Socrate

Si donc Eros est dieu ou quelque chose de divin, ce qu’il est en effet, il ne saurait être mauvais. Or nos deux récents discours à son sujet l’ont déclaré mauvais. Ils sont donc une offense à Eros. Je les trouve en outre d’une niaiserie tout à fait élégante. Ne disant rien de sensé ni de vrai, ils se prévalent de valoir quelque chose, parce qu’ils pourront tromper quelques hommelets et se faire parmi eux une réputation. Il faut donc, ami, que je me purifie. Or il y a, pour ceux qui se sont mépris quand ils parlaient des dieux, un moyen antique de purification. Homère ne le connut pas, mais Stésichore s’en servit. Privé de la vue pour avoir diffamé Hélène, il ne méconnut pas, comme Homère, la cause de son malheur. Mais en homme inspiré par les Muses, il comprit cette cause et chanta aussitôt :

«Non, ce discours n’est pas vrai : tu n’es jamais montée
sur les navires aux beaux bancs de rameurs, tu n’es jamais entrée dans la citadelle de Troie».

Quand il eut achevé tout ce poème appelé Palinodie, à l’instant même il recouvra la vue. Pour moi, je veux être plus sage que ces deux poètes, tout au moins en ceci : je vais essayer avant qu’il me punisse de l’avoir diffamé, de vouer à Eros une palinodie. Je parlerai cette fois la tête découverte, sans me voiler, comme tout à l’heure je le fis par pudeur.

Traduction de Mario Meunier (1922)