Centauresse

H. Roux, Herculanum et Pompéi, tome IV,
planche 78, pp.157 sqq (éd. 1875)

Parmi les beaux groupes de centaures qui semblent tous dus au même pinceau, celui-ci est le plus admirable et le mieux achevé. Les anciens ont tellement excellé dans la combinaison des formes humaines avec celles des animaux ; ils ont si bien sauvé ce qu'il y a de choquant dans cet hymen de la brute et du roi de la création ; ils ont enfin si complètement épuisé toutes les alliances possibles, qu'après eux il n'est rien resté à faire aux modernes dans ce genre, si ce n'est de les copier. Mais, parmi les anciens, le peintre d'Herculanum paraît s'être placé au premier rang. Tout, dans cette centauresse, n'est que grâce, élégance, délicatesse exquise : il n'est point dans cette adorable monstruosité un seul muscle, une seule attache qui ne réclame et n'épuise l'admiration. La partie de l'oeuvre la plus difficile, et le mieux réussie, est celle où le torse humain se marie à l'encolure hippique (qu'on nous permette de risquer ce terme nécessaire). L'oeil reconnaît bien, d'une part la blanche morbidesse de la carnation féminine, de l'autre la pureté candide de cette robe de neige qui revêt la cavale : mais il ne peut déterminer la ligne où l'une finit, où l'autre commence.

Les anciens avaient eux-mêmes la plus haute idée de cette difficulté que leurs grands maîtres ont vaincue : elle a été convenablement appréciée par ceux d'entre les écrivains grecs qui ont abordé les questions d'art (1).

Le mouvement de la main gauche de la centauresse, qui pince les cordes de la lyre, est d'un motif plein de grâce : il n'y a pas moins d'élégance dans celui de la droite, qui va frapper avec une des deux cymbales (krembala) l'autre moitié de l'instrument placée par un heureux caprice du dessinateur entre les doigts du bel enfant que la centauresse paraît enlever dans les airs. Ce jeune homme passe de son côté le bras gauche derrière le dos de son amante, et s'appuie de la main sur l'épaule opposée, afin de l'embrasser étroitement.

La draperie qui sert de manteau au jeune homme est violette : celle qui voltige sur le bras et le dos de la centauresse offre une teinte jaune. Les cymbales sont dorées et peuvent être supposées de cuivre ou d'une composition métallique plus sonore (2). Il faut encore remarquer l'arrangement de la coiffure de la centauresse, ses bracelets au poignet et son collier : ce dernier surtout offre un détail assez heureux ; il est formé d'un ruban d'or, comme les ornements appelés monilia et torques, qui pendaient sur la poitrine des chevaux des Latins : Aurea pectoribus demissa monilia pendent (3).


(1) Lucien, Zeuxis, 6 ; Philostr., Imag., II, 2.
(2) Athen., XIV, 9 ; Isidor.
(3) Virg., Aen., VII, 278.


Commentaire de M. L. Barré dans l'édition d'Herculanum et Pompéi mentionnée ci-dessus.