Anne-Marie Antigo (1602-1676)
Elle naquit à Perpignan le 14 janvier 1602. Son
père, Michel Antigo, était droguiste ; sa
mère se nommait Marcelline Pujol.
A l'âge de dix-neuf ans, le 21 mars 1621, elle entra au
couvent de Sainte-Claire de sa ville natale. Elle s'appliqua
à pratiquer les vertus de son état d'une
façon éminente et eut une particulière
dévotion aux mystères de la Passion de
Notre-Seigneur. Elle devint l'objet de faveurs signalées
du ciel. Retenue à l'infirmerie, soeur Antigo se sentit
un jour assez forte pour assister à la messe. Ayant
obtenu, par l'intermédiaire d'une religieuse
infirmière, la permission de se lever, elle exprima le
désir de faire la sainte communion. L'abbesse survint et,
voulant éprouver sa vertu, feignit de ne lui avoir pas
permis de sortir de sa cellule et lui dit : «Est-ce ainsi
que vous préférez votre volonté à
l'obéissance ?» Sans essayer de résister,
soeur Antigo se prosterna et demanda pardon. L'abbesse lui
répondit en lui défendant de rentrer à
l'infirmerie de six mois. Elle lui prescrivit de se tenir
pendant huit jours à la porte de la tribune au moment
où les religieuses s'y rendaient pour communier, et de se
prosterner aux pieds de chacune d'elles en les priant de lui
obtenir son pardon. Tandis qu'elle accomplissait sa
pénitence. le prêtre qui distribuait la communion
à la communauté remarquait que chaque jour une
sainte hostie s'envolait du ciboire. Le huitième jour, il
en fit part à la supérieure, ajoutant qu'elle
devait avoir dans le couvent une religieuse
privilégiée du ciel. L'abbesse comprit qu'il
s'agissait de la soeur Antigo. Interrogée, celle-ci
répondit que c'était à elle effectivement
que Notre-Seigneur avait accordé cette faveur.
En 1642, elle vit un démon furieux exercer sa rage sur
la communauté réunie. Il arrachait de sa main
vingt religieuses du couvent de Sainte-Claire et les
transportait au loin. Elle-même se voyait la proie du
ravisseur. Ce fut pour soeur Antigo nn mystère dont elle
comprit le sens dix ans plus tard.
Ses qualités lui concilièrent le respect et la
confiance de ses compagnes. Elle fut nommée vicaire aux
élections du 22 mars 1639, et abbesse le 30 mars
1645.
A cette époque, le changement de nationalité
révolutionnait le Roussillon. Parmi les mesures
rigoureuses prises par le gouverneur,
François de Sagarre, se trouvait la condamnation
à l'exil de vingt religieuses Clarisses de Perpignan. Le
10 novembre 1652, soeur Antigo, avec dix neuf de ses compagnes,
fut frappée de proscription. Elle se rendit à
Barcelone, au couvent de sainte Elisabeth, où elle
demeura huit ans, édifiant la communauté
hospitalière.
Là, elle fut encore l'objet de faveurs extraordinaires.
Son confesseur, le P. Figuères, étant malade dans
son couvent, la Mère Antigo lui apparut pendant son
agonie, de sorte que le mourant s'écria : Mare Anna-Maria
! Mare Anna-Maria ! com es entrada assi ? «Mère
Anne-Marie ! Mère Anne-Marie ! comment êtes-vous
entrée ici ?» Et après avoir prononcé
ces mots, il rendit le dernier soupir. Les religieux qui
étaient présents ne tardèrent pas à
divulguer dans la ville et au couvent de Sainte-Elisabeth ce
fait étonnant. Une des compagnes de la Mère Antigo
l'ayant suppliée avec d'instantes prières de lui
dire la vérité à cet égard, elle
avoua «qu'elle s'était, en effet, trouvée
auprès de son directeur au dernier moment de son agonie ;
mais elle supplia sa confidente de ne le révéler
à personne avant sa mort... Ceci, dit le Rév.
Castells, son confesseur, m'a été confié
par une religieuse digne de foi.» La sainte Clarisse
aurait été favorisée en cette circonstance
du don de bilocation, car on pense bien qu'elle n'avait pas
alors quitté son couvent.
Dans le même monastère de Sainte Elisabeth, une
religieuse nommée Soeur Paule, plus ancienne en religion
que la Mère Antigo, voulant un jour éprouver la
haute vertu qu'on lui attribuait, lui dit intérieurement
et en son absence : «Mère Anne-Marie, si vous
êtes vraiment telle que le disent les autres religieuses,
je vous commande par obéissance de venir ici sans
retard...» A peine Soeur Paule avait-elle fait cet appel
en son coeur, que la Mère Anne-Marie entra dans sa
cellule, disant :«Que voulez-vous, Soeur Paule, ne m'avez
vous pas appelée ?» Soeur Paule le nia, car elle
n'avait proféré aucune parole ; mais la
Mère Anne-Marie persistant à dire : Jo he ohyt
que me cridaveu... «J'ai pourtant entendu que vous
m'appeliez...», Soeur Paule le nia une seconde et une
troisième fois et, à la vue d'une telle merveille,
demeura confuse et convaincue. Elle révéla maintes
fois ce fait à d'autres soeurs qui le transmirent plus
tard au Rév. Castells.
A l'occasion d'une visite faite, le 10 avril 1660, par la reine
Anne d'Autriclte au couvent de Sainte-Claire de Perpignan,
l'abbesse sollicita et obtint l'amnistie pour les religieuses
exilées. Le 25 mai 1660, la Mère Antigo et ses
compagnes proscrites reprirent leur place au couvent de leur
ville natale.
Ce Monastère, soumis jusqu'alors à la juridiction
des religieux de l'Observance, passa sous celle de l'Ordinaire,
le 2 mai 1664, à la suite d'un décret d'Alexandre
VII. Ce changement fut la cause d'un dissentiment parmi les
religieuses, et l'exécution des actes Pontificaux fut
entravée de diverses manières pendant trois ans.
Ce ne fut qu'en avril 1667 qu'ils obtinrent leur effet et que
l'évêque d'Elne, secondé par
l'autorité royale, entra en possession de ses droits sur
le couvent de Sainte-Claire.
Le premier acte de l'Ordinaire fut de procéder à
l'élection d'une nouvelle abbesse : la R. M. Anne-Marie
Antigo fut choisie ; son dévouement absolu à
l'autorité du Saint Père, la possession de soi et
le calme surnaturel qu'elle avait montrés dans les
moments difficiles la désignaient comme la personne la
plus capable de ramener les esprits à l'unité et
d'assurer en même temps, par sa fermeté, le
fonctionnement du régime récemment inauguré
et définitivement établi par la volonté
souveraine du Vicaire de Jésus-Christ. Elle y employa ces
dons surnaturels dont elle était comblée et qui
faisaient d'elle une âme étrangère à
toutes les passions humaines et uniquement passionnée
pour la vérité et le droit.
Peu de temps après le début de ce triennat, le
Pape Alexandre VII rendait son âme à Dieu, le 18
mai 1667.
En présence de cette vacance du Saint Siège, les
oppositions à peine déconcertées et
assoupies se réveillèrent et se prirent à
espérer que le nouveau Pape reviendrait sur les actes de
son prédécesseur. Cette disposition indiquait une
soumission imparfaite, tendait à entretenir le malaise
dans la Communauté et annonçait une nouvelle
tentative pour rouvrir, an détriment de la paix, le
débat à peine terminé. La T. R. Mère
Antigo, voyant combien serait préjudiciable pour le
Monastère cette téméraire et d'ailleurs
inutile entreprise, n'hésita pas à recourir au
nouveau Pape, Clément IX, et à solliciter de lui
aide et protection. Elle obtint entière satisfaction.
Clément IX, par un Bref qui mit un terme à ce trop
long dissentiment, confirma et renouvela toutes les
décisions antérieures.
La suite du second triennat de Mère Antigo se passa sans
incident notable. Elle travailla à élever les
esprits de ses compagnes en les appliquant à l'observance
régulière, à la parfaite
célébration de l'office choral et à la
contemplation des choses divines. Quatre ans avant sa mort,
libre de toute charge et accablée par l'âge et les
austérités, elle concentra ses aspirations vers sa
fin dernière. Le 8 septembre 1676, la Sainte-Vierge et
sainte Aune, ses patronnes, lui apparurent et lui
annoncèrent sa mort prochaine. Trois ou quatre jours
après, elle tombait malade, et le 28 septembre suivant
elle rendait son âme à Dieu. Elle mourut avec la
réputation d'une sainte. Son corps, gardé dans le
couvent des Clarisses, est dans un merveilleux état de
conservation.