ELEGIE VIII A UN AMITu condamnes des pleurs qui montrent ma tristesse, Quand on vient me ravir ma charmante maîtresse ! L'Amour seul fait surgir le plus mordant chagrin. Je le haïrais moins d'être mon assassin !...
Puis-je la voir ainsi dans les bras d'un autre homme ? Elle ne sera plus ma Cynthia ! hélas ! comme L'Amour est inconstant, vient et fuit tour à tour ! Vaincre ou périr, telle est la devise en amour... Qu'il a trahi de rois d'une illustre origine ! Ilion ne vit plus et Thèbe est en ruine...
Insensé que j'étais ! Comment aussi longtemps Ai-je pu supporter ses propos et ses gens ! Malgré mes dons, mes vers et mon ardeur extrême, Jamais je n'entendis ces mots d'elle : «Je t'aime !» Et toujours sous le joug, de son regard hautain Je voyais retomber sur moi tout le dédain.
Puisqu'il nous faut mourir à la fleur de notre âge, Mourons, et que la joie éclate en son visage... Qu'elle foule à ses pieds mon cadavre, et que, sombre, Elle insulte à ma cendre et poursuive mon ombre... Quoi ! d'Antigone Hémon, en vengeant le trépas, Sous son fer meurtrier ne succomba-t-il pas ? En confondant ses os avec ceux d'une amante, De Thèbe il éteignit la famille régnante.
Tu mourras ; et la main qui versera mon sang, Pour le mêler au mien, t'ira percer le flanc Nos neveux blâmeront un acte de la sorte. C'est la honte. Tant pis ! pourvu que tu sois morte !
Achille, désolé de perdre Briséis, Sous son toit déposa les armes ; ni les cris, Ni la fuite des Grecs errant sur le rivage, Ni leurs vaisseaux brûlés ne calmèrent sa rage, Ni Patrocle lui-même étendu mort, meurtri, Les cheveux tout souillés, par les Troyens flétri ; Rien ne put remplacer sa brillante captive, Tant perdre une maîtresse est une douleur vive ! Mais, Briséis rendue, il reprit son essor Pour traîner à son char le corps sanglant d'Hector.
Eh ! pourrai-je à l'Amour disputer la victoire, Moi qui d'Achille n'ai la force ni la gloire ! ELEGIE IX A CYNTHIE, CONTRE UN RIVALJe fus plus d'une fois ce qu'il est maintenant ; Mais bientôt tu prendras,sans doute, un autre amant.
Quand elle eût pu choisir dans leur foule pressante, Durant deux fois dix ans, Pénélope constante Elude des amants l'ardeur qui la poursuit, Détruisant son travail du jour pendant la nuit, Et, sans espoir de voir l'objet de sa tendresse, Fidèle, en son palais elle attend la vieillesse ; Briséis en ses bras tient Achille expiré ; Sa main caresse encor son front décoloré ; Aux eaux du Simoïs cette triste captive Lave un maître sanglant abattu sur la rive, Et du plus grand héros les os sont recueillis Par sa débile main, car Pélée et Thétis Ainsi que Deidamie étaient loin. Sous les armes, La Grèce à la pudeur trouvait alors des charmes.
Pour toi, pas une nuit et pas même un seul jour, Parjure, tu ne peux chasser un fol amour. Peut-être en une orgie, ivre, dans ton délire, De mes feux et de moi tu te plais à médire.
Mais te voilà rendue à son perfide coeur, Puisses-tu savourer un si rare bonheur !... Ah ! sont-ce là les voeux qu'en des jours de tristesse Je faisais, quand le Styx réclamait ma maîtresse, Et qu'auprès de ton lit, nous répandions des pleurs ! Et, lui, fut-il sensible, ingrate, à tes douleurs ? Qu'aurais-tu fait, dis-moi, si très longtemps la guerre M'eût retenu dans l'Inde ou bien sur l'onde amère !
L'ouragan, de la mer creuse les profondeurs ; Le Notus, des forêts agite les hauteurs ; Le mensonge et la fraude ainsi que l'imposture Sont l'art où de la femme excelle la nature. Plus que la mer ses flots, leurs feuilles les forêts, La femme, sans propos, change amours et projets.
Mais puisqu'ainsi le veut et l'ordonne Cynthie, De vos flèches, Amours, exterminez ma vie. A l'envi, sous vos traits, disposez de mon sort. Vous trouverez, Amours, grand honneur dans ma mort.
Froid piquant du matin, astres, porte discrète, A mon amour ardent qui t'entr'ouvrais muette, Vous le savez, Cynthie avait seule mon coeur ; Elle l'aura toujours, malgré haine et froideur. Désormais en mon lit, sans aucune maîtresse, Je reposerai seul, puisqu'elle me délaisse. Mais si j'eus du respect pour eux, puissent les dieux Faire de mon rival un marbre dans ses feux !
Les deux frères thébains s'occirent de colère, Dans leur soifdu pouvoir, sous les yeux de leur mère. Sois ainsi devant nous, et, dans ce cas je veux Le combattre avec rage et mourir sous tes yeux. ELEGIE X A SA MUSEMuse, sur l'Hélicon suivons d'autres sentiers ; Maintenant d'Hémonie attelons les coursiers. Je veux de nos soldats célébrer le courage, La gloire d'un héros qui les guide au carnage. Si ma lyre ne peut égaler leur valeur, De l'avoir entrepris j'aurai du moins l'honneur. Que la jeunesse chante une amante parfaite, Mais c'est à l'âge mûr d'entonner la trompette, Et je veux désormais, prenant des tons plus hauts, Par Calliope instruit, dire d'autres travaux. Laissons là le hautbois ; dans votre ardeur guerrière, Muses, accordez-moi votre aide tout entière.
Le Parthe, déplorant les échecs de Crassus, Gémit dans un pays qui ne le défend plus ; L'Inde courbe le front pour recevoir des chaînes, Et l'Arabe insoumis tremble en ses libres plaines. Il n'est point de pays en ce grand univers Qui d'Auguste vainqueur ne redoute les fers. A dire ses exploits je trouverai la gloire. Me conserve le ciel pour chanter sa victoire !
Mais, ne pouvant des dieux atteindre les hauteurs, Nous plaçons à leurs pieds nos couronnes de fleurs. Impuissants à traiter des actions si grandes, Nous offrons à César de modestes offrandes. Aussi bien du Permesse élevé sur les bords, Nous n'avons à l'Ascrée emprunté ses accords. ELEGIE XI A CYNTHIEQue règne autour de toi le bruit ou le silence, C'est sur un sol pierreux répandre la semence Que de louer Cynthie. Ah ! ne t'y trompe pas, Le dernier jour venu détruira tes appas. Le voyageur, troublant le repos de ta cendre, Ne dira point : «Ci-gît docte fille au coeur tendre». ELEGIE XII SUR L'AMOURSans nul doute ce fut un artiste excellent Qui figura l'Amour sous les traits d'un enfant Le premier il comprit que, prodiguant leur vie. Les amants aux vrais biens préfèrent leur folie. Il fit bien de donner des ailes à ce dieu Dont le coeur, quoique humain, ne s'arrête en nul lieu, Faisant voir que, jouet d'une onde fugitive, L'homme ne peut jamais se fixer sur la rive. Il mit avec raison des flèches dans ses mains, Plus un double carquois au-dessus de ses reins, Indiquant qu'invisible et toujours intraitable, L'Amour surprend et fait une plaie incurable.
Oh ! l'Amour a perdu ses ailes ; car ses traits, Son image, ses yeux ne me quittent jamais. Contre moi, sans repos, s'exerce son empire ; Son combat incessant défend que je respire... Quel plaisir de m'avoir comme ton but toujour ! Dirige ailleurs tes coups ; va, trop cruel Amour, Contre un coeur insensible essayer ta puissance. Je ne suis plus qu'une ombre, une ruine immense. Quoique faibles, mes vers ont de puissants effets. Si je meurs, qui pourra célébrer désormais La tête, les yeux noirs, les doigts de ma maîtresse, Son pied mignon portant son corps plein de souplesse. ELEGIE XIII A CYNTHIEL'Amour contre mon coeur a lancé plus de traits Que les Parthes chez eux n'en portèrent jamais. C'est sous lui que, d'Ascrée à l'ombragé rivage, Des vers tendres et doux je fis l'apprentissage. Mes chants n'attirent point les chênes des forêts, Ni les hôtes d'Ismare au sein de nos guérets. Mais s'ils peuvent du moins convenir à Cynthie, Je croirai surpasser Linus en poésie.
La beauté d'une femme ou ses nobles aïeux Ne charme point mon coeur, n'allume point mes feux Mais, penché sur le sein d'une docte maîtresse, Lire des vers qu'approuve un goût sûr, je confesse Que c'est là mon plaisir et que son jugement Me vaut, mieux que celui du peuple applaudissant. Cynthie à les louer peut-elle se résoudre, Du puissant Jupiter je braverai la foudre.
Quand la mort pour jamais m'aura fermé les yeux, Comme suprême honneur voici ce que je veux : Des bustes orgueilleux qu'on m'épargne le nombre Et du clairon plaintif le son lugubre et sombre, Que mon corps ne soit point déposé sous un dais Orné de beaux tissus ou de soie ou d'or, mais Que mon convoi, tout simple et d'aspect ordinaire, Ne présente aux regards aucun thuriféraire ; Qu'on porte seulement mes trois livres d'amours, Comme offre à Proserpine aux ténébreux séjours. Toi, la poitrine nue, en te frappant sans cesse, Tu suivras, répétant mon nom avec tristesse. Quand du nard syrien l'on viendra m'arroser, Ma lèvre doit frémir sous ton dernier baiser ; Puis, en un vase étroit dépose, sans attendre, Mes restes que la flamme aura réduits en cendre, Et les plaçant après sous d'humbles lauriers verts, Sur mon léger tombeau fais graver ces deux vers : «Ci-gît un peu de cendre, autrefois âme ardente, Esclave de l'Amour et d'une seule amante». Ces vers me placeront en aussi digne rang Qu'Achille en son tombeau tout arrosé de sang.
Quand le destin tardif réclamera ta vie, Vers ce marbre reviens me rejoindre, Cynthie ! Jusque-là souviens-toi des mânes d'un amant ; Les morts ont sous la terre encor du sentiment.
Plût aux dieux que la Parque eût de mon existence, Au sein de mon berceau, terminé ma souffrance ! Pourquoi rêver des jours l'avenir incertain ! Trois siècles de Nestor fixèrent le destin ; Mais si, sous Ilion, victime de la guerre, Il avait prévenu cette longue carrière, Il n'eût point vu son fils expirer sous ses yeux Ni blâmé de la mort le retard odieux. Tu plaindras quelquefois l'âme qui te fut chère ; On ne doit oublier ceux qui laissent la terre. Que de pleurs fit verser la perte d'Adonis, Quand ilfut sur les monts par un sanglier surpris ! Pleurant, au désespoir, près de sa sépulture, Vénus laissait au vent flotter sa chevelure... Vainement tu voudras de nouveau voir mes traits, Et mes os resteront toujours froids et muets. ELEGIE XIV A CYNTHIEJamais Agamemnon, à la chute de Troie, Riche de ses trésors, n'éprouva tant de joie ; Jamais après vingt ans, avec de tels transports, Ulysse ne revit son Ithaque et ses ports ; Jamais plaisir si vif n'exista pour Electre En revoyant vivant Oreste au lieu d'un spectre ; Pour avoir à Thésée offert le fil sauveur, La fille de Minos n'eut pas tant de bonheur Que j'en ai dans tes bras goûté la nuit dernière Une autre m'enverrait dans la céleste sphère !
Autrefois j'avançais, triste, le front baissé, Méprisé comme un lac que les eaux ont laissé. Aujourd'hui tu n'as plus ton dédain inflexible ; Tu ne peux à mes feux te montrer insensible. Ah ! que n'ai-je plus tôt connu tant de bonheur ! Maintenant c'est d'un mort réchauffer la froideur. Cependant à mes pas la voie était ouverte, Qui toujours vers l'Amour marcha d'un pied alerte ! Le succès bien souvent, c'est d'user de mépris ; Un coeur luttait hier qu'aujourd'hui l'on a pris.
Lorsque d'autres amants trouvent la porte close, Ma maîtresse en mes bras languissamment repose. Non, les Parthes vaincus à côté ne sont rien ; Voilà mes rois captifs, mes trésors, tout mon bien Je chargerai, Vénus, tes autels de guirlandes ; On y lira ces vers auprès de mes offrandes : «Des faveurs d'une nuit reconnaissant le prix, Properce offre ces dons à la belle Cypris».
Ordonne, et mon vaisseau touchera le rivage, Ou fléchira brisé sous les coups de l'orage ; Mais si par tes mépris tu dois changer mon sort, Ma Cynthie, à ton seuil plutôt que je sois mort ! ELEGIE XV PROPERCE RACONTE SES PLAISIRS0 ravissante nuit ! nuit pleine de douceur ! O lit, témoin heureux de mon propre bonheur ! Que de mots échangés à ta clarté tremblante, Lampe ! quels doux ébats lorsque tu fus absente... Tantôt elle luttait en découvrant le sein ; Elle opposait tantôt sa tunique à ma main. Et quand sous le sommeil s'abaissa ma paupière, Sa lèvre l'entr'ouvrit : «Tu dors», dit sa voix chère. Nos bras s'entrelacaient en mille noeuds charmants ; Mes baisers s'arrêtaient, sur sa bouche, brûlants. Que les jeux de l'amour perdent dans la nuit noire ! L'oeil guide nos transports,le jour, tu peux m'en croire Pâris des plus grands feux ne s'embrasa-t-il pas Lorsque d'Hélène nue il surprit les appas ? Endymion charma la soeur d'Apollon même, Qui, nue aussi, s'endort près du mortel qu'elle aime. Si tu prétends cacher tes attraits à mes yeux, Ma main déchirera tes voiles odieux, Et si par tes refus m'emporte la colère, Tu pourras en montrer les traces à ta mère. Livre donc à nos jeux ces deux globes charmants, Droits, faisant rougir ceux qu'ont sucés des enfants. Savourons les amours que le destin nous laisse : Vers l'éternelle nuit le temps cruel nous presse. Puissions-nous dans nos bras être enlacés toujours, Sans que de nos ardeurs rien n'arrête le cours ! Pour modèles prenons ces tendres tourterelles, Couple heureux, que l'Amour ne voit point infidèles.
L'ardente passion ne doit point s'affaiblir. Quand il est vrai, l'amour ne doit jamais finir. On verra la moisson à sa graine étrangère ; La Nuit s'avancera sur un char de lumière ; Les fleuves refluant ramèneront leurs flots ; Le poisson périra dans l'abîme sans eaux, Avant que mon amour pour une autre t'oublie. Mort ou vif, j'appartiens pour toujours à Cynthie. Pour être dans tes bras heureux comme je suis, Un an serait trop long pour de semblables nuits. Prodigue-les : j'acquiers une gloire divine Tout mortel devient dieu, placé sur ta poitrine. Si tous voulaient ainsi couler des jours heureux, Ou borner à Bacchus leurs plaisirs et leurs voeux, Ni le fer meurtrier ni les vaisseaux de guerre Ne pousseraient nos corps au sein de l'onde amère, Et Rome, tant de fois succombant par ses mains, N'aurait point de ses fils à pleurer les destins. Mais pour moi, nos neveux m'accorderont, je pense, Qu'à nul dieu mes festins n'ont fait aucune offense. Savoure le plaisir quand le permet le temps ; Donne tous tes baisers, tous tes embrassements ! Ainsi qu'on voit la fleur à sa tige arrachée Sur nos coupes tomber par le vent desséchée, Peut-être verrons-nous, amants présomptueux, La carrière, demain, se fermer à nos jeux! ELEGIE XVI A CYNTHIEDes bords illyriens le voilà de retour, Ton préteur, mes tourments, l'objet de ton amour. Que de présents ma main eût offerts à Neptune, S'il avait pu sombrer ainsi que sa fortune !
Sans moi, dans ta maison que de festins bruyants ! A tous, excepté moi, s'ouvrent tes deux battants. L'occasion sourit pour une ample récolte ; Tonds-le bien, sans remords,sans crainte de révolte, Et puis, quand tu tiendras son argent et son or, Qu'il aille pressurer des provinces encor ! Cynthie à la fortune accorde son estime ; Les faisceaux ne sont rien ; c'est l'argent qui les prime... O Vénus, venge-moi de cet affront fatal ; Que l'abus du plaisir énerve mon rival !
De l'amour pour de l'or ! Quelle étrange folie ! Jupiter ! A ce point la femme est avilie ! Pour elle il faut chercher la perle au fond des mers, Et demander à Tyr ses tissus les plus chers. Ah ! si la pauvreté régnait dans Rome entière, Si son chef habitait dans une humble chaumière, Sans y perdre son coeur par l'argent acheté, La femme y vieillirait avec sa pureté !...
Cc ne sont pas sept nuits qu'oublieuse tu passes Au bras d'un vil mortel, lui prodiguant tes grâces, Ou l'infidélité que j'attaque, mais c'est Ta perfidie unie à ce front si parfait. De mouvements lascifs, sur un lit où respire Mon amour, un barbare a souillé mon empire. D'Eriphyle du moins rappelle-toi la mort, Et le feu qui finit de Créuse le sort.
L'outrage ne saurait terminer ma souffrance ; Rien ne peut à mes maux porter une allégeance. Depuis longtemps, hélas ! insensible, j'entends Les jeux du champ de Mars, et la muse et les chants. Ah ! je devrais rougir, mais l'âme est paresseuse, Quand domine dans nous la passion honteuse. Antoine, sur la mer, vit les flots étonnés Plier sous des soldats par Rome condamnés ; Le déshonneur lui fit livrer sa flotte à l'onde Pour suivre l'infamie aux limites du monde. Mais gloire au grand César dont le bras tout-puissant Sut vaincre et déposer le glaive menaçant !
Puissent-ils dans les airs ou la terre profonde Disparaître à jamais, ou dans le sein de l'onde, Les présents de ses mains, tes riches vêtements, L'émeraude et l'opale aux reflets si brillants !
Jupiter bien souvent se venge du parjure, Et, sourd, il n'entend plus la voix de l'imposture. As-tu vu quelquefois la foudre, dans les cieux S'irritant, éclater sur un toit odieux ! Ce n'est point l'Orion qui l'a toujours formée ; Sans raison sur la terre elle n'est point tombée. Jupiter en courroux contre un sexe trompeur Punit ainsi souvent les faussetés d'un coeur. Crains donc, malgré de Tyr tout le riche étalage, Quand le ciel nébuleux annonce quelque orage. ELEGIE XVII A CYNTHIEPromettre à son amant une nuit, l'en frustrer, C'est d'un sang généreux sans honte se souiller. Voilà le seul refrain dans ma dure insomnie, Quand sur mon lit je roule éloigné de Cynthie. Qu'on soit touché du sort de Tantale, en ses eaux Demandant, mais en vain, à sa soif un repos ; Que l'effort de Sisyphe à son tour vous étonne, Avec son roc toujours retombant ; rien ne donne Une idée, un tableau, des douleurs d'un amant. Que l'homme sage évite avec soin le tourment !
De mes succès naguère on vantait l'avantage... Un jour sur dix, voilà maintenant mon partage. Je n'ai plus qu'à choisir, dans mon malheureux sort, Ou poison ou rocher pour me donner la mort, Puisque vers toi ma plainte est sans effet lancée, Et qu'à ton seuil je dors par une nuit glacée. Toutefois je ne puis te haïr un instant, Et ma constance un jour causera ton tourment. ELEGIE XVIII A CYNTHIEQue d'amants par la plainte aux femmes odieux ! Souvent le froid silence en triompherait mieux. Soyez témoins discrets des fautes d'une amante ; Dissimulez toujours l'ennui qui vous tourmente.
Mais comment supporter qu'on me traite céans Comme un homme ridé couvert de cheveux blancs Non, jamais de Tithon méprisant la vieillesse, L'Aurore du vieillard ne trahit la faiblesse. Laissant son char, avant de baigner ses coursiers, Elle le réchauffait par ses tendres baisers. Quand aux rives de l'Inde, aux bras de la déesse Il reposait, l'Aurore, accusant la vitesse Du temps, blâmait les dieux, au fort de son amour. De ce qu'elle annonçait trop promptement le jour, Et Tithon, sur son sein, lui donnait plus de joie Que de regrets la mort de Memnon devant Troie. Près de lui, dans sa couche, elle se reposait, Fière des cheveux blancs que sa bouche baisait... Je suis jeune, et je vois mes ardeurs condamnées Par toi qui vas plier sous le faix des années.
Je ris de tes mépris, en pensant que l'Amour A sur les coeurs ingrats plus d'un cruel retour.
Du Breton se fardant tu marches sur la trace ; Maintenant ta folie est de peindre ta face. Crois-moi, la beauté vraie est dans le naturel ; Une tête romaine est mal hors du réel ; Que les tourments d'enfer la poursuivent sous terre, La femme qui teignit ses cheveux la première. Rends-moi souvent heureux, ma Cynthie ; à ce prix De ta beauté toujours tu me verras épris ; Mais offrir de l'azur la couleur la plus pure, Cela n'embellira jamais une figure.
Je veux être ton frère ou ton fils tour à tour, Et de leur tendre coeur avoir pour toi l'amour ; Mais sur un lit témoin de ta chaste nature Garde-toi de montrer une vaine parure. J'en crois la renommée. Ah ! crains de t'y fier, Car sa voix se répand dans l'univers entier. ELEGIE XIX A CYNTHIETu fuis Rome ; pourtant je suis heureux, Cynthie, De penser qu'en nos champs tu vas couler ta vie. Dans ces lieux innocents nul jeune corrupteur Qui vienne, en ses discours, attaquer ta pudeur ; Sous ta fenêtre close aucun cri téméraire N'interrompra jamais ton sommeil solitaire. Là, tu devras aux prés, aux monts, à leurs troupeaux, Au pauvre agriculteur des spectacles nouveaux. Point de lubriques jeux, de temples où tu puisses Troubler par tes propos les divins sacrifices, Mais de forts boeufs traçant un pénible sillon, Ou le cep s'abattant sous l'adroit vigneron. Quelquefois, immolant un chevreau domestique, Tu brûleras l'encens sur un autel rustique, Et, simple en ton cothurne, en conduisant des choeurs Tu seras à l'abri des hommes séducteurs. Moi, je suivrai les pas de la chaste déesse ; Vénus aura mes voeux, Diane ma tendresse. L'animal des forêts tombera sous ma main ; Je mettrai sa dépouille à la cime d'un pin ; J'exciterai mes chiens ; cependant mon audace Du sanglier, du lion, ne suivra pas la trace. Mais je puis dans ces lieux où, dans ces belles eaux, Le Clitumne blanchit la robe des taureaux, Poursuivre de mes traits ou le lièvre timide, Ou l'oiseau, dans les airs, de ma flèche rapide. Si pourtant le désir aiguillonne tes sens, Souviens-toi que j'arrive à tes appels pressants. Toutefois les forêts, le ruisseau qui chemine Mollement à travers la mousse et la colline, N'entendront prononcer ton nom dans mon amour. De crainte d'indiscrets prévenant mon retour. ELEGIE XX A CYNTHIEPourquoi m'accuses-tu d'avoir manqué de foi, Ou d'un lâche abandon bien indigne de moi ? Briséis loin d'Achille, Andromaque captive, Elevaient moins que toi leur voix triste et plaintive. Dans les bois de Cécrops, Philomèle éplorée Etait, pendant la nuit, moins que toi désolée, Et, sur le Sipylus, Niobé, sans enfants, Jamais ne répandit des pleurs plus abondants. Quand des chaînes d'airain, dans une tour profonde, Ainsi que Danaé, m'écarteraient du monde, Pour accourir vers toi, nul lien, nulle tour, Ne pourrait, un instant, arrêter mon amour. Le mal qu'on dit de toi n'affecte pas mon âme, Et Cynthie a pourtant des doutes sur ma flamme ! Oui, j'en prends à témoin les os de mes parents (Puissent m'anéantir leurs mânes, si je mens !), Je t'aimerai toujours, et Properce et Cynthie Cesseront de s'aimer quand finira leur vie.
Si je n'étais soumis aux charmes que je vois, La douceur de ton joug me tiendrait sous tes lois. Sept fois l'astre des nuits a fourni sa carrière, Et sans cesse de nous s'entretient Rome entière, Depuis qu'un libre accès m'amène à tes faveurs Et qu'un seul lit reçoit nos communes ardeurs. Ce n'est pas aux présents, aux offres gracieuses, Mais à toi que je dois ces nuits délicieuses ; Ton coeur m'a seul choisi parmi tant d'aspirants. Eh ! pourrais-je oublier des bienfaits aussi grands ! Si je deviens ingrat, poursuivez-moi, Furies ; Du juge des enfers Haines inassouvies, Faites-moi dévorer par un autre vautour ; Que sans trêve je roule un rocher à mon tour. Cynthie, et sans descendre à cette humble prière, La première en mon coeur y vivra la dernière, Car j'ai seul un mérite et je l'aurai toujours C'est d'aimer mûrement et d'aimer sans retour. ELEGIE XXI A CYNTHIEPour m'avoir accusé sans raison, que Panthus Supporte justement le courroux de Vénus.
Ah ! crois-tu que Dodone ait un meilleur augure ? Ton favori charmant te joue et se parjure ; Il prend femme, oubliant le bonheur de tes nuits... Crédule coeur, eh bien ! dévore tes ennuis, Solitaire, pendant qu'auprès d'elle il se vante De t'avoir, malgré lui, possédée en amante. Tous tes adorateurs, de tes feux peu jaloux, Te cherchent pour leur gloire, ainsi que cet époux. Tel autrefois, fuyant un abri dont il use, Jason laisse Médée et vole vers Créuse ; Tel Ulysse, poussant sa nef vers d'autres ports, Fuit l'île où Calypso déplore ses transports. Instruites du mépris que l'on fait de vos charmes, Trop faciles beautés, ne cédez point les armes...
Mais déjà ton coeur rêve un autre adorateur ! Ne peux-tu fuir, trompée, une nouvelle erreur ? Pour moi, sois en santé, souffre de maladie, En tous temps, en tous lieux, j'appartiens à Cynthie. |