Chapitre 19 |
Pour réussir dans nos opérations
géodésiques, pour obtenir le concours des
habitants des villages voisins de nos stations, nous avions
besoin d'être recommandés aux curés. Nous
allâmes donc, M. Lanusse, vice-consul de France, M.
Biot et moi, rendre visite à l'archevêque de
Valence, afin de solliciter sa protection. Cet
archevêque, homme de très haute taille,
était alors général des franciscains ;
son costume, plus que négligé, sa robe grise,
couverte de tabac, contrastaient avec la magnificence du
palais archiépiscopal. Il nous reçut avec
bonté, et nous promit toutes les recommandations
désirables mais, au moment de prendre congé de
lui, nos affaires semblèrent se gâter. M.
Lanusse et M. Biot sortirent de la salle de réception
sans baiser la main de Monseigneur, quoiqu'il l'eût
présentée à chacun d'eux très
gracieusement. L'archevêque se dédommagea sur ma
pauvre personne. Un mouvement qui faillit me casser les
dents, un geste que je pourrais justement appeler un coup de
poing, me prouva que le général des
franciscains, malgré son voeu d'humilité, avait
été choqué du sans-façon de mes
deux compagnons de visite. J'allais me plaindre de la
brusquerie dont il usait à mon égard ; mais
j'avais devant les yeux les nécessités de nos
opérations trigonométriques, et je me
tus.
D'ailleurs, à l'instant où le poing
serré de l'archevêque s'appliqua sur mes
lèvres, je songeais encore aux belles
expériences d'optique qu'il eût
été possible de faire avec la magnifique pierre
qui ornait son anneau pastoral. Cette idée, je le dis
franchement, m'avait préoccupé pendant toute la
durée de la visite.