La découverte de la statue à Rome (14 janvier 1506)

Bas-relief de Filippo Ferrari (1883) - Façade du Palais des Beaux-Arts, Rome - © Agnès Vinas

Le groupe du Laocoon a été accidentellement découvert le mercredi 14 janvier 1506 par Felice de' Freddi, aux environs du Colisée, dans l'une des salles de ce qu'on appelait le « palais de Titus ». La sculpture, qui attire immédiatement une foule de curieux, est identifiée comme celle qu'avait décrite Pline par un groupe d'artistes envoyés par le pape Jules II, au nombre desquels Giuliano da Sangallo et Michel-Ange : en témoigne une lettre du fils de Giuliano, Francesco Sangallo, à Vincenzio Borghini (28 février 1567).

Hubert Robert - La découverte du Laocoon (1773) - Virginia Museum of Fine Arts

Deux siècles plus tard, le peintre français Hubert Robert propose de cette découverte une interprétation dramatique et sublime, mais peu conforme à la réalité des faits : ici la salle est immense (évoquant les projets d'Hubert Robert pour la future grande galerie du Louvre), le groupe de marbre est intact, et Laocoon a le bras tendu que lui donnera Montorsoli vingt-cinq ans plus tard. Mais la scène est impressionnante, et suggère l'importance de la découverte dans toute l'histoire de l'art occidental.

 

La création du musée du Vatican

Sur le conseil de Sangallo et Michel-Ange, le pape Jules II acquiert immédiatement ce chef d'œuvre et le fait transporter, pour l'exposer au public, dans une cour octogonale dessinée par Bramante, et qui sera nommée le « Cortile des statues » ou « Cortile del Belvedere ». Le Laocoon y rejoint l'Apollon du Belvédère que possédait Giulio da Rovere avant son accession au pontificat sous le nom de Jules II : c'est l'acte de naissance du musée du Vatican.

 

Le musée Pio Clementino

Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la masse des découvertes archéologiques suivies d'acquisitions de certains chefs d'oeuvre impose de développer ce noyau initial. En 1771, le cortile octogonal est intégré dans un nouveau musée fondé par le pape Clément XIV puis complété par son successeur Pie VI sous le nom de musée Pio-Clementino.

Louis Ducros et Giovanni Volpato - Le Cortile del Belvedere (1787-92)

 

Le Laocoon et le musée du Louvre

Alors qu'il est resté en place dans cette cour depuis 1506, le Laocoon doit déménager à la fin du XVIIIe siècle. Malgré ses dimensions imposantes, il va en effet effectuer un aller et retour entre Rome et Paris entre 1797 et 1817.

Armistice de Bologne et traité de Tolentino (1796-1797)

Pendant les guerres menées par Napoléon Bonaparte, commandant en chef des armées d'Italie, l'art antique et moderne constitue un enjeu politique de poids. L'article 8 de l'armistice de Bologne (23 juin 1796) stipule en effet ceci : « Le pape livrera à la République française cent tableaux, bustes, vases ou statues, au choix des commissaires qui seront envoyés à Rome, parmi lesquels objets seront notamment compris le buste en bronze de Junius Brutus et celui en marbre de Marcus Brutus, tous les deux placés au Capitole, et cinq cents manuscrits au choix desdits commissaires.»

Immédiatement l'archéologue et critique d'art Antoine-Chrysostome Quatremère de Quincy publie en juillet 1796 un texte polémique intitulé Lettre sur le préjudice qu'occasionneraient aux arts et à la science le déplacement des monuments de l'art de l'Italie, le démembrement de ses écoles et la spoliation de ses collections, galeries, musées, etc. et connu sous le titre de Lettres à Miranda. Il y met en évidence la contradiction entre l'esprit de conquête et celui de l'idéal de liberté des Lumières, et il souligne avec pertinence l'enjeu de propagande politique qui sous-tend cette spoliation au profit du nouveau musée du Louvre, inauguré en tant que Museum central des arts de la République le 8 novembre 1793 sous la Révolution. Une pétition est adressée au Directoire le 29 Thermidor an IV (16 août 1796) pour accentuer la pression.

En réponse, le peintre André Dutertre, partisan de son côté de la politique artistique de Bonaparte, signe, avec bien d'autres, la contre-pétition du 12 Vendémiaire an IV (30 octobre 1796) en faveur de la saisie des collections italiennes. De toute façon, les politiques ne tiennent aucun compte des débats entre érudits. Le 19 février 1797, le traité de Tolentino impose ses conditions au pape Pie VI en aggravant certaines clauses de l'armistice de Bologne. Quant à son article 13, il est remarquable de brièveté : « L'article 8 du traité d'armistice signé à Bologne, concernant les manuscrits et objets d'art, aura son exécution entière, et la plus prompte possible.» Il n'y a plus qu'à s'exécuter...

Les agents du pape remettent aux commissaires français cent chefs d'œuvre des arts et cinq cents manuscrits

 

Entrée triomphale à Paris (1798)

Un vase de Sèvres d'Antoine Béranger nous a conservé le souvenir de l'entrée triomphale des oeuvres saisies, présentées au peuple en grande pompe au Champ de Mars le 9 thermidor an VI (27 juillet 1798) : le Laocoon et l'Apollon du Belvédère y tiennent la place d'honneur. Un étendard proclame avec emphase :

La Grèce les céda, Rome les a perdus :
Leur sort changea deux fois, il ne changera plus
.

 

Antoine Béranger - L'entrée à Paris des œuvres destinées au Musée Napoléon
Vase de forme étrusque à rouleaux. 1813 - © Photo RMN-Grand Palais - C. Jean

Hubert Robert aménage au rez-de-chaussée du nouveau musée une galerie au fond de laquelle on place le Laocoon et l'Apollon du Belvédère : la galerie des Antiques est inaugurée le 18 Brumaire an IX (9 Novembre 1800), jour anniversaire du coup d'Etat. En 1802, le musée sera rebaptisé musée Napoléon : il sera régulièrement enrichi par des achats, en particulier la collection Borghese en 1812, mais aussi des réquisitions lors des guerres napoléoniennes en Europe.

Benjamin Zix - L'Empereur Napoléon et l'impératrice Marie-Louise visitant la salle du Laocoon la nuit (2 avril 1810) - © RMN

Hubert Robert - La salle des Saisons au Louvre,
vue du nord au sud
(1802-1803) - © RMN

Hubert Robert - La salle du Laocoon vue du nord au sud,
depuis la salle des Romains (1803-1805) - Pavlosk (Russie)

Anonyme - La salle des Empereurs, vue du nord au sud, 1812-1815 - © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)



Retour en Italie (1815-1816)

A la chute définitive de l'Empire en 1815, le démantèlement des collections du Louvre s'effectue en sens inverse, et tous les Etats spoliés pendant les guerres napoléoniennes se manifestent pour récupérer leur bien. C'est le sculpteur Antonio Canova qui est chargé de récupérer les œuvres d'art confisquées dans les Etats pontificaux (et aussi dans les duchés de Parme et de Modène) à la suite du traité de Tolentino. Malgré l'appui des alliés vainqueurs de Napoléon, Canova se heurte à l'hostilité prévisible de Dominique Vivant Denon, le directeur du musée du Louvre depuis 1802, qui lui oppose une efficace passivité ; et c'est avec le soutien militaire des Prussiens et des Anglais que Canova doit venir récupérer la moitié des œuvres : le Laocoon et l'Apollon du Belvédère en font partie. Le 8 octobre 1815, Vivant-Denon présente sa démission à Louis XVIII. Il inaugure le Précis de ce qui s'est passé au Musée royal depuis l'entrée des alliés à Paris par ce paragraphe désolé :

« Des circonstances inouïes avaient élevé un monument immense, des circonstances non moins extraordinaires viennent de le renverser. Il avait fallu vaincre l'Europe pour former ce trophée, il a fallu que l'Europe se rassemblât pour le détruire. Le temps répare les maux de la guerre, des nations éparses se recomposent, mais une telle réunion, cette comparaison des efforts de l'esprit humain dans tous les siècles, cette chambre ardente où le talent était sans cesse jugé par le talent, cette lumière, enfin, qui jaillissait perpétuellement du frottement de tous les mérites vient de s'éteindre et de s'éteindre sans retour.. »

Gravure anonyme de 1815 - © BNF

Une gravure anonyme représente un artiste, assis devant le musée Napoléon qui fermera le 15 novembre. Il s'appuie sur la copie de la Transfiguration de Raphaël, qui est en train de repartir pour Rome en même temps que le duo des inséparables Apollon et Laocoon en arrière-plan. L'ambiance est nettement moins festive que celle de l'arrivée des chefs d'œuvre en juillet 1798.

Aussitôt réinstallé au Vatican, le Laocoon est débarrassé de ses restaurations françaises et retrouve les restaurations italiennes de Cornacchini, sous la direction de Canova. La restauration est achevée le 14 janvier 1816.


Et sur la toile pour compléter