Dans l'Iliade, ( II, 221 sqq), Thersite l'effronté est présenté comme une caricature, un avorton dont la présence est une insulte aux héros qui siègent au conseil d'Agamemnon :

αἴσχιστος δὲ ἀνὴρ ὑπὸ Ἴλιον ἦλθε:
φολκὸς ἔην, χωλὸς δ᾽ ἕτερον πόδα: τὼ δέ οἱ ὤμω
κυρτὼ ἐπὶ στῆθος συνοχωκότε: αὐτὰρ ὕπερθε
φοξὸς ἔην κεφαλήν, ψεδνὴ δ᾽ ἐπενήνοθε λάχνη.
ἔχθιστος δ᾽ Ἀχιλῆϊ μάλιστ᾽ ἦν ἠδ᾽ Ὀδυσῆϊ:
τὼ γὰρ νεικείεσκε:

C'est l'homme le plus laid qui soit venu sous Ilion. Bancroche et boiteux d'un pied, il a de plus les épaules voûtées, ramassées en dedans. Sur son crâne pointu s'étale un poil rare. Il fait surtout horreur à Achille et à Ulysse, qu'il querelle sans répit.

C'est qu'il est aussi particulièrement indiscret et provocateur. Au début de l'Iliade, il s'en prend à Agamemnon et à ses privilèges, mais Ulysse a tôt fait de le remettre à sa place :

εἴ κ᾽ ἔτι ς᾽ ἀφραίνοντα κιχήσομαι ὥς νύ περ ὧδε,
μηκέτ᾽ ἔπειτ᾽ Ὀδυσῆϊ κάρη ὤμοισιν ἐπείη,
μηδ᾽ ἔτι Τηλεμάχοιο πατὴρ κεκλημένος εἴην,
εἰ μὴ ἐγώ σε λαβὼν ἀπὸ μὲν φίλα εἵματα δύσω,
χλαῖνάν τ᾽ ἠδὲ χιτῶνα, τά τ᾽ αἰδῶ ἀμφικαλύπτει,
αὐτὸν δὲ κλαίοντα θοὰς ἐπὶ νῆας ἀφήσω
πεπλήγων ἀγορῆθεν ἀεικέσσι πληγῇσιν.
ὣς ἄρ᾽ ἔφη, σκήπτρῳ δὲ μετάφρενον ἠδὲ καὶ ὤμω
πλῆξεν: ὃ δ᾽ ἰδνώθη, θαλερὸν δέ οἱ ἔκπεσε δάκρυ:
σμῶδιξ δ᾽ αἱματόεσσα μεταφρένου ἐξυπανέστη
σκήπτρου ὕπο χρυσέου: ὃ δ᾽ ἄρ᾽ ἕζετο τάρβησέν τε,
ἀλγήσας δ᾽ ἀχρεῖον ἰδὼν ἀπομόρξατο δάκρυ.
οἳ δὲ καὶ ἀχνύμενοί περ ἐπ᾽ αὐτῷ ἡδὺ γέλασσαν:

"Que je te trouve encore à faire l'idiot, comme tu le fais, et je veux que cette tête cesse de surmonter les épaules d'Ulysse, je veux même cesser d'être appelé père de Télémaque, si je ne te prends, ne t'enlève tes hardes, le manteau et la tunique qui couvrent ta virilité, et ne te renvoie de l'assemblée aux fines nefs, tout en larmes, honteusement roué de coups". Il dit, et de son sceptre il le frappe au dos, aux épaules. L'autre ploie l'échine, et de grosses larmes coulent de ses yeux : une bosse sanguinolente a sailli sur son dos au choc du sceptre d'or. Il s'assied, pris de peur et sous la souffrance, le regard éperdu, il essuie ses larmes. Et malgré tout leur déplaisir, les autres à le voir ont un rire content.

Voilà la seule apparition - édifiante - de Thersite chez Homère. Mais un résumé de l'Ethiopide, un poème d'Arctinos de Milet appartenant au Cycle homérique, nous a été transmis par Proclus dans sa Chrestomathie : il nous donne une précision très intéressante sur la mort de Thersite.

Ἀμαζὼν Πενθεσίλεια παραγίνεται Τρωσὶ συμμαχήσουσα, Ἄρεως μὲν θυγάτηρ, Θρᾷσσα δὲ τὸ γένος· καὶ κτείνει αὐτὴν ἀριστεύουσαν Ἀχιλλεύς, οἱ δὲ Τρῶες αὐτὴν θάπτουσι. καὶ Ἀχιλλεὺς Θερσίτην ἀναιρεῖ λοιδορηθεὶς πρὸς αὐτοῦ καὶ ὀνειδισθεὶς τὸν ἐπὶ τῇ Πενθεσιλείᾳ λεγόμενον ἔρωτα· καὶ ἐκ τούτου στάσις γίνεται τοῖς Ἀχαιοῖς περὶ τοῦ Θερσίτου φόνου. μετὰ δὲ ταῦτα Ἀχιλλεὺς εἰς Λέσβον πλεῖ, καὶ θύσας Ἀπόλλωνι καὶ Ἀρτέμιδι καὶ Λητοῖ καθαίρεται τοῦ φόνου ὑπ’ Ὀδυσσέως.

L'Amazone Penthésilée vient secourir les Troyens en combattant à leurs côtés ; elle est fille d'Arès et d'origine thrace. Achille la tue alors qu'elle accomplissait des exploits, et les Troyens l'ensevelissent. Achille fait périr Thersite qui l'a injurié et lui a reproché son prétendu amour pour Penthésilée. Une dispute s'ensuit entre Achéens, à propos du meurtre de Thersite. Alors Achille se rend à Lesbos, et après avoir offert un sacrifice à Apollon, Artémis et Létô, il est purifié de son meurtre par Ulysse.

A l'époque romaine, cette histoire sera confirmée dans l'Epitome d'Apollodore (V, 1), qui semble se contenter de reprendre les données du Cycle homérique, mais développée dans une grande scène des Posthomerica, (I, 722 sqq) de Quintus de Smyrne.

A l'exception d'une brève allusion chez Sophocle (Philoctète, v.442), qui confirme son caractère désagréable, nous trouvons peu de traces de Thersite chez les classiques grecs, et il faut attendre le développement de la mythographie à Rome pour voir réapparaître ce personnage. Apollodore en particulier fait état de son passé avant la guerre de Troie dans sa Bibliothèque (I, 8, 6) :

[6] οἱ δὲ Ἀγρίου παῖδες, Θερσίτης Ὀγχηστὸς Πρόθοος Κελεύτωρ Λυκωπεὺς Μελάνιππος, ἀφελόμενοι τὴν Οἰνέως βασιλείαν τῷ πατρὶ ἔδοσαν, καὶ προσέτι ζῶντα τὸν Οἰνέα καθείρξαντες ᾐκίζοντο. ὕστερον δὲ Διομήδης ἐξ Ἄργους παραγενόμενος μετ᾽ Ἀλκμαίωνος κρύφα τοὺς μὲν Ἀγρίου παῖδας, χωρὶς Ὀγχηστοῦ καὶ Θερσίτου, πάντας ἀπέκτεινεν (οὗτοι γὰρ φθάσαντες εἰς Πελοπόννησον ἔφυγον), τὴν δὲ βασιλείαν, ἐπειδὴ γηραιὸς ἦν ὁ Οἰνεύς, Ἀνδραίμονι τῷ τὴν θυγατέρα τοῦ Οἰνέως γήμαντι δέδωκε, τὸν δὲ Οἰνέα εἰς Πελοπόννησον ἦγεν. οἱ δὲ διαφυγόντες Ἀγρίου παῖδες ἐνεδρεύσαντες περὶ τὴν Τηλέφου ἑστίαν τῆς Ἀρκαδίας τὸν πρεσβύτην ἀπέκτειναν. Διομήδης δὲ τὸν νεκρὸν εἰς Ἄργος κομίσας ἔθαψεν ἔνθα νῦν πόλις ἀπ᾽ ἐκείνου Οἰνόη καλεῖται, καὶ γήμας Αἰγιάλειαν τὴν Ἀδράστου, <ἢ> ὡς ἔνιοι φασι τὴν Αἰγιαλέως, ἐπί τε Θήβας καὶ Τροίαν ἐστράτευσε.

[6] Les fils d'Agrios, Thersite, Onchestos, Prothoos, Céleutor, Lycopée et Mélanippos, arrachèrent le royaume à Oenée, et le donnèrent à leur père. Ils laissèrent Oenée en vie, mais toujours en proie aux tourments. Par la suite, Diomède revint en secret à Argos, en compagnie d'Alcméon, et tua tous les fils d'Agrios, excepté Thersite et Onchestos qui réussirent à s'enfuir dans le Péloponnèse. Comme Oenée était désormais trop vieux, Diomède confia le royaume à Andræmon, qui avait épousé la fille d'Oenée ; et ce dernier se rendit avec lui dans le Péloponnèse. Les fils d'Agrios, qui étaient parvenus à s'enfuir, tendirent une embuscade, aux environs du foyer de Télèphe, et tuèrent le vieillard. Diomède emporta son corps à Argos et l'ensevelit dans cette partie de la cité qu'aujourd'hui, de son nom, on appelle Onoé. Puis il épousa Égialée, la fille d'Adraste, ou peut-être d'Égialé, comme certains le soutiennent, et il participa à l'expédition contre Thèbes et contre Troie.

Comme cette histoire se rattache aux cycles des Sept contre Thèbes et des Epigones, il est possible que Thersite ait été l'un des protagonistes d'une tragédie perdue, et qu'Apollodore ne fasse que reprendre une tradition dont nous ne savons plus rien.

Mais assez tôt, au moins depuis Sophocle et assez systématiquement sous l'Empire, Thersite sert d'exemple aux moralistes pour illustrer tel ou tel aphorisme. Par exemple dans les Amours d'Ovide (II, 6, 41), il prouve que les méchants ont la vie dure et que les bons partent toujours les premiers : "Presque toujours les mains avares de la mort nous enlèvent d'abord les plus belles choses, et laissent s'accomplir la destinée des plus mauvaises. Thersite vit les tristes funérailles de Phylacidès, et Hector était réduit en cendres, que ses frères vivaient encore." Dans un dialogue de Lucien (Dialogues des morts, 25), Thersite et Nirée aux Enfers se demandent lequel des deux est le plus beau et prennent Ménippe pour juge qui répond avec sagesse : "Vous n'êtes beaux ni l'un ni l'autre ; l'égalité règne aux enfers ; vous vous ressemblez tous !"

Mais la variation la plus intéressante nous vient de l'antiquité tardive : au IVe siècle après JC, Libanios compose un paradoxal Eloge de Thersite, dans lequel le vilain petit canard d'Homère devient le héros de la παρρήσια, la liberté de parole... :


Dans la littérature européenne moderne

A l'image du Thersite de Libanios, le Thersite moderne prend un tout autre relief. Voici une brève bibliographie, à compléter :


Références des traductions