6. Triton, Amymoné et Neptune

Triton
Près de Lerne il vient chaque jour, Neptune, une jeune fille puiser de l'eau ; elle est ravissante ; je ne crois pas avoir jamais vu de si charmante enfant.

Neptune
Est-elle de condition libre, Triton, ou bien est-ce une esclave chargée de porter l'eau ?

Triton
Non pas : c'est une des cinquante filles de Danaüs ; elle s'appelle Amymoné : je me suis informé de sa naissance et de son nom. Ce Danaüs est dur envers ses filles, il les oblige à de rudes travaux, il les envoie puiser de l'eau, et les instruit à n'être point paresseuses.

Neptune
Fait-elle donc ainsi toute seule la longue route d'Argos à Lerne ?

Triton
Toute seule : Argos, vous le savez, est un pays sec, où il faut sans cesse apporter de l'eau.

Neptune
Triton, je me suis senti vivement ému par ce que tu m'as dit de cette jeune fille ; rendons-nous auprès d'elle.

Triton
Allons ! Voici d'ailleurs l'instant où elle vient puiser l'eau, et peut-être est-elle déjà à la moitié du chemin qui conduit à Lerne.

Neptune
Attelle donc mon char ; ou plutôt, comme il serait trop long de placer mes chevaux sous le joug et de mettre mon char en état, fais-moi venir un des dauphins les plus légers : je monterai dessus et j'arriverai plus vite.

Triton
Voici le plus rapide des dauphins.

Neptune
Fort bien ; partons : toi, Triton, nage à mes côtés. Quand nous serons arrivés à Lerne, je me mettrai quelque part en embuscade, et toi tu feras le guet. Lorsque tu la verras venir...

Triton
La voici !

Neptune
Belle et jolie fille, Triton ! Il faut l'enlever.

Amymoné
Hé, l'homme ! le ravisseur ! où m'entraînes-tu ? Tu es un voleur de gens, envoyé sans doute par mon oncle Egyptus. Je vais appeler mon père.

Triton
Tais-toi, Amymoné, c'est Neptune !

Amymoné
Que parles-tu de Neptune ? Hé, l'homme, pourquoi me faire violence et m'entraîner vers la mer ? Je vais me noyer, malheureuse, au milieu des flots.

Neptune
Ne craignez rien, il ne vous sera fait aucun mai : je vais faire jaillir ici une source qui portera votre nom, en frappant de mon trident ce rocher où se brise la marée ; vous serez heureuse, et, seule de vos soeurs, vous, ne serez pas condamnée à verser de l'eau après votre mort.


Traduction d'Eugène Talbot (1857)