ORDO

  1. Dans un sens général, une rangée, une série d'objets placés l'un à côté de l'autre dans un ordre de succession régulier : ainsi, une rangée d'arbres, un rang, une file de soldats, etc.

  1. Dans la marine des anciens, une file, ou comme on traduit le plus ordinairement, un rang de rames. Le nombre des rangs de rames variait, suivant les dimensions du bâtiment et la classe de navires à laquelle il appartenait, de un à cinquante. La manière dont on disposait et dont on comptait ces bancs ou ordines est encore, sous beaucoup de rapports, une question controversée, qui restera probablement longtemps encore sans solution satisfaisante, à moins que l'heureuse découverte de quelque oeuvre d'art ne permette aux antiquaires futurs d'appuyer leurs théories sur une autorité plus solide que de simples conjectures ; car, parmi beaucoup de systèmes mis en avant, il n'y en a pas un absolument à l'abri de toute objection.

    Ceux même qui paraissent raisonnables sur le papier, et qui peuvent en apparence s'appliquer sur quelque autorité classique, quand on veut passer à la pratique on découvre qu'ils supposent des effets, des actions, des combinaisons mécaniquement impossibles ; et pour ceux dont on prouve, par des expériences positives, qu'ils sont réellement exécutables, on ne peut cependant les accepter qu'avec hésitation, parce qu'ils manquent de témoignages de l'antiquité qui les appuient et les autorisent. Jusqu'à cinq rangs de rames, nous avons, directement et indirectement, de bonnes raisons de penser que l'on comptait les rangs de rames en hauteur et non en longueur ; c'est-à-dire que le nombre total des rames, quel que fût ce nombre, qui se trouvaient sur un même alignement de la poupe à la proue, formait un ordo ou rang de rames. C'est ainsi que Tacite désigne une moneris, ou navire à un seul rang de rames (voy. ce mot), par cette expression : quae simplici ordine agebantur (Hist. V, 23) ; ce que représente la figure ci-jointe, d'après une mosaïque découverte auprès de Pouzzoles.

Dans la birème, ou vaisseau à deux rangs de rames, il est également clair, d'après d'autres mots du même passage de Tacite et la figure suivante, tirée d'un bas-relief en marbre, que le second rang de rames était placé au-dessous du premier, et qu'on comptait les bancs à partir des rebords du pont jusqu'à la ligne de flottaison ; les trous qui laissaient passer les rames, et par suite les sièges des rameurs, étaient placés en ligne oblique les uns au-dessus des autres, de manière que l'intervalle entre un rang de rameurs et le suivant fût aussi petit que possible.


La construction d'une trirème, ou vaisseau à trois rangs de rames, était fondée sur le même principe : on y comptait d'une manière analogue les rangs des rames depuis les plats-bords jusqu'à la ligne de flottaison ; c'est ce qu'atteste cette expression de Virgile Terno consurgunt ordine remi (Aen. V, 120), et la figure ci-jointe, d'après une ancienne fresque romaine, qui confirme le témoignage de Virgile.


Une construction semblable pour quatre rangs de rames est indiquée par la figure du mot quadriremis, où les rames sont visiblement sur quatre rangs de hauteur à partir de l'eau, quoiqu'on y distingue moins clairement les détails, à cause de la petitesse du dessin, qui représente seulement une figure empreinte sur une monnaie ; nous avons le droit d'en conclure qu'on disposait et qu'on comptait de la même manière un cinquième rang de rames. On s'est assuré par expérience qu'une série de cinq avirons, s'élevant obliquement de la ligne de flottaison au plat-bord, pouvait tenir dans un espace de neuf pieds de haut, le point le plus élevé au-dessus de l'eau où le levier qui forme la rame puisse être coupé par le tolet (scalmus) sans perdre tout effet (Howell, War Galleys of the Ancients, p. 49-51). Au delà de ce nombre commence la difficulté de compter les rangs et on ne peut plus, en l'absence de tout témoignage positif, que formuler des conjectures ; on n'a plus pour se guider ni descriptions ni images. Si plus de cinq rangs de rames parallèles étaient placés l'un au-dessus de l'autre, il serait matériellement impossible de manier l'aviron du sixième rang, le point fixe du levier se trouvant alors placé si haut au-dessus de l'eau, qu'il devrait élever le bras de la rame bien au-dessus de l'atteinte du rameur, ou empêcher la pale de toucher l'eau à moins que l'aviron ne fût d'une longueur si démesurée, que la partie de la rame qui était contenue dans le vaisseau allât d'un plat-bord à l'autre, et dépassât même celui qui lui était opposé. Comment donc comprendre un vaisseau à quarante rangs de rames, comme celui que construisit Ptolémée ? La solution la plus plausible est de croire que dans tous les bâtiments de première classe les avirons étaient disposés sur cinq lignes parallèles, comme dans une quinquérème ; mais que les rangs ou ordines, au-dessus du nombre de cinq, étaient comptés en longueur et non en hauteur ; on aurait appelé ordo chaque rangée ascendante de cinq rames à partir de la ligne de flottaison, et l'on aurait compté le nombre des ordines ou rang de la poupe à la proue, et non plus de l'eau au plat-bord.


Ainsi un navire à dix rangs de rames aurait eu, en comptant de la poupe à la proue, dix rangs de rames, chacun de cinq rames sur une ligne oblique et ascendante, comme le montre le plan ci-joint. Un vaisseau à quarante rangs de rames présenterait la même disposition, cinq rangs de rames parallèles courant de l'arrière à l'avant ; mais chacune de ces lignes aurait contenu, entre ces deux points extrêmes, quarante sabords pour laisser passer les avirons, et non dix : on n'obtient ainsi qu'une longueur raisonnable ; car la moneris même, petit bâtiment, dans la première planche de cet article, a vingt-quatre avirons à la file.