3. Alphée et Neptune

Neptune
Qu'est-ce donc, Alphée ? Seul de tous les fleuves, tu descends vers la mer sans te mêler à l'onde salée, ainsi que font les autres ; tu ne t'arrêtes pas à y répandre tes eaux, mais tu traverses la mer sans te confondre avec elle, et tu conserves à ton cours sa douceur, sa pureté et sa transparence ; il semble que tu plonges dans l'abîme, comme une mouette ou un goéland, pour aller reparaître ailleurs.

Alphée
C'est l'oeuvre de l'amour, Neptune ; ne m'en fais pas de reproche : toi aussi, tu as quelquefois aimé.

Neptune
Est-ce d'une femme, Alphée, ou d'une nymphe que tu es épris, ou de quelqu'une des Néréides ?

Alphée
Non, Neptune, c'est d'une fontaine.

Neptune
Et en quelle contrée de la terre coule-t-elle ?

Alphée
Dans une île, en Sicile ; on la nomme Aréthuse.

Neptune
Je la connais, Alphée, cette Aréthuse ; elle n'est pas sans charmes : elle est limpide, émane d'une source pure, et son eau brille au-dessus des cailloux, qui lui donnent un éclat argentin.

Alphée
Que tu connais bien cette fontaine, Neptune ! Je me rends vite auprès d'elle.

Neptune
Va donc et sois heureux dans tes amours. Mais dis-moi, où as-tu vu Aréthuse ? tu es Arcadien, et elle est de Syracuse !

Alphée
Je suis pressé et tu me retardes, Neptune, par des questions insignifiantes.

Neptune
C'est vrai, va vite auprès de ta bien-aimée : quand tu seras sorti du sein de la mer, mêle-toi à cette fontaine, et d'un commun accord, coulez tous deux d'un seul et même cours.


Traduction d'Eugène Talbot (1857)