Thésée et Hippodamie

H. Roux, Herculanum et Pompéi, tome II, planche 18, pp.72 sqq (éd. 1875)

Cette peinture sur marbre a été trouvée, le 24 mai 1749, dans les fouilles de Résine. L'action qu'elle représente rappelle aussitôt ces vers de l'Enéide, au sujet de Corynée (l) :

Super ipse secutus
Caesariem lava turbati corripit hostis,
Impressoque genu nitens, terrae applicat ipsum,
Sic rigido latus ense ferit.

Corynée à l'instant s'élance avec ardeur,
Saisit ses longs cheveux, avec force l'entraîne,
Et, d'un genou nerveux l'appliquant sur l'arène,
Lève sur lui le fer et le plonge en son sein.

L'attitude décrite ainsi par le poète ressemble tellement à celle des personnages de ce tableau, qu'on ne peut s'empêcher de penser que le poète a inspiré le peintre, ou le peintre le poète. D'ailleurs il faut reconnaître que les deux oeuvres seraient dignes l'une de l'autre, et que cette peinture, qui est très bien conservée, ne le céderait pas en beauté aux belles compositions de Virgile. On ne peut s'empêcher d'admirer dans le jeune assaillant et dans la hardiesse de son attitude la noble inspiration de l'artiste, et le sens qu'il a voulu donner à son tableau est révélé parfaitement par le centaure attaqué au moment où il porte une main téméraire sur la jeune fille effrayée, qui cherche à l'éloigner. Le peintre a-t-il confié à ce marbre un caprice de son imagination, ou bien a-t-il voulu retracer un fait de la Fable ou de l'Histoire ? Cette dernière hypothèse a prévalu, et on a cru voir dans la composition de ce tableau la représentation de l'aventure qui donna naissance à la guerre des Centaures contre les Lapithes.

Pirithoüs, fils d'Ixion, roi des Lapithes, peuple de la Thessalie, avait épousé Hippodamie, et avait invité les Centaures à ses noces. Ceux-ci, échauffés par le vin, se portèrent à des violences envers les femmes des Lapithes, et Eurytus ou Eurytion enlevait la fiancée elle-même, quand Thésée et Hercule vinrent au secours des offensés, massacrèrent les Centaures et dissipèrent ceux qui avaient échappé au carnage (2). La jeune femme que l'on voit dans ce tableau sera donc Hippodamie (3). Le centaure s'appellera Eurytus ou Eurytion, et le personnage qui attaque et qui va percer de son épée Eurytus au moment même où il saisit Hippodamie, sera Thésée, on tout autre héros.

L'auteur de ce tableau n'est pas le seul artiste qui se soit exercé à représenter cette scène tragique. On lit dans la description du temple de Jupiter Olympien, par Pausanias (4) : «Dans la voûte, on voit les Lapithes se battant avec les Centaures aux noces de Pirithoüs. Le roi des Lapithes est dans le milieu ; près de lui est un Eurytion, qui lui ravit son épouse ; mais Caenée la défend, pendant que Thésée massacre les Centaures à coups de hache». Plutarque (5) croit aussi que cet événement se sera passé tel qu'il était représenté dans la voûte du temple de Jupiter Olympien, et il parle de l'intervention de Thésée dans la querelle qui ensanglanta les noces de Pirithoüs, où il aurait été invité. Il ne cache pas cependant qu'au rapport de plusieurs auteurs anciens, Thésée n'arriva chez les Lapithes que lorsque la guerre était déjà allumée entre eux et les Centaures.

Du reste, Ovide, qui a raconté aussi cette aventure, donne un rôle à Thésée dans les noces de Pirithoüs, et il fait mourir le centaure Eurytus sous les coups de ce héros ; seulement, dans la description qu'il donne, il varie les accidents du combat ; mais l'on comprend sans peine que le peintre, qui n'a pas comme le poète la faculté de nous représenter l'un après l'autre plusieurs accidents du même fait, en doit choisir le plus saillant et celui qui paraît le plus propre à émouvoir et à intéresser. Ce tableau est, comme nous l'avons déjà dit, d'un mérite particulier, et quelques personnes ont voulu l'attribuer au même pinceau qui a composé les trois autres monochromes de cette collection.


(1) XII, 301 sqq
(2) Diodore, liv. IV ; Plutarque, Vie de Thésée.
(3) Plutarque, dans la Vie de Thésée, l'appelle Déidamie, et Properce, II, 2, 61, Ischomaché.
(4) V, 10.
(5) Loc.cit.


Commentaire de M. L. Barré dans l'édition d'Herculanum et Pompéi mentionnée ci-dessus.