Les dernières années de Rigaud

En 1743, Hyacinthe Rigaud entrait dans sa quatre-vingt-quatrième année. Malgré le poids des ans, il n'avait jamais cessé de peindre : ses livres de comptes nous livrent encore les noms de six clients, dont trois seulement virent leurs portraits achevés, les autres restant à l'état d'ébauche ou n'ayant que la tête de prête. Il mit également la dernière main à son testament artistique, commencé avant 1726, la Présentation au Temple, hommage ultime à l'art de Rembrandt et de Gérard Dou, qu'il destinait aux collections royales.

On a souvent dit en se fondant sur l'analyse rapide des livres de comptes de Rigaud que l'essentiel de son oeuvre peint était antérieur à 1721 et que son activité semblait par la suite s'être réduite. De fait, la clientèle ne représente plus dans les vingt dernières années (1724-1743) qu'un sixième de celle de la période précédente (1697-1723). Depuis 1717, Rigaud n'emploie plus à son service qu'un seul assistant, Charles Sevin de La Penaye, qui disparaît à son tour des livres de comptes en 1726. Aussi l'exécution de répliques, très lucrative, devient-elle marginale. L'âge, la maladie, les exigences d'un artiste socialement et professionnellement arrivé, le changement de mode au profit d'artistes plus jeunes et plus dans l'air du temps, expliquent cette réduction d'activité. Mais plutôt que de s'en désoler, Rigaud se tourne vers d'autres sources de revenus et réoriente sa production : en lieu et place de toiles très achevées, le maître commercialise désormais ses dessins, modelli ou ricordi, mais aussi ses esquisses, ses études de mains et d'accessoires, ou bien de simples têtes de fantaisie, à l'huile ou à la pierre noire. Dans le même temps, il s'oriente vers l'expertise d'oeuvres d'art pour le compte des princes, ne dédaignant pas leur servir d'intermédiaire pour leurs achats, lorsqu'il ne leur vend pas lui-même ses trouvailles. Courtisé par l'Europe tout entière, visité par ses confrères étrangers, Rigaud cumule enfin les honneurs : son anoblissement est confirmé par le roi en 1723, qui l'élève quatre ans plus tard au rang de chevalier de l'ordre de Saint-Michel, tandis que l'Académie de peinture et de sculpture fait de lui son directeur en 1733.

Sur le plan personnel, les dernières années de Rigaud sont marquées par la disparition d'être proches et d'amis chers. De sa nombreuse parentèle à laquelle il fut toute sa vie si attaché, ne demeurent en 1743 que : Marguerite Charlotte, la fille qu'avait eue son épouse Elisabeth de Gouy, morte elle aussi en 1743 (15 mars, à l'âge de soixante-quinze ans), avec son premier mari, Jean Le Juge ; sa nièce préférée, Marguerite Elisabeth, fille de son frère Gaspard et veuve du peintre Jean Ranc, réfugiée à Paris avec six de ses enfants ; ses nièces Lafita, filles de sa soeur Clara et leur descendance ; enfin, son filleul, le peintre Hyacinthe Collin de Vermont. Tous apparaissent dans l'inventaire à l'occasion de la prisée et de legs.

Le 29 décembre 1743, Hyacinthe Rigaud s'éteint dans son hôtel de la rue Louis-le-Grand ; le 30, son corps est transporté de l'église Saint-Roch en celle des Jacobins de la rue Saint-Honoré, lieu de sa sépulture, en présence de Louis Billeheu, son exécuteur testamentaire et d'Hendrik Van Hulst, historiographe de l'Académie et son plus cher ami.


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