Centauresse
H. Roux, Herculanum et Pompéi, tome
IV,
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Parmi les beaux groupes de centaures qui semblent tous dus au même pinceau, celui-ci est le plus admirable et le mieux achevé. Les anciens ont tellement excellé dans la combinaison des formes humaines avec celles des animaux ; ils ont si bien sauvé ce qu'il y a de choquant dans cet hymen de la brute et du roi de la création ; ils ont enfin si complètement épuisé toutes les alliances possibles, qu'après eux il n'est rien resté à faire aux modernes dans ce genre, si ce n'est de les copier. Mais, parmi les anciens, le peintre d'Herculanum paraît s'être placé au premier rang. Tout, dans cette centauresse, n'est que grâce, élégance, délicatesse exquise : il n'est point dans cette adorable monstruosité un seul muscle, une seule attache qui ne réclame et n'épuise l'admiration. La partie de l'oeuvre la plus difficile, et le mieux réussie, est celle où le torse humain se marie à l'encolure hippique (qu'on nous permette de risquer ce terme nécessaire). L'oeil reconnaît bien, d'une part la blanche morbidesse de la carnation féminine, de l'autre la pureté candide de cette robe de neige qui revêt la cavale : mais il ne peut déterminer la ligne où l'une finit, où l'autre commence.
Les anciens avaient eux-mêmes la plus haute
idée de cette difficulté que leurs grands
maîtres ont vaincue : elle a été
convenablement appréciée par ceux d'entre les
écrivains grecs qui ont abordé les questions
d'art (1).
Le mouvement de la main gauche de la centauresse, qui pince
les cordes de la lyre, est d'un motif plein de grâce :
il n'y a pas moins d'élégance dans celui de la
droite, qui va frapper avec une des deux cymbales
(krembala) l'autre moitié de l'instrument
placée par un heureux caprice du dessinateur entre les
doigts du bel enfant que la centauresse paraît enlever
dans les airs. Ce jeune homme passe de son côté
le bras gauche derrière le dos de son amante, et
s'appuie de la main sur l'épaule opposée, afin
de l'embrasser étroitement.
La draperie qui sert de manteau au jeune homme est violette :
celle qui voltige sur le bras et le dos de la centauresse
offre une teinte jaune. Les cymbales sont dorées et
peuvent être supposées de cuivre ou d'une
composition métallique plus sonore (2). Il faut encore
remarquer l'arrangement de la coiffure de la centauresse, ses
bracelets au poignet et son collier : ce dernier surtout
offre un détail assez heureux ; il est formé
d'un ruban d'or, comme les ornements appelés
monilia et torques, qui pendaient sur la poitrine des
chevaux des Latins : Aurea pectoribus demissa monilia
pendent (3).
(1) Lucien,
Zeuxis, 6 ; Philostr., Imag., II,
2.
(2) Athen., XIV, 9 ; Isidor.
(3) Virg., Aen., VII, 278.
Commentaire de M. L. Barré dans l'édition d'Herculanum et Pompéi mentionnée ci-dessus.