ELEGIE III ARETHUSE ET LYCOTASTon Aréthuse écrit à son cher Lycotas, S'il est encore mien, éloigné de mes bras. Si des traits effacés s'offrent à la lecture, Mes larmes ont causé, seules, cette rature, Et si le caractère apparaît incertain, C'est que je l'ai tracé d'une mourante main.
Tes yeux ont déjà vu de Bactres les frontières, Les terribles coursiers et les fureurs des Sères ; Des Bretons aux chars peints et des Gètes glacés, Tu cours aux Indiens dont les traits sont brûlés. Est-ce là cette foi, cette promesse faite Quand l'amour dans tes bras assura ma défaite ! C'est aux feux d'un bûcher de sinistre destin Que pour moi s'alluma le flambeau de l'hymen ; Ce fut au lac du Styx que, pour pareille fête, On alla puiser l'eau qui tomba sur ma tête ; J'étais à Lycotas ; mais, sur l'aveu des dieux, Mon front se vit couvert de bandeaux odieux. De mes voeux chaque temple annonce l'impuissance ; J'ai tissé quatre habits déjà pour ta défense. Périsse le premier qui retrancha des camps Et des os retira des sons terrifiants, Plus coupable qu'Ocnus qui, de sa main avare, Tresse un jonc qui nourrit un âne au noir Tartare ! Dis-moi si la cuirasse a meurtri ton beau corps, Si ta lance à ta main coûte de lourds efforts. Oh ! succombe plutôt qu'une infâme maîtresse De ses impurs baisers n'attriste ma tendresse ! Ton visage maigrit, me dit-on, Lycotas. Que ce soit du regret de mes tristes appas ! Pour ce qui reste ici, tendre époux, de tes armes, La nuit, en les baisant, je les couvre de larmes, Et demandant en vain au sommeil le repos, J'attends l'éclat du jour et le chant des oiseaux ; Pendant les nuits d'hiver, à tes habits de guerre, A la laine de Tyr je me consacre entière ; De l'Araxe insoumis j'apprends le cours des eaux, Combien de milles fait un coursier sans repos. Sur la toile suivant les peuples, je m'empresse Du dieu qui les plaça d'admirer la sagesse. Je cherche les pays des chaleurs, des froids vifs : Vers nos rives quel vent conduit mieux les esquifs. A mes côtés, en vain, ma nourrice et ma soeur, Tristes, par la saison excusent ta lenteur.
Hippolyte, sein nu, pour la bataille prête, Couvrait d'un casque lourd sa délicate tête. Si la Romaine était admise dans les camps, Aréthuse suivrait tes exploits en tous temps. Ni les monts ni les vents couvrant l'arbre de glace Ne pourraient m'empêcher de marcher sur ta trace. L'amour est tout-puissant, mais Vénus de sa main Excite encor l'Amour, compagnon de l'Hymen.
Que me fait l'ornement de la pourpre éclatante, Ou, placée à ma main, la perle transparente ! Rien ne parle à mon coeur. Une fois seulement, Dans chaque an, ma maison s'ouvre aux voeux du passant. De ma chienne Glaucis la voix seule me touche. Et, seule, Glaucis prend ta place dans ma couche, Autels et carrefours s'ornent de mes présents ; Aux foyers des aïeux je fais brûler l'encens. Si de feux pâlissants ma lampe s'illumine, Si gémit le hibou sur la maison voisine, Aussitôt c'est l'arrêt de mort du tendre agneau Que l'avide pontife atteint de son couteau.
Pour ravir les parfums, les tissus d'Arménie, Ne sois pas le premier à l'assaut, je te prie. Alors que les frondeurs obscurcissent les cieux, Evite bien les traits du Parthe insidieux, Et, ce peuple soumis, rentre vainqueur dans Rome, Près du char triomphal, ta lance en main, et comme Un chaste époux qui m'a gardé toute sa foi. A ce prix seulement je soupire après toi. J'appendrai ton armure à la porte Capène Et rendrai grâce au ciel qui vivant te ramène.
ELEGIE IV TARPEIAJe dirai Tarpéia brûlant de feux impurs, Son tombeau, Jupiter prisonnier dans ses murs.
Entouré d'arbres frais, près d'une source claire, Un antre apparaissait, aux flancs couverts de lierre, Demeure d'un silvain. La flûte du berger Y menait les troupeaux pour se désaltérer. A l'entour Tatius place sa troupe fière Et ses camps qu'il enceintd'un simple mur de terre. Quelle était ta faiblesse, ô Rome, dans ce temps Où le soldat sabin troublait par ses accents Le Capitole, et lorsqu'il pénétrait l'enceinte Du Forum, aujourd'hui de l'univers la crainte ! Nos murs étaient un mont, et le sénat des lieux Où venait s'abreuver le coursier belliqueux. Dans une urne d'argile, à ce lieu, la prêtresse Venait demander l'onde utile à sa déesse. De la mort que n'as-tu souffert les maux affreux, Tarpéia, qui trahis de Vesta les saints feux !
Elle vit Tatius dans la plaine poudreuse Agiter arme et casque à l'aigrette onduleuse, Et la beauté du roi, ses grâces, ses appas Lui font oublier l'urne échappée à ses bras. Souvent, blâmant des nuits l'innocente courrière, Elle volait baigner son chef à la rivière, Et pour son bel amant craignant les ennemis, Aux nymphes de ces lieux elle offrait de blancs lis.
Le Capitole fuit sous la vapeur épaisse ; Aux ronces, au retour, la vestale se blesse, Et du mont elle exhale un amour odieux Que, voisin, n'eût point dû souffrir le roi des cieux.
«Feux, tente du héros qui là-bas vous commande, Sabins, en vous voyant, ah ! que ma joie est grande ! Que je sois près de vous captive si, vainqueur, Mon Tatius me doit retenir sur son coeur. Je vous maudis, ô monts où Rome a pris naissance : Toi, Vesta, qui rougis déjà de mon offense, Je te maudis... Coursier, qu'il flatte de sa main, Sur ton dos mes amours s'élanceront demain ! Je comprends de Scylla le fatal artifice, Qu'une meute à ses flancs poursuive son supplice, Qu'Ariadne délaisse un frère, et qu'en ses feux Elle ouvre à son amant les détours tortueux. Quel opprobre je fais pleuvoir sur la jeunesse, En souillant les foyers de la chaste déesse ! Si des feux de Vesta s'éteignent les ardeurs, Qu'on m'absolve : l'autel fut baigné de mes pleurs.
On se battra demain dans Rome, à ce qu'on pense, De ce mont buissonneux occupe l'éminence, Cher Tatius. La route est glissante et les eaux Remplissent sous les pas de perfides canaux. Si des enchantements je tenais l'art suprême, Ma langue secourrait le beau guerrier que j'aime. Que la pourpre te sied autrement qu'à celui Qu'a fait vivre une louve et que sa mère a fui ! Rome que je trahis n'est pas une dot vaine. Que je sois dans ta couche amante ou souveraine ! Ou, vengeant les parents déshonorés un jour Dans les Sabines, viens m'enlever à mon tour... Je puis calmer la rage au fort de la mêlée. Que des deux nations l'alliance scellée Fasse chanter l'amour, taire le dur airain. Femmes, que de vos maux mon hymen soit la fin !
Quatre fois a sonné la trompette guerrière, Les astres dans la mer vont plonger leur lumière. Ah ! puisse le sommeil en me fermant les yeux M'offrir mon Tatius dans des rêves heureux !»
Elle dit ; et, brûlant d'une nouvelle flamme, Au dieu qui la tourmente elle livre son âme, Car Vesta, d'Ilion gardant le feu sauveur, Souffle, avive en son flanc sa criminelle ardeur. Pareille à l'Amazone, au sein nu, qui devance Le Thermodon, ainsi la vestale s'élance.
On célébrait alors le jour que nos parents Vouèrent à Palès pour leurs remparts naissants. Jeux et rustiques mets, dans cet anniversaire, Aux bergers enlevaient les plis d'un front austère ; Ils allumaient la paille, et, sur de rares feux, Sautaient en s'élançant d'un pied lourd et poudreux. Romulus, suspendant sa valeur militaire, Avait fait taire aux camps la trompette guerrière. Nul garde. Tarpéia saisit l'heureux moment, Se lie et Tatius répond à son serment.
Le mont était ardu, mais ouvert par la fête. Des chiens trop vigilants elle tranche la tête, Et quand pour le succès tout le camp sommeillait, Tout prêt à la punir, Jupiter seul veillait. Elle livre la porte à ses soins confiée, Et pour prix Tatius doit fixer l'hyménée. Cependant le guerrier que touche encor l'honneur : «Viens, dit-il, partager et mon trône et mon coeur». Et les boucliers sabins étouffent l'ennemie ; Seule dot que valût une telle infamie !
Malheureux Tarpeius ! ainsi la trahison Au mont que tu défends a fait donner ton nom.
ELEGIE V CONTRE LA CORRUPTRICE ACANTHISQue la ronce te couvre, infâme corruptrice ; Que la soif que tu crains augmente ton supplice, Et que les aboîments de Cerbère vengeur Fassent trembler ton ombre et croître ta frayeur ! Des tendres unions fléau, peste maudite, Tu plierais sous Vénus le farouche Hippolyte ; Pénélope elle-même, oubliant ses vertus, Céderait aux désirs sans frein d'Antinoüs. A ton gré, sur le fer l'aimant perd sa puissance ; L'oiseau contre son nid exerce sa vengeance. Qu'Acanthis ait mêlé tes herbes des tombeaux, Aussitôt en torrents se déchaînent les eaux ; Son art peut détacher la lune du ciel sombre ; Loup funeste, la nuit, elle erre au sein de l'ombre ; Elle peut aveugler un clairvoyant époux ; Contre moi la corneille a péri sous ses coups. C'est encor contre moi que l'infâme, en sa haine, Enleva l'hippomane à la cavale pleine.
Dans le coeur de la vierge, apôtre d'impudeur, Elle instillait le vice et soufflait son ardeur. «Veux-tu tous les trésors des indiens rivages, Disait-elle, ou de Tyr les riches coquillages ? Désires-tu de Cos les tissus précieux ; D'Attale les tapis foulés par ses aïeux ; Ce que Thèbes possède et de riche et de rare, Et les vases de prix que le Parthe prépare ? Dédaigne la constance et méprise les dieux : Brise de la pudeur les liens odieux ; Feins un mari ; prétexte ou crainte ou défiance ; Résiste et de l'amour accrois la violence. Un amant, de sa main froisse-t-il tes cheveux, Qu'il paye au poids de l'or son dépit amoureux, Et lorsque du bonheur il croit toucher à l'heure, Pour les fêtes d'Isis sois chaste en ta demeure. D'avril qu'Iole parle, et qu'Amycle, à son tour, De mai qui te vit naître annonce le retour.
Si ton amant supplie, écris et sois distraite. S'il tremble, alors ta ruse annonce sa défaite. Que sur ton cou toujours il lise de ses yeux Les indices certains de combats amoureux. En tout temps de Médée évite la bassesse. Jason, qu'elle prévient, la traite avec rudesse, Dans Ménandre Thaïs triomphe des fripons, De Thaïs suis plutôt les utiles leçons, Sache de ton amant flatter le caractère ; Marier à sa voix tes accents, pour lui plaire.
Qu'un prodigue jamais ne te recherche en vain : Que ton portier soit sourd pour qui n'a rien en main. S'ils apportent de l'or, accueille la rudesse Du marin, le soldat peu fait pour la tendresse, L'esclave même qui l'écriteau supportait Et, les pieds blancs de craie, au Forum s'élançait. Ne regarde que l'or, de quelque part qu'il vienne ; A des vers, sots discours, est-il bon que l'on tienne! A quoi servent les chants sans beaux tissus de Cos ! D'un poète sans or méprise les propos. Sans attendre l'affront des rides au visage, Mets à profit tes traits, le printemps de ton âge, Les rosiers de Paestum, au souffle du Notus, Sont, en un seul matin, de roses dépourvus».
C'est ainsi qu'Achantis, à la peau décharnée, Pervertissait le coeur de ma Cynthie aimée. D'une tendre colombe en ce jour, ô Vénus, Je t'offrirai le sang pour tes bienfaits reçus !
J'ai vu gonfler son cou la toux opiniâtre Et la bile et le sang souiller sa dent jaunâtre. Au foyer paternel, sur un tapis étroit, Elle exhala son âme impure, dans le froid. Et pour honneurs elle eut, à son heure dernière, Quelques rares cheveux, un bandeau, la poussière, Un vieux bonnet sans teint, une chienne aux jaloux Montrant les dents alors qu'ils touchaient aux verrous.
Sous un sombre figuier qu'elle reste célée, Dans l'orifice étroit d'une amphore fêlée. Aux malédictions qu'il ne soit nul amant Qui n'ajoute les coups, les pierres, en passant.
ELEGIE VI BATAILLE D'ACTIUMSilence ! j'offre aux dieux des présents solennels ; Qu'une génisse tombe au pied de mes autels ; Qu'au poète de Cos, qu'à celui de Cyrène Le dispute avec gloire une muse romaine. Apportez le Costum, faites fumer l'encens ; De la laine entourez trois fois les feux brûlants ; Répandez l'eau lustrale, et qu'avec harmonie, La flûte fasse entendre un air de Mygdonie. Le laurier sur mon chef m'ouvre un nouveau chemin. Loin de moi des méchants la fraude et le venin ! D'Apollon Palatin, Muses, disons la gloire ; Et vous qui des héros célébrez la mémoire, Vous aussi, Jupiter, inspirez mes vers, car Sur ma lyre je vais chanter le grand César.
En Epire est un port du dieu de l'harmonie, Où dans un doux repos dort la mer d'Ionie, Monument du succès d'Auguste sur les eaux, Route facile ouverte aux voeux des matelots. Ce fut dans cet endroit que, sous un sort contraire, Se trouvèrent un jour les forces de la terre. Des flottes l'une était condamnée à jamais Et la main d'une femme en dirigeait les traits ; L'autre, sous Jupiter, s'avançait pour la gloire, Couverte des drapeaux qui guident la victoire. Nérée avait en arc disposé leurs vaisseaux ; Le fer se reflétait sur les tremblantes eaux, Lorsque Phébus, laissant Délos que sa puissance Avait fixée, arrive et marque sa présence Sur le vaisseau d'Auguste, et fait briller aux yeux Les obliques rayons de trois arcs lumineux.
Apollon n'avait point sa blonde chevelure Flottant au gré du vent sur sa belle encolure, Ni sa lyre d'ivoire aux sons efféminés Quand sous sa main les nerfs s'agitent animés, Mais cet oeil qui d'Atride abattait le courage Lorsque tombaient les Grecs atteints sur le rivage. Tel il fut, délivrant le Parnasse fiévreux, En rompant les anneaux duPython monstrueux : «Fils d'Hector, dit le dieu, plus grand qu'Hector lui-même, Issu d'Albe, et du monde espérance suprême, Triomphe sur la mer, si la terre est ton bien ; Mes flèches, mon carquois, mon arc sont ton soutien. A toi seul, sur les flots, a commis la patrie Le soin de son bonheur et de sa propre vie. Sauve-la, si son roi, sur le mont Palatin, Dans le vol des oiseaux lut son heureux destin.
L'Italie a pu voir, quelle honte ! une reine Attaquer sa puissance et la flotte romaine ; Mais reste sans frayeur devant ces cent vaisseaux, Qui bientôt glisseront en fuyant sur les eaux. Le centaure à sa proue, à la menace dure, N'est qu'un fol appareil, une folle peinture. La cause qu'on défend rend lâche ou courageux. Dans une lutte injuste un soldat est honteux.
Je suis le dieu du temps ; combats et tu peux croire Que ma main guidera ta flotte à la victoire».
Il dit, et son carquois bientôt n'a plus de traits. Phébus laisse César compléter ses hauts faits. Son bras nous rend vainqueur ; Cléopâtre punie A ses vaisseaux brisés sur la mer d'Ionie, Et le père d'Auguste, en regardant des cieux, Dit : «Je suis dieu, mon fils est bien du sang des dieux».
Tandis que les Tritons mêlés aux Néréides Suivent nos étendards sur les plaines liquides, La reine vers le Nil, traînant son déshonneur, Fuit sur un frêle esquif les chaînes du vainqueur. Et quel honneur pourrait porter à notre race Une femme suivant de Jugurtha la trace ! Mais Phébus mérita des monuments nouveaux. Un seul trait de ce dieu submergea dix vaisseaux.
Trêve des grands combats, car, vainqueur par les armes Phébus des choeurs légers vient rechercher les charmes. Formez de gais festins et, sous les bois ombreux, De roses et de fleurs ceignez mon front joyeux ; Répandez le falerne, et, qu'en un jour de fête,
Le safran par trois fois me parfume la tête. Le génie est souvent redevable à Bacchus ; Le vin excite aussi l'élève de Phébus. Qu'ils chantent tour à tour et disent sur la lyre L'Egypte, Méroé soumis à notre empire, Les Sicambres vaincus et le Parthe, un peu tard, En craignant pour le sien, rendant notre étendard. Mais César pour ses fils arrête sa victoire ; De vaincre l'Orient il leur cède la gloire.
Si tu sens, sois heureux, Crassus, dans tes déserts ! De l'Euphrate vers toi les chemins sont ouverts.
Je veux boire, la nuit, chanter et boire encore, Attendant le retour des rayons de l'aurore.
ELEGIE VII L'OMBRE DE CYNTHIELes mânes ne sont pas des mythes, et notre âme Sans périr, au bûcher triomphe de la flamme.
Au bord de l'Anio, vers le bout du chemin, Morte dormait Cynthie, et je la vis soudain Se pencher sur mon lit, lorsque plein de tristesse, Tout seul, je déplorais le vide qu'elle y laisse. C'était ces yeux, ces traits qu'elle avait dans la mort ; Mais le feu de sa robe avait atteint le bord, Et rongé le béril qu'elle avait d'ordinaire. Elle avait du Léthé l'empreinte délétère. Je la vis s'animer, et, dans la sombre nuit, Ses doigts, en s'agitant, produisirent du bruit : «Toi que l'Amour jamais ne fixera, dit-elle, Perfide, le sommeil t'a couvert de son aile ? As-tu donc oublié nos amoureux larcins, Nos veilles de Suburre et la corde où mes mains, Se posant tour à tour pendant la nuit trompeuse, Remettaient ta Cynthie en tes bras, radieuse ? Que de fois, embrassés au sein des carrefours, Avons-nous réchauffé le sol de nos amours ! Engagements secrets, serments, douce caresse, Tout a des vents fougueux devancé la vitesse. Nul n'a fermé mes yeux à mon suprême instant ! A ta voix j'aurais pu vivre encore pourtant. Nul n'entendit la flûte à mon heure dernière, Et ma tête posa durement sur la pierre. Perfide, qui t'a vu dans ton abattement, Sous un habit de deuil, me suivre, en me pleurant Si tu n'accompagnais hors des murs ton amante, Tu pouvais exiger une marche plus lente. Mais que n'appelas-tu sur mon bûcher les vents ! Le feu n'exhala point de parfums odorants, Nulle fleur de vil prix ne tomba sur ma cendre, Et tu ne daignas pas un peu de vin répandre.
Jette au feu Lygdamus, ou que l'acier brûlant Me venge du poison que je pris en buvant, Et, bien que la Nomas sa salive comprime, Fais-lui sous le fer rouge avouer tout son crime. Naguère elle vendait ses faveurs à vil prix. Elle étale aujourd'hui son luxe et ses habits, Et du plus dur travail une esclave imprudente Est punie aussitôt parce qu'elle me vante ; Pétale indignement fut liée au poteau Pour avoir apporté des fleurs sur mon tombeau ; Pour prier en mon nom ma Lalagé s'est vue Par les cheveux traînée et de verges battue. Tu souffres ces horreurs et laisses détourner Mon portrait qui devait sur mon bûcher brûler. Pourtant je n'ai pour toi nul fiel dans ma poitrine, A cause de ces vers dont je fus l'héroïne. Par les destins dont nul n'évite les arrêts, Je le jure, mon coeur ne te trompa jamais. Puissé-je, comme prix, voir s'adoucir Cerbère ! Si je mens, contre moi que siffle la vipère !
Deux routes aux enfers reçoivent les passants Et conduisent la foule en des lieux différents ; Tantôt l'esquif fatal sous l'Adultère glisse, Ou porte la Crétoise aux cornes de génisse : Tantôt il va fleuri, vers l'Elysée heureux. C'est là qu'au frais zéphyr, le luth harmonieux, La lyre, modérant l'instrument de Cybèle, Guident par leurs accords une danse éternelle. Andro mède, Hypermnestre, épouses sans détours, S'y racontent leur vie et leurs chastes amours. Victime pour sa mère, Andromède rappelle Les rocs qui l'ont meurtrie et sa chaîne cruelle ; Hypermnestre redit les crimes odieux De soeurs qui de son coeur n'eurent pas les aveux. Là nous trouvons un baume aux amours de la vie. Moi, je tais en ces lieux, ingrat, ta perfidie.
Si Properce n'a point encor pu m'oublier, Si Doris ne t'a pas fasciné tout entier, Ne laisse point souffrir ma vieille Parthénie. Ses soins, sans intérêt, t'amenaient à Cynthie. Que Latris dont le nom montre le dévouement N'offre point le miroir à d'autres maintenant ; Que ce livre où mon nom se trouve écrit sans cesse, Tout plein de ma beauté, dans le feu disparaisse. Arrache sur la tombe où mon corps est enclos Ce lierre entrelacé qui me brise les os. Dans ces riants vergers de l'Anio la gloire, Où ne pâlit jamais la blancheur de l'ivoire, Elève une colonne et grave à son sommet Ces vers que le passant lira sans nul arrêt : «Cynthie en cet endroit repose ensevelie Ainsi de l'Anio la rive est ennoblie».
Si des songes pieux te surviennent parfois, Qu'ils aient ta confiance ; écoute-les, et crois. Nous errons dans la nuit où nous voulons sans peine Et Cerbère lui-même est libre de sa chaîne Mais quand paraît le jour, nous rentrons de nouveau. Et Charon du Léthé nous fait traverser l'eau. Sur d'autres maintenant que ton amour retombe.
Mais nos os, sans tarder, s'uniront dans la tombe».
Elle dit, et son ombre, en traversant les airs, Plaintive, fuit mes bras et revient aux enfers.
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