Opéra bouffon en 2 actes et 4 tableaux

ACTE 1 - PREMIER TABLEAU

La mort d'Eurydice : la campagne aux environs de Thèbes. Au fond, des blés dorés et des bluets. A gauche, la cabane d'Aristée, surmontée de cette enseigne : «Aristée, fabricant de miel, gros et détail, dépôt au mont Hymette». A droite, la cabane d'Orphée avec cette inscription : «Orphée, directeur de l'orphéon de Thèbes, leçons au mois et au cachet».

 

ACTE 1 - AVANT-SCENE

L'Opinion Publique

Qui je suis ? - du théâtre antique
J'ai perfectionné le choeur,
Je suis l'opinion publique,
Un personnage symbolique,
Ce qu'on appelle un raisonneur.
Le choeur antique en confidence
Se chargeait d'expliquer aux gens
Ce qu'ils avaient compris d'avance,
Quand ils étaient intelligents.
Moi, je fais mieux. J'agis moi-même ;
Et prenant part à l'action,
De la palme ou de l'anathème
Je fais la distribution.
Que prenne garde à moi la femme
Qui voudrait tromper son époux,
Et que se garde aussi l'époux
Qui ferait des traits à sa femme ! ...
C'est aux personnages du drame
Que je parle. Rassurez-vous !
Voici venir notre Eurydice ;
Je pars : mais je suis toujours là,
Prêt à sortir de la coulisse,
Comme un deus ex machina !

L'Opinion exit.

 

ACTE 1 - SCENE I

Eurydice, elle cueille des fleurs et en fait une guirlande

La femme dont le coeur rêve
N'a pas de sommeil ;
Chaque jour elle se lève
Avec le soleil.
Le matin de fleurs plus belles
Les prés sont brodés :
Mais ces fleurs, pour qui sont-elles ?
Vous le demandez ?
Pour qui ?
N'en dites rien à mon mari,
Car c'est pour le berger joli
Qui loge ici.
Elle s'approche avec inquiétude de la cabane d' Aristée
et suspend à sa porte une guirlande.

Chaque jour ainsi j'apporte,
Au berger galant,
De beaux bluets, qu'à sa porte
J'accroche en tremblant,
Et mon pauvre coeur palpite,
A bonds saccadés...
Pour qui donc bat-il si vite ?
Vous le demandez ?
Pour qui ?
N'en dites rien à mon mari,
Car c'est pour le berger joli
Qui loge ici.
Elle entr'ouvre la porte de la cabane et regarde un instant à l'intérieur ; pendant ce temps, Orphée paraît à gauche : il tient à la main son violon.

 

ACTE 1 - SCENE II - Eurydice, Orphée.

Eurydice

Il est sorti ! ... je veux qu'en rentrant il trouve
Son toit semé de fleurs.
Elle prend le reste des fleurs qu'elle tient dans sa robe et les jette dans la cabane.

Orphée

Que vois-je ! ... n'est-ce pas la nymphe Maquilla,
La belle nymphe que j'adore ? ... seule ! Révélons
Ma présence par ce trait qu'elle aime tant.
Il joue une phrase passionnée sur le violon.

Eurydice

Mon mari ! ...

Orphée
Ma femme ! ... imbécile ! ... dépêchons-nous de crier
Avant qu'elle commence... ah ! Je vous y prends,
Madame.

Eurydice.

A quoi, je vous prie ?

Orphée
A quoi ? ... mais à qui donc jetiez-vous ces fleurs, s'il vous plaît ?

Eurydice

Ces fleurs ? ... au vent ! ... et vous, mon tendre ami, à qui jetiez-vous ce chant passionné de votre... crin-crin ?

Orphée
A la lune...

Eurydice

Fort bien ! Savez-vous ce que je conclus de tout cela, mon bon chéri ? ... c'est que si j'ai mon berger, vous avez votre bergère... eh bien ! Je vous laisse votre bergère, laissez-moi mon berger.

Orphée
Allons ! Madame, cette proposition est de mauvais goût ! ...

Eurydice

Pourquoi donc, je vous prie ?

Orphée
Parce que... parce que... tenez ! Vous me faites rougir !

Eurydice

Vraiment ! Eh bien ! Si cette couleur-là vous déplaît, nous tâcherons de vous en trouver une autre.

Orphée
Eurydice ! ... ma femme ? ...

Eurydice

Ah ! Mais, c'est qu' il est temps de s'expliquer, à la fin ! Et il faut qu'une bonne fois je vous dise votre fait, maître Orphée, mon chaste époux, qui rougissez ! Apprenez que je vous déteste ! Que j'ai cru épouser un artiste et que je me suis unie à l'homme le plus ennuyeux de la création. Vous vous croyez un aigle, parce que vous avez inventé les vers hexamètres ! ... mais c'est votre plus grand crime à mes yeux ! ... est-ce que vous croyez que je passerai ma jeunesse à vous entendre réciter des songes classiques et racler (montrant le violon d'Orphée.) l'exécrable instrument que voilà ? ...

Orphée
Mon violon ! ... ne touchez pas cette corde, madame !

Eurydice

Il m'ennuie, comme vos vers, votre violon ! ... allez charmer de ses sons les bergères de troisième ordre dont vous raffolez. Quant à moi, qui suis fille d'une nymphe et d'un demi-dieu, il me faut la liberté et la fantaisie ! ... j'aime aujourd'hui ce berger, il m'aime ; rien ne me séparera d'Aristée !

Duo

Orphée
Ah ! C' est ainsi ?

Eurydice

Oui, mon ami.

Orphée
Tu me trompes, comme mari ?

Eurydice

Oui, mon ami ! ...

Orphée
Tu me dédaignes, comme artiste !

Eurydice

Oui, mon ami !
Le violoniste
Me paraît triste,
L'instrumentiste
Est assommant,
Et l'instrument
Me déplaît souverainement.

Orphée
Ah ! De ton insolence
Je vais tirer vengeance.

Eurydice

Et comment, je vous prie ?

Orphée
Je vais, ma tendre amie,
Vous jouer aussitôt
Une oeuvre de génie :
Mon dernier concerto.

Eurydice

Grâce, je t' en supplie...

Orphée
Non, non, pas de retard,
C'est le comble de l'art :
Il dure une heure un quart !

Eurydice

Une heure un quart !

Orphée
Au moins.

Eurydice

Je n'écouterai pas.

Orphée
Si, tu m' écouteras.

Il joue du violon : Eurydice se bouche les oreilles avec désespoir.

Ensemble

Orphée
C'est adorable,
C'est délectable,
C'est ravissant,
C'est entraînant.

Eurydice

C'est déplorable,
C'est effroyable,
C'est assommant,
C'est irritant.

Orphée
Ecoutez encor ce motif
Charmant, langoureux, expressif.

Reprise du violon.

Quel charmant concerto !

Eurydice

Ah ! C'est horrible,

Ah ! C'est terrible.

Orphée
Quel tremolo ! Rinforzando,
Presto, presto, pianissimo,
Pizzicato... agitato...

Ensemble. Orphée joue du violon avec rage et Eurydice chante.

Eurydice

Ah ! Seigneur, ah ! Quel supplice,
C'est fini, le voilà parti.
O Vénus, sois-moi propice !
Délivre-moi de mon mari.
Vénus, ma belle déesse, délivre-moi de mon aimable Orphée,
Et je t'immolerai dix brebis plus blanches que le lait !

Orphée
Jupiter, mon maître, délivre-moi de ma tendre Eurydice, et je chanterai tes louanges sur ma lyre à quatre cordes. (à Eurydice.) Madame, je ne me fais aucune illusion sur le sort qui m'attend ! Quand une femme en est arrivée à ce degré d'audace, il est parfaitement inutile d'essayer de la remettre dans la bonne voie...

Eurydice

A la bonne heure ! Séparons-nous donc !

Orphée
Je le ferais de bon coeur, si cela ne devait pas nuire à ma considération et à la position que je me suis faite par mon talent et mon travail. Je suis esclave de l'opinion publique : c'est ma seule faiblesse, laissez-la-moi. J'ai besoin du monde, je ne veux pas le heurter. Mais je me suis mis en tête de pourfendre chacun de vos adorateurs...

Eurydice

Avec votre archet ?

Orphée
Non, madame. Je crois inutile de vous apprendre le moyen que j'ai choisi pour attraper le maraudeur... Qu'il vous suffise de savoir ceci : je ne lui conseille pas de folâtrer dans les blés que voilà, comme il le fait depuis qu'il est venu, je ne sais d'où, s'établir dans mon voisinage.

Eurydice

Et qui l'en empêchera ?

Orphée
Qui ! ... petit nanan que j'ai semé à son intention dans les blonds épis...

Eurydice

Que voulez-vous dire ?

Orphée
Rien de plus ! Je vais donner mes leçons à l'orphéon... adieu, bibiche... petit nanan semé pour lui, là... faites attention... adieu !

Il sort.

 

ACTE 1 - SCENE III

Eurydice

Que veut-il dire avec son petit nanan semé dans les blonds épis ? ... c'est que ce vilain homme est capable de tout ! ... quelque piège peut-être ! ... quelque piège à loups ! ... il l'est tellement, jaloux ! ... et Aristée qui vient toujours à travers ces blés pour m' y rencontrer et folâtrer avec moi ! Courons au-devant de lui ! ... le malheureux se ferait faire du mal ! ... courons ! ...

Elle sort à droite. Au même instant, Aristée paraît à gauche et descend la colline du fond.

 

ACTE 1 - SCENE IV - Aristée, puis Eurydice.

Aristée, s'arrêtant au fond.

Récitatif.

Moi, je suis Aristée, un berger d'Arcadie,
Un fabricant de miel, ivre de mélodie,
Sachant se contenter des plaisirs innocents
Que les dieux ont permis à l'habitant des champs !

Voir voltiger sous les treilles,
Entre terre et ciel,
Les essaims de mes abeilles
Butinant leur miel ;
Voir le lever de l'aurore,
Et, chaque matin,
Se dire : je veux encore
Le revoir demain.
Voilà la fête
D'une âme honnête,
Le vrai bonheur
Du coeur !
Parler très naïf.
Voilà !

Voir bondir dedans la plaine
Les petits moutons,
Accrochant leur blanche laine
A tous les buissons !
Voir sommeiller la bergère,
Tandis qu'à pas lents,
Le berger qu'elle préfère
Vient et la surprend !
Voilà la fête
D'une âme honnête,
Le vrai bonheur,
Du coeur !
Voilà !

(regardant avec précaution autour de lui.)
Voilà ce que je dis aux personnes, ce que je dis devant le monde ! Pour inspirer de la confiance ! ... mais si vous saviez qui je suis en réalité, et quels projets infernaux je médite ! ... si l'idée que j'ai soufflée à Orphée réussit, je crois que c'est aujourd'hui que nous frapperons un grand coup ! Voici la tendre Eurydice, n'ayons pas l'air d'avoir passé dans les blés.

Il remonte.

Eurydice, rentrant à droite.

Impossible de le rencontrer. Ah ! Le voici ! ... j' arrive à temps ! Sois béni, ô Vulcain ! ... Aristée ! ... mon beau berger ! Prends garde !

Aristée

A quoi ?

Eurydice

A toi ! ...

Aristée

A moi ? ... pourquoi ?

Eurydice

Tais-toi ! ... et parle plus bas ! ...

Aristée

Entendons-nous ! ... je vais...

Il fait mine d' entrer dans les blés.

Eurydice

Aristée ! ... mon fidèle berger ! ... ne bouge pas ! ...

Aristée

Comment ! Ne bouge pas ! ... mais pourtant si je ne peux pas parler haut et que je ne puisse pas non plus t'approcher, ma bergère, nous n'avons pas de chances de nous entendre... alors, parlons par gestes ! ...

Il fait un pas vers les blés.

Eurydice

Aristée ! ... au nom de mon amour, n'approche pas ! ... te dis-je ! ...

Aristée

Quelle singulière timidité te prend donc aujourd'hui ! ... tu es sauvage ordinairement, je ne dis pas... mais, enfin, tu l'es raisonnablement... comme une bergère... mythologique...

Eurydice

Il s'agit bien de ma sauvagerie ! ... il s'agit de ta vie ! ... si tu fais un pas, tu es mort !

Aristée

Comment ?

Eurydice

Mon mari sait tout... il nous a espionnés... et il a semé des piéges dans ces blés, témoins ordinaires de nos innocentes amours ! ...

Aristée

Bah !

Eurydice

C'est comme ça ! ...

Aristée, à part.

Est-il bête, l'animal ! Il l'a prévenue ! ... ces maris sont tous les mêmes ! ... il veut me surprendre ! ... et il me fait prévenir ! ... Réparons sa maladresse... (haut.) Veux-tu que je te dise ? ...

Eurydice

Dis !

Aristée

Eh bien ! C'est des bêtises, des chansons et des balivernes.

Eurydice

Des bêtises ! ... mais je te dis qu' il est furieux... qu'il a juré...

Aristée

Tiens ! Regarde comme je m'en moque, de ses pièges, non, mais regarde...

Il trottine dans les blés.

Eurydice

Aristée ! ... ton amour et ton courage t'emportent ! ... Aristée ! ... tu cours à la mort ! ...

Aristée

Il n'y a pas de danger, et quand même, que n'affronterait-on pas pour te rejoindre ?

Eurydice

Eh bien ! Alors, je veux mourir avec toi ! ...

Aristée, à part

Allons donc ! ...

Ils marchent dans les blés, à la rencontre l'un de l'autre. Eurydice s'arrête tout à coup, un pied en l'air.

Eurydice

Aïe !

Aristée, à part.

Crac ! ... ça y est ! ...

Eurydice

Je suis prise ! ...

Aristée, à part.

Et plus que tu ne crois ! ...

Musique à l'orchestre.

Eurydice

Mon dieu, qu' est-ce que j'éprouve ?

Aristée, après l'avoir déposée sur le banc, à gauche

Pluton, redeviens toi-même ! Une ! Deux ! Trois ! (Son costume de berger disparaît. Il est vêtu en dieu des enfers.) Et maintenant, désorganisons les éléments. (Il fait un signe de son bident. Tonnerre. La nuit arrive subitement. Après l'orage.) Chez moi, voilà comme on désorganise les éléments.

Eurydice

Dieu puissant ! Est-ce que je vais mourir ?

Aristée

Entièrement ! ... lasciate ogni speranza ! ...

Il rit d' un rire strident.

Eurydice

Et cependant je ne souffre pas...

Aristée, bas.

Je t'expliquerai pourquoi...

Eurydice

Ah ! C' est étrange ! ...

Aristée

C'est logique...

Eurydice

I
La mort m'apparaît souriante
Que vient me frapper près de toi...
Elle m'attire, elle me tente...
Mort, je t' appelle... emporte-moi ! ..

II
Mort, ton ivresse me pénètre !
Ton froid ne me fait pas souffrir ;
Il semble que je vais renaître,
Oui, renaître, au lieu de mourir ! ...
Adieu ! ... adieu ! ...

Elle tombe inanimée sur le banc de gazon.

Aristée, lui tâtant le pouls

Crac ! ... ça y est ! ... une larme ! ... une larme ! Et partons ! Avant de partir, abusons de notre divinité pour jeter un dernier défi au mari... (Il étend son bident sur la tête d' Eurydice, qui se réveille et se dresse comme dominée. Pluton s'arrache une plume, et la lui donne en montrant du geste la cabane d'Orphée.) Voilà une plume... et tout ce qu'il faut pour écrire.

Eurydice écrit sur la porte ces quatre vers qui se tracent en lettres de feu :

Je quitte la maison
Parce que je suis morte,
Aristée est Pluton,
Et le diable m'emporte.

Pluton saisit Eurydice.

La rime n'est pas riche ! ... mais la richesse ne fait pas le bonheur ! Et maintenant ! ... aux sombres bords ! ... nous arriverons bien plus vite que par la barrière d' enfer...

Ils s'engloutissent.

 

ACTE 1 - SCENE V

Orphée, rentrant par la droite

Ah çà ! Que diable y a-t-il donc de dérangé là-haut ? Je quitte mes leçons à la troisième heure et j'arrive en pleine nuit chez moi ! ... Je n'ai pas encore dîné, et voici déjà l'heure du souper ! ... Que veut dire cette perturbation ? ... Ah ! Bah ! ... en somme, ça ne me fait qu'un repas au lieu de deux avec ma tendre épouse, c'est autant de gagné... C'est égal, il y a une éclipse, bien sûr ! ... (il est arrivé devant sa maison ; l' inscription frappe ses regards.) Par Jupiter ! ... que veut dire ceci ! ... l'écriture de ma femme ! ... (il lit.)

Je quitte la maison
Parce que je suis morte,
Aristée est Pluton,
Et le diable m'emporte.

Il entre dans sa cabane et en ressort immédiatement.

Comment, elle est morte ! ... ce n'est pas possible ! Mais si ! ... elle est bien morte ! ... puisqu'elle le dit elle-même ! ... merci ! ... merci ! ... Jupin ! ... (il regarde avec inquiétude à droite.) quelqu'un ! ... mais non, personne ! ... je puis me livrer à ma joie !!! Courons apprendre ce bonheur à celle que j'aime !

Eclairs et tonnerre.

 

ACTE 1 - SCENE VI - Orphée, l'opinion publique, armée d'une torche et d'un fouet.

L'Opinion

Arrière ! ... ça ne se passera pas comme ça ! ...

Orphée
Ciel ! L'opinion publique qui me poursuit déjà.

L'Opinion

Oui, l'opinion publique qui sait tout et qui vient t'arracher à ta joie inconvenante pour te faire expier ton forfait.

Orphée
Que veux-tu dire ?

L'Opinion

Tu vas me suivre dans l'Olympe, aux pieds de Jupiter, à qui tu redemanderas ton épouse adorée.

Orphée
Moi ! Réclamer Eurydice ! M'en préservent les dieux !

L'Opinion

Pour l'édification de la postérité, il nous faut au moins l'exemple d'un mari qui ait voulu ravoir sa femme.

Orphée
Mais je ne l'aime pas !

L'Opinion

L'exemple n'en sera que plus frappant et plus glorieux pour toi ! ...

Orphée
Mais je ne veux pas ! ...

L'Opinion

Tu refuses ! ... tu aimes mieux ma vengeance ! Eh bien ! Elle te poursuivra partout ! ... je te ferai perdre tes leçons ! ... On saura qui a dressé le piége où s'est prise Eurydice... on saura...

Orphée
Ah ! ... grâce ! ...

L'Opinion

Viens donc alors.

Ensemble

L'Opinion

Viens ! C'est l'honneur qui t'appelle !
Et l'honneur passe avant l'amour !
Je serai ton guide fidèle
Pendant l'aller et le retour !

Orphée
Viens ! C'est l'honneur qui m'appelle,
Et l'honneur passe avant l'amour !
Je maudis le guide fidèle
Qui me suivra jusqu'au retour.

 

ACTE 1 - DEUXIEME TABLEAU - SCENE I

L'olympe : des nuages. Jupiter, Junon, Mars, Minerve, Hébé, Neptune, etc., endormis dans les nuages, Morphée, seul éveillé, répand des pavots sur les dieux endormis.

Les Dieux, dormant

Dormons, que notre somme
Ne vienne jamais à finir.
Puisque le seul bonheur, en somme,
Dans notre olympe, est de dormir.
Ron, ron.

Morphée, secouant ses pavots sur le nez des dieux

Ron ! Ron ! Ron ! Ron !

Cupidon, entrant à petit pas

Je suis Cupidon ! Mon amour
A fait l'école buissonnière !
Je reviens au lever du jour
D'un petit voyage à Cythère !
Un profond mystère
Cache mon retour !
Ils dorment tous !
Endormons-nous !

Il s'endort dans les nuages.

Choeur

Dormons, que notre somme, etc.

Vénus, entrant avec mystère de l'autre côté

Je suis Vénus ! Mon amour
A fait l' école buissonnière !
Je reviens au lever du jour
D'un petit voyage à Cythère !
Un profond mystère
Cache mon retour !
Ils dorment tous !
Endormons-nous !
Elle s'endort à droite.

Choeur

Ron ! Ron ! Ron ! Ron !

Sonnerie dans le lointain, se rapprochant peu à peu en accompagnant le récitatif qui suit.

Jupiter, s'éveillant en sursaut

Par Saturne ! Quel est ce bruit
Qui nous réveille au milieu de la nuit ?
C'est Diane, ma fille chérie,
Qui nous sonne sa sonnerie !
Sus ! Qu'on se réveille à l'instant ! ...

Les Dieux, se réveillant en bâillant

Han ! Han ! Han ! Han !

Tous se lèvent et descendent. Les nuages disparaissent. Vue de l'Olympe.

Jupiter

Et surtout pas de bâillement !
D'un cri de joie et d'allégresse,
Il faut saluer la déesse ;
Obéissons au règlement !

Entre Diane avec ses nymphes.

Salut à Diane chasseresse !

Diane arrive d'un air pensif et affligé.

Vénus

Mais pourquoi cet air de tristesse ?

Diane

Ah ! Rien n'égale mon tourment !

Couplets.

I

Quand Diane descend dans la plaine,
Tontaine, tontaine,
C'est pour y chercher Actéon,
Tontaine, tonton !
C'est près d'une claire fontaine,
Tontaine, tontaine,
Que Diane rencontre Actéon,
Tontaine, tonton !

II

Or, ce matin, dedans la plaine,
Tontaine, tontaine,
Je m'en fus chercher Actéon,
Tontaine, tonton !
Mais hélas ! Près de la fontaine,
Tontaine, tontaine,
Point n'est venu mon Actéon,
Tontaine, tonton !

Pauvre Actéon ! Qu'est-il devenu ? Lui qui était là tous les jours, caché sous un buisson, pendant que... ah ! Je le voyais très bien !

Jupiter

Ce qu' il est devenu ? Je vais te le dire ! Tout ça était immoral dans la forme ! Tu te compromettais avec ce jeune homme ! Je me suis débarrassé de lui !

Diane

Et comment ?

Jupiter

Je l'ai changé en cerf ! Et pour sauver ta réputation, ô ma chaste Diane, j'ai répandu le bruit, parmi les faibles mortels, que c'était à ta demande que j'avais ainsi désorganisé Actéon ; j'ai dit que tu avais trouvé sa curiosité indiscrète...

Diane, vivement

Mais non !

Jupiter

Je l'ai dit pour l'honneur de la mythologie ! Corbleu ! Mes enfants, les faibles mortels ont l'oeil sur nous ! Sauvons les apparences au moins! Sauvons les apparences ! Tout est là !

Diane

Vous les sauvez bien, vous !

Junon

Est-ce qu'il a encore fait quelque nouvelle escapade ?

Jupiter

Mais non, ma bonne Junon... mais non... des cancans... de purs cancans... C'est les journalistes qui font courir des bruits sur moi pour me déconsidérer...

Junon

Du tout... du tout... je suis sûr qu'il y a quelque chose... monstre, va ! ... (à Diane.) Dis-le-moi, si tu le sais...

Jupiter

Madame, de la réserve ! ... pas de scène devant le monde ! ... il y a temps pour tout ! ... laissez-moi m'occuper des affaires intérieures de l'Olympe... Je reçois des plaintes de tous les côtés... tenez ! ... (il prend des papiers qu'il feuillette.) Mars ?

Mars

Présent !

Jupiter

Noble fils de Bellone, ton dossier s'est enrichi d'une plainte de Vulcain qui prétend...

Vénus, vivement

Ce n'est pas vrai !

Jupiter

Elle l'a bien dit ! Que ça soit vrai, que ça ne le soit pas, chaste Vénus! ... ça m'est égal en principe... Mais je vous en prie, mes enfants, de la tenue ! ... L'Olympe s' en va ! Vous le perdez par vos inconséquences.

Vénus

Quel tyran ! ...

Jupiter

Cupidon ? ... où est le petit ? ...

Cupidon, lutinant Hébé

Voilà ! ...

Jupiter

Allons, bien ! Le voilà qui fait la cour à Hébé, maintenant ! ... Et puis, l' ambroisie va brûler pendant ce temps-là ! ... (il le prend par l'oreille) Je te déclare, toi, gamin, que si tu continues nous nous fâcherons.

Cupidon

Ah ! Quelle scie ! ... Jupiter tannant ! Va ! ... Pourtant, si tu m' as donné des ailes, c'est pour voltiger...

Jupiter

Si je t' ai donné des ailes... c'est pour que tu sois zélé... Et tu es toujours en retard... à quelle heure es-tu rentré ? ... Recommence et je te mets au pain et à l'eau pendant huit jours et je te consigne... Allons ! Que chacun aille à sa besogne, en attendant l'heure de savourer le nectar et l'ambroisie... (murmures.) Et que personne ne manque au déjeuner... allez ! J'ai entendu des rumeurs, voilà déjà plusieurs fois que je m'aperçois...

Cupidon, à Vénus

Dis donc, maman, est-ce que tu crois que ça peut durer comme ça ?

Vénus

Ah ! Il nous ennuie trop ! ...

Diane

Moi, d'abord... je dépéris ici... Cet Olympe m'étouffe avec son implacable azur...

Vénus

Si nous nous révoltions ! ...

Cupidon

J'ai mon idée... nous refuserons de...

Jupiter

Qu'est-ce qu'on marmotte dans ce coin-là ! ... On ne m'a donc pas entendu ? ...

Les dieux sortent en grognant. Junon reste seule avec Jupiter.

 

ACTE 1 - SCENE II - Jupiter, puis Junon.

Jupiter

Par ma foudre ! ... on a du mal à mener ces gaillards-là... J'en perds la tête ! ... et, si ce n'était que ça... Il faut encore que j'aie la jalousie de ma tendre épouse, qui ne cesse de... Bon ! ... encore elle ! ... quel crampon ! ... Je disais tout à l'heure à Vénus de se ranger... Celle-là devrait bien se déranger un peu... C'est toi ! ... ma bonne ! ... Qu'est-ce qu'il y a ? ...

Junon

Il y a que je ne puis plus vivre ainsi ! ... et que l'existence que vous me faites...

Jupiter

Qu'est-ce que j'ai encore fait, voyons ? ...

Junon

Ah ! ... n'essaye pas de me tromper... Les bruits de la terre montent jusqu'à moi...

Jupiter

Mais encore...

Junon

Eh bien ! ... Il n'est bruit là-bas que de la disparition d'une mortelle, belle comme une déesse, et qui vient d'être enlevée par un dieu... Cette femme s'appelle Eurydice... le dieu ! ... c'est vous.

Jupiter

Moi ? ...

Junon

Et quel autre que vous eût osé...

Jupiter

Vois, mon amie, où t'entraîne ton aveugle passion ! ... Cet enlèvement, je le connais comme toi ! ...

Junon

Je le crois.

Jupiter

Mes soupçons se portent sur quelqu'un, et nous allons bientôt savoir...

Junon

Rengaines que tout cela...

Jupiter

J'ai envoyé aux renseignements mon fidèle Mercure... et si mes soupçons sont fondés... tu verras bientôt qu'un dieu qui punit, comme j'entends le faire, les escapades des autres, doit être le mari le plus fidèle, le plus constant...

Junon

Je ne vous crois plus, gros hypocrite ! ... vous m'avez tant de fois trompée ! ...

Jupiter

Allons, bon ! ... c'est comme tu voudras ! ... Que veux-tu que je te dise ? ...Ttiens ! ... j'entends le clapotement des ailes de Mercure... Ecoute et juge-moi ! ...

 

ACTE 1 - SCENE III - Les mêmes, Mercure.

Mercure

Salut au puissant maître des cieux et de la...

Jupiter

Pas de phrase ! Au fait ! Rends-moi compte de ta mission.

Mercure

Seigneur, j'arrive en droite ligne des enfers !

Jupiter

Et Pluton ? Y régnait-il dans toute sa gloire ?

Mercure

Ce n'était pas Pluton qui y régnait ! C'était une grande gaieté. Ils s'amusaient joliment, là-bas ! Et j'ai vraiment passé quelques moments agréables !

Jupiter

Et Pluton ? ...

Mercure

Pluton était sorti ! ...

Jupiter

Depuis le matin ? ...

Mercure

Depuis quinze jours !

Jupiter

Ainsi, il avait découché ? ...

Mercure

Probablement ! ...

Jupiter

Et tu ne l'as pas vu ?

Mercure

Si fait ! ... il est rentré aux enfers, il y a une heure !

Jupiter

Et d'où venait-il ? ...

Mercure

De la terre ! ...

Jupiter

Seul ? ...

Mercure

Non pas ! Mais avec une jolie petite femme qu'il venait d'enlever à son mari ! ...

Jupiter

Tu sais son nom ? ...

Mercure

Eurydice...

Jupiter, à Junon

Là ! Je ne le lui fais pas dire !

Junon, l'embrassant

Cela fait plaisir ! ...

Jupiter, à part

Pas à tout le monde ! (haut.) Ah ! Le coquin de Pluton ! ... et il va venir ? ...

Mercure

A l'instant... je lui ai dit que vous l'attendiez ! ... J'entends le bruit des roues de son char.

Mélodrame

Jupiter

Eh bien ! Je vais le traiter comme il le mérite ! ... Laissez-moi le recevoir ! ...

Junon

Tu ne me trompes pas, dis, Ernest ? ... Il n' y a pas autre chose ? ...

Jupiter

Mais non, Bibiche ! ...

Junon

Enfin, ça va mieux ! Je vais manger !

Elle sort.

Jupiter, à part

Crampon, va ! ... (à Mercure.) Va-t'en voir s'ils viennent ! ... (rêvant.) Cette petite Eurydice est donc bien jolie ? ...

Mercure

Seigneur, le voilà ! ...

Mercure sort.

 

ACTE 1 - SCENE IV - Jupiter, Pluton, escorté de trois démons.

Pluton, il frappe à la porte

Madame va bien ? ...

Jupiter

Elle mange ! ...

Pluton

Salut au puissant maître des cieux et de la terre...

Jupiter

Assez ! ... assez ! ... je te fais grâce de la formule ! ...

Pluton, à part

Comme il me regarde ! ... est-ce qu'il se douterait ! ... Détournons les soupçons ! ... flagornons-le ! ... Ayons l'air de trouver son domicile agréable... J'ai justement une vieille tirade que j'ai lue quelque part... (haut.) Ah ! Avec quelle volupté je m'enivre des suaves émanations de cette atmosphère douce et vivifiante de l'Olympe ; heureuses divinités qui folâtrez sans cesse sous des cieux toujours bleus, tandis que je suis condamné aux sombres cloaques du royaume infernal ! ... Ici l'on respire une odeur de déesse et de nymphe, une suave odeur de myrte et de verveine, de nectar et d'ambroisie. On entend le roucoulement des colombes, les chansons d'Apollon et la lyre de Lesbos ! ... Voici les nymphes ! ... voici les muses ! ... les grâces ne sont pas loin ! ... Vous les verrez danser, calmes et bondissantes, aux douces clartés de la lune d'avril ! ... Tous les parfums sont déchaînés, et les parfums de la nuit, et les parfums du jour, et les parfums du ciel, et les parfums des grâces, et les parfums des muses, et les parfums des nymphes ! ...

Jupiter

As-tu bientôt fini, avec ta parfumerie ? ...

Pluton

Il va me donner un savon, il mousse ! ...

Jupiter

Eh bien ? ...

Pluton

On n'en dira jamais assez sur votre bonheur !

Jupiter

Notre bonheur ! ... Tu fais semblant de croire que le bonheur se trouve près des grâces et des nymphes, toi ! ... Ce n'est pas mon avis, à moi ! ... Il paraît que je ne suis pas d'une nature nymphatique! ... Mais laissons cela ! Et prête-moi une oreille attentive ! ... Roi des enfers, c'est moi qui vous appelle ! ... Il paraît, mon bonhomme, que tu te conduis comme le dernier des drôles !

Pluton

Seigneur ! Je suis fort ! ...

Jupiter

Tu mènes une existence de pacha ! ... D'abord, qu'est-ce que ces gamins que tu traînes avec toi ? ...

Pluton

Mes trois petits tigres avec mon déjeuner, un en-cas ! ... qui me suit toujours ; une bouteille de vieux vin de Chypre, une hure de sanglier et un flacon d'essence de feu !

Jupiter

Du vin de Chypre ! ... une hure ! ... et nous qui sommes éternellement condamnés au nectar et à l'ambroisie ! Et c'est là ta nourriture habituelle ?

Pluton

Oui ! ... oh ! Je n'aime pas les choses fades ! ... Il me faut du piment, beaucoup de piment ! ...

Jupiter, éclatant

Ah çà ! Mais tu es le plus heureux des dieux !

Pluton

Moi, seigneur ! ... heureux !

Jupiter

Oui, toi ! Depuis quinze jours, que fais-tu ?

Pluton

J'habite le sombre cloaque de l'enfer. L'on n'y respire pas comme ici une odeur de...

Jupiter

Pas du tout ! Tu habites une cabane aux environs de Thèbes.

Pluton

Hein ?

Jupiter

Et tu as abusé de ton pouvoir en enlevant par la mort une épouse à son époux.

Pluton

Moi, seigneur ! ... je suis fort...

Jupiter

Ne nie pas ! Je sais tout !

Pluton

Ce n'est pas vrai !

Jupiter

Silence ! ... quand je parle, on se tait !

Pluton

Seigneur ! ...

Jupiter

Je ne suis pas habitué à la discussion ! ... devant moi tout tremble ! ... (on entend des hurlements.) Qu'est-ce que c'est que cela ?

Pluton

Ça ne m'a pas l'air de cris d'obéissance, ni de cris d'enthousiasme, cela ! ...

 

ACTE 1 - SCENE V - Les mêmes, tous les dieux, entrant en désordre.

Choeur

Aux armes ! Dieux et demi-dieux !
Abattons cette tyrannie,
Ce régime est fastidieux !
Plus de nectar ! Plus d'ambroisie !

Diane

Plus de nectar !

Cupidon

Cette liqueur
Fait mal au coeur...

Vénus

Plus d'ambroisie ! Et plus jamais
Qu'on ne nous serve de ces mets.

Pluton, à part

Une révolte chez les dieux !
Sur mon âme ! Elle arrive au mieux !

Haut.

Ils ont raison ! Ces aliments sont fades !
Se jetant sur les mets que tiennent les démons.
Parlez-moi de ceci, camarades !

Choeur

Aux armes ! Dieux et demi-dieux !
Abattons cette tyrannie,
Ce régime est fastidieux !
Plus de nectar ! Plus d'ambroisie.

Jupiter

Une sédition ! ... on refuse obéissance ! ...

Tous

Oui !

Jupiter

On perd le respect à papa Piter ! ... ah ! Vous ne voulez pas savourer le nectar et l'ambroisie ?

Tous

Non ! ... non ! ... plus de nectar ! ... plus de nectar ! ...

Vénus

Nous sommes confits ! ...

Cupidon

Nous avons du sirop d'orgeat dans les veines ! ...

Pluton

Ils ont raison ! ... ils ont raison ! ...

Jupiter

C'est une révolte, alors ? ... et vous ne rougissez pas de mettre à votre tête un bandit comme celui-là ? ...

Tous

Un bandit ! ...

Pluton

Seigneur ! ! ! Je ne suis pas un bandit !

Jupiter

Si ! ... un misérable qui abuse de sa position pour enlever des mortelles à leur mari ! ...

Tous

Oh ! Contez-nous cela ! ...

Pluton

Ce n'est pas vrai ! ...

Jupiter

Voulez-vous des noms ?

Pluton

Oui ! Vous avez dit : citons... citez ! ...

Jupiter

Nous citerons ! ... nous citerons ! ... Il vient de ravir la femme du violoneux Orphée, la belle Eurydice.

Pluton

Ce n'est pas vrai !

Vénus

Eh bien, après ! ...

Jupiter

Comment, après ? Eh bien ? Et la morale ? Et l'opinion des mortels ? ...

Pluton

Il faudrait pourtant s'entendre sur ta morale ! ... Tu en as fait bien d'autres, toi ! ... Mon petit père ! ...

Junon

Là ! ... qu'est-ce que je disais ?

Jupiter

Moi ? Jamais ! ... bon époux, bon père, bon...

Pluton

Ah ! Oui, parlons-en, de tes qualités domestiques... Je ne veux pas jeter la zizanie dans le ménage. Voyons, nous sommes ici en famille, ni hommes, ni femmes, tous dieux de première classe... Expliquons-nous ! ... Tu me reproches ce que j'ai fait... Si on te rappelait ce que tu as fait, toi ?

Diane

Laisse donc... j'en sais sur ton compte !

Vénus

Et moi !

Cupidon

Et moi donc ! ...

Tous

Et nous donc ! ...

Cupidon

Mais nous avons fait une chanson là-dessus ! ...

Jupiter

Hein ? ... J'ai un rendez-vous avec mon architecte.

Pluton

Tu l'entendras ! ...

Tous

Tu l'entendras !

Junon

Ce sera ta punition !

Rondeau

Minerve

Pour séduire Alcmène la fière,
Tu pris les traits de son mari !
Je sais bien des femmes sur terre
Pour qui ça n'eût pas réussi !
Ah ! Ah ! Ah !
Ne prends plus l' air patelin :
On connaît tes farces, Jupin !

Le Choeur

Ah ! Ah ! Ah !
Etc., etc., etc.

Diane

Est-ce de la même enveloppe
Que tu te servis de nouveau,
Lorsque, pour enlever Europe,
Tu pris les cornes d'un taureau ?
Ah ! Ah ! Ah !
Etc., etc., etc.

Le Choeur

Ah ! Ah ! Ah !
Etc., etc., etc.

Cupidon

A Danaé, ton adorée,
En pluie, un jour, tu te montras ;
Mais cette pluie était dorée :
Ça lui plut et tu l'adoras.
Ah ! Ah ! Ah !
Etc., etc., etc.

Le Choeur

Ah ! Ah ! Ah !
Etc., etc., etc.

Vénus

Ce cygne, traqué par un aigle,
Que Léda sauva dans ses bras,
C'était encor vous, gros espiègle !
J'étais l'aigle ! Ne le niez pas ! ...
Ah ! Ah ! Ah !
Etc., etc., etc.

Le Choeur

Ah ! Ah ! Ah !
Etc., etc., etc.

Pluton

Que prouvent ces métamorphoses ?
C'est que tu te trouves si laid,
Que, pour te faire aimer, tu n'oses
Te montrer tel que l'on t'a fait !
Ah ! Ah ! Ah !
Etc., etc., etc.

Le Choeur

Ah ! Ah ! Ah !
Etc., etc., etc.

Junon

Je suis à bout de forces ! ... ah ! Traître ! Ah ! Volage ! ... (Jupiter s'approche pour la calmer.) Va-t' en ! ... je te hais ! Nous nous séparerons ! ...

Elle tombe dans les bras de Pluton en poussant des cris.

Jupiter

L'attaque de nerfs ! ... je ne pouvais pas l'éviter ! ...

Pluton

Prenez-moi donc votre femme !

Jupiter, lui tapant dans les mains

Je te jure que c'est avant mon mariage ! ...

Junon

Ah ! ...

Pluton

Mais prenez donc votre femme ! ...

Jupiter

Tout ça, c'est des cancans, de purs cancans ! ... Je n'ai jamais aimé que toi ! (à Pluton.) Tu n'es qu'un diffamateur ! ... Tu n'es qu'un coq...

Pluton

N'achevez pas ! ... Mais prenez donc votre femme ! Elle me gêne !

 

ACTE 1 - SCENE VI - Les mêmes, Mercure.

Mercure

Seigneur !

Jupiter

Eh bien ! Quoi ! Que me veut-on encore ?

Mercure

Seigneur ! Deux étrangers sont là, demandant audience.

Jupiter

Leurs noms ?

Mercure

Orphée !

Junon se relève vivement en arrangeant sa toilette.

Pluton, à part

Orphée ! Lui ici ! ... Mais prenez donc votre femme ! ... Tiens, je ne l' ai plus !

Jupiter

Orphée ! (à part, regardant Pluton.) Je vais le repincer !

Mercure

Et un jeune homme qui se dit l'opinion publique.

Jupiter

L'opinion publique ! ... Les mortels ! ... Mes enfants, trêve à nos dissensions intestines !

Pluton

Ne les recevez pas ! ...

Tous Les Dieux

Recevez-les ! ...

Jupiter, à Pluton

je vais les recevoir ! ... je suis Jupin et je dois la justice à tous ! Ah ! Tu trembles ! ...

Pluton

Moi, seigneur ! ... Je ne tremble jamais ! ... Je suis fort ! (à part.) J'aurai du toupet ! (haut.) Qu'ils entrent ! ...

Jupiter

Tu donnes des ordres chez moi ! ... Qu'ils pénètrent ! ... Et nous, soignons les groupes ! ... L'opinion publique est là ! ... Tenons-nous bien ! ... Tout pour le décorum et par le décorum ! Où est mon trône? ... où est ma foudre ? Je veux ma foudre des dimanches pour paraître dans toute ma gloire ! ... (grand branle-bas. On lui apporte sa foudre et son trône.) Vénus, ici, à ma droite ! ... Diane, à ma gauche ! ...

Pluton

Et moi ?

Jupiter

Toi ! Tiens, là-bas, sur le banc des accusés ! ...

Junon

Et moi ?

Jupiter

Toi ! Où tu voudras, dans les bras de Mars ! Tu feras tableau. Parfait! Le groupe sera bien ainsi !

Pluton

Qu'ils pénètrent !

Jupiter

Non ! Qu'ils entrent !

Pluton

Est-il taquin !

Mercure sort et revient avec Orphée et l'opinion publique.

 

ACTE 1 - SCENE VII - Les mêmes, Orphée, l'opinion publique.

Finale. Ensemble.

Jupiter

Il approche ! Il s'avance !
Le voilà ! C'est bien lui.
Je veux prendre ta défense,
Trop infortuné mari.

Pluton

Il s'approche, il s'avance !
Le voilà ! C'est bien lui.
Ah ! Sapristi ! Je commence
A bien m'ennuyer ici.

Orphée, à l'opinion

C'est malgré moi que j' avance,
Et j'en suis tout ahuri ;
Cette démarche commence
A me donner de l'ennui.

L'Opinion

Marche toujours ! Avance !
Allons ! Obéis-moi !
Sinon, crains la vengeance
Prête à fondre sur toi !

Choeur

Attendons !
Observons !
Regardons !
Ecoutons !

Jupiter, à Orphée

Que me veux-tu, faible mortel ?

L'Opinion, bas à Orphée

Voici le moment solennel !
Tu vas, d'une voix attendrie,
Implorer du grand Jupiter
Le droit de reprendre à l'enfer
Ton épouse tendre et chérie !

Orphée, bas à l'opinion

Mais non ! Mais non ! Cela m'ennuie.

L'Opinion, le fouet levé

Allons ! Allons ! Obéis-moi !

Orphée, avec passion

O roi des cieux et de la terre,
Vois ma douleur et ma misère,
Ma tristesse et mon abandon !
Je viens te demander justice.

Diane, sur le motif de Gluck

On lui ravit son Eurydice.

Orphée, continuant sur son violon.

Et le ravisseur, c'est Pluton !

Jupiter prend une attitude recueillie.

Jupiter

Faites silence !
Je vais prononcer ma sentence !
O vous qui m'écoutez,
Dieux et divinités !
Punissant justement le crime et l'injustice,
Je condamne Pluton à lui rendre Eurydice !

Orphée, à part

O ciel ! Il me la rend !

Pluton, à part

O ciel ! Il me la prend !

Jupiter

Et pour faire observer ma volonté suprême,
Aux enfers, aujourd'hui, Pluton, j'irai moi-même !

Diane, Vénus et Cupidon, à genoux

Jupin, emmenez-nous avec vous, s'il vous plaît !

Jupiter, avec bonté

Allons, j'emmènerai l'Olympe au grand complet !

Choeur

Gloire ! Gloire à Jupiter !
Gloire à ce dieu clément et doux !
Qui, pour ce sémillant enfer,
N'a pas voulu partir sans nous !

Jupiter

Partons !

Choeur

Allons !
Plus de nectar, plus de ciel bleu !
Ah ! Nous allons donc rire un peu !
Merci, mon Dieu ! Merci, mon Dieu !

Orphée et Pluton

C'est désolant ! C'est révoltant !
Car le bon droit est triomphant !
Adieu bonheur ! Amour, adieu !

L'Opinion

Je suis heureux ! Je suis content !
Car le bon droit est triomphant !

Choeur

Prenons nos attributs
Partons, n'hésitons plus !

Défilé.

 

ACTE 2 - TROISIEME TABLEAU - SCENE I

Un roi de Béotie : le théâtre représente le boudoir de Pluton.

Eurydice. Elle écoute à la porte

Personne encore ! ... pas de nouvelles ! ... ah çà ! ... mais c'est intolérable ! ... Je m'ennuie épouvantablement ici ! ... Voilà deux jours que je suis seule, n'ayant d'autre récréation que la compagnie d'un grand bêta de domestique dont on a fait mon geôlier ! ... Ah ! Pluton, prends garde ! ... tu ne sais pas ce que peut l' ennui sur une femme aussi fantaisiste que moi ! ... Si c'est ainsi qu'il m'aime ! ... Je vais regretter mon mari ! ... quelqu' un ! ... encore lui ! ...

 

ACTE 2 - SCENE II - John Styx, Eurydice.

John, à lui-même

Elle est bien belle ! ... elle est bien belle ! ... ah ! Si j' osais ! ...

Eurydice

C'est encore toi ; que me veux-tu ? ...

John

Madame n'a pas sonné ? ...

Eurydice

Moi ? Non...

John

Tant pis ! ...

Eurydice

Pourquoi ?

John

Parce que si madame avait sonné, c'est qu'elle aurait eu besoin de quelque chose... (il soupire bruyamment.) et comme madame ne sonne pas, c'est que madame n'a besoin de rien... (il se dirige vers la porte.) Elle est bien belle, mon dieu ! ... Elle est bien belle ! ... (revenant.) Est-ce que madame sonnera bientôt ?

Eurydice

Est-ce que je sais ? Pourquoi ? ...

John

Parce que, si madame sonnait, je m'empresserais d'accourir... Ah ! Je suis bien malheureux, allez, madame !

Eurydice

Qu' est-ce que cela me fait ?

John

Puisque madame paraît s'intéresser à moi, je vais tout lui dire. Figurez-vous, madame, que je suis la meilleure nature du monde, j'ai un coeur sensible et une tête faible... La femme qui m'aimerait serait bien heureuse...

Eurydice

C'est un fou ! ... Comment, il va me raconter ses amours à présent !

John

Je n'ai qu'un défaut, madame, j'aime mieux vous le dire tout de suite, pour que vous ne me le reprochiez pas plus tard : je m' enivre quelquefois ! ...

Eurydice

Il n'est pas fou, le malheureux, il est gris !

John

Maintenant, madame, que vous me connaissez... Comme si vous m' aviez fait...

Eurydice

Ne m'approche pas, malheureux ! ... il est affreux !

John

Madame me repousse après un tel aveu ? Ah ! C'est parce que je ne suis qu'un domestique, n'est-ce pas ? ... C'est bien cela les grandes dames ! Toutes les mêmes ! Mais je n'étais pas mort pour porter cette livrée ! Madame, quand j'étais sur la terre, j'étais le fils d'un grand prince de Béotie !

Eurydice

Eh bien ! ... il te reste quelque chose de ta patrie !

Couplets

John

Quand j'étais roi de Béotie,
J'avais des sujets, des soldats,
Mais, un jour, en perdant la vie,
J'ai perdu tous ces biens, hélas !
Et, pourtant, point ne les envie.
Ce que je regrette en ce jour,
C'est de ne t'avoir pas choisie
Pour te donner tout mon amour
Quand j'étais roi de Béotie !
Si j'étais roi de Béotie,
Tu serais reine sur ma foi !
Je ne puis plus qu'en effigie
T'offrir ma puissance de roi :
La plus belle ombre, ma chérie !
Ne peut donner que ce qu'elle a. Accepte donc, je t'en supplie,
Sous l'enveloppe que voilà,
Le coeur d'un roi de Béotie !

Eurydice

Va-t'en, te dis-je, tu sens le vin...

John

Ah ! Voilà bien une idée ! ... Parce que je vous ai dit tout à l'heure que je m'enivrais parfois... Mais vous ne savez donc pas avec quoi je m'enivre... C'est avec de l'eau... de l'eau pure ! ...

Eurydice

De l'eau ! ...

John

Oui, madame... mais une eau délicieuse, l'eau du fleuve Léthé... Oui, c'est pour oublier que je bois, pour oublier la triste condition où je suis tombé ! ...

Eurydice

C'est une drôle d' idée ! ...

John

C'est une idée d'homme libre et fier, madame, qui se souvient de sa splendeur passée... Cette funeste habitude me gêne bien quelquefois dans mon service ; ... Par exemple, quand mon maître me donne un ordre, naturellement, je bois, par fierté... avant de lui obéir... Naturellement aussi j'oublie l'ordre qu'il m' a donné... il me le redonne, je rebois, je réoublie, et ça dure quelquefois comme cela des journées entières... mais il s'en accommode très bien, parce qu'il me trouve intelligent d'ailleurs... (tombant à genoux.) Mais, voyez-vous, il est une chose que je n'oublierai jamais, quand je boirais tout le Léthé, c'est l'image de la femme adorable dont mon maître m'a donné la garde depuis deux jours...

Eurydice

Insolent ! ...

John

Une chose que j'oublierais bien auprès de vous, par contre... ce sont mes devoirs ! ... Ah ! ... voyez-vous, madame... (on entend du bruit.) Bigre ! Voilà mon maître !

Eurydice

Quel est ce bruit ?

John, se relevant

Rien... rien, madame... il faut rentrer.

Eurydice

Je ne veux pas ! ...

John

Ce sont les ordres du maître... vous me feriez ficher à la porte ! ...

Eurydice

Mais enfin, jusqu'à quand durera cette plaisanterie ?

John

Plus tard, je vous dirai ! ... rentrez !

Eurydice

Ah ! Pluton, tu me le payeras !

John

Allons ! (il la fait entrer au fond au moment où arrivent Pluton et Jupiter.) Il était temps !

 

ACTE 2 - SCENE III - John Styx, Pluton, Jupiter.

Pluton et Jupiter entrent en se bousculant, et tâchant de se devancer l'un l'autre.

Pluton, paraissant le premier, à part

Elle n'est pas là ! ... il a eu le temps de la cacher dans son appartement ! ... Ouf ! Je respire...

Jupiter, avec méfiance

Tu as de singulières façons de faire les honneurs chez toi, toi ! ...

Pluton

Moi ?

Jupiter

Oui, toi... quand on est poli, on fait passer les gens les premiers, et on les suit. (se frottant l' épaule.) Tu y mets trop d'empressement, vois-tu... il ne faut pas pousser la prévenance jusqu'à la bousculade... Où sommes-nous ici ?

Pluton

Nous sommes dans mes petits appartements, dans ce que j'appellerai, si tu veux, mon buen retiro.

Jupiter

Tu dis ?

Pluton

Je dis mon buen retiro... comme qui dirait mon boudoir... C'est là que, fatigué du gouvernement de mon royaume infernal, je viens goûter quelques instants de repos et de solitude.

Jupiter, toujours méfiant

De solitude. (à part.) Je suis sûr qu'elle est ici.

Jupiter cherche sous les meubles, frappe contre les murs, y applique son oreille, Pluton le suit pas à pas.

Pluton

Tu cherches quelque chose, dieu puissant ?

Jupiter

Rien, non, merci... J'étudie la disposition et la construction de ce petit... comment appelles-tu cela ?

Pluton

Buen retiro ! ...

Jupiter

Soit... oui, je trouve cela très joli, très intime... Je veux m'en faire disposer un pareil dans l'Olympe. C'est très favorable (souriant.) Aux amours, n'est-ce pas ?

Pluton, avec pudeur

Aux amours ? ... je ne suis pas de ces dieux à passions qui compromettent leur divinité dans de profanes amours ! Moi !

Jupiter

Vraiment ! Tartufe, va ! ... (pendant que Jupiter a le dos tourné, Pluton fait des signes à John, comme pour lui demander si Eurydice est dans l'appartement du fond.) Qu'est-ce que tu fais donc là ? Tu me fais des niches par derrière, dieu sérieux !

Pluton

Moi... du tout... je faisais...

Jupiter, se trouvant nez à nez avec John

Tu faisais des signes à quelqu'un... qu'est-ce que cela ?

Pluton

Quoi ? Qui ? ...

Jupiter, montrant John

Cette perche animée ? ... ce bâton de cire à cacheter ?

Pluton

John Styx, mon domestyx, mon domestique intime... mon factotum... un brave et honnête garçon, à qui je confie...

Jupiter

Tes secrets ? (à John.) ù est-elle ?

Pluton fait signe à John de se taire, en le menaçant

Qui ! ... elle ? ...

Jupiter

Eurydice, par ma foudre ! ...

Pluton

Eurydice ! ... comment, malgré tout ce que je t'ai dit... tu crois encore que j'ai enlevé cette petite ! ...

Jupiter

Parfaitement... et je verrai bien... Place, ou je tonne ! ... Ah ! Ah ! Ah! ...

Pluton, comme s'il parlait à un chien

Cherche là ! ... dieu puissant, cherche là ! ... (à part.) Ces murs sont épais.

Jupiter, après avoir longtemps visité et gratté le mur, à part

Rien ! ... ah ! ... si... une serrure ! ... il me semble... elle est là ! ... J'en suis sûr !

Pluton

Eh bien ! ...

Jupiter

Rien ! ... tu avais raison ! (à part.) Par mon immortalité, moi qui me suis métamorphosé tant de fois pour plaire à tant de femmes, je ne resterai pas à court d'imagination ; sous une forme ou sous une autre, il faut que je pénètre là !

Pluton

Allons, retournons auprès des dieux qui nous attendent à la fête que j'ai préparée pour toi ; une rude fête, va ! ...

Jupiter

C'est dit ; je te rends mon estime et commence à croire que ce vil mortel a voulu me faire poser en me réclamant son épouse.

Pluton

Quelques ordres et je t' emboîte...

Il parle bas à John.

John, à part

Ah ! Ce supplice est affreux, la garder pour les autres : ce n'est que dans l'oubli que je pourrai me consoler...

Jupiter, à part

Ah ! Quelle idée ! ... laissons-lui toujours ma carte, qu'elle sache que je suis là... (il met la carte dans le trou de la serrure.) Et dans un instant, je reviens par le trou de la serrure, sous la forme la plus fine et la plus séduisante ! ... je ne vous dis que cela ! ...

Pluton, à John

Ne le perdons pas de vue... il est fin, il pourrait revenir sur ses pas... Prends ma queue, je prends la sienne. (haut.) Je suis à toi, dieu puissant.

Ils sortent à la queue leu leu en se bousculant.

 

ACTE 2 - SCENE IV

Eurydice, tenant à la main la carte de Jupiter

J'avais cru entendre des voix ! ... personne ! Que veut dire cette carte cornée ? Qui me l'envoie ? ... Ernest, baron de Jupiter ! ... Quelqu'un penserait-il à moi ! ... ma vie à celui qui me tirera de ma prison ! ...

 

ACTE 2 - SCENE V - Jupiter, Eurydice.

Jupiter, sous la forme d'une grosse mouche. Il entre en bourdonnant.

Est-ce assez fin ? ... Sous ce costume on passe partout... C'est elle ! ... qu'elle est belle ! ... Soyons séduisant !

Duo

Jupiter voltige autour d'Eurydice en effleurant son épaule de droite et de gauche.

Eurydice, se levant

Il m'a semblé sur mon épaule
Sentir un doux frémissement !

Jupiter, à part

Il s'agit de jouer mon rôle.
Plus un mot ! Car, dès ce moment,
Je n'ai droit qu'au bourdonnement !

Il tourne autour d'Eurydice en bourdonnant.

Eurydice

Ah ! La belle mouche !

Jupiter bourdonne.

Le joli fredon !

Jupiter, à part

Ma chanson la touche,
Chantons ma chanson !

Il fredonne.

Eurydice

Le joli fredon !

Air

Bel insecte, à l'aile dorée,
Veux-tu rester mon compagnon ?
Ces lieux dont tu forças l'entrée,
Hélas ! Me servent de prison.
Ne me quitte pas, je t'en prie,
Reste, on prendra bien soin de toi :
Je t'aimerai, mouche jolie,
Reste avec moi !

Jupiter, à part

Quand on veut se faire adorer,
Il faut se laisser désirer.

Eurydice, se précipitant vers lui

Je la tiens par son aile d'or !

Jupiter

Pas encor !

Il s'échappe au moment où elle va le saisir, et saute sur un meuble.

Ensemble

Eurydice

Fi ! La méchante ! La méchante !
Elle ne cherche qu' à me fuir !
Ah ! Par ton aile si brillante,
Malgré toi, je veux te saisir.

Jupiter
J'ai pris des ailes, ma charmante,
J'ai bien le droit de m'en servir.
Je veux prolonger ton attente
Avant de me laisser saisir.

Eurydice, le poursuivant pendant qu'il sautille de meuble en meuble et de mur en mur.

En vain, à ma poursuite tu voudrais échapper.

Jupiter, à part

Moi, je me sauve, quitte à me faire attraper.

Eurydice.

Je te trouverai bien, cruelle...

Jupiter

J'y compte bien.

Eurydice

Où donc est-elle ? sur ce fauteuil ! attention ! ...

Elle ôte le voile de gaze qu'elle a au cou.

De cette gaze légère,
Sans l'étouffer, je puis faire
Un filet à papillon.

Elle s'est approchée sur la pointe du pied.

Jupiter

Attention ! Attention !

Eurydice, lui jetant le filet

La voilà prise ! plus de résistance !

Jupiter, sous le voile

La plus prise des deux n'est pas celle qu'on pense.

Ensemble.

Eurydice

Je te tiens, petite méchante,
Toi qui ne cherchais qu'à me fuir.
Je savais bien, mouche charmante,
Qu'on finirait par te saisir.

Jupiter
J'ai voulu prolonger l'attente,
Avant de me laisser saisir.
Ne crains plus rien, ô ma charmante,
Je ne cherche plus à m'enfuir.

Eurydice

Ah ! Je savais bien que je t'attraperais, mon bijou ailé ! ... Tu as beau te défendre ! Tu es à moi ! Et pour toujours ; tu seras la consolation de la pauvre prisonnière ! ... mais voyez donc ! Qu'elle est gracieuse ! Quelles belles couleurs ! Et quelle taille fine ! (Jupiter fait des grâces.) et ces ailes d'or ! ... tiens !

Elle l'embrasse.

Jupiter, tombant à genoux

Eh bien ! ... tout cela est à toi si tu le veux, mortelle adorée ! ...

Eurydice

Ah ! Grands dieux ! ... elle parle ! Au secours ! ...

Jupiter

Tais-toi ! ... en réalité, je ne suis pas une mouche, j'ai pris ce costume pour tromper les regards jaloux d'un tyran qui ne veut que te torturer...

Eurydice

Est-il possible ! ... qui donc es-tu ?

Jupiter

Moi ? ... je déclare ici, la vérité m' y pousse ! Que je suis ton amant, Jupiter Barberousse.

Eurydice

C'est donc toi qui tout à l'heure m'as glissé...

Jupiter

Ce vélin... oui... c' est moi, le roi des dieux ! ... ni plus ni moins ! ...

Eurydice

Ah !

Jupiter

Et si je t'avais connue, Pluton, plus tôt ne t'aurait pas enlevée... Je t'aurais emmenée dans l'Olympe.

Eurydice

L'Olympe ! ... tu m'aurais fait voir l'Olympe et quitter cet affreux séjour... Oh ! Fuyons, emmène-moi.

Jupiter

Nous n'avons qu'un moyen pour ne pas éveiller les soupçons ! ... Il faut que je retourne à la fête que donne cet idiot de Pluton ! Rejoins-m'y.

Eurydice

Hein ?

Jupiter

Rejoins-m'y sous un déguisement, et à la faveur de la sortie générale de mes collègues, je t'emmène dans le tas.

Eurydice

Ce que le Dieu veut, la femme le veut ! à toi ! Jupiter ! ... for ever !

Elle sort à gauche.

Jupiter

Dans une heure ! ... oh ! Je suis un insecte bien heureux !

Il se dirige vers la droite en bourdonnant joyeusement. John entre, son flacon de Léthé à la main. Il est dans une espèce d'extase béate.

 

ACTE 2 - SCENE VI - John, puis Pluton.

John, poursuivant Jupiter du geste d'un homme qui veut attraper une mouche.

Mouche ! Mouche ! ...

Jupiter s'esquive. John s'avance en silence sur le devant de la scène, et reprend avec sentiment son refrain.

Si j'étais roi de Béotie !

Pluton, sortant tout bouleversé de la chambre du fond.

Où est-elle ? ... la mouche ? ... où est la mouche ?
Ah ! John ! As-tu vu la mouche ? ...

John, étonné

La mouche ? ... quelle mouche ? ...

Pluton

Jupiter ! ... que ce petit futé de Cupidon a reconnu sous la forme d'une mouche ! ...

John

Jupiter ! ...

Il fredonne.

Quand j'étais roi de Béotie...

Pluton

Qu'as-tu fait d'Eurydice ?

John

Eurydice ? ...

Il continue l'air.

J'avais des sujets, des soldats...

Pluton

Regarde-moi donc un peu, toi ! ... ah ! Le malheureux ! Il s'est livré à sa funeste passion ! ... il a encore bu du Léthé ! ... et pendant ce temps il aura laissé pénétrer ! ... voyons ! John ! Mon fidèle John ! C'est moi, Pluton ! Ton bon maître ! ... canaille, va ! Souviens-toi, au nom de tes cendres ! ... la clef de la grille du parc au moins, la clef ! ...

John, fredonnant toujours

Mais un jour en perdant la vie...

Pluton

Voyons, si je lui parlais une autre langue que celle qu'il a oubliée... peut-être se la rappellerait-il. Ricordati ! ... memento ! ... remember !

John, répétant machinalement

Remember !

Il fredonne.

Pluton

Rien ! .. rien ! ... c'est à se prendre la tête et à se la fouler aux pieds ! (on entend la voix d'Eurydice qui chante le motif : bel insecte à l' aile dorée, etc, etc.) ah ! Cette voix ! C'est celle d'Eurydice, elle n'est pas encore partie ! ... courons ! ... Cerbère ! Caron ! Qu'on redouble de surveillance ! ... qu'on cerne toutes les issues ! ... et toi, viens, John, John.

John, reste en place en chantant tranquillement à mi-voix la fin du couplet Quand j'étais roi de Béotie...

Pluton

Encore ! Mais ce n'est pas un homme, c'est un orgue ! ... va-t'en ! Que je ne te voie plus ! ...

Il frappe du pied avec impatience ; John s'engloutit et disparaît lentement en chantant toujours son couplet. Pluton le pousse avec rage, et en faisant auprès de lui le geste d'un homme qui joue de l'orgue.

 

ACTE 2 - QUATRIEME TABLEAU - SCENE I

Les enfers : au fond, le Styx. Tous les dieux, Eurydice en costume de bacchante.
Au lever du rideau, tous les dieux de l'Olympe et des Enfers sont réunis autour d' une table. Ils sont couronnés de fleurs, et boivent. Bacchanale.

Choeur

Vive le vin ! Vive Pluton !
Et nargue du qu'en dira-t-on.
La divine cohorte
Que ce vieux vin transporte,
Chante le Dieu qui porte
La couronne de fer.
Sa demeure chérie
Sera notre patrie ;
Si l'on comprend la vie,
Amis, c'est en enfer !
Vive le vin ! Vive Pluton !
Et nargue du qu'en dira-t-on !

Jupiter, à Eurydice

Allons ! Ma belle bacchante,
Mortelle émule de Vénus,
Chante-nous de ta voix charmante,
Chante-nous l'hymne de Bacchus !

Tous

Chante ! Chante !
Belle bacchante !

Eurydice

J'ai vu le dieu Bacchus, sur sa roche fertile,
Donnant à ses sujets ses joyeuses leçons :
Le faune au pied de chèvre et la nymphe docile
Répétaient ses chansons.
Evohé ! Bacchus m'inspire,
Je sens en moi
Son saint délire,
Evohé ! Bacchus est roi !

Tous

Evohé ! Bacchus m'inspire.
Etc, etc.

Eurydice

Laissez, leur disait-il, les tristesses moroses,
Laissez les noirs soucis aux profanes humains.
Et vous, couronnez-vous des pampres et des roses
Qui tombent de mes mains !
Evohé ! Bacchus m'inspire,
Je sens en moi
Son saint délire !
Evohé ! Bacchus est roi !

Tous

Evohé ! Bacchus m'inspire.
Etc, etc.

Jupiter

Maintenant, je veux, moi
Qui suis mince et fluet,
Comme au temps du grand roi,
Danser un menuet ! ...

Parlé sur la ritournelle du menuet.

Jupiter, à Eurydice

Ce niais de Pluton ne t'a pas reconnue ; après la danse, nous lèverons le pied ! ...

Pluton, à part

Cet idiot de Jupiter croit que je n'ai pas reconnu la bacchante... mais j'ai l' oeil sur eux !

Ballet : menuet dansé par Pluton, Jupiter, Vénus et Eurydice. Galop infernal par tous les dieux.

Eurydice, à Jupiter

Et maintenant, fuyons...

Jupiter

Fuyons... oui, profitons de ce qui nous reste de souffle... fuyons...

Ils se dirigent vers le fond. Pluton se dresse devant eux.

Pluton

Où donc ?

Eurydice

Aïe...

Jupiter

Que veut cet audacieux ? ...

Pluton

Ah ! Plus de dignité, n'est-ce pas ? ... crois-tu donc que j'ignore rien de ce qui se passe ici depuis deux heures ? Crois-tu que, sous ce costume de bacchante, je n'aie pas reconnu la femme...

Jupiter

Que tu n'avais pas enlevée, disais-tu ? ...

Pluton

Eh bien ! Oui, je l'avais enlevée... mais, sarpejeu, je m'en repens bien ! ...

Eurydice

Que dit-il ? ...

Pluton

Je dis que tu t'es conduite avec moi comme... avec ton mari ! ... que tu m'as flanqué mon envers à l'enfer, mon enfer à l'envers, et que...

Jupiter rit en regardant Eurydice.

Il sait tout ! ...

Pluton

Riez, allez ! ... rira bien qui rira le dernier... la farce est bonne... mais vous ne la porterez pas ensemble en paradis ! ...

Jupiter

Et qui donc m'empêcherait si je voulais ? ...

Pluton

Qui ? ... mais toi-même !

Jupiter

Que veut-il dire ? ...

Pluton

Et le mari qui va venir ! ... le petit mari ! ...

Eurydice

Mon mari ! ... je l' avais oublié ! ... oui... ça t' arrive quelquefois ! ...

Jupiter

Moi aussi !

Pluton

Et la promesse que tu lui as faite ! L'as-tu oubliée aussi ? ... je vais être vengé... ce n'est pas à moi que tu rendras Eurydice, c'est à lui ! ... au petit trovatore...

Jupiter

Maladroit ! ... qu' ai-je promis ! ...

On entend au loin un chant de violon.

Pluton

La position se tend ! Je vais élever le dialogue avec la situation ! ... je ne parle plus qu'en vers ! ... méfiez-vous...

Le chant continue en se rapprochant peu à peu, chacun écoute avec anxiété.

Femme, reconnais-tu ce chant de violon ?

Eurydice

Ce chant qu'il trouve large et que je trouve long, c'est celui de l'époux que j'ai...

Pluton

Tu l'as dit, femme !
C'est ton époux qui vient pour racheter ton âme ! ...

Bas et grinçant des dents.

Cette âme que j'aimais et que je n'aime plus ! ...
Tu connais de Jupin les ordres absolus !
Ton époux te réclame, on te rend à la terre !
C'est un joli cadeau que nous allons lui faire !

Eurydice, suppliante

Jupin !

Jupiter, bas à Eurydice

Rassure-toi, pauvre ange ! J'ai mon plan !
Et tu n' es pas encore au bras de ton tyran ! ...

Une barque paraît au fond. C'est l'opinion publique qui rame. Orphée est auprès d'elle et joue du violon.

Que tout rentre dans l'ordre ! enfants, de la tenue !
Voici qu'au sombre bord leur barque est parvenue...
Que des divins plaisirs ils ne soupçonnent rien...

Tous les dieux se groupent autour de Jupiter et de Pluton. Eurydice est renfermée dans le groupe. On ne la voit plus.

Et prenons pour mot d'ordre : hexamètre et maintien !

 

ACTE 2 - SCENE II - Les mêmes, Orphée, l'opinion publique.

Orphée, appuyé sur l'opinion comme sur un confident de tragédie.

Oui, je suis convaincu ! malgré ses injustices,
C'est ma femme, et je veux ignorer ses caprices...
Puissant roi des...

Jupiter

Assez ! ... grâce du boniment !
Je connais ta demande : allons-y vivement ! ...
Fidèle à ma promesse, à tes désirs propice,
D'accord avec Pluton, je te rends Eurydice.
Va ! ...

Orphée, avec philosophie

Jupiter me comble et Pluton est trop bon ! ...

Pluton se frotte les mains en regardant Jupiter d'un air narquois.

Jupiter, arrêtant Orphée de la main

Mais j'y mets cependant une condition...
Condition expresse autant qu'inexplicable.
S'animant.
Que tu n' as pas besoin de comprendre, que diable !
Orphée exprime par un geste qu'il est prêt à obéir.
Vers le Styx, gravement, tu vas t'acheminer,
En précédant ta femme, et sans te retourner ! ...
Si, trop pressé de voir ton aimable Eurydice,
Tu désobéissais à ce petit caprice,
Elle t'échapperait, pour toujours, cette fois ! ...

Pluton, furieux.

Mais ce n'est pas du jeu ! ...

Murmure général.

Jupiter, terrible, agitant sa foudre

L'on élève la voix ! ...

Le murmure s'apaise. Tout le monde s'incline.

Allons ! derrière toi va marcher Eurydice...
Ne te retourne pas ! j'ai dit ! qu'on obéisse !

 

Finale

Marche à l'orchestre. Eurydice paraît cachée sous un voile. C'est John Styx qui la conduit par la main.

L'Opinion, à Orphée, sur le devant de la scène

Ne regarde pas en arrière !
A quinze pas fixe les yeux.
Ami, pense à la terre !
Elle nous attend tous les deux !

La marche recommence. L'opinion est en tête. Orphée vient ensuite, puis Eurydice conduite par John Styx.

Les Dieux

Pour un époux quel embarras !
Il se retournera,
se retournera pas !
Tournera,
tourn'ra pas !

Jupiter, suivant des yeux Orphée qui est tout près de la barque

Sur sa curiosité
aurais-je donc en vain compté ! ...

L'Opinion, qui est déjà dans la barque

Nous triomphons ! Ah ! Quelle joie !

Jupiter

Il ne se tourne pas ! Tant pis ! Je le foudroie !

Jupin prend sa foudre de la main droite, la brandit, et au lieu de s'en servir, il administre dans le vide et dans la direction d'Orphée un vigoureux coup de pied électrique qui traverse la scène sous la forme d'une étincelle. Coup de tam-tam. Orphée se retourne brusquement, comme si le coup l'avait atteint. Eurydice disparaît à ses yeux.

L'Opinion

Malheureux ! Que viens-tu de faire ?

Orphée

Un mouvement involontaire !
Il est entré dans la barque où est déjà l'opinion. La barque se met en mouvement.

Pluton

Tu l'as perdue et pour jamais !

Orphée

Hélas !
(A lui-même)
Ce dénoûment m'enchante !

Pluton

Elle me reste donc !

Jupiter

Pas plus qu'à moi ! - j'en fais une bacchante !

Pluton, parlé

Mais ça n'est pas dans la mythologie !

Jupiter, de même

Eh bien ! On la refera, la mythologie !

Eurydice

Bacchus !
Mon âme légère
Qui n'a pu se faire
Un bonheur sur terre,
Aspire à toi, divin Bacchus !
Reçois la prêtresse
Dont la voix sans cesse
Veut chanter l'ivresse
A tes élus ! ...

Bacchus paraît au fond sur un trône orné de pampres, porté par quatre faunes. Eurydice monte jusqu'à lui sur les bras des dieux qui s'empressent à sa rencontre. Le théâtre s'embrase.

Choeur

Bacchus !
Reçois la prêtresse
Dont la voix sans cesse
Veut chanter l'ivresse
A tes élus ! ...