5 - Le costume roussillonnais des années 1910-1920
A partir de 1910, l’abandon du corset permet aux silhouettes féminines de s'allonger de nouveau, tout en conservant des jupes encore assez longues. Le vêtement se simplifie. On note un retour de la taille haute. Pour l’hiver, la fourrure est à la mode, elle se porte le plus souvent en étole.
C'est le retour de la jupe étroite, du corsage en dentelle et du grand chapeau l’été. La sveltesse est à la mode, et dans cet esprit, les accessoires comme le sac à main, la bourse ou le réticule se portent à la main ou suspendus à l’avant-bras. Le corset a adopté une ligne normale, puis disparaît complètement, peu avant la Grande Guerre, avec l’influence du créateur Paul Poiret.
La coiffe trouve son tout dernier aboutissement avant de disparaître elle aussi peu à peu du quotidien. On la retrouve portée par quelques adeptes le dimanche, en société dans les milieux bourgeois régionalistes, ou encore à l’occasion de la photographie d’art en atelier. Elle possède alors la forme la plus imposante qu’elle ait connue, et se porte le plus en arrière possible. Signe d’un passé bien révolu, une petite fille habillée en Catalane pour un carnaval indique le passage définitif de la mise quotidienne du costume traditionnel au royaume des déguisements enfantins…
Petite fille habillée en CatalaneEn 1910, les fêtes catalanes font revivre les costumes du passé comme un besoin de montrer l’attachement d’une partie de la population roussillonnaise à sa langue, à ses usages et à ses costumes. Cette petite fille a donc été costumée en Catalane, avec un châle à franges peint de motifs floraux, une jupe et un petit tablier, des espadrilles à lacets et bien entendu d’une très belle coiffe en dentelles. Cliché anonyme |
Enfants en costume de carnaval (à gauche) Sur ce cliché pris en atelier, les enfants Jacques Velzy, Louise et Henriette Campanaud sont très finement costumés pour le carnaval de Perpignan. Cette fête remise au goût du jour en 1896 par le comité de bienfaisance de la ville permet aux grandes familles de se mettre en scène au travers de chars patiemment décorés ou de loges louées sur l’emplacement du corso, la fameuse promenade des platanes. Enfants (à droite) Cette photographie d’atelier montre trois enfants d’une même famille. Les deux filles portent des robes identiques avec de superbes cols en dentelle. On a l’habitude alors de porter des bottines fermées avec de multiples boutons. |
Enfants habillés en pénitentsLes enfants participaient aux fêtes religieuses avec leurs propres costumes comme ici pour la Semaine Sainte. Les processions qui se déroulaient dans les différentes églises de la ville de Perpignan donnaient l’occasion de voir ces petits pénitents vêtus de robes de velours noir agrémentés de dentelles et arborant des emblèmes de la passion du Christ, comme ici, le coq du reniement de saint Pierre. |
Garçon habillé en évêqueLa Semaine Sainte n’était pas la seule occasion de faire revêtir des costumes particuliers aux enfants. Tradition provenant de l’Ancien Régime, la procession du Corpus était aussi un événement où l’on pouvait apercevoir dans le cortège des enfants travestis en saints dans les rues de Prades. |
Jeune mère et sa filleCette jeune maman porte une robe d’été à la mode du moment, la taille assez haute en cotonnade rayée, avec col marin. Elle porte la coiffe le plus en arrière possible en mettant en évidence la frange de cheveux relevés. La petite fille, quant à elle, se distingue par un simple nœud dans les cheveux, une robe droite sans taille et un col large en dentelle. |
Voici apparaître la première photographie en couleur. Cette invention se cantonnera dans les milieux bourgeois comme ici. On notera l’habit d’intérieur, chemisier en dentelle et robe longue serrée de la femme, ainsi que le costume de l’enfant qui a délaissé son nounours près du bouquet de mimosas au profit de la lecture d’un album. |
Portrait de groupe en extérieur (à gauche) Nous sommes le 1er août 1910 à Pézilla-la-Rivière chez le jeune Léon Castanier, qui se prête au jeu de la photographie intime des jours de fêtes. Les robes ont encore un côté Belle Epoque avec des jupes longues et évasées, une taille affinée par ceinture et corset, et un chemisier au col fin et large. Les coiffures des deux femmes sont aussi à la mode 1900. Portrait de groupe à Canet Plage (à droite) Malgré l’état du cliché, ce portrait en pied de quatre jeunes femmes, pris le 17 septembre 1911 à Canet-Plage, montre la rapide évolution des coupes et silhouettes juste avant la guerre de 1914. Il s’agit d’une transition vers des robes plus pratiques, moins entravées. |
Jeune femme à la robe d'étéA Canet, l’été 1911 voit apparaître d’étranges robes comme celle-ci, proche des aspirations d’un certain Art nouveau à la Klimt, ou des nouveaux modèles lancés à Paris par Paul Poiret. Ce grand créateur supprime la ceinture médiane pour revenir à un modèle de robes étroites, à la taille sous les seins, marquée par un ruban. |
Groupe en habits du dimancheA Perpignan, le groupe photographié dans la rue par Léon Castanier prend la pose lors de la fête du quartier Saint Mathieu à Perpignan le 14 septembre 1911. On voit que les femmes portent encore de volumineux chapeaux, et ont des tailles très fines dues à l’usage de corsets. |
Justine PayretLa guerre a une influence sur les robes qui deviennent plus pratiques, les femmes devant très souvent remplacer les hommes partis se battre dans les tranchées. On notera le sautoir fait de grosses perles, accroché à la taille avec la montre, les cheveux de plus en plus courts, et la silhouette qui peu à peu est moins marquée à la taille. |
Marie Velzy en 1916Pendant la guerre, les robes ont timidement raccourci, laissant apparaître des souliers élégants à haut talons. La taille est moins marquée et la robe juponnante et clochetante, couverte de volants est noire, preuve du retentissement de l'état de guerre sur toutes les familles françaises. |
Jeune fille en rosièreLa jeune fille vêtue de blanc est soit une demoiselle d’honneur, soit l’une des jeunes filles de Banyuls-sur-Mer qui lors de la fête du Rosaire, effectuaient le Ball del Roser, danse traditionnelle en couple. Les origines de ces costumes et danses sont intimement liées aux confréries religieuses et à leur vocation d'offrir aux jeunes filles les plus nécessiteuses l’habit nuptial. |
Portrait de jeune femmePour cette photo en studio, une jeune Roussillonnaise prend la pose en cheveux assez courts, robe à la mode, taille haute, légère et transparente et dont la hauteur à la cheville laisse voir de splendides escarpins à nœuds. |
Groupe à Font-Romeu en 1917Malgré les rumeurs de la guerre, la société roussillonnaise vit sur ses acquis et sur toutes sortes de commerces lucratifs induits par celle-ci, comme le commerce du vin, des espadrilles et du drap pour les militaires. Les épouses se retrouvent l’été en Cerdagne, en villégiature à Font-Romeu, comme ici en 1917. La récession se retrouve toutefois dans le fait que beaucoup de choses ont alors raccourci, chapeaux, jupes, cheveux….comme un signe du malheur du temps. |
Portrait de femmeCette campagnarde porte le costume traditionnel le plus usuel des femmes de basse condition, qui ont gardé une mise traditionnelle avec le fichu noué sur le coté, et le tablier à poches, noué devant et couvrant la moitié de la jupe. |
Marie Velzy à Vichy en 1919La bourgeoisie perpignanaise fréquentait les villes d’eaux et il était de bon ton d’aller à Vichy pour se soigner et se distraire. La robe longue en tube est accompagnée d’un manteau plus court serré à la taille par une large ceinture. Le chapeau est plus petit et annonce les chapeaux cloche de la décennie à venir. |
La famille Barrau vers 1916 (à gauche) Pierre Barrau, sa femme Thérèse et leurs trois filles Louise, Marie et Rose posent en atelier. On remarque la différence entre les tenues des parents, et notamment de la mère avec sa coiffe traditionnelle, et les trois jeunes filles plus à la mode, dans des robes presque identiques et plutôt courtes. Portrait de famille (à droite) Le costume masculin n’a guère varié avec son « trois pièces » qui s’est généralisé au milieu du XIXe s. Les femmes gardent, pour les plus âgées d'entre elles, l’usage de porter la coiffe comme ultime standard d’un habillement bien révolu. Pour les jeunes femmes à la mode, le traumatisme de la guerre finira par anéantir ce dernier signe d’une ancienne société rurale et traditionnelle. |
Portrait de familleCes parents et grands enfants ont été pris un dimanche dans la rue, probablement devant leur maison. Chacun suit la mode de sa génération, actuelle pour les plus jeunes et plus traditionnelle pour les parents. Plus la coiffe disparaît du paysage, plus elle a tendance à prendre des proportions imposantes jusque là jamais atteintes. |
Portrait de groupe en CatalansLa question des signes vestimentaires traduisant une identité géographique est centrale dans l’élite mondaine et politique traditionnelle des Pyrénées-Orientales, avec l’organisation de fêtes régionalistes où la population est invitée à revêtir le costume catalan. Ici, dans un milieu royaliste, tous ont intégré à leur habit les signes de leur catalanisme : coiffes et bijoux en grenat de Perpignan pour les femmes, barretina (bonnet rouge) et couverture de traginer (muletier) pour l’homme. |
Femme âgée avec bébéCette grand-mère est encore active, bien dans son temps avec sa robe à la mode, tout en conservant la coiffe de dentelle des jours de fête. Le noir du deuil vit alors une époque de gloire, la guerre de 14-18 ayant fauché presqu’une génération entière de jeunes hommes. Elle laissera des mères et des veuves qui ne se départiront plus de cette couleur. |
Femme âgéeLes femmes âgées restent les gardiennes de la tradition et de la langue catalane que l’on interdit aux enfants qui fréquentent les écoles communales. Simple dans son habillement, cette grand-mère a seulement noué un ruban de soie autour du cou. Elle porte une coiffe des plus simples, la coiffe de coton ou coiffe de tous les jours. |
© Laurent Fonquernie
Laurent
Fonquernie tient à remercier toutes les personnes qui ont bien voulu lui prêter gracieusement ces photographies.