XXXVIII. De Circe Solis filia.

Circes, cantationibus suis in hodiernum usque famosissima mulier, ut poetarum testantur carmina, filia fuit Solis et Perse nynphe, Occeani filie, sororque Oethe Colcorum regis : Solis, ut arbitror, ideo filia dicta, quia singulari floruerit pulchritudine, seu quia circa notitiam herbarum fuerit eruditissima, vel potius quia prudentissima in agendis : que omnia solem, variis habitis respectibus, dare nascentibus mathematici arbitrantur.

Quo autem pacto, relictis Colcis, Italiam petierit, minime legisse memini. Eam Etheum Volscorum montem, quem de suo nomine dicimus in hodiernum usque Circeum, incoluisse omnes testantur historie ; et cum nil preter poeticum legatur ex hac tam celebri mulieres recitatis succincte poeticis, quo prestabitur ingenio mentem excutiemus credentium.

Volunt igitur ante alia quoscunque nautas, seu ex proposito, seu tempestatis inpulsu, ad dicti montis, olim insule, litora applicantes, huius artibus cantatis carminibus, seu infectis veneno poculis, in feras diversarum specierum fuisse conversos; et hos inter vagi Ulixis fuisse sotios, eo, Mercurii mediante consilio, servato. Qui cum evaginato gladio mortem minaretur venefice, socios reassumpsisse in formam redactos pristinam et per annum conturbernio usus eiusdem, ex ea Thelegonum suscepisse filium dicunt; et ab ea plenum consilii discessisse.

 

Boccace, De claris mulieribus
Métamorphose des compagnons d'Ulysse
Ms Français 598, Fol.54v, BNF
XVe siècle

Quo sub cortice hos existimo latere sensus. Sunt qui dicant hanc feminam haud longe a Caieta, Campanie oppido, potentissimam fuisse viribus et sermone, nec magni facientem, dum modo aliquid consequeretur optatum, a nota illesam servasse pudicitiam; et sic multos ex applicantibus litori suo blanditiis et ornatu sermonis non solum in suas illecebras traxisse, verum alios in rapinam et pyrraticam inpulisse, non nullos, omni honestate postposita, ad exercenda negotia et mercimonia dolis incitasse, et plures ob sui singularem dilectionem in superbiam extulisse. Et sic hi, quibus infauste mulieris opera humana subtracta videbatur ratio, eos ab eadem in sui facinoris feras meritocrederetur fuisse conversos. Ex quibus satis comprehendere possumus, hominum mulierumque conspectis moribus, multas ubique Cyrces esse et longe plures homines lascivia et crimine suo versos in beluas. Ulixes autem, Mercurii consilio predoctus, prudentem virum satis evidenterostendit, quem adulantium nequeunt laqueare decipule, quin imo et documentis suis laqueatos persepe solvit a vinculo. Reliquum satis patet ad hystoriam pertinere: qua constat Ulixem aliquandiu permansisse cum Circe. Fertur preterea hanc eandem feminam Pici, Saturni filii, Latinorum regis,fuisse coniugem eumque augurandi docuisse scientiam, et ob zelum, quia Pomonam nynpham adamaret, eum in avem sui transformasse nominis. Erat enim illi domesticus picus avis, ex cantu cuius et motibus summebat de futuris augurium; et, quia secundum actus pici vitam duceret, inpicum versus dictus est. Quando, seu quo mortis genere aut ubi hec defuncta sit Circes, compertum non habeo.

 
De Circé, fille du Soleil

Circé, Dame jusqu'à ce nôtre temps fort fameuse par ses enchantements, fut fille du Soleil et de Persa, Nymphe, fille de l'Océan, et soeur d'Oethes, roi de Colchos, comme racontent quelques poètes. A mon jugement, qu'elle fut ainsi dite fille du Soleil pour ce qu'elle fut belle sur toutes les autres de son temps, ou pour ce qu'elle fut très experte en la connaissance des vertus des herbes, ou bien pour ce qu'elle fut dame de très grande providence : toutes lesquelles choses les mathématiciens disent être données par le Soleil pour divers respects, à ceux qui naissent sous lui.

Comment elle vint habiter en Italie, laissant Colchos, je n'ai point souvenance de l'avoir lu. Une fois pour toutes, les histoires témoignent qu'elle habita sur Ethée, montagne des Volsques, qui jusques à ce jour d'hui est nommée Circée, du nom d'icelle. Or combien que l'on ne trouve rien écrit d'une tant fameuse Dame, sinon par les poètes, néanmoins, récitant brièvement ce qu'ils en écrivent, nous déclarerons l'opinion de ceux qui prêtent foi à son histoire, en tant que mon petit pouvoir se pourra étendre.

Ils disent donc que tous navigateurs qui volontairement ou par fortune de mer prenaient port sur les marches de son mont pour lors île, étaient par son art et enchantements, ou avec quelques breuvages ensorcelés, transformés en diverses sortes de bêtes ; entre lesquels furent les compagnons d'Ulysse durant les navigations. Mais lui, étant échappé de ses sorcelleries moyennant le conseil de Mercure, avec l'épée nue en la main, menaça de la tuer si elle ne les remettait tous en leur première forme. Quand elle eut fait ce qu'il demandait, Ulysse demeura avec elle un an tout entier, durant lequel temps elle eut de lui un fils nommé Théologon ; puis s'en partit finalement, plein de bon conseil.

Quant à moi, j'estime que sous ces déguisements y a quelque entente cachée ; car quelques uns disent que cette Circé fut une Dame très puissante en faits et en paroles, laquelle habitant (comme j'ai dit) en Italie, non trop loin de la ville de Gaète en Campanie, ne se soucia jamais de souiller sa pudicité, pourvu qu'elle parvînt à ce qu'elle désirait ; et ainsi induisait plusieurs personnages qui prenaient terre en son île non seulement à faire ses vouloirs mais aussi, avec ses douces et amoureuses paroles, les faisait devenir amoureux d'elle, contraignant par telle manière les uns à brigander sur la mer, les autres, oubliant toute honnêteté, à exercer marchandise en toute tromperie, et les autres, qu'elle feignait aimer par-dessus tout, faisait monter en orgueil extrêmement grand. Tellement que ceux qui se laissèrent emporter l'entendement par le moyen de telle Dame, étaient à bon droit réputés être transmués par icelle en ces bêtes qui avaient quelque conformité aux vices desquels ils étaient entrepris. Suivant lesquelles considérations nous pourrions facilement comprendre, prenant garde aux manières de vivre de plusieurs hommes et femmes d'aujourd'hui, qu'il se trouve beaucoup de Circés par le monde, et plus grand nombre d'hommes transformés en bêtes par leurs vices, qu'il n'y en avait pas pour lors. Au regard de ce qu'Ulysse fut conseillé par Mercure, on peut apertement connaître qu'il s'entend que l'homme prudent ne se laisse endormir du babil affeté de ces femmes rusées, mais plutôt, par ses bonnes remontrances, réveille ceux qui sont endormis. Du surplus, il est assez manifeste qu'il appartient à l'Histoire, étant chose vraie et non pas fiction poétique, qu'Ulysse demeura quelque temps avec Circé. Outre tout ce que dessus on trouve par écrit que cette Dame fut femme de Picus, fils de Saturne, roi des Latins et qu'elle lui apprit l'art de devinement ; mais puis après, par jalousie de ce qu'il aimait une nymphe nommée Pomone, le transforma en un oiseau qui toujours depuis a retenu son nom. Laquelle poésie signifie que ce Picus était un oiseau domestique et privé du chant et maintien duquel son mari voulait prendre les augures des choses futures ; et pour ce qu'il se gouvernait et passait sa vie selon les augures qu'il prenait de cet oiseau, on disait qu'il était transmué en icelui. Au demeurant, je ne trouve point quand, comment et où mourut Circé.