Jupiter fendant l'onde et portant son amante !

Zéphyre
Le reste, Notus, est plus charmant encore. Les flots s'abaissèrent au même instant, et la surface de la mer devint calme et unie. Nous retenions tous notre souffle, et suivions, comme simples spectateurs. Les Amours, glissant légèrement au-dessus de l'onde , qu'ils effleuraient parfois du bout des pieds, portaient des flambeaux allumés et chantaient les hymnes des époux. Les Néréides, sortant des flots, arrivaient montées sur des dauphins, applaudissant, presque toutes demi-nues. Les Tritons et tous les autres habitants des mers, dont l'aspect n'a rien de hideux, dansaient autour de la jeune fille. Neptune, monté sur son char, ayant à ses côtés Ampbitrite, conduisait cette troupe, le visage rayonnant de joie, et frayait la route à son frère qui fendait les flots. Enfin arrivait Vénus qui, portée par deux Tritons, et couchée dans sa conque, jetait des fleurs de toute espèce sur la jeune épouse. On a marché dans cet ordre, depuis la Phénicie jusqu'en Crète. Arrivé à cette île, le taureau a disparu ; Jupiter, prenant la main d'Europe, l'a conduite vers un antre du Dictée, rougissante et baissant les yeux : elle savait dès lors pourquoi le dieu l'y conduisait ; puis chacun de nous s'est élancé, de côté et d'autre, pour soulever les flots de la mer.

Notus
Heureux Zéphyre, qui as vu un pareil spectacle ! Moi, pendant ce temps-là, je voyais des griffons, des éléphants et des hommes noirs.


Traduction d'Eugène Talbot (1857)