ELEGIE VII NAUFRAGE DE PETUSL'argent seul est l'auteur de notre triste sort. Avant l'heure par lui nous touchons à la mort ; Il fournit l'aliment au vice qui nous mine Et des chagrins cuisants il est seul l'origine. Vers l'Egypte Pétus dirigeait son vaisseau, Et c'est toi, vil argent, qui l'engloutis sous l'eau. Pendant qu'il te poursuit, à la fleur de son âge, Des monstres de la mer il devient le partage. Infortuné Pétus, dans de derniers adieux, Ta mère ne pourra te joindre à tes aïeux ! Sur toi l'oiseau marin s'acharne avec furie ; Ton corps a pour tombeau la mer de Carpathie.
De la triste Orithye Aquilon ravisseur, Quel fruit te revient-il, dis-moi, de son malheur ? Neptune, quel plaisir, sur l'Océan immense, De briser un esquif où siégeait l'innocence ? O Pétus, vainement ta mère est dans tes voeux. L'âge n'est rien ; pour toi la mer n'a plus de dieux. L'ouragan, déchaîné sur le liquide empire, Use et rompt les liens qui tenaient ton navire.
Tel périt Argynnus, et les bords menaçants Rappelant son trépas disent les sentiments Du fier Agamemnon. Sa flotte, qu'il oublie, Par son retard causa la mort d'Iphigénie...
Flots, rejetez son corps, et s'il n'existe plus, Qu'un peu de sable au moins s'élève sur Pétus ! Qu'en voyant son tombeau, le nautonier s'arrête Et dise : «Il est prudent de craindre la tempête».
Allez, frêles vaisseaux, préparez d'autres morts Que nous activerons par nos humains efforts. La terre était trop peu ; nous courons l'onde amère. Oui, l'homme est l'artisan de sa propre misère. L'ancre servira-t-elle à qui fuit sa maison ! Tous les maux contre lui fondent avec raison. Nul vaisseau ne vieillit ; aux vents tout équipage Périt, et le port même est témoin du naufrage.
La nature à l'avare ouvre le sein des mers ! Pour un léger succès que de nombreux revers ! Les Grecs virent leur flotte aux rocs de Capharée Sombrer, et leurs trésors grossir l'onde salée. Ulysse entend les cris de ses soldats mourants, Et son génie alors n'a plus d'expédients.
Si, content de ses boeufs et de son héritage, Pétus avait voulu goûter un avis sage, Il vivrait maintenant au milieu des douceurs, Pauvre dans ses foyers, mais sans verser de pleurs. Dans le bruit qui le trouble, au courant qui l'entraîne, Sa main débile oppose une manoeuvre vaine... Cependant il rêvait, dans un lit précieux, De reposer son chef sur un duvet soyeux... Mais contre son vaisseau le flot sans paix ni trêve Bat, envahit ses flancs et sans pitié l'enlève, Et sur la sombre mer, contre un faible débris, Pour détruire Pétus les maux sont réunis.
Quand les ondes pourtant, dans ce malheur extrême, L'étouffent, il se plaint en cet adieu suprême : «Dieu de la mer Egée, Aquilon, roi des eaux, Vagues qui sur ma tête entassez tant de maux : Où poussez-vous ainsi la fleur de mes années ? Que de mers par mes bras sont déjà mesurées ! Neptune contre moi s'arme de son trident ; Je vais des alcyons toucher quelque brisant. Ah ! puisse au moins la vague, aux bords de l'Italie, Me jeter dans les bras d'une mère chérie...»
Il dit, et disparaît dans le gouffre béant. Avec ces derniers mots vint son dernier moment.
O filles de Nérée, et vous dont la tendresse, D'une mère a connu le poids de la tristesse, Thétis, que n'avez-vous détourné son trépas, En soutenant son corps, poids léger pour vos bras !
Sans que j'aille affronter une mer en furie, Mes os reposeront un jour près de Cynthie. ELEGIE VIII A CYNTHIENos disputes d'hier furent pleines de charmes. Tes injures, tes cris, tes menaces, les armes Que présente Bacchus à ta main en fureur, Ces coupes contre moi, tout cause mon bonheur ; Oh ! que n'arraches-tu mes cheveux dans ta rage ! De tes beaux doigts peux-tu respecter mon visage ! Pourquoi de ton flambeau ne pas brûler mes yeux ! Que ne déchires-tu mes habits odieux ! Sans violent amour, il n'est aucune flamme ! C'est par lui que l'on voit les ardeurs d'une femme.
D'outrages sans répit qu'elle envoie un torrent, Et qu'aux pieds de Vénus elle aille se tordant ; D'esclaves qu'elle traîne une suite bruyante, En parcourant la ville ainsi qu'une bacchante ; Que des rêves affreux agitent son sommeil ; Qu'elle tremble en voyant la vierge au front vermeil ; A ces signes connus, sans erreur je devine La grande passion qui dans elle domine. Défiez-vous d'un coeur insouciant et froid. Que chez mes ennemis telle maîtresse soit. Que sur mon cou, gravée, une empreinte vivante Laisse voir mes rapports avec ma vive amante. Je veux, dans notre amour, mes plaintes ou tes cris, Sentir couler mes pleurs, ou voir tes yeux rougis, Dans ces moments de crise où, malgré ton silence, Ton geste et tes regards sont remplis d'éloquence. J'abhorre le sommeil sans amours ni soupirs ; Je veux trembler, sans trêve, aux feux de tes désirs.
Pâris était plus vif, quand, désertant l'arène, Après de grands combats, il revoyait Hélène. Pendant qu'Hector résiste aux Grecs victorieux, Combien livre Pâris de combats amoureux ! A Cynthie, aux rivaux je fais toujours la guerre ; Entre nous nulle paix ne peut être sur terre. Sois fière ; tu n'as point de rivale en beauté. Rien ne peut s'opposer à ta juste fierté.
Mais pour toi dont la ruse a trompé ma maîtresse, Vis sous une marâtre et son époux sans cesse, Et ce bonheur surpris, rapporte-le toujour Au courroux de Cynthie et non à son amour. ELEGIE IX A MECENEIllustre rejeton des rois de l'Etrurie, Quand borner ta fortune est ton unique envie, Pourquoi lancer ma muse aux vastes océans ? Ma voile ne sied pas aux navires puissants. Il est honteux de prendre un fardeau qui, trop large, Causant votre rougeur, vous brise sous la charge.
Nous ne possédons pas tous le même talent ; La gloire ne vient pas pour tous également. Lysippe au bronze dur donne la vie et l'âme ; Calamis aux coursiers communique la flamme ; Apelle en ses tableaux fait respirer Vénus ; Dans les sujets légers brille Parrhasius ; La beauté de la forme en Mentor nous enchante ; Mys façonne à ravir les contours de l'acanthe ; Phidias dans l'ivoire anime Jupiter ; Le marbre de Paros de Praxitèle est fier ; Quelques-uns sur des chars disputent la victoire : D'autres aux pieds légers doivent toute leur gloire ; L'un recherche la paix ; l'autre le bruit des camps. La nature à chaque homme assigne ses penchants.
Votre conduite en tout me servit de modèle ; J'y veux, pour triompher, toujours rester fidèle. Vous pouvez obtenir l'honneur suprême et voir Les faisceaux, de vos lois soutenir le pouvoir ; Voler contre le Mède, et, vaillant capitaine, Avoir votre maison de lauriers toute pleine. César vous fournirait l'armée et sa faveur ; La fortune, après lui, clorait votre bonheur. Mais vous fuyez l'éclat, et, loin de la lumière, Modeste, vous tirez vos voiles en arrière. Dans les siècles futurs, grâce à votre raison, Des Camilles le vôtre égalera le nom ; Sur les pas de César vous irez à la gloire ; Votre fidélité sera votre victoire.
Je cherche ainsi, fuyant le terrible élément, Sur un fleuve paisible un danger moins pressant. Je ne tracerai pas les maux héréditaires De Thèbes, les combats désastreux des deux frères. Scée ou Pergame en vain réclameraient mes chants, Comme les Grecs rentrés après dix longs printemps, Lorsque, l'art de Minerve aidant à leur fortune, Ils eurent renversé les remparts de Neptune. Si j'ai de Callimaque accompagné les pas, Si j'ai monté ma lyre au ton de Philétas, Ce bonheur me suffit ; que la verte jeunesse, M'honorant comme un dieu vers mes autels se presse.
Commandez, et je puis célébrer dans mes chants Jupiter, au Phlégra, renversant les géants ; Ce palais où jadis l'herbe couvrait la terre ; Rome s'affermissant par le meurtre d'un frère ; Et la louve sauvage allaitant deux enfants. Vos désirs peuvent seuls accroître mes talents. Je puis chanter César, dans une course heureuse, Des Parthes arrêtant la fuite insidieuse ; L'Egypte humiliée, au pouvoir des Romains ; Antoine contre lui tournant ses propres mains.
Continuez plutôt à guider mon jeune âge Sur la voie où déjà mon char nouveau s'engage. Mon triomphe, ô Mécène, et ne me l'ôtez pas ! Sera d'avoir guidé, sur les vôtres, mes pas. ELEGIE X ANNIVERSAIRE DE CYNTHIECe matin, le soleil empourprait l'horizon, Lorsqu'autour de mon lit, frappant à l'unisson Trois fois avec leurs mains, les Muses, de Cynthie Ont annoncé le jour qui commença la vie.
Puisse-t-il sans nul vent, sans nuages, ce jour Voir le calme des mers sur leur vaste contour ! Qu'il soit pour tous les coeurs plein de joie et de charmes ; Que Niobé se calme et sèche aussi ses larmes ; Que l'alcyon plaintif ne pousse plus ses cris ; Que la tendre Progné ne pleure plus Itys.
Et toi qui vins au monde en une heure propice, Lève-toi ; rends aux dieux un culte de justice ; Laisse de ton sommeil la souillure en cette eau ; Que ta main à ton chef donne un lustre nouveau, Et, rehaussant de fleurs ta belle chevelure, Aux yeux qu'elle a séduits offre même parure. Viens demander aux dieux qu'on puisse toujours voir Ta beauté sur mes sens étendre son pouvoir ; Puis, ayant honoré d'encens et de guirlandes Tes lares, d'un feu pur éclaire tes offrandes. Ensuite, prolongeant la nuit dans un festin, Nous pourrons aspirer le parfum le plus fin. Nos choeurs, qu'animeront tes lascives paroles, Vaincrontles instruments dans nos danses frivoles ; Le sommeil importun désertera nos yeux, Et nos éclats bruyants rempliront tous ces lieux. Les dés aussi diront, interprètes fidèles, Lequel de nous l'Amour frappe mieux de ses ailes.
Enfin, rassasiés des faveurs de Bacchus, Nous irons honorer la puissante Vénus. Notre lit deviendra comme le sanctuaire Qui verra terminer ta fête anniversaire. ELEGIE XI L'EMPIRE DES FEMMESPourquoi vous étonner qu'une femme m'enchaîne Et que son char vainqueur après elle m'entraîne ? Pourquoi m'accuse-t-on d'infâme lâcheté Si je ne puis briser le joug de la beauté ?
Le marin, de la mort prévoit le mieux l'atteinte ; Sa blessure au soldat fait connaître la crainte. Jeune aussi, je tenais ce langage assez fier. Par mon exemple, ami, sache te défier.
Tu domptas les taureaux qui vomissaient la flamme, Tu fis sortir du sol des bataillons pleins d'âme, Médée, et pour aider dans le succès Jason, Ta puissance endormit le terrible dragon.
Sur son coursier fougueux, de ses flèches rapides Penthésilée a pu poursuivre les Atrides, Et, dévoilant son front et ses traits gracieux, D'Achille désarmer le bras victorieux.
Omphale, une beauté que le lac de Gygée Avait vue en ses eaux si fréquemment plongée, D'Hercule qui du monde avait touché la fin Triomphe, et le héros tient les fuseaux en main.
Sémiramis fonda Babylone, et sa ville Dut ses remparts au feu qui durcissait l'argile, Si larges au sommet que deux chars s'y croisaient Et, libres sur ces murs, nullement se froissaient. Elle enferma l'Euphrate en cette vaste enceinte Et Bactres sous son joug de plier fut contrainte. Sans vouloir faire ici leur procès aux héros Ni citer d'autres dieux devant mes tribunaux, Que de fois Jupiter, dans sa faiblesse extrême, Par des amours honteux s'est compromis lui-même ! A des esclaves vils prodiguant ses appas, Une femme d'opprobre a couvert nos soldats ; Cette reine voulait d'un amant impudique Rome et Sénat pour prix de son ardeur lubrique. Alexandrie, ô sol contraire à nos destins, Memphis souvent noyée en le sang des Romains ; Rivage où de Pompée a succombé la gloire, Quel temps effacera cette honteuse histoire, O Rome ! Il valait mieux, à Pharsale, au vainqueur Te soumettre, Pompée, et subir sa rigueur !
Quoi ! de Canope, un jour, l'incestueuse reine, De Philippe la honte, en son audace vaine, Prétendait qu'Anubis remplaçât Jupiter : Que le Tibre s'enfuît devant le Nil altier ; Que le sistre couvrît nos trompettes guerrières ; Que ses esquifs légers vainquissent nos galères ; Et, sur le Capitole, auprès de Marius, Que nous fussions traités ainsi que des vaincus ! S'il eût fallu plier ainsi sous une femme, Mieux valait de Tarquin porter le joug infâme ! César nous a sauvés. Rome, pour ce héros Demandons de longs jours à l'abri de tous maux...
Mais elle a de son Nil fendu les tristes plaines !... Bientôt elle a tendu ses mains devant nos chaînes, Et j'ai vu sur son bras, sous la dent du serpent, L'endroit par où la mort se glissa sourdement. Rome, puisque César te défend sans faiblesse, Que peuvent contre toi l'inconduite et l'ivresse ?...
Rome, reine du monde, a redouté pourtant, De sa part, des combats l'appareil menaçant. Elle avait d'Annibal oublié les défaites ; Sur Syphax, sur Pyrrhus nos brillantes conquêtes ; L'abîme que combla de son corps Curtius ; L'ennemi, pour sa perte, immolant Décius ; Cocles qui seul défend un pont de bois qu'on coupe ; Un corbeau protégeant Corvus contre une troupe ! Oeuvre des dieux, nos murs sont défendus par eux César peut balancer presque le roi des dieux. Triomphes de Pompée, étendards de Camille, Flottes des Scipions... Souvenir inutile ! Par ses chants, Apollon fixera sans retour Nos succès sur Antoine, établis en un jour. César, pour le marin, qu'il parte ou qu'il revienne, Sera toujours un dieu sur la mer Ionienne. ELEGIE XII A POSTUMEPostume, de Galla tu méprises les pleurs, Pour suivre de César les étendards vainqueurs. Le butin sur le Parthe ou son ardeur guerrière Peuvent-ils de Galla balancer la prière ? Ah ! malédiction à l'homme avare et vain Qui préfère la guerre aux douceurs de l'hymen ! De ta soif, à l'Araxe, apaisant la torture, Quand tu te pencheras sous ta brûlante armure, Ta languissante épouse, en proie à la terreur, Craindra pour toi l'effet de ta bouillante ardeur ; Elle croira te voir sous l'ardent sagittaire, Sous les coursiers dorés rouler sur la poussière, Ou recevoir, en pleurs, tes débris tout sanglants. Tel le soldat revient du milieu de ces camps.
Postume, trop heureux, ton ardeur belliqueuse Ne devait pas avoir femme aussi vertueuse. Pourra-t-elle dans Rome, école d'impudeur, Au milieu des écueils aller sans défenseur ! Sois paisible ; Galla, dans sa vertu suprême, Triomphera de tout, de ta dureté même, Et, vainqueur du destin,tu prendras dans tes bras, Suspendus à ton cou, ses pudiques appas, Nouvel Ulysse, fier d'une autre Pénélope !
Par dix ans, sans regrets, le temps se développe, Tandis qu'Ulysse vainc les Cicones, Calpé, Polyphème dont l'oeil est par sa main crevé. Sa vertu par Circé n'est nullement surprise, Et les sucs du lotos sur lui n'ont point de prise ; De Scylla, de Charybde il surmonte les eaux ; Ses soldats du Soleil dévorent les taureaux Que tenait sous sa garde et paissait Lampérie, Sans que d'Ulysse rien ne ternisse la vie ; De Calypso trop tendre il se soustrait aux pleurs ; Puis, lorsqu'il a sur mer prolongé ses erreurs, Evité le détroit périlleux des Sirènes, Il va voir de l'enfer les ténébreuses plaines ; Son arc le débarrasse enfin de ses rivaux, Et quand il a par là terminé ses travaux, Pénélope l'accueille exempte de tout vice, Et Galla renchérit sur l'épouse d'Ulysse. ELEGIE XIII AVARICE DES FEMMESVous demandez pourquoi, la nuit, des femmes viles Vendent cher des plaisirs en ruines fertiles. De ces malheurs si grands la raison, la voici : Le luxe forme seul notre unique souci ; L'Inde nous donne l'or de ses mines profondes ; La mer Rouge fournit les perles de ses ondes ; La pourpre que produit le pays de Cadmus ; Les parfums d'Arabie à nous seuls sont vendus. Point de vertu du jour, qui ne livre ses charmes. Pénélope, je crois, céderait à ces armes. Couverte des trésors d'un homme sans valeur, Chaque Romaine étale aux yeux son déshonneur. La femme exige tout ; l'homme donne sans cesse ; Tout plaisir retardé n'attend qu'une largesse.
Aux champs qui du soleil voient les premiers rubis, Il existe une loi favorable aux maris. Sous leurs époux défunts quand les flammes crépitent, Les femmes au bûcher, en deuil, se précipitent. C'est une lutte à qui le suivra dans la mort ; Elles trouvent l'honneur à partager son sort, Et les plus tendres vont, quand le feu le dévore, Se pencher sur ses traits et l'embrasser encore. A Rome, que fait-on ? La femme y vend son coeur ; Plus d'Evadné fidèle ! Ici plus de pudeur !
Des temps de l'âge d'or trop heureuse jeunesse, Les vergers, les moissons formaient votre richesse ; Vous borniez votre faste aux produits de vos champs ; La mûre en vos paniers composait vos présents ; Le lis, la violette et les fleurs printanières Brillaient entre l'osier tressé par vos bergères ; Vous offriez des raisins de leur pampre couverts ; Des oiseaux nuancés de plumages divers, Et ces dons, sous les bois, dans de tendres caresses, Vous valaient les baisers de vos chastes maîtresses ; De simples peaux de faon couvraient seules vos dos ; Sur un gazon touffu vous preniez le repos ; A l'ombre d'un haut pin, sans crime, à votre vue, Vos nymphes étalaient leur grâce toute nue. Seul, un bélier, le soir, de l'Ida ramenait Le troupeau qui, repu, sans peine le suivait. Heureux bergers, les dieux prenaient votre défense ; Vos foyers s'honoraient de leur douce présence ; Poursuivez, disait Pan, en tous lieux, sur mes champs Ou le lièvre timide ou l'oiseau ; j'y consens. Même de la colline appelez, et, propice, Je viendrai prendre part à ce double exercice. Mais l'on fuit aujourd'hui les temples, les autels. L'or est l'unique dieu qu'adorent les mortels ; Il conduit aux emplois, il corrompt la justice, Il honnit la vertu pour couronner le vice.
De la foudre pourtant Brennus se trouve atteint Pour avoir d'Apollon pillé le temple saint, Et ses soldats punis périssent sous la glace Que de ses sommets verts fait pleuvoir le Parnasse.
Au mépris de la foi, Polydore, ton or En un meurtrier changea l'hôte Polymnestor. Pour l'or d'un bracelet, Eriphyle barbare, Tu plongeas ton époux dans le sombre Tartare.
Rome, je le prédis, et puissé-je mentir ! Ta richesse, crois-moi, vise à t'anéantir. Vains discours ! car je suis cette pauvre Cassandre Que jadis les Troyens ne voulaient pas entendre. Elle eût sauvé Priam et son trône à la fois ; Mais les dieux vainement s'exprimaient par sa voix, Quand d'Ilion sa bouche annonçait la ruine, Et qu'un cheval de bois en serait l'origine. ELEGIE XIV JEUX DE SPARTE0 Sparte, de tes jeux nous admirons les lois, Mais surtout, quand du sexe en augmentant les droits Sans craindre les lutteurs, ni blesser la décence, La jeune fille nue au milieu d'eux s'avance. Elle lance la balle et lui fait fendre l'air ; Le cercle lourd se meut sous sa tige de fer ; Dans la poudre elle vole au bout de la carrière ; Ardente, elle soutient la lutte meurtrière ; Elle attache à son bras le gantelet pesant ; Le disque de sa main s'enfuit en tournoyant ; Elle guide un coursier ; à son flanc elle applique Le glaive, et de l'airain couvre son front pudique. On dirait l'amazone au sein nu, dans les eaux Enlevant la sueur de ses rudes travaux. Au Taygète, parfois, de frimas recouverte, Elle pousse ses chiens, aussi vive qu'alerte. Tels Castor et Pollux, aux bords de l'Eurotas, Préparaient les succès de leurs futurs combats, Quand, devant ces héros découvrant sa poitrine, Hélène résistait à leur force divine.
Le mystère est dans Sparte interdit aux amants, Mais ils peuvent paraître aux regards des passants. La vierge y grandit libre et loin d'un oeil austère ; L'épouse n'y craint pas un mari trop sévère ; On y déclare seul ses feux et sans nuls frais. Si l'on est repoussé, c'est pour de courts délais ; La pourpre sous les yeux jamais ne s'y déroule ; D'esclaves empressés on n'y voit nulle foule.
La femme est entourée à Rome, en tout endroit On ne peut l'approcher même du bout du doigt, Lui parler, ni juger du teint de son visage, Et l'Amour, sans y voir, dans la nuit y voyage.
De Sparte, ô Rome, adopte et les lois et les jeux. Pour de telles faveurs je t'en aimerai mieux. ELEGIE XV A CYNTHIEPuissé-je, si je mens, des plaisirs de l'amour, Dans la nuit, solitaire, ignorer le retour.
Je venais de quitter la robe du jeune âge Et pouvais me livrer à l'amoureux voyage Quand l'adroite Lycinne, et sans présents repus, M'initia, la nuit, aux plaisirs de Vénus. Depuis trois ans bientôt, et la chose est certaine, A Lycinne j'ai dit dix paroles à peine. D'autres affections ton amour fut la fin, Et je n'eus dès ce jour de bonheur qu'en ton sein.
N'imite point Dircé. Sa jalouse colère Poursuivait de Lycus l'amante imaginaire. Que de fois, d'Antiope enflammant les cheveux, Elle mit sur sa joue un stigmate odieux ! Que de fois, l'accablant d'une tache trop dure, Elle la contraignit de coucher sur la dure ! Souvent, aux profondeurs d'une infecte prison, Elle lui refusa la plus simple boisson. Quoi ! Jupiter, tu vois les maux de ta maîtresse, Et ta main ne rompt pas la chaîne qui la blesse ! Pour ta divinité ce retard est honteux. Antiope peut-elle invoquer d'autres dieux ? Enfin, réunissant ce qu'elle a de courage, Elle brise le joug de son dur esclavage, Sur le haut Cithéron timidement s'enfuit, Et sur un lit de neige y repose la nuit. Au seul bruit de l'Asope elle croit derrière elle Entendre s'avancer sa maîtresse cruelle ; Zéthus fort durement la repousse ; Amphion, Triste, ne peut offrir un gîte en sa maison.
Quand de la mer houleuse ont cessé les colères, On n'entend plus des vents les sifflements contraires. Le rivage se tait, et muets sont les flots ; Telle Antiope cède enfin à tant d'assauts. Amphion et Zéthus reconnaissent leur mère, Par les soins du vieillard qui leur servit de père, Et vengeant sur Circé des traitements affreux, Ils l'attachent au front d'un taureau furieux. Son corps frappe en tous lieux. Jupiter, ta vengeance Pour Antiope, alors, montra ta préférence. Le sang de Circé coule aux prés verts de Zéthus ; Amphion, triomphant, chante le dieu Phébus.
Epargne donc Lycinne ; elle n'est point coupable. Mais la femme en colère a le coeur implacable ! Ne prête point l'oreille à des propos menteurs. Le tombeau, seul, pour toi détruira mes ardeurs. |