Les jardins suspendus de Babylone - Lithographie de Ferdinand Knab publiée dans Munchener Bilderbogen, 1886



Babylone - Les jardins suspendus

Babylone

L'enfant, toujours avide de fables, rêve au berceau d'un roi, les fées attentives à son premier vagissement, et les dons merveilleux par elles à l'envi prodigués, et les baguettes protectrices s'étendant sur ce jeune front que rien n'assombrit encore. L'homme fait comme l'enfant, il rêve, au berceau des illustres cités, les génies tout puissants, les héros, les dieux, et ne saurait concevoir que les plus grandes choses aient eu les plus humbles commencements. La vanité des fils se refuse à avouer la bassesse des aïeux. Aussi la légende a-t-elle toujours et partout précédé l'histoire, et les origines des créalions humaines s'enveloppent de nuages mystérieux.

Quelques chameliers arrêtés aux rives de l'Euphrate, voilà sans doute quels furent les premiers fondateurs de Babylone, et la tente faite de poil de chameau s'y dressa longtemps avant qu'il fût question de châteaux ou de palais. Mais c'était là chose trop simple à dire ; les prêtres Chaldéens ne pouvaient enregistrer ces vérités vulgaires au début de leurs glorieuses annales. On fit donc intervenir les dieux et les mythes les plus étranges. L'Olympe présida à la naissance de Babylone.

Selon Bérose, historien grave du quatrième siècle avant notre ère, un animal, doué de raison, aurait été le fondateur de Babylone. Il avait nom Oannès et réunissait, dans sa personne monstrueuse, une tête et des pieds d'homme, une tête et une queue de poisson. Cet être bizarre, mais fort instruit, se fit l'instituteur des hommes, les initiant aux arts et aux sciences. Il leur enseigna la géométrie et les premiers éléments de l'agriculture.

Le soir venu, Oannès regagnait la mer et passait la nuit sous les flots. Il écrivit un livre sur l'origine des choses. Nul doule qu'Oannès eût été reçu avec acclamation de toutes les académies, si l'on eût connu alors les académies.

Puis vinrent des rois, et chacun régna plusieurs milliers d'années ; quelle épreuve pour la patience des héritiers présomptifs ! Le roi Xisonthrus est le plus fameux. Prévenu comme Noé d'un déluge imminent, comme Noé, il construisit une arche où il enferma un couple de tous les animaux et comme Noé encore, il échappa seul avec les siens à l'anéantissement total du genre humain. Cette tradition du déluge, selon les récits de Bérose et les inscriptions retrouvées, présente une frappante analogie avec la tradition biblique. On retrouve jusqu'aux épisodes accessoires du corbeau et de la colombe. Xisonthrus devint le père d'une nouvelle humanité.

Une légende plus connue donne pour fondateur à Babylone, Ninus, Sémiramis et son fils Ninias. Sémiramis, nous dit-on, avait endigué l'Euphrate, creusé des lacs pour régulariser ses crues, établi un pont, élevé des remparts d'un développement immense, bref, fait de Babylone la plus fastueuse, la plus forte des cités. Sémiramis, guerrière et conquérante, avait porté ses armes victorieuses jusqu'en Scythie ; Alexandre y retrouva, prétend-on, les stèles triomphales dressées par elle : «La nature, y disait-elle, m'a donné le corps d'une femme, mais mes actions m'ont égalée aux plus grands des hommes. J'ai régi l'empire de Ninus qui, vers l'ouest, touche au fleuve Hinamam (probablement l'Indus), vers le sud aux pays de l'encens et de la myrrhe, vers le nord aux Shakes et aux Sogdiens. Avant moi aucun Assyrien n'avait vu la mer ; j'en ai vu quatre que personne n'abordait... J'ai contraint les fleuves de couler où je voulais... j'ai rendu féconde la terre stérile en l'arrosant, j'ai élevé des forteresses inexpugnables, j'ai percé avec le fer des routes à travers des rochers impraticables. J'ai frayé à mes chariots des chemins que les bêtes féroces elles-mêmes n'avaient jamais parcourus. Et au milieu de mes occupations, j'ai trouvé du temps pour mes plaisirs et pour mes amis».

Eh bien, cette histoire n'est qu'un roman, la critique moderne l'a démolie de fond en comble. Bérose, Hérodote ignorent Ninus, Semiramis, Ninias ; ces noms n'apparaissent jamais dans les inscriptions. Diodore de Sicile et Clésias, médecin d'Artaxerce Mnémon, d'après lequel il parle, sont convaincus d'erreurs. Rien ne reste de leurs fables qu'une tragédie de Voltaire et un opéra de Rossini ; à la vérité c'est quelque chose.

Nous avons dit les légendes, voici maintenant l'histoire, moins mensongère peut-être, mais certainement moins amusante.

Babylone

Babylone fut la capitale du royaume Chaldéen. On sait que les Chaldéens s'étaient tout particulièrement appliqués à l'étude de l'astronomie. Leurs temples, de forme pyramidale et composés de terrasses superposées, étaient comme des observatoires sacrés.

Le culte, en effet, se rattachait intimement aux phénomènes célestes et dans chaque étoile rayonnait un dieu Alexandre trouva les Babyloniens en possession d'une série ininterrompue d'observations astronomiques faites durant dix-neuf cent quatre ans.

Le dix-septième siècle, avant notre ère, vit les Egyptiens pénétrer dans la vallée de l'Euphrate. L'empire des Pharaons s'étendait alors des grands fleuves de l'Ethiopie, tributaires du Nil aux montagnes de l'Arménie, réunissant sous la même autorité, la Nubie, l'Egypte, la Syrie, une partie de l'Arabie, la Mésopotamie. Thotmès I, Thotmès II, Thotmès III, sont les plus illustres des princes conquérants qui, de Memphis, coururent jusqu'à Babylone et Ninive. Il faut citer encore la reine Hatasou qui fut régente durant la minorité de Thotmès II, vers 1650. Cette reine Hatasou fit élever, à Thèbes, en son honneur, un monument qui a laissé des ruines considérables, c'est le Deir-el-Bahari. Elle-même y raconte, en de vastes pages sculptées, les expéditions ordonnées par elle : ses soldats défilent, la hache sur l'épaule, le bouclier au bras, la lance à la main, et les clairons rythment leur marche triomphale.

Mais un jour vint où le peuple Egyptien, débordé loin de ses frontières, dut rentrer dans son lit. Sur le Tigre grandissait une ville qui ne tarda pas à devenir le centre d'un empire puissant. C'était Ninive. Les Pharaons reculèrent ; la suprématie, dans l'Asie occidentale, passa en d'autres mains. Encore quelques siècles, et l'Egypte, jadis conquérante, sera conquise, et l'Euphrate à son tour, triomphera du Nil, et Cambyse campera au palais des Thotmès.

Mais avant que Ninive pût donner des maîtres à l'Egypte, Babylone devait succomber, c'était une proie plus facile. En 1270, le roi Assyrien Touklat-Adar II, conquit la Chaldée. Babylone asservie resta cependant une cité considérable et comme une seconde capitale, mais pour qui a tenu le premier rang, le second rang ne saurait suffire. Babylone ne se résigna jamais à la honte de l'indépendance perdue, de la déchéance subie, et toujours frémissante, elle s'empressa à saisir toutes les occasions de révolte. Aussi que de massacres, que de ravages, que de ruines ! car la douceur, la clémence élaient inconnues à Ninive, et jamais on ne vit despotes plus sanguinaires que tous ces princes Assyriens. Dignes élèves des lions et des panthères qu'ils se plaisaient à braver dans leurs chasses fastueuses, ils se font eux-mêmes honneur de leur férocité. Les Pharaons les plus cruels sont des modèles de mansuétude auprès de ces monstres couronnés.

Ceux-là, dans leurs pompeux hiéroglyphes, se vantent souvent d'exploits fort inhumains, mais ceux-ci naïvement atroces, font un complaisant étalage des plus épouvantables crimes ; il semble que ce soit un poignard qui ait tracé sur la pierre ces odieux panégyriques. Cette gloire n'est rien que du sang.

Selon l'usage assez généralement accepté en ces âges lointains, le héros parle lui-même. Ecoutons Ben-nirari II qui, après un soulèvement, reprit Babylone vers l'an 800 ; écoutons Sin-akhé-irib, qui étouffa deux révoltes de la cité Chaldéenne, vers 702 ; écoutons Assour-ban-habal qui, quelques années plus tard, châtia à son tour cette obstinée rebelle :

«Sur la terre mouillée, dit Sin-akhé-irib, les harnais, les armes prises dans mes attaques, nageaient tous dans le sang des ennemis comme dans un fleuve ; car les chars de bataille qui enlèvent hommes et bêtes, avaient dans leur course, écrasé les corps sanglants et les membres. J'entassai les cadavres de leurs soldats comme des trophées, et je leur coupai les extrémités. Je mutilai ceux que je pris vivants comme des brins de paille, et pour punition je leur coupai les mains... »

«La colère des grands dieux, mes seigneurs, dit à son tour Assour-ban-habal, s'appesantit sur eux ; pas un ne s'échappa, pas un ne fut épargné, ils tombèrent tous dans mes mains. Leurs chariots de guerre, leurs harnais, leurs femmes, les trésors de leurs palais furent apportés devant moi. Ces hommes dont la bouche avait tramé des complots perfides contre moi et contre Assour, mon seigneur, j'ai arraché leur langue et j'ai accompli leur perte. Le reste du peuple fut exposé vivant devant les grands taureaux de pierre que Sin-akhé-irib, le père de mon père avait élevés, et moi, je les ai jetés dans le fossé, j'ai coupé leurs membres, je les ai fait manger par des chiens, des bêtes fauves, des oiseaux de proie, les animaux du ciel et des eaux. En accomplissant ces choses, j'ai réjoui le coeur des grands dieux, mes seigneurs».

Enfin l'empire de ces rois d'Assyrie est renversé : la Chaldée ressaisit son indépendance, en 625. Les Mèdes s'installent à Ninive avec leur roi Kyaxarès : Nabou-bel-oussour règne glorieusement à Babylone. Après lui vient Nabuchodonosor ou mieux Nabou-koudour-oussour, selon la transcription plus exacte des érudits ; celui-ci nous est connu par les récits bibliques.

Nabuchodonosor fut un prince actif, entreprenant, cruel parfois, mais pas plus que bien d'autres ; Babylone ne lui dut que des bienfaits. Les insurrections furieusement réprimées y avaient fait bien des ruines, il les releva et tous les vieux édifices, ouvrages des premiers princes Chaldéens, furent pieusement restaurés. Nabuchodonosor s'efforça de relier, à travers les siècles, les traditions nationales et de rattacher sa jeune gloire aux souvenirs vénérés d'un passé non moins glorieux, il eut aussi la fièvre des conquêles, et l'on sait qu'il emmena en captivité la population juive, presque tout entière. Jérémie qui n'était pas Chaldéen, mais Juif et fort peu soucieux des prospérités de Babylone, maudit l'oppresseur au nom de l'opprimé. Les colères, les haines, les souffrances, les regrets, les espérances d'un peuple malheureux éclatent en ses sinistres prédictions :

«La Chaldée, s'écrie-t-il, sera livrée en proie, et tous ceux qui la pilleront, s'enrichiront de ses dépouilles... La colère du Seigneur la rendra inhabitée et la réduira en un désert ; quiconque passera par Babylone, sera frappé d'étonnement, et se rira de toutes ses plaies... L'épée est tirée contre les Chaldéens, contre les habitants de Babylone, contre ses princes, contre ses sages : l'épée est tirée contre ses devins qui paraîtront des insensés ; l'épée est tirée contre ses braves qui seront saisis de crainte... La sécheresse tombera sur ses eaux, et elles sécheront, parce qu'elle est une terre d'idoles et qu'elle se glorifie en des monstres. C'est pourquoi les dragons viendront y demeurer avec les fauves qui vivent de figues sauvages ; elle servira de retraite aux autruches ; elle ne sera plus habitée ni rebâtie dans la suite des siècles».

En effet, les Mèdes, alliés des Chaldéens, sont vaincus par les Perses, et ces nouveaux conquérants ne tardent pas à attaquer la Chaldée. Après un siège mémorable, Cyrus prend Babylone en 558. Cette domination nouvelle fut aussi odieuse aux vaincus que l'avait été celle des princes Assyriens. Babylone s'agite, se révolte ; un moment affranchie, elle brave Darius qui ne la reprend qu'après une lutte acharnée.

L'empire des Perses est renversé à son tour. Alexandre paraît, il entre à Babylone et la nation Chaldéenne salue en lui moins un conquérant qu'un vengeur ; son autorité est aisément acceptée. Les soldats Macédoniens oublient, dans des plaisirs faciles et quelque peu désordonnés, nous dit Quinte-Curce, leurs longues privations, leurs longues fatigues ; de là sans doute la légende des orgies effrénées qui reste encore attachée au nom de Babylone.

Alexandre médite des projets grandioses : Babylone sera le centre du plus immense royaume qui ait été jusqu'alors, la vieille cité Chaldéenne sera embellie, agrandie, car le maître la veut digne de lui et de sa puissance prodigieuse. Mais Alexandre meurt. Il n'était plus de rois à renverser ni de batailles à gagner ; qu'avait-il besoin de vivre encore ? Pour Babylone, c'en est fait des jours de gloire, elle survivra peu au dernier prince qui l'ait aimée.

Dans le royaume que Séleucus se taille aux débris de l'empire Macédonien, la Mésopotamie est comprise ; il prend Babylone, mais l'abandonne aussitôt. Il va fonder, à quelques lieues de là, sur le Tigre, une ville qu'il destine à immortaliser son nom, Séleucie. Bien de plus redoutable pour une ville qui se meurt, que le voisinage d'une ville qui naît. Séleucie prospère, Babylone se dépeuple. Mais Ctésiphon, fondé par Kosroès le Grand, non loin de là, enlève à Séleucie une partie de sa population. Séleucie cependant garde quelque importance jusqu'à l'époque de la conquête Romaine. Vérus y vint en 116 et la saccagea. Quant à Babylone, ce n'était plus qu'un souvenir ; l'empereur Julien, nous dit Ammien Marcellin, n'y trouva que des débris confus.

A Séleucie, à Ctésiphon succéda Bagdad qui aujourd'hui décline à son tour. Toutefois, en un coin bien petit du vaste emplacement que couvrait Babylone, le moyen-âge vit germer une ville, Hillah, fondée en 1100 de notre ère, Hillah que les Arabes appellent pompeusement la grande. La population, composée de Juifs, de Musulmans-Schites, de Persans, s'élève à quinze mille habitants environ.

Coupe probable de la triple enceinte de Babylone

Les auteurs anciens nous parlent longuement des monuments de Babylone. Hérodote vante ses remparts immenses qui présentaient un développement de soixante mille pas. Ils étaient hauts de deux cents pieds, larges de cinquante. Les chars circulaient librement sur les terrasses qui les couronnaient. Des quais enfermaient l'Euphrate et deux palais élevés l'un vis-à-vis de l'autre, confondaient dans le fleuve, leurs tours, leurs créneaux, leurs portiques, leurs façades fraternellement reflétés. Ils étaient réunis, ostensiblement par un pont, secrètement par un tunnel établi sous le lit du fleuve. On citait le tombeau de Bélus que Xerxès saccagea et qu'Alexandre fit restaurer, désireux de s'affirmer, en toutes circonstances, comme le réparateur providentiel des violences commises, des injures subies. Hommes ou choses, il releva toujours ce que les Perses avaient jeté bas.

Le Birs-Nimroud

On signale encore, mais avec plus de détails, un monument dit aujourd'hui le Birs-Nimroud, sans doute en souvenir de Nemrod qui fut, nous dit l'Ecriture, un grand chasseur devant l'Eternel. C'était autrefois le temple des sept sphères. Carré à sa base, pyramidal, cet édifice se partageait en sept étages peints de sept couleurs différentes ; chaque étage était consacré à une divinité, Saturne, Vénus, Jupiter, Mercure, Mars, le Soleil, la Lune étaient là superposés. C'était chose grandiose que ces degrés géants escaladant l'espace et entassant les dieux pour monter jusqu'à Dieu.

Tell de Borsippa, aujourd'hui le Birs-Nimroud

Quelques archéologues, l'esprit trop exclusivement obsédé des souvenirs bibliques, ont voulu voir dans le Birs-Nimroud, les ruines de la tour de Babel. Ce monceau formidable de débris, aujourd'hui informes, a sept cents mètres de tour. Un pan de mur en briques en occupe le faîte ; il mesure plus de onze mètres. Les chauves-souris y nichent et les panthères s'y blottissent parfois, épiant les gazelles qui descendent à l'Euphrate.

On a trouvé au Birs-Nimroud, un rouleau d'argile avec une inscription qui précise l'époque de sa construction ou du moins de sa reconstruction :

«Les hommes l'avaient abandonné depuis les jours du déluge, en désordre, proférant leurs paroles. Le tremblement de terre et le tonnerre avaient ébranlé la brique crue, avaient fendu la brique cuite des revêtements ; la brique crue des massifs s'était éboulée en formant des collines. Le grand dieu Mérodach a engagé mon coeur à le rebâtir. Je n'en ai pas changé l'emplacement, je n'ai pas altéré les fondations. Dans le mois du salut, au jour heureux, j'ai percé par des arcades la brique crue des massifs et la brique cuite des revêtements. J'ai ajusté les rampes circulaires ; j'ai inscrit la gloire de mon nom dans la frise des arcades. J'ai mis la main à reconstruire la tour et à en élever le faîte ; comme jadis elle dut être, ainsi je l'ai refondue et rebâtie... Nélio qui t'engendres toi-même, qui exaltes Mérodach, sois entièrement propice à mes oeuvres pour ma gloire. Accorde-moi pour toujours une vie jusqu'aux temps les plus reculés, une fécondité septuple, la solidité du trône, la durée de la victoire, la pacification des rebelles, la soumission des pays ennemis ! Dans les colonnes de la table éternelle qui fixe les sorts du ciel et de la terre, consigne le cours fortuné de mes jours, inscris-y la fécondité. Imite, Mérodach, roi du ciel et de la terre, le père qui t'a engendré ; bénis mes oeuvres, soutiens ma domination... Que Nabuchodonosor, le roi qui relève les ruines, demeure devant ta face».

Nabuchodonosor, dans d'autres inscriptions, se vante de travaux plus considérables encore :

«Nabuchodonosor, roi de Babylone, restaurateur de la pyramide et de la tour, fils de Nabopollassar, roi de Babylone, moi, je dis : J'ai construit le palais, le siège de ma royauté, le coeur de Babylone, dans la terre de Babylone ; j'ai fait poser les fondations à une grande profondeur au-dessous du niveau du fleuve ; j'ai relaté sa construction sur des cylindres recouverts de bitume et de briques... Avec ton assistance, ô dieu Mérodach, le sublime, j'ai bâti ce palais indestructible. Que ma race trône à Babylone, qu'elle y élève sa demeure, qu'elle y septuple le nombre des naissances. Puisse-t-elle, à cause de moi, régner sur le peuple de Babylone jusqu'en des jours reculés !»

Un palais indestructible, qui donc en éleva jamais ? Nabuchodonosor, tu ne pourrais même plus trouver la place de ceux qui furent dressés par toi ; il n'en reste que ton orgueil !

Jardins suspendus de Babylone

S'il faut en croire Bérose qui était Chaldéen et qui semble, mieux qu'aucun autre, instruit des choses de la Chaldée et de l'Assyrie, Nabuchodonosor fut aussi le créateur des jardins suspendus. Follement épris d'une certaine Amytis, fille du roi de Perse Astyage, il voulut que cette femme tant chérie retrouvât dans Babylone les montagnes verdoyantes, les ombrages profonds de sa pairie, et lui fit présent comme d'une oasis empruntée à la Perse.

Vingt-deux siècles plus tard, un prince, qui lui aussi fut un grand conquérant, répétait la galanterie de Nabuchodonosor. Napoléon faisait établir à Compiègne une tonnelle longue de plusieurs kilomètres, imitation fidèle d'un berceau de Schoenbrunn où Marie-Louise s'était plu à promener ses rêveries de jeune fille.

Quinte-Curce, Diodore de Sicile, Philon de Byzance nous décrivent longuement les jardins suspendus. Ils s'accordent assez bien dans leurs descriptions, mais non sur le site exact qu'occupaient ces jardins. Etaient-ils attenants au principal palais ? en étaient-ils indépendants, mais voisins ? c'est ce que nous ne saurions dire en toute assurance, en présence de ces affirmations contradictoires.

Les jardins suspendus présentaient quatre étages et s'élevaient à une grande hauteur ; (dans tous les monuments de Babylone, on signale cette disposition essentielle des terrasses superposées).

Temple dans un parc royal
Kouioundjik (British Museum)

«Les terrasses sur lesquelles on montait, nous dit Diodore, étaient soutenues par des colonnes qui, s'élevant graduellement, de distance en distance, supportaient tout le poids des plantations ; la colonne la plus élevée, de cinquante coudées de haut (environ vingt-cinq mètres) supportait le sommet du jardin, et était de niveau avec les balustrades de l'enceinte. Les murs, solidement construits à grands frais, avaient vingt-deux pieds d'épaisseur et chaque issue dix pieds de largeur. Les plateformes des terrasses étaient composées de blocs de pierre dont la longueur était de seize pieds sur quatre de largeur. Ces blocs étaient recouverts d'une couche de roseaux mêlée de beaucoup d'asphalte ; sur cette couche reposait une double rangée de briques cuites, cimentées avec du plâtre.

Celles-ci étaient, à leur tour, recouvertes de lames de plomb, afin d'empêcher l'eau de filtrer à travers les atterrissements artificiels et de pénétrer dans les fondations. Sur cette couverture se trouvait répandue une masse de terre suffisante pour nourrir les racines des plus grands arbres. Ce sol factice était rempli d'arbres de toute espèce, capables de charmer la vue par leur dimension et leur beauté. Les colonnes s'élevant graduellement laissaient, par leurs interstices, pénétrer la lumière et donnaient accès aux appartements royaux, nombreux et diversement ornés. Une seule de ces colonnes était creuse depuis le sommet jusqu'à la base ; elle contenait des machines hydrauliques qui faisaient monter du fleuve une grande quantité d'eau, sans que personne put rien voir à l'extérieur».

Alexandre, déjà frappé à mort, se fit transporter, nous dit Arrien, dans les salles qui s'étendaient au-dessous des jardins, il espérait y trouver, dans la fraîcheur de l'air, quelque soulagement à la fièvre qui le dévorait. Vaine attente, c'en était fait d'Alexandre et quelques jours après, il mourait au palais de Nabuchodonosor.

On peut signaler dans les créations de nos âges modernes, des jardins qui, en de beaucoup plus modestes proportions, donnent quelque idée des fameux jardins de Babylone.

Des eaux azurées du lac Majeur, une île émerge, toute petite, toute charmante, elle a un nom doux comme le ciel qui lui sourit, Isola bella. La famille Borromée en a fait une résidence renommée par sa bizarrerie plus encore que par sa beauté. Là aussi sont des terrasses superposées et en retraite les unes sur les autres.

Les citronniers, les orangers s'étagent, et les camélias constellés de fleurs, et les magnolias où roucoulent les colombes, et les lauriers au feuillage immortel comme le nom des héros qui en ceignent leur front. Bordés de balustres pansus, des escaliers se déploient d'une terrasse à l'autre ; des statues s'y dressent et des lions de marbre en gardent les degrés. Le lac sommeille tout alentour, et l'île entière semble un nid de fleurs qui flotte sur les eaux.

Certains critiques moroses insinuent qu'Isola bella ressemble un peu à ces pièces montées, chefs-d'oeuvre de pâtisserie que l'on voit trôner au milieu d'un somptueux dessert. Toutefois ici la pierre remplace le nougat, le marbre remplace le sucre.

Selon la tradition de Babylone, les jardins reposent sur des salles voûtées, très vastes, fort curieuses ; là sont des rocailles pittoresques, des niches où les naïades s'étendent, accoudées à leur urne qui pleure, des perspectives doucement assombries, des arcades rayonnantes où le lac et ses rivages riants viennent s'encadrer.

Que l'on suppose ces jardins décuplés, que les monstres de basalte y remplacent les amours coquets, que les taureaux formidables y remplacent les Vénus pimpantes, que les palmiers, les saules éplorés, les tamaris grêles viennent s'associer aux magnolias, aux myrtes, aux lauriers ; au lieu du lac Majeur aux eaux limpides, supposons l'Euphrate aux eaux fangeuses, supposons à l'horizon, au lieu de montagnes verdoyantes, une plaine que des canaux fécondent, et Isola Bella nous donnera un vague mirage des jardins de Babylone, et nous pourrons y évoquer l'ombre de Nabuchodonosor soupirant sa tendresse aux pieds de la belle Amylis.

Des monuments si nombreux, si fastueux dont Babylone s'enorgueillissait, qu'est-il resté ? Rien qui soit reconnaissable.

Thèbes garde quelques-uns de ses colosses et les colonnades de ses temples nous écrasent encore de leur immensité. Memphis dresse au-dessus du désert, ses pyramides éternelles, Sardes a quelques marbres debout, Persépolis raconte encore, sur de vastes murailles les triomphes de ses rois ; Babylone seule n'a rien qui soit digne de son grand nom. Jamais tant de gloire et de magnificences ne trouvèrent anéantissement plus complet.

Sans doute les fureurs vengeresses des rois de Ninive, bien des guerres, bien des conquêtes ont passé là ; mais quelle cité illustre pourrait-on nommer qui ait échappé à ces fléaux ? Il a été, pour Babylone, une autre cause de destruction, cause originelle, fatale et du reste fort simple, le peu de résistance des matériaux employés. Thèbes, Memphis sont faites de grès et de granit, Sardes de marbre, Babylone était faite de briques. La pierre en effet est chose rare en Mésopotamie, l'argile au contraire très commune ; aussi la pierre n'était-elle employée que par exception, et l'argile devait suffire à tout.

Hérodote, Quinte-Curce, d'autres encore nous exposent avec précision le mode de construction en usage. Les briques, pour la plupart, étaient seulement séchées ou soleil, le soleil de Babylone suffisait à les durcir ; on les reliait avec une matière bitumineuse recueillie à Hit ou Is, site distant de huit jours de marche. Parfois on disposait entre les assises des couches de roseaux. Les revêtements étaient faits de briques cuites et vernissées. Là se déroulaient, peints de couleurs éclatantes, les chasses ardentes, les batailles, les défilés des captifs, le long cortège des esclaves apportant au maître les offrandes des peuples vaincus.

Les Babyloniens connaissaient et employaient souvent la voûte. Qu'est-il advenu cependant ? Il pleut en Babylonie, bien que rarement. L'eau a peu à peu ramolli et désagrégé l'argile ; les terrasses ont fléchi, les voûtes ont croulé et les siècles aidant, les palais, les temples, les remparts n'ont plus été que des monticules, des ondulations vagues où les yeux complaisants des archéologues peuvent seuls reconnaître des monuments. Les prophètes auraient pu dire à Babylone : «Babylone, tu fus poussière et poussière tu seras».

Aujourd'hui il faut entreprendre des fouilles profondes pour retrouver quelques briques intactes ; elles portent parfois des inscriptions en caractères cunéiformes.

Plan des ruines de Babylone

Le voyageur qui cherche Babylone, trouve, au sortir d'Hillah, une plaine que l'Euphrate traverse ; quelques cultures, quelques plantations de palmiers se pressent aux rives du fleuve, comme attirés par la fraîcheur bienfaisante des eaux. Plus loin la végétation cesse.

L'incurie musulmane laisse improductives ces terres que les anciens Chaldéens avaient patiemment fécondées. Hérodote nous parle des riches moissons qu'elles prodiguaient. Ici en effet, l'Euphrate et le Tigre ne sont éloignés que de huit à dix lieues ; on avait établi, de l'un à l'autre, tout un système d'irrigations ingénieuses : les deux fleuves entrecroisaient leurs eaux et répandaient la vie de toutes parts. Maintenant les canaux, depuis longtemps desséchés, ne sont plus que des sillons indécis que la poussière comble à demi.

Bientôt quelques buttes allongées indiquent le tracé des remparts. Puis on rencontre une colline dite Amran ; on y a trouvé des tombes. Certains savants veulent y reconnaître une nécropole de l'époque des Parthes ; quelques-uns affirment que cette nécropole, relativement moderne, marque l'emplacement des jardins suspendus. Selon d'autres, les jardins auraient été situés au Kasr, colline plus vaste et qui est faite des débris du grand palais.

Cette colline porte un arbre légendaire le tamaris de Sémiramis. Il compte plusieurs siècles et la sève ne circule plus qu'à peine dans son tronc crevassé, vermoulu. Dieu, disent les Arabes, l'épargna lors de la destruction de Babylone ; Ali, disciple et petit fils du prophète, y attacha son cheval lorsqu'il vint combattre et vaincre à Hillah. Mais ce lieu est maudit, les esprits le hantent et dès que vient le soir, les plus braves s'empressent à le fuir.

Le lion de pierre de Babylone

A quelques pas plus loin, un lion de basalte est gisant dans un fossé, il n'a plus de tête et on dirait quelque divinité étrange que la foudre aurait renversée de son autel.

Enfin le Birs-Nimroud apparaît, faisant saillie dans la plaine comme une pyramide écroulée. Le mur qui s'y dresse, seul débris qui soit debout, semble un géant soucieux : il contemple tristement cette solitude morne qui fut une splendide cité, ces lieux qui menèrent si grand bruit et qui gardent maintenant un si profond silence.

Parfois passent quelques chameaux. Que portent-ils ? Des tapis éblouissants, des étoffes précieuses, la myrrhe, l'encens, la pourpre de Tyr, l'or du Pactole ? - Non, ils portent des cadavres jetés sur leur bosse, jambe de ci jambe de là ; et ces hideuses ruines humaines que de pauvres haillons cachent à peine, s'en vont ballottés à travers la campagne. On les inhumera à Hillah, sous la protection vénérable du tombeau d'Ali. C'est là un acte suprême de dévotion fort en honneur chez les Persans. Souvent les morts voyagent ainsi plusieurs jours avant de trouver la terre sacrée où leur piété crédule s'est promis un plus doux repos. Les chacals, les hyènes, les vautours chauves suivent de loin ces lugubres caravanes.

Pauvre Babylone, la vie la déserte et la mort seule daigne y passer.

Ruines de Babylone


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