Psyché partit tout à l'heure. On ne la laissa parler à qui que ce soit. Elle alla trouver la Fée que son mari avait fait venir : cette Fée était dans le voisinage sans que personne en sût rien. De peur de soupçon, elle ne tint pas long discours à notre héroïne. Seulement elle lui dit : Vous voyez d'ici une vieille tour ; allez-y tout droit, et entrez dedans ; vous y apprendrez ce qu'il vous faut faire. N'appréhendez point les ronces qui bouchent la porte ; elles se détourneront d'elles-mêmes.

Psyché remercie la Fée, et s'en va au vieux bâtiment. Entrée qu'elle fut, la tour lui parla : Bon jour, Psyché, lui dit-elle ; que votre voyage vous soit heureux ! Ce m'est un très grand honneur de vous recevoir en mes murs : jamais rien de si charmant n'y était entré. Je sais le sujet qui vous amène. Plusieurs chemins conduisent aux enfers ; n'en prenez aucun de ceux qu'on prend d'ordinaire. Descendez dans cette cave que vous voyez, et garnissez-vous auparavant de ce qui est à vos pieds : ce panier à anse vous aidera à le porter.

Psyché baissa aussitôt la vue ; et comme le faîte de la tour était découvert, elle vit à terre une lampe, six boules de cire, un gros paquet de ficelle, un panier, avec deux deniers.

Vous avez besoin de toutes ces choses, poursuivit la tour. Que la profondeur de cette cave ne vous effraie point, quoique vous ayez près de mille marches à descendre : cette lampe vous aidera. Vous suivrez à sa lueur un chemin voûté qui est dans le fond, et qui tous conduira jusqu'au bord du Styx. Il vous faudra donner à Charon un de ces deniers pour le passage, aussi bien en revenant qu'en allant. C'est un vieillard qui n'a aucune considération pour les Belles, et qui ne vous laissera pas monter dans sa barque sans payer le droit. Le fleuve passé, vous rencontrerez un âne boiteux et n'en pouvant plus de vieillesse, avec un misérable qui le chassera. Celui-ci vous priera de lui donner par pitié un peu de ficelle, si vous en avez dans votre panier, afin de lier certains paquets dont son âne sera chargé. Gardez-vous de lui accorder ce qu'il vous demandera ; c'est un piège que vous tend Vénus. Vous avez besoin de votre ficelle à une autre chose ; car vous entrerez incontinent dans un labyrinthe dont les routes sont fort aisées à tenir en allant ; mais, quand on en revient, il est impossible de les démêler : ce que vous ferez toutefois par le moyen de cette ficelle. La porte de deçà du labyrinthe n'a point de portier ; celle de delà en a un : c'est un chien qui a trois gueules, plus grand qu'un ours. Il discerne à l'odorat les morts d'avec les vivants, car il se rencontre des personnes qui ont affaire aussi bien que vous en ces lieux. Le portier laisse passer les premiers, et étrangle les autres devant qu'ils passent. Vous lui empâterez ses trois gueules en lui jetant dans chacune une de vos boules de cire, autant au retour. Elles auront aussi la force de l'endormir. Dès que vous serez sortie du labyrinthe, deux démons des champs élysées viendront au-devant de vous, et vous conduiront jusqu'au trône de Proserpine. Adieu, charmante Psyché : que votre voyage vous soit heureux !

Psyché remercie la tour, prend le panier avec l'équipage, descend dans la cave, et, pour abréger, elle arrive saine et sauve au-delà du labyrinthe, malgré les spectres qui se présentèrent sur son passage.

Il ne sera pas hors de propos de vous dire qu'elle vit sur les bords du Styx gens de tous états arrivant de tous les côtés. Il y avait dans la barque, lorsque la Belle passa, un roi, un philosophe, un général d'armée, je ne sais combien de soldats, avec quelques femmes. Le roi se mit à pleurer de ce qu'il fallait quitter un séjour où étaient de si beaux objets. Le philosophe, au contraire, loua les Dieux de ce qu'il en était sorti avant que de voir un objet si capable de le séduire, et dont il pouvait alors approcher sans aucun péril. Les soldats disputèrent entre eux à qui s'assiérait le plus près d'elle, sans aucun respect du roi ni aucune crainte du général, qui n'avait pas son bâton de commandement. La chose allait à se battre et à renverser la nacelle, si Charon n'eût mis le hola à coups d'aviron. Les femmes environnèrent Psyché, et se consolèrent des avantages qu'elles avaient perdus, voyant que notre héroïne en perdait bien d'autres : car elle ne dit à personne qu'elle fût vivante. Son habit étonna pourtant la compagnie, tous les autres n'ayant qu'un drap. Aussitôt qu'elle fut sortie du labyrinthe, les deux démons l'abordèrent et lui firent voir les singularités de ces lieux. Elles sont tellement étranges que j'ai besoin d'un style extraordinaire pour vous les décrire.

Polyphile se tut à ces mots ; et après quelques moments de silence il reprit d'un ton moins familier :

Le royaume des morts a plus d'une avenue.
Il n'est route qui soit aux humains si connue.
Des quatre coins du monde on se rend aux enfers.
Tisiphone les tient incessamment ouverts.
La faim, le désespoir, les douleurs, le long âge,
Mènent par tous endroits à ce triste passage ;
Et quand il est franchi, les filles du Destin
Filent aux habitants une nuit sans matin.
Orphée a toutefois mérité par sa lyre
De voir impunément le ténébreux empire.
Psyché par ses appas obtint même faveur :
Pluton sentit pour elle un moment de ferveur :
Proserpine craignit de se voir détrônée,
Et la boîte de fard à l'instant fut donnée.
L'esclave de Vénus, sans guide et sans secours,
Arriva dans les lieux où le Styx fait son cours.
Sa cruelle ennemie eut soin que le Cerbère
Lui lançât des regards enflammés de colère.
Par les monstres d'enfer rien ne fut épargné.
Elle vit ce qu'en ont tant d'auteurs enseigné.
Mille spectres hideux, les hydres, les harpies,
Les triples Gérions, les mânes des Tityes,
Présentaient à ses yeux maint fantôme trompeur
Dont le corps retournait aussitôt en vapeur.
Les cantons destinés aux ombres criminelles,
Leurs cris, leur désespoir, leurs douleurs éternelles.
Tout l'attirail qui suit tôt ou tard les méchants,
La remplirent de crainte et d'horreur pour ces champs.
Là, sur un pont d'airain, l'orgueilleux Salmonée,
Triste chef d'une troupe aux tourments condamnée,
S'efforçait de passer en des lieux moins cruels,
Et partout rencontrait des feux continuels.
Tantale aux eaux du Styx portait en vain sa bouche,
Toujours proche d'un bien que jamais il ne touche :
Et Sisyphe en sueur essayait vainement
D'arrêter son rocher pour le moins un moment.
Là les soeurs de Psyché, dans l'importune glace
D'un miroir que sans cesse elles avaient en face,
Revoyaient leur cadette heureuse, et dans les bras,
Non d'un monstre effrayant, mais d'un Dieu plein d'appas.
En quelque lieu qu'allât cette engeance maudite,
Le miroir se plaçait toujours à l'opposite.
Pour les tirer d'erreur leur cadette accourut ;
Mais ce couple s'enfuit sitôt qu'elle parut.
Non loin d'elles Psyché vit l'immortelle tâche
Où les cinquante soeurs s'exercent sans relâche.
La Belle les plaignit, et ne put sans frémir
Voir tant de malheureux occupés à gémir.
Chacun trouvait sa peine au plus haut point montée :
Ixion souhaitait le sort de Prométhée ;
Tantale eût consenti, pour assouvir sa faim,
Que Pluton le livrât à des flammes sans fin.
En un lieu séparé l'on voit ceux de qui l'âme
A violé les droits de l'amoureuse flamme,
Offensé Cupidon, méprisé ses autels,
Refusé le tribut qu'il impose aux mortels.
Là souffre un monde entier d'ingrates, de coquettes :
Là Mégère punit les langues indiscrètes,
Surtout ceux qui, tachés du plus noir des forfaits,
Se sont vantés d'un bien qu'on ne leur fit jamais.
Par de cruels vautours l'inhumaine est rongée ;
Dans un fleuve glacé la volage est plongée ;
Et l'insensible expie en des lieux embrasés,
Aux yeux de ses amants, les maux qu'elle a causés.
Ministres, confidents, domestiques perfides,
Y lassent sous les fouets le bras des Euménides.
Près d'eux sont les auteurs de maint hymen forcé,
L'amant chiche, et la dame au coeur intéressé ;
La troupe des censeurs, peuple à l'amour rebelle ;
Ceux enfin dont les vers ont noirci quelque Belle.

Vénus avait obligé Mercure par ses caresses de prier, de la part de cette Déesse, toutes les puissances d'enfer d'effrayer tellement son ennemie par la vue de ces fantômes et de ces supplices, qu'elle en mourût d'appréhension, et mourût si bien que la chose fût sans retour, et qu'il ne restât plus de cette Beauté qu'une ombre légère. Après quoi, disait Cythérée, je permets à mon fils d'en être amoureux, et de l'aller trouver aux enfers pour lui renouveler ses caresses.

Cupidon ne manqua pas d'y pourvoir : et dès que Psyché eut passé le labyrinthe, il la fît conduire, comme je crois vous avoir dit, par deux démons des champs élysées ; ceux-là ne sont pas méchants. Ils la rassurèrent, et lui apprirent quels étaient les crimes de ceux qu'elle voyait tourmentés. La Belle en demeura toute consolée, n'y trouvant rien qui eût du rapport à son aventure. Après tout, la faute qu'elle avait commise ne méritait pas une telle punition. Si la curiosité rendait les gens malheureux jusqu'en l'autre monde, il n'y aurait pas d'avantage à être femme.

En passant auprès des champs élysées, comme le nombre des bienheureux a de tout temps été fort petit, Psyché n'eut pas de peine à y remarquer ceux qui jusqu'alors avaient fait valoir la puissance de son époux, gens du Parnasse pour la plupart. Ils étaient sous de beaux ombrages, se récitant les uns aux autres leurs poésies, et se donnant des louanges continuelles sans se lasser.

Enfin la Belle fut amenée devant le tribunal de Pluton. Toute la cour de ce Dieu demeura surprise. Depuis Proserpine ils ne se souvenaient point d'avoir vu d'objet qui leur eût touché le coeur que celui-là seul. Proserpine même en eut de la jalousie ; car son mari regardait déjà la Belle d'une autre sorte qu'il n'a coutume de faire ceux qui approchent de son tribunal, et il ne tenait pas à lui qu'il ne se défît de cet air terrible qui fait partie de son apanage. Surtout il y avait du plaisir à voir Rhadamanthe se radoucir. Pluton fit cesser pour quelques moments les souffrances et les plaintes des malheureux, afin que Psyché eût une audience plus favorable.

Voici à peu près comme elle parla, adressant sa voix tantôt à Pluton et à Proserpine conjointement, tantôt à cette Déesse seule.

Vous sous qui tout fléchit, Déités dont les lois
Traitent également les bergers et les rois ;
Ni le désir de voir, ni celui d'être vue,
Ne me font visiter une cour inconnue :
J'ai trop appris, hélas ! par mes propres malheurs,
Combien de tels plaisirs engendrent de douleurs.
Vous voyez devant vous l'esclave infortunée
Qu'à des larmes sans fin Vénus a condamnée.
C'est peu pour son courroux des maux que j'ai soufferts ;
Il faut chercher encore un fard jusqu'aux enfers.
Reine de ces climats, faites qu'on me le donne.
Il porte votre nom ; et c'est ce qui m'étonne.
Ne vous offensez point, Déesse aux traits si doux ;
On s'aperçoit assez qu'il n'est pas fait pour vous.
Plaire sans fard est chose aux Déesses facile :
A qui ne peut vieillir cet art est inutile :
C'est moi qui doit tâcher, en l'état où je suis,
A réparer le tort que m'ont fait les ennuis.
Mais j'ai quitté le soin d'une beauté fatale.
La nature souvent n'est que trop libérale.
Plût au sort que mes traits à présent sans éclat
N'eussent jamais paru que dans ce triste état !
Mes soeurs les enviaient : que mes soeurs étaient folles !
D'abord je me repus d'espérances frivoles.
Enfin l'Amour m'aima : je l'aimai sans le voir :
Je le vis ; il s'enfuit ; rien ne put l'émouvoir ;
Il me précipita du comble de la gloire.
Souvenirs de ces temps, sortez de ma mémoire.
Chacun sait ce qui suit. Maintenant dans ces lieux
Je viens pour obtenir un fard si précieux.
Je n'en mérite pas la faveur singulière ;
Mais le nom de l'Amour se joint à ma prière.
Vous connaissez ce Dieu : qui ne le connaît pas ?
S'il descend pour vous plaire au fond de ces climats,
D'une botte de fard récompensez sa femme :
Ainsi durent chez vous les douceurs de sa flamme :
Ainsi votre bonheur puisse rendre envieux
Celui qui pour sa part eut l'empire des cieux !>

Cette harangue eut tout le succès que Psyché pouvait souhaiter. Il n'y eut ni démon ni ombre qui ne compatît au malheur de cette affligée, et qui ne blâmât Vénus. La pitié entra pour la première fois au coeur des Furies : et ceux qui avaient tant de sujets de se plaindre eux-mêmes mirent à part le sentiment de leurs propres maux pour plaindre l'épouse de Cupidon. Pluton fut sur le point de lui offrir une retraite dans ses états ; mais c'est un asyle où les malheureux n'ont recours que le plus tard qu'il leur est possible. Proserpine empêcha ce coup : la jalousie la possédait tellement, que, sans considérer qu'une ombre serait incapable de lui nuire, elle recommanda instamment aux Parques de ne pas trancher à l'étourdie les jours de cette personne, et de prendre si bien leurs mesures qu'on ne la revît aux enfers que vieille et ridée. Puis, sans tarder davantage, elle mit entre les mains de Psyché une boîte bien fermée, avec défense de l'ouvrir, et avec charge d'assurer Vénus de son amitié. Pour Pluton, il ne put voir sans déplaisir le départ de notre héroïne, et le présent qu'on lui faisait. Souvenez-vous, lui dit-il, de ce qu'il vous a coûté d'être curieuse. Allez ; et n'accusez pas Pluton de votre destin.

Tant que le pays des morts continua, la boîte fut en assurance ; Psyché n'avait garde d'y toucher : elle appréhendait que, parmi un si grand nombre de gens qui n'avaient que faire, il n'y en eût qui observassent ses actions.

Aussitôt qu'elle eut atteint notre monde, et, que se trouvant sous ce conduit souterrain, elle crut n'avoir pour témoins que les pierres qui le soutenaient, la voilà tentée,à son ordinaire. Elle eut envie de savoir quel était ce fard dont Proserpine l'avait chargée. Le moyen de s'en empêcher ? elle serait femme, et laisserait échapper une telle occasion de se satisfaire ! A qui le diraient ces pierres ? possible personne qu'elle n'était descendu sous cette voûte depuis qu'on l'avait bâtie. Puis ce n'était pas une simple curiosité qui la poussait ; c'était un désir naturel et bien innocent de remédier au déchet où étaient tombés ses appas. Les ennuis, le hâle, mille autres choses l'avaient tellement changée qu'elle ne se connaissait plus elle-même. Il fallait abandonner les prétentions qui lui restaient sur le coeur de son mari, ou bien réparer ces pertes par quelque moyen. Où en trouverait-elle un meilleur que celui qu'elle avait en sa puissance, que de s'appliquer un peu de ce fard qu'elle portait à Vénus ? non qu'elle eût dessein d'en abuser ni de plaire à d'autres qu'à son mari ; les Dieux le savaient : pourvu seulement qu'elle imposât à l'Amour, cela suffirait. Tout artifice est permis quand il s'agit de regagner un époux. Si Vénus l'avait crue si simple que de n'oser toucher à ce fard, elle s'était fort trompée : mais, qu'elle y touchât ou non, Cythérée l'en soupçonnerait toujours, ainsi il lui serait inutile de s'en abstenir.

Psyché raisonna si bien qu'elle s'attira un nouveau malheur. Une certaine appréhension toutefois la retenait : elle regardait la boîte, y portait la main, puis l'en retirait, et l'y reportait aussitôt. Après un combat qui fut assez long, la victoire demeura, selon sa coutume, à cette malheureuse curiosité. Psyché ouvrit la boîte en tremblant ; et à peine l'eut-elle ouverte qu'il en sortit une vapeur fuligineuse, une fumée noire et pénétrante qui se répandit en moins d'un moment par tout le visage de notre héroïne, et sur une partie de son sein. L'impression qu'elle y fit fut si violente que Psyché soupçonna d'abord quelque sinistre accident, d'autant plus qu'il ne restait dans la boîte qu'une noirceur qui la teignait toute.

Psyché, alarmée, et se doutant presque de ce qui lui était arrivé, se hâta de sortir de cette cave, impatiente de rencontrer quelque fontaine dans laquelle elle pût apprendre l'état où cette vapeur l'avait mise. Quand elle fut dans la tour, et qu'elle se présenta à la porte, les épines qui la bouchaient et qui s'étaient d'elles-mêmes détournées pour laisser passer Psyché la première fois, ne la reconnaissant plus, l'arrêtèrent. La tour fut contrainte de lui demander son nom. Notre infortunée le lui dit en soupirant. Quoi ! c'est vous, Psyché ? Qui vous a teint le visage de cette sorte ? Allez vite vous laver, et gardez bien de vous présenter en cet état à votre mari. Psyché court à un ruisseau qui n'était pas loin, le coeur lui battant de telle manière que l'haleine lui manquait à chaque pas. Enfin elle arriva sur le bord de ce ruisseau, et, s'étant penchée, elle y aperçut la plus belle More du monde.

Elle n'avait ni le nez ni la bouche comme l'ont celles que nous voyons ; mais enfin c'était une More. Psyché, étonnée, tourna la tête pour voir si quelque Africaine ne se regardait point derrière elle. N'ayant vu personne, et certaine de son malheur, les genoux commencèrent à lui faillir, les bras lui tombèrent. Elle essaya toutefois inutilement d'effacer cette noirceur avec l'onde.

Après s'être lavée longtemps sans rien avancer : O destins, s'écria-t-elle, me condamnerez-vous à perdre aussi la beauté ? Cythérée, Cythérée, quelle satisfaction vous attend ! Quand je me présenterai parmi vos esclaves, elles me rebuteront ; je serai le déshonneur de votre cour. Qu'ai-je fait qui méritât une telle honte ? ne vous suffîsait-il pas que j'eusse perdu mes parents, mon mari, les richesses, la liberté, sans perdre encore l'unique bien avec lequel les femmes se consolent de tous malheurs ? Quoi ! ne pouviez-vous attendre que les années vous vengeassent ? c'est une chose sitôt passée que la beauté des mortelles ! la mélancolie serait venue au secours du temps. Mais j'ai tort de vous accuser : c'est moi seule qui suis la cause de mon infortune ; c'est cette curiosité incorrigible qui, non contente de m'avoir ôté les bonnes grâces de votre fils, m'ôte aussi le moyen de les regagner. Hélas ! ce sera ce fils le premier qui me regardera avec horreur, et qui me fuira. Je l'ai cherché par tout l'univers, et j'appréhende de le trouver. Quoi ! mon mari qui me fuira ! mon mari qui me trouvait si charmante ! Non, non, Vénus, vous n'aurez pas ce plaisir : et puisqu'il m'est défendu d'avancer mes jours, je me retirerai dans quelque désert où personne ne me verra ; j'achèverai mes destins parmi les serpents et parmi les loups : il s'en trouvera quelqu'un d'assez pitoyable pour me dévorer.

Dans ce dessein elle court à une forêt voisine, s'enfonce dans le plus profond, choisit pour principale retraite un antre effroyable. Là son occupation est de soupirer et de répandre des larmes ; ses joues s'aplatissent ; ses yeux se cavent ; ce n'était plus celle de qui Vénus était devenue jalouse : il y avait au monde telle mortelle qui l'aurait regardée sans envie.


Suite de l'histoire des Amours de Psyché et Cupidon