Plutarque

[993] SUR L'USAGE DES VIANDES. DISCOURS PREMIER. (993a) Vous me demandez pour quelle raison Pythagore s'abstenait de manger de la chair de bête ; mais moi je vous demande avec étonnement quel motif ou plutôt quel courage eut celui qui le premier approcha de sa bouche une chair meurtrie, qui toucha de ses lèvres les membres sanglants d'une bête expirante, qui fit servir sur sa table des corps morts et des cadavres, et dévora des membres qui, le moment d'auparavant, bêlaient, mugissaient, marchaient et voyaient? Comment ses yeux purent-ils soutenir l'aspect d'un meurtre? comment put-il voir égorger, écorcher, déchirer un faible animal? comment put-il en supporter l'odeur? comment ne fut-il pas dégoûté et saisi d'horreur quand il vint à manier l'ordure de ces plaies, à nettoyer le sang noir qui les couvrait ? (993c) "Les peaux rampaient encore sur la terre écorchées; Les chairs dans son foyer mugissaient embrochées; Et l'homme dans son sein les entendit gémir". Ces vers d'Homère ne sont qu'une fiction ; mais quel repas monstrueux que d'assouvir sa faim d'animaux encore mugissants, que de se faire apprêter des bêtes qui respiraient, qui parlaient encore, que de prescrire la manière de les cuire, de les assaisonner et de les servir ! C'est de ceux qui commencèrent ces horribles festins, et non de ceux qui les ont enfin quittés, qu'on a lieu de s'étonner.