A Madame la duchesse de Bouillon

Madame,

C'est avec quelque sorte de confiance que je vous dédie cet ouvrage ; non qu'il n'aît assurément des défauts, et que le présent que je vous fais soit d'un tel mérite qu'il ne me donne sujet de craindre ; mais comme votre altesse est équitable, elle agréera du moins mon intention. Ce qui doit toucher les grands, ce n'est pas le prix des dons qu'on leur fait ; c'est le zèle qui accompagne ces mêmes dons, et qui, pour en mieux parler, fait leur véritable prix auprès d'une âme comme la vôtre. Mais, madame, j'ai tort d'appeler présent ce qui n'est qu'une simple reconnaissance. Il y a longtemps que monseigneur le duc de Bouillon me comble de grâces, d'autant plus grandes que je les mérite moins. Je ne suis pas né pour le suivre dans les dangers : cet honneur est réservé à des destinées plus illustres que la mienne : ce que je puis, est de faire des voeux pour sa gloire, et d'y prendre part en mon cabinet pendant qu'il remplit les provinces les plus éloignées des témoignages de sa valeur, et qu'il suit les traces de son oncle et de ses ancêtres sur ce théâtre où ils ont paru avec tant d'éclat, et qui retentira longtemps de leur nom et de leurs exploits. Je me figure l'héritier de tous ces héros cherchant les périls dans le même temps que je jouis d'une oisiveté que les seules Muses interrompent. Certes c'est un bonheur extraordinaire pour moi qu'un prince qui a tant de passion pour la guerre, tellement ennemi du repos et de la mollesse, me voie d'un oeil aussi favorable, et me donne autant de marques de bienveillance que si j'avais exposé ma vie pour son service. J'avoue, madame, que je suis sensible à ces choses ; heureux que sa majesté m'ait donné un maître qu'on ne saurait trop aimer ! malheureux de lui être si inutile ! J'ai cru que votre altesse serait bien aise que je la fisse entrer en société de louanges avec un époux qui lui est si cher. L'union vous rend vos avantages communs, et en multiplie la gloire pour ainsi dire. Pendant que vous écoutez avec transport le récit de ses belles actions, il n'a pas moins de ravissement d'entendre ce que toute la France publie de la beauté de votre âme, de la vivacité de votre esprit, de votre humeur bienfaisante, de l'amitié que vous avez contractée avec les Grâces ; elle est telle qu'on ne croit pas que vous puissiez jamais vous séparer. Ce n'est là qu'une partie des louanges que l'on vous donne. Je voudrais avoir un amas de paroles assez précieuses pour achever cet éloge, et pour vous témoigner plus parfaitement que je n'ai fait jusqu'ici avec combien de passion et de zèle je suis,

MADAME,

DE VOTRE ALTESSE

Le très humble et très obéissant serviteur.

DE LA FONTAINE.