GRECE
Par ses idées morales et juridiques sur l'inceste, la Grèce se tient également éloignée de la licence orientale et du rigorisme romain. Elle a gardé de l'endogamie primitive une empreinte ineffaçable. A Sparte les dynasties royales, à Corinthe les Bacchiades, à Athènes les gens du peuple aiment à se marier en famille. Partout la fille épiclère épouse le plus proche parent de son père défunt. Goûts ataviques, qui persistent dans la période impériale, même dans la période chrétienne.
Mais on sait assez par l'Oedipe-Roi que les Grecs ont une profonde horreur pour l'inceste. S'ils n'ont pas dans leur langue l'équivalent du mot, ils expriment l'idée par des périphrases significatives. Ils notent avec curiosité la chose chez les peuples étrangers. Les unions des mages ou des Achéménides avec leurs mères, leurs filles, leurs soeurs germaines, répugnent à ces païens presque autant qu'aux apologistes juifs ou chrétiens. Pour eux, l'idée d'un commerce avec sa mère ne peut venir qu'à un tyran, et encore en rêve : n'a-t-on pas vu des animaux se punir d'un tel crime par le suicide ?
La tendance orientale l'emportait chez les ancêtres des hellènes. La mythologie abonde en unions entre parents très proches. L'ieros gamos, le divin modèle des mariages, est celui de Zeus avec sa soeur Hèra. Océan et Hypérion, fils d'Ouranos et de Gaia, s'unissent à leurs soeurs Théthys et Theiè ; Kronos, à sa soeur Rhéa ; les six fils d'Eole, à ses six filles. Même promiscuité entre ascendants et descendants : Gaia épouse son fils, comme Epicaste ; Klyménos est un thugatrogamos geneter comme Thyestes, et Myrrha capte l'amour de son père. Il faut remarquer comme un trait de moeurs, que cet antique folklore, si favorable à la conjonction des frères et des soeurs, condamne et punit celle des parents et des enfants : la nature même, représentée par un dragon, empêche Téléphos et Augè de consommer une union impie.
La société homérique conserve les mêmes idées. L'Odyssée, très dure pour l'attentat involontaire d'Oedipe, a de la sympathie pour les ménages installés dans le palais d'Eole. A plus forte raison, la parenté plus éloignée ou l'alliance à un degré quelconque ne font-elles pas obstacle au mariage. Iphidamas et Diomède ont épousé leur tante ; Alkinoos, sa nièce. La coutume du lévirat est assez répandue. On dirait de vagues souvenirs des siècles lointains où le mariage n'était possible qu'entre personnes de la même patra.
A l'époque historique, la société empêchait-elle certains mariages pour cause de parenté ? On reconnaît généralement ce pouvoir à la loi civile d'Athènes. Seul, M. Hruza a vu dans l'inceste un simple péché, condamné par le droit religieux, mais dont l'Etat n'avait pas à s'occuper. Effectivement, la législation publique d'Athènes ne spécifiait pas de degrés prohibés par un texte formel. Il est vrai que Philon le Juif donne Solon comme l'auteur de certaines prohibitions portées contre les unions entre frères et soeurs, et cette atteinte aux droits du genos est bien dans l'esprit de la législation de Solon. Mais Plutarque ne la signale pas, lui si attentif à la question des degrés prohibés, si prolixe dans son exposé des lois soloniennes sur le mariage. Le nom de Solon n'est donc ici qu'un certificat de haute antiquité décerné à une coutume athénienne. Quant aux écrivains de la basse époque qui mentionnent une loi sur les prohibitions, ils n'y regardent pas de si près. Mieux vaut en croire l'Athénien à qui Platon fait dire que la loi contre l'inceste, respectée même par les contempteurs des lois positives (kaiper paranomous ontas) est une loi non écrite (nomos agraphos). Mais faut-il conclure que juridiquement la parenté ne faisait jamais obstacle au mariage ? C'est comme si l'on disait qu'Athènes tolérait le meurtre avant Dracon et même après Dracon le parricide. Il y avait d'autres recours qu'un texte de loi publique aussi bien contre les Oedipes que contre les Orestes. Le droit traditionnel, la themis, n'était pas seulement un droit religieux, mais aussi un droit privé qui avait sa sanction terrestre. Il savait s'accommoder aux institutions et empêcher les mariages qu'il condamnait. Si des parents à un degré prohibé avaient voulu passer outre, ils n'auraient jamais pu remplir les formalités nécessaires à la validité du mariage : l'egguêsis n'aurait pu se faire epi dikaiois, avec le consentement du kurios et par-devant témoins ; les exégètes se seraient opposés aux proteleia et les phratores à la gamêlia. La themis avait donc assez de puissance dans la société civile pour empêcher la formation d'un mariage contraire à ses principes et faire traiter en bâtard tout enfant qu'elle déclarait né de l'inceste.
Avant tout est prohibée l'union entre ascendants et descendants. D'après M. Hruza, il n'est question dans la légende d'Oedipe ni de mariage nul ni d'enfants illégitimes. Mais que signifie agamon gamon ou gunaika ou gunaika ? Si ce ne sont pas là des termes techniques, du moins est-il impossible de demander à un poète plus de précision sur un point de droit. Quant aux enfants d'Oedipe et de Jocaste, la légende primitive ne les connaissait point ; mais où voit-on, dans la tragédie athénienne, qu'ils soient de filiation régulière ? Sans doute Polynice a été choisi pour gendre par Adraste : avec Etéocle, il a succédé à son père sur le trône. S'ensuit-il qu'ils passent pour fils légitimes ? ou même qu'ils soient traités comme tels, par une exception fondée sur la bonne foi de leurs auteurs et anticipant sur le principe du mariage putatif ? Non. L'Oedipe de Sophocle prévoit que ses filles ne se marieront jamais. Il n'a pu transmettre aux siens aucun droit sur la royauté : ils ont tous dû renoncer au pouvoir et n'y sont revenus que par une usurpation criminelle. Le poète s'inspire sûrement ici du droit athénien, puisque, dans la période légendaire et la période homérique, la bâtardise n'entraînait aucune déchéance. Enfin, l'Oedipe de Sophocle n'est pas investi de la puissance paternelle : quand Créon veut lui enlever Antigone, il se dit dans son droit ; il revendique une personne dont il est le kurios. Le droit attique n'admet pas la paternité civile d'Oedipe ; il ne connaît que les enfants naturels de Jocaste et leur donne pour tuteur leur oncle maternel. Conformément à la morale latente de la mythologie et aux préceptes de la themis, il déclare que la parenté en ligne directe fait obstacle au mariage : il refuse, comme le droit romain, de légitimer l'incestum juris gentium.
L'union entre frères et soeurs germains n'est plus tolérée à l'époque historique. Ce principe, désormais immuable et universel, est complété par un autre, variable selon les cités. Voici ce qu'en dit Philon : O men Athênaios Solôn, omopatrious ephieis agesthai, tas omomêtrious ekôlusen. O de Lakedaimoniôn nomothetês empalin, ton epi tais omogastriois gamon epitrepsas, ton pros tous omopatrious apeipen. Ainsi le droit attique frappe de nullité l'union entre frères et soeurs utérins et l'autorise entre consanguins ; le droit spartiate est inversement tolérant ou prohibitif.
Ces dispositions ont été contestées. Certains auteurs transportent dans le passé la morale contemporaine et ne veulent pas faire tort aux Grecs en les croyant capables d'épouser leurs demi-soeurs. Ils font observer que le frère ne figure point parmi les parents appelés par Platon à épouser la fille épiclère. Mais il n'y a de fille épiclère qu'à défaut de frère germain ou consanguin, et le frère utérin, n'appartenant pas à l'anchisteia du défunt, n'a aucun droit à faire valoir. M. Hruza, au contraire, prétend qu'en aucun cas il n'existait en droit grec d'empêchement au mariage entre frère et soeur. Mais il ne trouve dans toute l'antiquité qu'une affirmation formelle qui s'oppose à celle de Philon. C'est une phrase de Minucius Felix : Aegyptiis et Atheniensibus cum sororibus legitima matrimonia. Or, d'innombrables textes témoignent de l'étonnement qu'inspiraient aux Grecs, en pays étranger, surtout en Egypte, les mariages entre frères et soeurs germains. Quand Hérodote apprend le mariage de Cambyse avec sa soeur ap'amphoterôn, cette application du qaêthvadatha le stupéfie à tel point qu'il recherche l'origine de la coutume et l'attribue à un prince fou. Quand Arrien raconte que Mausole et Hidrieus épousèrent leurs soeurs Artémisia et Ada, il explique ces mariages, en même temps que la transmission du pouvoir aux femmes, par la loi carienne. De pareilles unions étaient pour les Grecs des spectacles exotiques de haut goût. En Egypte elles leur paraissaient «contraires à l'universelle coutume de l'humanité» ; c'est qu'au moins elles étaient «contraires aux lois des Macédoniens et des Hellènes». Le mariage de Ptolémée II Philadelphe avec Arsinoè fit crier au scandale : les immigrés applaudirent, non pas aux flagorneries d'un Théocrite, mais à la brutale indignation d'un Sôtadès. Minucius Faix n'a donc pas voulu dire qu'à Athènes le mariage entre frères et soeurs était licite dans les mêmes conditions qu'en Egypte, sans restriction aucune. Il faut compléter son assertion par celle de Sénèque : Athenis dimidium licet, Alexandriae totum. Demeuré intact, le témoignage de Philon est confirmé par un autre, tout aussi catégorique. Aristophane, dans les Nuées, reproche à Euripide d'avoir représenté un frère séduisant tên omomêtrian adelphên. Il fait allusion aux Eolides Macareus et Kanakè. C'est déjà remarquable, que les paisibles amours chantées par Homère sur le ton idyllique soient devenues pour Euripide un sujet de tragédie sanglante et pour Aristophane un objet de dégoût : plus de mariage possible, rien qu'une passion incestueuse. Mais le scoliaste donne un commentaire juridique : il dit qu'«il est permis chez les Athéniens d'épouser sa soeur consanguine», et ajoute que le poète comique parle de soeur utérine pour augmenter l'odieux du crime, ce qui revient à dire qu'entre utérins toute union est prohibée.
En fait, on donnait dans Athènes deux exemples incontestables de mariage entre frère et soeur : le mariage d'Archeptolis, fils de Thémistocle, et celui qu'Euxithéos, dans le discours contre Euboulidès, attribue à son grand-père. Dans les deux cas, il est expressément spécifié que les conjoints n'étaient pas omomêtrioi. Plutarque a déjà établi la descendance maternelle d'Archeptolis et de Mnesiptoléma ; n'importe : le nom adelphos, à côté du verbe egêmen, appelle la restriction ouch omomêtrios. M. Hruza prétend que les mots omopatrios et omomêtrios, faute d'un terme technique pour désigner les frères et soeurs germains, indiquent la communauté d'un des parents sans exclure la communauté de l'autre, et qu'ainsi la consanguinité ne peut être exprimée que par la négation de la parenté utérine. Observation plus arbitraire encore que subtile : la langue juridique des Grecs exprime la fraternité unilatérale sans recours à la négation et désigne les germains avec une précision parfaite (ap'amphoterôn ou amphoterôthen, omopatrios kai omomêtrios, oikeios, et plus tard idios). De toute facon, Plutarque et l'adversaire d'Euboulidès n'insistent tant sur la qualification ouch omomêtrios, que parce qu'elle est la condition du mariage légitime entre frère et soeur.
Cependant les textes relatifs à Cimon et à sa soeur Elpiniké laissent dans le doute la nature de leurs rapports et leur exacte parenté. Plutarque commence ainsi : «Dans sa jeunesse, Cimon fut accusé de commerce avec sa soeur». Mais, embarrassé par des témoignages contradictoires, il ajoute : «Il y en a qui disent que la liaison d'Elpinikè avec Cimon n'était pas secrète, qu'elle l'épousa publiquement, empêchée par la pauvreté de trouver un mari assorti à sa naissance». Cimon a eu certainement avec sa soeur des relations illicites : on s'en indignait à l'agora et au théâtre, et si Plutarque a supposé quelque part le cas où serait intervenue une condamnation, des auteurs mal informés ont pu transformer une mesure d'ostracisme prise contre l'homme public en une peine prononcée contre le particulier. D'autre part, Cornelius Nepos dit à deux reprises que Cimon avait sa soeur en légitime mariage. Si on les rapporte à la même époque, ces deux assertions sont inconciliables ; mais n'invitent-elles pas à une distinction chronologique ? Après la mort de Miltiade, Cimon était un jeune débauché, Elpinikè avait des amants : elle devint sa maîtresse. Une égale réprobation aurait frappé le frère et la soeur, si cette liaison avait paru incestueuse. On s'en prit à lui seul. C'est qu'il manquait gravement à ses devoirs de kurios : celui qui avait le droit de tuer pour protéger l'honneur de sa pupille la déshonorait. Plus tard seulement, Cimon se décida, sous la pression de l'opinion et peut-être par crainte d'une action en kakôsis, à régulariser cette situation. Mariage de raison, qu'il se hâta de dissoudre au premier mot de Callias. Ainsi la flétrissure dont fut marqué Cimon entachait un concubinage illicite, sans s'étendre au mariage légitime qui s'ensuivit. Reste à savoir quel était entre les deux époux le degré précis de suggeneia. Les auteurs grecs, sans exception, se bornent à dire qu'Elpinikè était soeur de Cimon. Cornelius Nepos la qualifie deux fois de soror germana ; mais si, dans les Institutes, cette expression désigne incontestablement la soeur de père et de mère, à l'époque de Cornelius Nepos, germana conserve le sens étymologique donné par Faustus, ex eodem germine genita, c'est-à-dire, conformément à l'embryogénie des anciens, omopatrios ou bien ouch omomêtrios.
Nous savons, en fait, que Miltiade avait été rendu père par une autre femme, avant que Hègèsipylè lui eût donné Cimon. Or, si Elpinikè avait eu pour mère Hègèsipylè, pour grand-père maternel un roi possesseur de mines d'or, il lui serait revenu une dot sur la belle fortune dont hérita Cimon. Elle a été longtemps condamnée au célibat par la pauvreté, parce que, ayant pour père Miltiade, mort insolvable, elle avait pour mère une femme obscure dont l'historien ne daigne pas donner le nom. D'ailleurs, qu'Elpinikè fût l'aînée de Cimon, c'est ce qui résulte d'un renseignement donné par Aristote sur l'âge de Cimon «encore assez jeune» (neôteron onta) après la réforme d'Ephialtès, et de la plaisanterie lancée par Périclès contre Elpinikè, qu'il traitait de «vieille» (graus ei, graus ei) pendant un procès antérieur de quelques mois à la réforme. Voilà ce que sous-entend Cornelius Nepos dans ce passage, qui résume à la fois notre opinion sur le cas de Cimon et le principe appliqué par les Athéniens : Habebat in matrimonio sororem germanam suam, ... non magis amore quam patrio more ductus : namque Atheniensibus licet eodem patre natas uxores ducere.
Hors de l'Attique, l'interdiction du mariage entre utérins semble assez générale. A Syracuse, Denys le Jeune et Théaridès épousent leurs soeurs consanguines. Il est difficile de discerner si c'est l'influence des idées grecques ou des idées asiatiques qui suggère à un Tyrien, personnage de roman, un projet de mariage entre ses enfants issus de deux lits. Le mariage d'Alexandros, fils de Pyrrhus, avec sa soeur germaine Olympias n'a rien à voir avec le droit grec, pas plus que le mariage d'Antiochus II Théos avec sa soeur consanguine et les mariages des Ptolémées ou de Mithridate. Mais il est remarquable que les Macédoniens aient partagé les idées des Athéniens sur les unions entre frères et soeurs.
La différence signalée par Philon entre le droit attique et le droit spartiate est d'autant plus surprenante. Aussi Wachsmuth a-t-il cru bon de la supprimer par une ponctuation nouvelle et de lire : O de Lakedaimoniôn nomothetês empalin ton epi tais omogastriois gamon, epitrepsas ton pros tous omopatrious apeipen. Mais l'opposition établie par empalin ne permet pas de forcer ainsi Sparte à suivre le droit d'Athènes. Est-il impossible, au reste, d'expliquer qu'ici le mariage soit prohibé entre utérins, là entre consanguins ? Le principe athénien a été rattaché à la théorie du matriarcat primitif : ce serait le legs d'une société rudimentaire qui n'aurait connu de libation que par les femmes. On est libre d'interpréter en ce sens maints passages d'Homère ; mais, si l'on attribue à Cécrops l'institution du mariage et la parenté par les mâles, comment retrouver le souvenir vivant de cette révolution au Ve siècle ? Peut-on chercher l'histoire préhistorique de la famille dans la scène où Eschyle glorifie «le droit nouveau» ? En ce qui concerne Athènes, l'hypothèse de Bachofen est donc réduite à l'anachronisme. Elle est réduite au silence, en ce qui concerne Sparte. Si les Athéniens avaient toujours maintenu le principe de la gynécocratie, pourquoi les Spartiates auraient-ils accepté de très bonne heure la filiation paternelle ? En réalité, toute hypothèse est insoutenable, qui, pour trouver l'origine de la différence entre les deux cités, remonte aux institutions primitives, puisque les moeurs homériques admettaient encore indistinctement tout mariage entre frère et soeur. Faut-il donc croire que les prohibitions se fondaient sur des théories physiologiques, qu'Athènes et Sparte comprenaient différemment la part respective du père et de la mère dans la procréation ? Les Athéniens auraient alors déclaré le commerce du fils avec la mère plus incestueux que celui du père avec la fille. Mais, en fait, ils ont toujours soutenu que le véritable auteur d'un enfant est le père, que la fonction de la mère est celle d'une dépositaire et d'une nourrice. Ce sont des motifs politiques et sociaux qui ont incliné Athènes et Sparte vers des solutions opposées. Le mariage entre frère et soeur a été autorisé par les Athéniens et interdit par les Spartiates dans le cas où il ne favorisait pas l'accaparement des fortunes ; il a été admis par les Spartiates et condamné par les Athéniens dans le cas où il permettait la fusion de deux biens en un seul. Longtemps la femme n'eut pas ou presque pas de dot : le mariage du frère avec sa soeur consanguine facilitait l'établissement des filles et ne fortifiait point l'aristocratie terrienne. Voilà pourquoi le droit attique le permit, et non le droit spartiate. Au contraire, il était conforme aux institutions de Sparte, mais non à celles d'Athènes, qu'une fille épiclère pût réunir sur la tête de ses enfants son propre patrimoine avec celui de son frère utérin.
L'ascendance et la descendance directes, l'utérinité, jointe ou non à la consanguinité : voilà les deux seuls degrés qui limitaient en droit athénien la liberté des mariages entre parents. Ces restrictions sont formulées en ces mots par Sextus Empiricus : Athesmon esti par'êmin mêtera ê adelphên idian gamein. Elles sont précisées par Chrysippe, quand il veut qu'on laisse tên mêtera ex tou uiou teknopoieisthai, kai ton patera ek tês thugatros, kai ton omoêtrion ek tês omomêtrias.
Cette double prohibition s'applique aux cas particuliers de l'adoption et de la filiation illégitime. 1° L'adoption, parenté civile, sortit les mêmes effets que la parenté naturelle. Elle crée un empêchement au mariage entre adoptant et fille adoptive, mais un empêchement qui ne survit pas à sa cause. Elle ne fait pas obstacle au mariage de l'adopté avec sa soeur adoptive, puisqu'ils ne sont que fictivement consanguins : ce mariage est même obligatoire dans le cas fréquent de l'adoption testamentaire. Dans le cas exceptionnel où l'adopté est beau-fils de l'adoptant, il ne peut épouser sa soeur adoptive que si elle n'est pas de la même mère. - 2° On peut supposer qu'entre personnes dont la parenté provient d'une union irrégulière s'appliquent les mêmes prohibitions qu'entre personnes dont la parenté découle du mariage. Toujours est-il que le cas du frère et de la soeur, quand l'un d'eux ou tous les deux sont enfants naturels, est traité comme s'ils étaient tous les deux enfants légitimes : s'ils sont omomêtrioi leur filiation est officiellement certaine, mais leur mariage impossible ; s'ils sont omopatrioi, ils peuvent se marier, que leur filiation reste douteuse ou non. L'évidence de la filiation interdit au fils naturel d'épouser sa mère. Un seul cas reste obscur, celui du père et de la fille naturelle ; mais on ne discerne qu'un empêchement à leur mariage, celui que créerait, dans une action en réclamation d'état intentée par la fille elle-même, la déclaration décisive de la mère.
L'affinité, quel qu'en soit le degré, n'est jamais en droit grec un élément constitutif d'inceste. Si elle est une circonstance aggravante dans le cas d'adultère, cela tient à ce que l'offenseur est uni à l'offensé par le sang. Phèdre est coupable d'avoir tenté de souiller le lit conjugal, et sa faute se complique du fait qu'Hippolyte est fils de Thésée. Tel est le jugement que les Athéniens ont dû porter sur les amours légendaires de Thyestes et de sa belle-soeur Aéropè, sur le prétendu commerce de Périclès avec sa bru, sur le cas de ce Callias qui était l'amant de sa belle-mère. Mais l'affinité en ligne directe ou collatérale n'empêche jamais le mariage entre personnes libres de se marier. Après avoir divorcé avec la fille, Callias put sans opposition épouser la mère et présenter à sa phratrie l'enfant né de leurs relations : on a même soutenu qu'il fut simultanément l'époux de la fille et de la mère, à la façon d'un Ptolémée Evergète. Un Athénien pouvait épouser la veuve de son frère. Il pouvait même épouser la femme de son frère ou de son père vivant dans un cas spécial. D'après une loi de Solon, l'épiclère adjugée à un mari impuissant pouvait, dit Plutarque, se livrer à celui des parents de son mari qu'elle choisissait. Mais Plutarque n'a pas compris la disposition qu'il cite : elle ordonnait, comme l'a démontré M. Dareste, non pas un concubinage par substitution, mais un mariage légitime (opuiesthai). L'épiclère recouvrait sa liberté, soit par une séparation amiable, soit par l'effet d'une graphê kakôseôs epiklêrôn, et pouvait épouser l'un quelconque des ayants droit suivants, à son choix, fût-ce le frère ou le fils du mari déchu. Au fond, l'affinité n'établit, en droit attique, aucun lien : elle ne fait pas de l'adultère un inceste ; elle n'empêche pas, si même elle ne le facilite, le mariage légitime.
A Sparte, on retrouve la pratique du lévirat. Le lévirat s'y transforme aussi en un commerce bizarre qui paraît d'abord un adultère doublé d'inceste. Le mari impuissant se fait suppléer par un homme jeune et vigoureux et reconnaît l'enfant de sa femme. Ces relations sont licites, puisqu'elles sont publiques dans une ville où l'adultère est presque inconnu et où le fils adultérin est exclu de la succession. On doit donc supposer qu'il s'agit d'une épiclère mariée à l'ayant droit, d'après la loi antérieure à la réforme d'Epitadée, et qu'au mari se substitue son parent le plus proche. Effectivement, le seul exemple connu de liaison légitime dans le mariage est celui de Chilonis, auprès de qui le vieux roi Cléonymos délègue le plus proche de ses agchisteis, son petit-neveu Acrotatos. Ainsi la loi de Lycurgue fait pendant à celle de Solon, avec cette différence essentielle qu'elle laisse à l'ayant droit le titre de mari et ne fait pas désigner son remplaçant par l'épiclère. Mais l'homme appelé par l'ordre de succession à la fonction de vice-mari pouvait être, lui aussi, vieux ou infirme : il pouvait à son tour renoncer à son droit en faveur du parent placé au rang subséquent. Il arrivait donc qu'une femme eût deux, trois ou quatre maris ou davantage, selon le nombre des ayants droit qui se passaient la main. Si le mari avait des frères, c'étaient eux qui étaient appelés à l'exercice du droit conjugal, par rang d'âge : l'aîné cédait son droit à un puîné, et ainsi de suite jusqu'au cadet, et l'enfant né de ses oeuvres était leur enfant à tous. Tel est le sens qui convient à la phrase si discutée de Polybe. «Chez les Lacédémoniens, c'est une coutume nationale et morale qu'une femme ait trois ou quatre époux, parfois davantage, quand ce sont des frères, et que les enfants leur soient communs». Il ne s'agit pas de polyandrie ni d'inceste légal, mais de lévirat pratiqué par anticipation. D'ailleurs, ces usages, vestiges d'une civilisation primitive, étaient probablement d'une application rare dès l'époque d'Hérodote, et si le souvenir en était parvenu avec assez de précision au siècle de Polybe, ils n'étaient plus au temps de Plutarque que des curiosités incomprises.
Dans cette question de l'inceste, le droit était-il toujours en harmonie avec les moeurs ? On a dit qu'à Athènes les unions entre consanguins, quoique tolérées, étaient mal vues. M. Hruza, qui nie toute restriction légale, n'est pas éloigné de croire que les hellènes avaient pour les unions entre frères et soeurs une aversion proportionnée à la parenté des conjoints, par conséquent, plus forte pour les unions entre germains, moindre pour les unions entre demi-frères et demi-soeurs, mais égale qu'il s'agit de consanguins ou d'utérins. S'il en était ainsi, on ne pourrait plus soutenir que le concours de tous les citoyens donnait à la themis force de loi. Mais rien ne prouve qu'il en fût ainsi. Quand poètes ou orateurs parlaient avec mépris de relations charnelles entre un frère et une sueur, c'est que dans une tirade à effet, une phrase lancée en passant, ils ne sentaient pas le besoin de spécifier qu'ils faisaient exception pour les consanguins. Aristophane accuse Euripide d'immoralité pour avoir placé sur la scène des femmes concubines de leurs frères ; Euripide dit que c'est chez les barbares que «le père s'unit à la fille, le fils à la mère et la soeur au frère» ; Lysias s'écrie que ses ennemis ont osé vivre avec leurs soeurs ou avoir des enfants de leurs filles : l'auditoire comprenait sans explication qu'entre frères et soeurs incestueux la parenté était de l'espèce qui comportait l'inceste. Si l'on ne se gardait pas d'une interprétation trop étroite, on trouverait bien aussi des textes pour soutenir que la loi même interdisait ou autorisait le mariage entre frère et soeur sans exception ou sans restriction. En réalité, la conscience publique s'accordait avec le droit pour admettre le mariage des consanguins et repousser l'union des frères et des soeurs dans tous les autres cas.
Les philosophes eux-mêmes, quand ils contrôlaient la légitimité de l'idée d'inceste, se conformaient à la morale courante ou n'avaient sur elle aucune influence. Pythagore réprouvait le commerce d'un homme avec sa mère, sa fille et sa soeur : aussi bien voulait-il refréner tout désir charnel. Pour Socrate, l'interdiction des rapports entre parents et enfants vient des dieux et a pour sanction la naissance d'enfants chétifs. Socrate a-t-il donc cru que les mariages consanguins faisaient dégénérer la race ? Tout ce qu'il a voulu dire, c'est que les parents ne sont plus en âge de procréer quand les enfants le sont, et l'argument n'est dirigé que contre les unions des ascendants avec les descendants. D'après les Lois de Platon, la conjonction entre frères et soeurs, comme entre parents et enfants, est «une action impie, haïe des dieux, l'opprobre des opprobres» ; l'horreur qu'elle inspire est un sentiment inné, à tel point que les plus criminels n'oseraient même pas «respirer» en opposition avec cette loi. Même dans la République, Platon n'admet aucun commerce entre les hommes et les femmes des classes qui sont officiellement en rapports réciproques de filiation directe ou en rapports mutuels de fraternité. Mais certaines écoles, ne découvrant pas de fondement rationnel aux prohibitions consacrées par l'usage, en vinrent à les traiter de préjugés. Les sophistes, Hippias en tête, et les sceptiques, témoin Sextus Empiricus, exigeaient comme critérium de la justice naturelle le consentement universel et traitaient de pure convention l'interdiction du mariage pour cause de parenté. Diogène le Cynique approuvait fort les Perses de ne pas avoir plus de scrupules que les coqs, les chiens et les ânes. Zénon de Cittion, le stoïcien, exprimait le même avis en un langage d'une effrayante crudité, et dans plusieurs ouvrages Chrysippe propose aux hommes l'exemple des bêtes. A ces rudes adversaires, l'école du bon sens répondait, à en juger d'après Plutarque, par de bien piètres arguments.
L'Etat se bornait-il à confirmer pratiquement les prohibitions portées par la themis, ou frappait-il au criminel tout concubinage incestueux ? «Il n'est pas possible, dit M. Thonissen, de supposer qu'il fût resté indifférent et passif devant un acte qui blessait en même temps les lois du pays et les exigences de la nature. On peut donc affirmer avec une certitude entière que l'inceste était sévèrement puni... ; mais... on se trouve dans l'impossibilité absolue de déterminer ces peines. Peut-être consistaient-elles dans le bannissement et la confiscation des biens». Cependant les seuls textes qui mentionnent une pénalité n'ont aucune valeur : ce sont ceux qui transforment la mesure d'ostracisme prise contre Cimon en un châtiment pour attentat aux moeurs. Pourquoi veut-on que ce silence des documents soit fortuit et n'ait pas pour cause le silence des lois ? Lysias impute à ses adversaires les pires incestes, sans allusion à des poursuites possibles. Isée jette cet outrage à la face de Dicéogène : «Tout le monde a vu sa mère, assise dans le temple d'Ilithyia, lui reprocher des infamies que je rougis de dire, mais qu'il n'avait pas rougi de faire ; il aurait grand intérêt à parler d'accusation en règle, et n'en parle pas. Oedipe est chassé de sa patrie ; mais, dans l'idée de Sophocle, c'est pour parricide, non pour inceste. Socrate cherche à prouver que la loi «divine» qui condamne l'inceste n'est pas dépourvue de sanction : le seul châtiment terrestre qu'il trouve à signaler, c'est la mauvaise santé des enfants nés de relations sacrilèges. Le droit civil, aidé par l'opinion publique, rendait le mariage impossible et réservait aux enfants une condition méprisée ; le droit religieux excommuniait peut-être ceux que ces dispositions négatives n'effrayaient pas ; mais le droit criminel assistait muet et impassible aux abus de la liberté individuelle dans la vie privée.
Mais s'il ne tombait pas sous le coup d'une action spécifique, l'inceste donnait lieu àl'exercice de certains droits, en tant que moicheia. En cas de flagrant délit, le mari, fils, père ou frère de la coupable pouvait tuer l'amant ; le mari pouvait lui infliger l'humiliation du paratilmos et de la raphanidôsis ou bien lui intenter une graphê moicheias. Dans l'Eole d'Euripide, Macareus, après avoir souillé sa soeur Kanakè, était tué par son père. L'inceste de Dicéogène avec sa mère veuve ne pouvait aller en justice : la plainte ne pouvait être soutenue que par le fils complice. La femme d'Hipponicos s'était laissé séduire par son frère Alcibiade : le mari, ne l'ayant pas surprise en autophôrô, ne put que divorcer. A plus forte raison, l'affinité ne peut-elle pas donner lieu à une inculpation d'inceste.
On ne saurait prendre au sérieux, a-t-on dit, l'allégation de Marcellinus, quand il prétend qu'il existait à Athènes une loi qui punissait de mort l'inceste du fils avec la seconde femme de son père. Du moins Marcellinus a-t-il raison en ce sens que la loi autorisait le père offensé à tuer le fils : c'est ce que déclare Hippolyte devant Thésée. D'autre part, la permission du père suffisait pour que le fils eût librement commerce avec sa belle-mère. Ainsi l'inceste, interdit par la themis, entravé par le droit public, n'était punissable que s'il lésait un tiers.
Gustave Glotz
ROME
Le mot incestum comprenait en droit romain, dans un sens large, tout acte immoral ou irréligieux ; et, comme adjectif, il avait conservé cette signification. Mais, dans un sens plus étroit, il désignait l'impudicité des vestales et le commerce prohibé entre personnes unies par un lien de parenté ou d'alliance.
I. Nous considérerons d'abord l'inceste sous ce dernier point de vue. Le crime résulte de l'union sexuelle de deux individus entre lesquels le mariage est interdit à raison de la proximité du degré. Le dolus était nécessaire pour qu'il y eût culpabilité, c'est-à-dire la connaissance de l'empêchement.
La rigueur des prohibitions était chez les Romains une conséquence de la puissance paternelle. Tous les membres d'une même famille étaient placés sous l'autorité d'un chef unique, qui anciennement choisissait ses gendres dans sa gens ; ils étaient considérés comme ses enfants (liberorum loci) : c'est pourquoi le mariage entre eux était réprouvé et interdit non seulement par la loi positive, mais encore par l'instinct et la morale naturelle (nefariae et incestae nuptiae).
On distinguait l'inceste juris gentium de l'inceste juris civilis ; celui-ci n'était prohibé que par une disposition du droit civil. On range parmi les cas d'inceste de jus gentium le commerce entre ascendants par le sang ou l'adoption ou alliés dans la même ligne et descendants naturels, ou par adoption ou alliés dans la même ligne ; entre frère et soeur, ou alliés au même degré. Cette union, considérée comme immorale, n'était jamais permise, même entre esclaves. Au contraire, le commerce de l'oncle et la nièce ou petite-nièce, la tante et le neveu ou petit-neveu n'était pas considéré uniformément comme juris gentium. La prohibition s'arrêtait au sixième degré. Mais dès avant la deuxième guerre punique, elle fut levée pour les parents de ce degré : peu après, le mariage fut permis entre cousins germains (consobrini), c'est-à-dire parents au quatrième degré. Quand l'empereur Claude voulut épouser Agrippine, fille de son frère Germanicus, il fit autoriser par le sénat le mariage entre un oncle et la fille de son frère, ce qui fut abrogé par Constantin.
L'ancien droit semble n'avoir connu que l'inceste juris gentium, qui était frappé par la loi religieuse le coupable surpris en flagrant délit devait être précipité de la roche Tarpéienne ; en outre, on recourait à des expiations particulières (sacra et macula) pour apaiser la colère des dieux. Plus tard, le censeur eut le droit de punir ces crimes, sans intervention du peuple ni du père de famille. L'usage étendit les prohibitions de mariage et notamment créa celles du droit civil, sans qu'une loi formelle vînt organiser une pénalité spéciale. La loi Julia de adulteriis ne paraît pas avoir comblé cette lacune, car elle ne mentionne l'inceste qu'en passant, c'est-à-dire en tant qu'il constituait en même temps un adultère. Mais les jurisconsultes rattachèrent à cet édit les dispositions impériales et les décisions qui concernaient le struprum en général. Quant à l'inceste, voici quel fut le droit en vigueur sous l'Empire. Le mariage incestueux était considéré comme nul et les enfants comme spurii ; le mari était puni de relégation ; quant à la femme, elle n'était soumise à aucune peine, si l'inceste était juris civilis ; il en était de même des mineurs. Quelquefois le mari était moins durement frappé lorsque l'inceste n'était pas de droit des gens, notamment si le mariage avait été célébré publiquement, car les époux montraient ainsi qu'ils étaient de bonne foi ; au contraire, ils étaient plus sévèrement punis quand le mariage avait eu lieu clandestinement, clam. On appliquait la peine de la loi Julia même au soldat qui vivait in contubernio avec sa mère.
Il y avait violation incestueuse du mariage, c'est-à-dire inceste mêlé d'adultère, lorsqu'on entretenait commerce illicite avec sa parente ou alliée, mariée à un tiers. L'homme était puni de la déportation et la femme de relégation. Il y avait stuprum incestueux lorsqu'on s'unissait à une parente non mariée ; l'homme était également puni à raison de ce double crime, de la deportatio in insulam, ou de la relegatio, ce qui prouve l'absence à cet égard d'une pénalité fixe ; il est permis de croire du reste que, dans tous les cas d'inceste juris gentium, l'homme encourait la déportation dans une île. Dioclétien renouvela la législation sur l'inceste, il amnistia les anciennes unions incestueuses, sans légitimer les enfants qui en étaient issus, à condition que ceux qui auraient contracté par erreur de telles noces se sépareraient immédiatement, après la découverte de l'empêchement.
Les empereurs chrétiens étendirent en général les prohibitions de mariage, et aggravèrent la pénalité en matière d'inceste ; les fils de Constantin le frappèrent de la peine capitale. Théodose prononça la peine du feu et de la confiscation. Mais Arcadius supprima cette loi et appliqua désormais, outre la nullité du mariage, la confiscation de la dot et la restriction du droit de tester. Enfin, Justinien punit l'inceste chez le mari de déportation ou de relégation, de privations d'emplois, et de la perte des biens, qui furent confisqués à défaut d'enfants légitimes ; en outre, les coupables de basse condition furent soumis à un châtiment corporel ; la femme encourut la même peine, quand elle avait agi sciemment. On ne sait pas si une nouvelle peine fut établie pour l'adultère ou le stuprum incestueux.
Quant aux procès en cette matière, on n'en connait qu'un sous la période républicaine. Sous l'Empire, on en trouve plus d'un exemple. S. Marius, accusé d'inceste avec sa fille, qu'il avait sauvée des tentatives de Tibère, fut précipité de la roche Tarpéienne et ses biens confisqués par l'empereur. S. Papinius, séduit par sa mère, comme Néron le fut par Agrippine, se suicida et sa mère fut bannie de Rome pour dix ans. Sous Claude, le prêteur L. Junius Silanus fut faussement accusé d'inceste avec sa vertueuse soeur Junia Calvina, chassé du sénat et dépouillé de ses emplois par Vitellius, alors censeur. L. Silanus se donna la mort, sa soeur fut bannie de l'Italie et l'empereur fit exécuter des sacrifices expiatoires. Dion Cassius dit cependant que Silanus fui exécuté sur les poursuites d'Agrippine, sous prétexte de conjuration et sans qu'il fût fait mention d'inceste. Enfin, Lepida, épouse de C. Cassius, fut accusée d'inceste avec son neveu L. Jun. Silanus, et renvoyée par le sénat à l'empereur Néron, pour statuer sur la peine.
II. L'inceste doit être considéré encore au point de vue religieux : il peut être la profanation du culte des dieux par des actes d'impudicité. Tel était le cas des vestales qui violaient leur voeu de virginité, qu'elles devaient garder trente ans ; elles étaient punies de peines terribles, afin de détourner de Rome la colère céleste ; de plus, on recourait à des sacrifices expiatoires. Dans les temps anciens, le grand pontife, qui avait juridiction sur les vestales, prononçait contre les coupables la flagellatio usque ad internecionem. Depuis Tarquin l'Ancien, on les enterra, vivantes. La vestale condamnée était portée silencieusement sur un brancard à travers les rues de la ville, soumise au supplice du fouet, puis murée dans un caveau souterrain, au campus sceleratus, près de la porte Colline ; on lui laissait quelques vivres et un flambeau ; son complice était frappé de verges sur le marché usque ad mortem. Dion Cassius mentionne un cas où, après avoir été bâtonné publiquement, le complice fut étranglé dans la prison. Ces peines subsistèrent aussi longtemps que l'institution des vestales, même sous les empereurs chrétiens.
On donnait aussi parfois le nom d'inceste à des profanations commises par d'autres personnes que les vestales.
G. Humbert