© Arnaud Dulac

La cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Perpignan possède, comme quasiment tous les sanctuaires du diocèse de Perpignan, une Vierge mannequin du XVIIIe siècle qui était somptueusement habillée pour participer aux processions. La remise en valeur de cette sculpture ainsi que son habillage rendu possible par la redécouverte de son vestiaire permet, par la description des différents éléments qui la composent, de découvrir une pratique disparue dans de nombreuses autres régions d'Europe. Cette tradition a récemment été très bien décrite par M.Albert-Llorca dont l'enquête a pris en compte le Roussillon (1).

Habiller les statues de saints

Habiller les statues de divinités est probablement une pratique antérieure au christianisme et qui remonte à la plus haute Antiquité. Elle s'est perpétuée jusqu'à nos jours.

Ces statues, en Catalogne et en Roussillon, portaient de vrais habits à l'identique d'une femme de haut rang, les robes étant souvent données par dévotion et retaillées à la taille de la statue. Il peut s'agir de robes de mariées ou d'apparat si la Vierge est dite «joyeuse», ou de robes de deuil, voire de mariage (robes traditionnellement noires dans les Pyrénées) pour les Vierges «douloureuses». En effet, nous trouvons deux principaux types de Vierges : celles dont le visage plein de mélancolie et de tristesse est en relation avec la Semaine Sainte, ou bien au contraire, pour les fêtes de Pâques (procession du Ressuscité) ou du 15 août, celles qui possèdent un visage tendre et ébahi (2). Ce second type d'expression se retrouve dans le visage de la Vierge de la Cathédrale dont l'expression étonnée s'adapte autant à la tristesse qu'à la joie, en fonction de l'habillement et des circonstances du calendrier liturgique.

Processions, utilité du mannequin

La Vierge de la Sacristie était portée en procession, comme l'attestent les deux orifices réalisés dans le socle de la statue permettant de visser l'ensemble à un portant. Le procédé de construction de la statue, (elle se démonte facilement), a aussi pour principal intérêt de la rendre très légère et de faciliter son portement, par des hommes sous l'Ancien Régime, puis par des jeunes filles aux XIX et XXe siècles. A la cathédrale de Perpignan, celles qui appartenaient à la confrérie de l'Immaculée Conception étaient très actives dans l'aménagement de leur chapelle (3). L'articulation des bras facilite l'habillage, d'autant qu'il n'est pas possible, au contraire d'autres statues de ce type, d'enlever les mains (4). Les barres de fer et les articulations des bras permettent une certaine élasticité qui, lors des processions, donne une impression de mouvement.

Des textes anciens

Dans le diocèse de Perpignan, l'habillement des Vierges est attesté d'une manière extrêmement précise en 1707 (5). La description due à un prêtre extérieur au diocèse a pour avantage d'apporter un regard neuf sur cette pratique. Il est témoin de la procession du Jeudi Saint, où, à la fin du cortège était portée une Vierge «habillée à la Catalane en noir d'une propreté enchantée ayant une espèce de rochet comme le portent nos religieuses de saint Augustin ; mais d'une gaze des plus fines ; elle est à genoux devant une très haute croix». Le religieux assiste aussi à la procession de Pâques. A cette occasion, une robe à la française, apanage des classes aisées et encore qualifiées de robes «à la gavache» (6), est prêtée pour habiller la Vierge de la Pietà de l'église La Réal (7). «On l'a revestue cette année d'un habit à la françoise assez magnifique ; aussi est-ce une dame de qualité qui le preste ; il est de damas blanc avec des fleurs d'or au bas de la jupe ; un grand galon d'or et une frange de même, une frange d'or aux manches du manteau, de belles engageantes, la gorge couverte d'une collerette de belles dentelles».

Au début du XIXe siècle, au gré des inventaires du mobilier des fabriques, nous savons que certaines Vierges possédaient plusieurs robes de différentes couleurs, certaines en soie et d'autres en cotonnades (8). La perruque de cheveux naturels est aussi un accessoire obligatoire. La fragilité de cette matière provoquait toutefois son constant renouvellement (9). Les cheveux étaient relevés au niveau des oreilles pour être agencés et resserrés dans un chignon ou une coiffe. Aucune de ces Vierges n'aurait pu montrer, pour des raisons symboliques, ses cheveux libres et descendant jusqu'aux épaules.

A l'extrême fin du XVIIIe siècle, en période de re-christianisation, le sculpteur François Boher (1769-1825) réalise la statue de la Vierge de la Soledat, très vénérée à l'église La Réal de Perpignan, en lui donnant les traits de son épouse, mademoiselle Arnaud, fille de l'organiste de cette église. Présent à Perpignan par ses attaches familiales, actif dans le milieu intellectuel et artistique de la période révolutionnaire, c'est l'Inspecteur des Arts et Métiers Frion, modèle du peintre David, qui réalisa la première robe de cette Vierge (10).

Historique/découverte

© Laurent Fonquernie

Début 2003, la statue a été découverte au fond d'un placard de la grande sacristie de la cathédrale de Perpignan, démontée en deux parties et sans aucun habit. De minutieuses recherches dans les placards des sacristies ont permis de mettre la main sur des lots épars de vêtements qui semblaient tous correspondre à ceux de la Vierge, des robes mais aussi des vêtements de dessous ou des tabliers. Par analogie avec l'église de Baixas, à 15 km au nord de Perpignan, il a semblé évident que la statue était, à l'origine, remisée dans une grande armoire vitrée qui se trouve dans la grande sacristie. Celle-ci a été transformée dans les années 1960 en vitrine pour l'orfèvrerie. La relégation de la Vierge au placard de la grande sacristie daterait donc au moins de cette période, au moment où le Concile Vatican II préconisait un retour à la simplicité et une méfiance envers les images baroques ou excessives. La trop grande vérité d'aspect, renforcée par les yeux en verre, une carnation blanchâtre et surtout l'ajout d'une perruque de cheveux naturels aura alors été jugée non conforme au lieu et aux nouvelles formes de dévotion. La problématique du bon goût est très bien décrite dans les mémoires de l'érudit Anton de Siboune : «Je dois avouer que, malgré les règles de l'esthétique, j'aime ces statues habillées que je vois dans toutes les églises de mon pays. Je sais bien qu'au point de vue du goût j'ai peut être tort... Ces manifestations primitives de l'art ont été les premières à frapper mon imagination d'enfant. Je remarque que mes compatriotes sont comme moi, ils aiment ces Vierges aux costumes étincelants de pierreries ou aux vêtements lugubres, selon les circonstances» (11). Pourtant de nombreuses statues sont entreposées hors Semaine Sainte dans les sacristies, dans une armoire prévue à cet effet. Peu de preuves attestent par contre de leur mise en place le reste de l'année dans les niches des retables de la Sang, au pied du Crucifix. Quelquefois cohabitent deux Vierges, celle des douleurs qui reste exposée dans la chapelle de la sanch et celle de Pâques (dite du Ressuscité) qui est enfermée le reste de l'année.

Etat descriptif

La sculpture mesure 158 cm. Elle est composée d'un tronc central en bois de pin pour la tête et le buste, fixé par des barres métalliques vissées au niveau de la taille. Cette armature, constituée de trois tiges dont deux traversent les pieds en bois, est vissée au socle. Il apparaît qu'elle est venue remplacer une armature postérieure en bois. Les bras, en plusieurs parties, possèdent des articulations au niveau des épaules et des coudes. Une tige et deux écrous en fer forgé permettent de resserrer l'articulation des coudes. Les pieds tout comme les autres parties visibles de l'ensemble sont très soignés. La Vierge porte des sandales de style spartiates. Le socle est peint en faux marbre. Cette statue, due à un très bon sculpteur roussillonnais de la fin du XVIIIe siècle, malheureusement anonyme, possède les caractéristiques du style néoclassique (12). Lors de la restauration, le parti a été pris du retour à la carnation d'origine, plus sombre, alors qu'une seconde couche donnait au visage un teint de porcelaine.

© Giorgio Bedani
Atelier de restauration ACRA
Ille sur Tet

Les robes

Robe blanche : robe en soie moirée blanche d'une seule pièce, avec ouverture boutonnée dans le dos. Le bas des manches et de la robe présente un décor brodé au fil d'or. La découpe de la robe fait une traîne, avec forme tournure.

L devant : 125 cm
L traîne : 155 cm

Robe écrue : robe en soie moirée écrue d'une seule pièce, avec ouverture boutonnée dans le dos, de forme pratiquement identique à la précédente. Le décor de broderies est beaucoup plus fin et ne concerne que le fond de la robe. Les manches sont rétrécies sur une dizaine de centimètres pouvant provoquer une impression de manches à gigots. La traîne est moins prononcée.

L devant :127 cm
L traîne :144 cm

Vierge avant restauration
Robe du XIXe siècle
© Michel Jauze

Robe noire : robe en rayonne noire avec petite dentelle gansée à l'encolure et aux poignets. Ouverture boutonnée à l'arrière.

L devant : 128 cm

Voile : un grand voile en tulle ajouré blanc se positionnait sur la tête, il pendait le long des bras et étaient fixé au petit doigt de chaque main par deux orifices pratiqués dans les angles du voile : 170 x 120 cm

Les capes et la ceinture

Capes : deux capes identiques en tissu lustré bleu roi, avec broderies au fil d'or sur tous les bords, boucle de fixation en métal, doublure blanche, et présentant une dissymétrie au niveau des deux côtés, avec une différence d'une trentaine de centimètres. Cette particularité peut s'expliquer par une présentation des bras lors de l'usage de la cape. Il est en effet de tradition d'élever le bras droit de ces Vierges, muni d'un bouquet pour la procession de Pâques.

Encolure : 69, côté droit : 130, côté gauche : 98, L milieu : 128.
Encolure : 66, côté droit : 121, côté gauche : 101, L milieu : 126.

Ceinture : une ceinture composée de trois éléments : la ceinture proprement dite en tissu bleu roi, brodé de l'inscription AVE MARIA entre deux fleurs de lys, deux cordons jumeaux pendants cousus à la ceinture et décorés de paillettes de métal doré et dentelles fil d'or.

L : 63, l : 5,5, cordons : 62 cm.

Parures

Les parures de la Vierge sont au nombre de trois :

Bijoux : La présence de bijoux est attestée par le fait que les oreilles sont trouées et qu'un anneau lui-même orné d'un orifice permet d'y passer des boucles d'oreilles. De nombreuses statues de Vierges ou de Saintes offrent la possibilité d'accrocher des boucles d'oreilles que la dévotion populaire a fait promettre à ces statues. La bijouterie traditionnelle en serti clos argent et strass est très répandue dans le panel de bijoux votifs des Vierges du Roussillon.

Couronne : le haut de la tête de la statue montre des pas de vis ornés de petits écrous d'argent qui servent à fixer solidement une couronne. Les recherches ont permis de retrouver parmi l'argenterie de la cathédrale une couronne en argent ornée de strass montés selon la méthode roussillonnaise (serti clos dressé sur paillon). Plus récente, les poinçons ont permis de la dater des années 1880/1900 et de l'attribuer avec certitude à l'orfèvre perpignanais Paul Soulié (1848-1906). Elle se présente sous forme d'un diadème fermé où s'enchevêtrent des feuilles de laurier et d'olivier laissant transparaître le monogramme A.M. (Ave Maria). Sur la partie transversale se trouve une demi-auréole découpée de rayons terminés par des étoiles ornées en leur centre d'un strass sur paillon.

Couronne, début XIXe, orfèvrerie perpignanaise, argent et strass en serti clos, © Arnaud Dulac

Coeur aux sept glaives : découverte dans le tiroir de l'armoire, cette broche de grande taille représente un coeur enflammé transpercé de sept glaives simulant les sept douleurs de la Vierge. C'est une plaque d'argent découpée et martelée de manière à lui donner un aspect convexe. Les glaives sont tous moulés à l'identique et soudés au coeur. Il s'agit de l'attribut principal des Vierges douloureuses qui ornent les retables de la Sanch et dont certaines participent aux processions de la Semaine Sainte.

Coeur aux sept glaives, © Arnaud Dulac

Armoire

A l'identique des Vierges habillées de Catalogne Sud, la Vierge de la cathédrale possède une armoire vitrée qui permet de l'exposer tout en la protégeant de la poussière. Cette armoire haute de 2,45 mètres, large de 1,07 mètres et profonde de 0,72 mètres est une réalisation de menuisier. Elle est en bois peint et doré, possède un tiroir en fond pour ranger certaines pièces du vestiaire. L'intérieur est décoré d'une peinture à l'eau de couleur bleue, avec des étoiles dorées au pochoir. La porte vitrée et le tiroir sont munis d'une serrure.

Les Vierges et statues-mannequin de procession du diocèse de Perpignan posent un cas concret de la sacralisation d'un objet par la magnificence d'un habillement. Sans habits, la statue n'est rien, elle ne peut en aucun cas servir au culte. En revanche, le fait d'habiller ces statues a développé une forme particulière de dévotion qui au cours du XIXe siècle est souvent devenue familiale, particulièrement féminine et qui permettait de montrer à la fois l'importance de sa dévotion et celle de son rang. Le cas des pratiques familiales liées bien souvent à l'attribution de l'entretien d'une chapelle semble toutefois être récente. Il semble que, aux XVIII et XIXe siècles, il faille chercher des informations sur ces statues dans les comptes des confréries. Le droit de porter en procession la Vierge de toute façon était réservé aux hommes et quelquefois aux «fadrins» (13) sous l'Ancien Régime. Au XIXe siècle, les femmes se sont accordé à la fois le droit d'habiller les Vierges mais aussi de porter la Vierge en procession. Il s'agit donc d'une pratique récente due autant à la méconnaissance des pratiques votives d'Ancien Régime qu'au manque d'hommes dans les pratiques dévotionnelles en Roussillon. Aujourd'hui, cette tradition est souvent sporadique et nécessiterait beaucoup plus de goût et d'attention, notamment dans la mise en volume de ces statues. Espérons que cette modeste étude pourra aider à resacraliser la beauté de ces visages et de ces mains que nous ont laissés les artistes nord Catalans.

© Arnaud DULAC

La nouvelle robe pour le matin de Pâques 2006
© Noel Hautemanière

De nouveaux habits pour la Vierge

Suite à l'inventaire des robes de la Vierge de la Sagristia, l'association culturelle de la cathédrale s'est mise en quête de renouveler le vestiaire de la statue de manière à protéger les vêtements anciens. L'appel de l'association a vite trouvé écho dans le dévouement des couturiers José et Irène Capella qui, aidés de Michel Fonquergne, ont réalisé deux nouvelles robes. La robe noire a été en partie un réemploi d'une robe de Vierge cédée gracieusement par Mr Serre, et qui a demandé quelques retouches ainsi que la création d'un jupon pour rallonger le bas de robe.

La robe blanche était une robe que Mr et Mme Capella avaient réalisée pour un mariage à la cathédrale il y a plus de trente ans. Cette robe, suite à des circonstances quelques peu dramatiques, leur avait été rétrocédée et dormait depuis dans leur grenier. La soie en parfait état a été agrémentée durant presque deux mois de décorations brodées au fil d'or qui ont adapté à un usage religieux ladite robe.

Les deux robes ont donc retrouvé usage et vie lors des fêtes de Pâques 2004.


La Vierge sous baldaquin 2007
© Laurent Fonquernie


© Laurent Fonquernie


(1) Albert-Llorca, Marlène, La Vierge mise à nu par ses chambrières, CLIO, n° 2-1995. http://clio.revues.org/document494.html
(2) La fondation de la procession de Pâques à Vinça par la Dame de Collares ne date que de 1634 (A. Cazes, Conflent, St Julien de Vinça.)
(3) Les archives de cette confrérie sont inédites et très laconiques. Nous pouvons toutefois penser que cette statue était un bien géré par cette association, ou par une des grandes familles qui entretenaient les chapelles particulières de la cathédrale.
(4) Certains avant-bras peuvent se dévisser.
(5) Colomer, Le clergé régulier sous l'Ancien Régime, vol.104 de la SASL (1996)
(6) A la française, expression souvent péjorative, le Roussillon n'étant français que depuis un cinquantaine d'années.
(7) Colomer, op.cit., p.142.
(8) A Bouleternère par exemple, la Vierge possédait cinq robes d'indiennes et une de soie en 1804. (Paulet, abbé C., Bouleternere, notes historiques, 1981, p.185)
(9) On peut imaginer là aussi un geste pieux de don de sa chevelure lors d'un événement grave ayant demandé l'intervention de la Vierge.
(10) Cité par Caffe, H. dans la revue Reflets du Roussillon.
(11) Siboune, Anton de, Mon Vieux Céret, s.d.
(12)La Vierge a été restaurée par l'atelier ACCRA d'Ille sur Tet (66), agréé MH.
(13) Littéralement : jeunes hommes célibataires