Berenger Batlle (XIIIe-XIVe s.)

Fils d'Arnaud Batlle, conseiller du roi Jacques ler de Majorque, il naquit à Perpignan, dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Après avoir été successivement sous-chantre de l'église d'Elne, en 1287, et archidiacre de Vallespir, en 1309, Bérenger Batlle recevait, le 3 décembre 1320, des bulles du pape Jean XXII qui lui donnaient la succession de Bérenger d'Argilaguers sur le siège d'Elne. Lors de sa promotion à l'épiscopat, Bérenger se rendit à la cour papale d'Avignon où il reçut la consécration des mains de Bérenger de Frédol, évêque de Porto. L'onction sacerdotale dut lui être conférée dans cette même ville, puisqu'il n'était que diacre au moment de son élévation au siège d'Elne. Le 21 décembre 1320, le Souverain Pontife lui délivrait des lettres de congé pour lui permettre de s'éloigner d'Avignon et rentrer dans son nouveau diocèse.

C'était l'époque où Perpignan, capitale et résidence des rois de Majorque, prenait de l'extension et de l'importance. Malgré l'érection de trois autres paroisses (Saint-Jacques, 1260, Saint-Mathieu, la Réal, 1300), l'église du vieux Saint-Jean, consacrée en 1025, n'était plus en rapport avec le nombre des habitants. Fallait-il agrandir l'église-mère ou construire parallèlement un nouvel édifice sur des proportions plus vastes ? Après de longues hésitations, le projet de l'opus novum fut adopté. La construction de la cathédrale actuelle fut un des premiers projets conçus par Bérenger Batlle, dès sa venue dans le diocèse. Le 7 juin 1321, il appliqua les revenus des bénéfices vacants de l'église Saint-Jean de Perpignan à l'édification d'une nouvelle église de ce nom, à côté de l'ancienne. A la charte qui porte cette disposition et qu'on trouve aux archives de l'hôpital Saint Jean est suspendu le sceau de ce pontife. Sa forme est ogivale ; le moule, en cire brune, est recouvert, à la partie antérieure, d'une plaque en cire rouge qui montre l'évêque mitré, debout sur un socle, la crosse dans la main gauche et la main droite levée, donnant la bénédiction. Ce sceau fort détérioré, brisé en plusieurs endroits, laisse pourtant lire la légende en caractères gothiques : S BerengaRii : BAYULI : PROVIDENCIA : DIVINA : ELNENSIS : EPiscopI.

Il ne fallut pas moins de trois ans avant de pouvoir mettre la première main aux travaux. Le 27 avril 1324, Bérenger posa la seconde pierre de l'édifice religieux qui fait l'ornement de la ville de Perpignan, ainsi qu'en témoigne l'inscription suivante gravée sur le pilier droit de la petite porte, contre la chapelle de Notre-Dame du Mont-Carmel :

Lapis. secundus. quem. re
revendus. Dominus. Berengarius. Ba
iuli. gratia. Dei. Elnen
sis. Episcopus. posuit. in
fundamento. istius. ecclesiae
V. KL Madii, Anno
Domini. M. CCC. XXIIII

Quatre mois après, le roi Sanche mourait à Formiguères, et sa succession ouvrait pour les Perpignanais une ère de troubles politiques et religieux. Son héritier, Jacques Ier, étant trop jeune pour prendre en main les rênes de l'Etat, la régence avait été confiée, sur l'ordre du pape, à Philippe de Majorque, frère de Sanche et chanoine de Tours. Les Perpignanais, persuadés que le régent était dévoué à la France, lui refusèrent obéissance et entravèrent son administration. On conçoit les difficultés de Berenger Batlle, sujet dévoué à la politique pontificale autant qu'à la dynastie majorquine. L'évêque d'Elne fut un utile auxiliaire de Jean XXII qui eut à se louer de ses informations exactes sur les agissements de ses ouailles révoltées. Au mois de mars 1325, l'interdit fut lancé sur Perpignan par deux nonces que le Souverain Pontife avait envoyés avec mission de mettre fin aux discussions. Au commencement de mai 1325, des procureurs de la ville s'acheminèrent vers Avignon et entamèrent des tentatives de paix. Le pape accepta les propositions d'arbitrage qui lui furent présentées et pria le régent de venir à sa cour pour y conclure la paix. Sur le désir des procureurs, il permit à Bérenger, évêque d'Elne, de suspendre l'interdit lancé par les nonces pontificaux jusqu'à l'octave de la Pentecôte qui tombait cette année-là le 17 juin. Si la paix n'était pas ratifiée avant cette date, l'interdit reprendrait sa force. Les négociations traînant en longueur, le pape usa de patience et prolongea de quinze jours le délai de la première suspense d'interdit. Finalement le régent et les procureurs ne s'entendirent pas et se séparèrent sans avoir rien conclu ; par suite, l'interdit pesa de nouveau sur le Roussillon.

Il ne fallut rien moins que l'intervention personnelle du pape dans les affaires politiques pour obtenir de Jacques d'Aragon la renonciation à ses prétentions sur la couronne de Majorque, mettre fin au conflit, obliger les Perpignanais à la soumission et à la libération du jeune souverain, leur prisonnier. Le mariage de Constance, petite-fille du roi d'Aragon, avec Jacques Ier de Majorque devait sceller la paix. Le 2 mars 1326, le cour plein de joie, Jean XXII annonçait que, sur la prière du régent, l'infant Alphonse était récemment entré à Perpignan à la tête de cinq cents chevaliers environ. Les habitants de la ville s'étaient soumis au régent qui avait consenti à pardonner leur rébellion.

Bérenger Batlle fut témoin et signataire de l'acte d'accord conclu entre les rois d'Aragon et de Majorque, le le octobre 1327.

Le calme rétabli au sein de Perpignan, l'évêque d'Etne s'empressa d'édicter des constitutions tout à l'avantage de son clergé. C'est ainsi que, dès le 13 mars 1326, il promulguait un statut qu'on peut considérer comme une des premières mesures ayant favorisé le haut enseignement dans le Roussillon. Considérant que «si le clergé étudie les sciences, ses brebis ne marcheront pas dans les ténèbres de l'erreur», Bérenger Batlle statua que tous les chanoines, bénéficiers ou hebdomadiers qui étudieraient la théologie ou le droit canon dans la ville de Perpignan seraient considérés comme présents dans les églises de leur résidence, tant pour les anniversaires que pour les autres distributions. Il est certain que la ville d'Elne avait été pendant le moyen âge le centre principal des études ecclésiastiques dans notre diocèse. Mais cette cité avait perdu son importance dès le milieu du XIIIe siècle et la ville de Perpignan, qui occupait dès lors le premier rang en Roussillon, n'offrait encore que peu de ressources en fait d'instruction. Les membres du clergé qui désiraient compléter leurs études étaient obligés d'aller dans des pays éloignés pour en chercher les principaux éléments. Le décret du 13 mars 1326 porté par Bérenger Batlle est le premier pas important fait dans le Roussillon pour favoriser l'enseignement supérieur. En 1379, l'université qui fut créée à Perpignan compléta l'organisation pédagogique en annexant à la théologie les facultés de droit et des arts libéraux.

Le 4 avril 1326, Bérenger Batlle convoqua les ecclésiastiques de son diocèse à un synode dans lequel furent promulguées diverses constitutions touchant la discipline et les moeurs des clercs. Puiggari affirme que l'évêque d'Elne publia encore plusieurs autres statuts synodaux dans le cours des années 1327, 1328 et 1330. Jacques II appela Bérenger Batlle dans son conseil ; le 14 août 1331, le pape Jean XXII délivrait un congé d'un an à l'évêque d'Elne pour lui permettre de vaquer aux multiples occupations de sa nouvelle charge. On trouve son nom dans les archives du Domaine de Montpellier, au mois de septembre 1332. Il venait d'être transféré au siège de Mallorca, en remplacement de son successeur, Gui de Terrena, appelé à celui d'Elne.

Pendant les dix-sept années de son administration épiscopale à Mallorca, Bérenger Batlle s'appliqua à édicter de sages règlements et à embellir sa cathédrale. Il était à peine installé et déjà, guidé par l'expérience des hommes et des affaires qu'il avait acquise dans le diocèse d'Elne, il dressait des statuts synodaux. Ces constitutions canoniques furent promulguées le 15 janvier 1333. L'évêque faisait une obligation à chaque chanoine nouvellement nommé d'apporter au vestiaire capitulaire, le jour de son entrée en fonctions, une chape d'une valeur de quinze livres au minimum. Il faisait ensuite défense aux sacristains de céder les ornements d'église aux séculiers qui étaient dans l'habitude de les emprunter pour orner leurs maisons, les jours de fête. Il rappelait à ses diocésains la stricte observation de la constitution Suscepti regiminis, de Jean XXII, prescrivant d'attribuer aux fabriques les revenus des cures durant la vacance des titulaires. Il introduisit l'usage de la sonnerie des cloches, dès l'aube du jour, pour annoncer l'angelus du matin. Enfin, il décida que la fête de l'Assomption de la Sainte Vierge se célébrerait dans son diocèse avec la solennité de celle de la Noël.

Une ordonnance spéciale, portée en 1336, réglementait certains points d'ordre économique. Elle stipulait le droit qu'avait chaque chanoine de percevoir quotidiennement deux pains blancs et un quart de bon vin rouge.

Grâce à son initiative, le chapitre de la cathédrale vit accroître le nombre de ses membres. Son personnel n'était jusqu'alors composé que de dix-huit chanoines. Bérenger Batlle obtint de Jacques II de Majorque la création de quatre nouvelles stalles. Par une lettre qu'il écrivit de Perpignan, le 26 avril 1338, ce monarque s'engageait à fonder quatre canonicats. Son but, en accomplissant celte oeuvre pie, était de restituer à l'Eglise de Mallorca les portions de biens dont il l'avait jadis frustrée. Cette fondation fut approuvée par une bulle que Benoît XII lança d'Avignon, le 12 juin 1338. De concert avec son chapitre, Bérenger Batlle confirma, le 20 septembre 1341, la coutume ancienne qui permettait d'ensevelir dans les églises les personnes ayant créé des bénéfices ecclésiastiques. Lui-même donnait de beaux exemples de générosité. Il enrichit le Trésor de sa Cathédrale d'une custode en bois argenté dont le pied était en argent massif. Il y fit graver avec ses armes la scène du Crucifiement de Notre Seigneur. Le octobre 1346, il consacra le maître-autel de la Cathédrale.

Bérenger Batlle mourut le 1er novembre 1319, à Mallorca, et son corps fut enseveli dans la Cathédrale de son diocèse. On y remarque encore de nos jours une inscription qui est gravée sur une plaque en marbre : elle est placée au sommet de la muraille qui sépare la chapelle Sainte-Eulalie de Mérida de celle du maître-autel. On y voit, avec son tombeau creusé dans le mur, une figure d'évêque flanquée d'un écusson portant ses armes qui sont : deux papegais (perroquets). L'épitaphe en vers léonins est ainsi conçue :

B. Baiulus dictus humilis fuit ac benedictus.
Hic presul dignus, mittis, pius atque benignus.
Et legum doctor inopum semperque receptor.
Sobrius et castus, mundi spernens quoque fastus.
Presentem donans, ac Sedi plurima donans.
Anno milleno ter centum pentoque deno
Uno set dempto migrat primaque novembris.

Archives du Vatican, Regesta Vaticana, t. 70. 71, 116, Registres des obligations, t.VI - Villanueva, Viaje litterario a las iglesias de España, t.XXII - D'Achery, Spicilegium. t.X - Archives des Pyr.-Or., G. I69, 235. - Abbé J. Capeille, Figures d'éveques roussillonnais.